Le mois de mars est déjà là, le temps passe vite ! Ça fait un moment que je devais inviter Tiago en remerciement pour la dernière fois. On a dû reporter ça à cause de la mission et j'avoue que j'avais peur qu'on ne puisse pas le faire du tout. Quand j'ai appris que tout le monde était de retour, j'étais soulagée. J'ai relancé ma proposition il y a quelques jours, quand j'ai décidé de l'inviter au café BD. J'ai envie d'emprunter des mangas si c'est possible alors ça fera d'une pierre deux coups.

Je salue les employés et je cherche un endroit tranquille où m'installer. J'espère que le lieu va lui convenir, je ne crois pas qu'on serve de l'alcool ici, mais je voulais changer du bar où je travaille. En plus, ça m'évitera d'être vue par mes collègues si jamais je perds mes moyens et que j'ai l'air stupide.

Je suis un peu tendue, je n'arrête pas de regarder vers l'entrée et j'essaye de me concentrer sur la carte du café. Je suis peut-être trop en avance ? L'attente est insupportable à cause de mon stress. Notre première rencontre n'a pas été des plus glorieuses. Je suis sûre que j'en fais des caisses pour rien mais c'est plus fort que moi. Je me répète que c'est hyper anodin - et ça doit l'être - pour me détendre. Au moins, les circonstances sont plus sympas qu'aux ateliers !

Il n'y a pas si longtemps que j'ai repris un rythme de vie un peu plus chill, un peu plus proche de ce que je pouvais avoir avant de partir en mission. Il faut dire que jusqu'à présent, les rendez-vous médicaux prenaient beaucoup de place dans mon agenda. Et les entrainements aussi. Si pour ces derniers ils sont toujours aussi importants, mes heures passées à l'hopital ne sont désormais que pour le boulot.

Pourtant, mes pensées ont du mal à décrocher de tout ce qui s'est passé durant cette mission. J'ai encore du mal à vraiment lâcher prise. Et il faut admettre que ce nouveau pouvoir encore présent, héritage direct de cette saloperie de machine, ne m'aide pas à oublier. Alors quand j'ai vu le nom de Hua s'inscrire sur mon téléphone il y a quelques jours, j'ai été agréablement surpris. Même si je ne m'attendais pas vraiment à ce lieu mais... Well, ok, pourquoi pas.

Après une nouvelle journée passée à bosser, je rentre à l'institut pour me préparer. Non, je déteste sortir sans être un minimum préparé, et quand je sors de l'hosto après y avoir passé de nombreuses heures, j'ai toujours l'horrible impression que cette odeur est ancrée dans mes fringues. Et si je prends le temps de me préparer (ouais c'est pas un date je sais bien, ça n'empêche que je fais toujours un minimum gaffe à être bien présentable quand je dois passer la soirée avec une meuf !) eh bien je ne vois justement pas le temps passer. Ce qui fais que je suis un peu juste niveau timing.

Mais rien de catastrophique non plus. Un très léger retard qui ne vaut pas que je lui envoie un sms pour la prévenir. Si je connais l'endroit pour y trouver quelques "bouquins" pour ma fille quand je vais la voir, je n'ai en revanche jamais vraiment pris la peine de m'y poser pour y boire un coup. Mais, je ne suis pas contre tester. Et le premier avantage, c'est que c'est bien moins bondé que le bar. Pas très difficile de repérer la miss déjà installée un peu plus loin.

- "Salut !"

Je m'approche avant de prendre face à elle, ne pouvant m'empêcher de la regarder un peu. Parce qu'il faut dire que déjà, ça fait un moment qu'on ne s'est pas vus, et surtout, les images que j'en garde n'étaient pas des plus glorieuses. Alors oui, bien sûr que j'espère trouver un changement plus joyeux sur son visage.

- "Je ne m'attendais pas à ce que ce soit ce genre d'endroit que tu choisisses mais, je crois que j'aime bien ce genre de surprise ! Alors, comment tu vas ? Ton réveil n'a pas eu d'autres problèmes ?"

Ouais, je prends des nouvelles du réveil, ça fait quoi ?

Il est en retard, ça me stresse. Quand je le vois enfin me rejoindre, j’essaye de me détendre et de sourire, mais je suis angoissée. Ce n’est pas un rendez-vous amoureux, mais c’est un homme et je n’ai pas l’habitude d’en fréquenter. Terrae n’a pas encore changé ce fait. En plus, pourquoi est-ce que je l’ai invité ? Mon cerveau est vide, je n’arrive plus à réfléchir. Je pense enfin à lui répondre :

— S-Salut !

Ah ! Maintenant qu’il parle de mon réveil, je me souviens, c’était une manière aussi de le remercier pour son aide.

— Il va bien, merci, et moi aussi. Et toi ?

Je joins mes mains pour tenir ma tasse et éviter de montrer un énième signe de stress. Je dois avoir l’air ridicule. Je n’ose pas demander plus en détail ce qu’il a vécu durant sa mission. Ce n’était sûrement pas une partie de plaisir.

— Est-ce que cet endroit te convient ?

Quand j’y pense, c’est la première fois que j’invite quelqu’un. J’en oublie presque de lui poser la question de base :

— Est-ce que tu veux boire quelque chose ?

Spoiler:

Je m'installe face à Hua et... est-ce qu'elle n'a pas l'air un peu tendue ? Oui, en fait, j'en suis même sûr, ce nouveau pouvoir de sensitif qui se tape l'incruste depuis mon retour de mission est très clair sur le sujet. L'espace d'un instant je me demande si elle m'a proposé de venir ici pour m'annoncer un truc pas cool. Et puis, très vite, j'en viens à la conclusion qu'on n'a clairement pas passé suffisamment de temps ensemble pour ça.

Bon, au moins elle fini par me répondre et si elle ne s'épanche pas en détails, elle me confirme au moins que ce réveil qui m'a valu quelques pétages de plomb (ok, j'aurais pu faire un effort pour garder mon sang froid mais ce n'est pas mon point fort) est en bon état.

- "J'ai le droit à une super invit' alors, évidemment que je vais bien !"

Et ce ne sont pas les dernières séquelles physiques (qui heureusement ne se voient plus) qui risquent de me faire dire le contraire. La bonne humeur que j'affiche, accompagnée d'un sourire évocateur, va dans ce même sens.

Bon, par contre ces ondes de stress que je ressens (et qui ne viennent très clairement pas de moi) sont un peu casse pied. Nan mais c'est pas grave non plus hein, je commence à avoir l'habitude de ce genre d'inconvénient. Seulement, comme je suis incapable de maîtriser suffisamment ce nouveau pouvoir pour être capable de supprimer ce genre de sensation chez Hua, j'opte pour une toute autre méthode que je maîtrise bien mieux.

- "C'est vrai, je prendrai bien un café. Tu sais quoi, j'vais aller commander, comme ça t'as le temps de te remettre de l'effet que j'te fais ! Tu pourras même en profiter pour mater discretos !"

Un petit clin d'oeil avec un sourire malicieux (bien sûr que je ne suis pas sérieux !) et hop je suis déjà debout en direction du comptoir. En vrai, je n'ai aucune idée de la raison de ce stress que je ressens, c'est juste que... ça m'amuse. Oui bon, du coup, c'est pas dit que ma petite manoeuvre ait l'effet escompté maaaais... eh, on fait avec les armes qu'on a hein !

Il ne faut pas plus de deux minutes pour que je revienne avec mon café. Et, comme si de rien n'était, je reprends place face à Hua, posant ma tasse devant moi.

- "Alors ? Comment tu t'en sors avec tes pouvoirs ? Tu ne mets plus la pagaille dans toute ta paperasse ?"

Je ne suis pas sadique non plus ! Bien sûr que je l'aide à trouver un sujet de conversation qui devrait la mettre finalement plus à l'aise.
Pour l'instant.

Je suis rassurée par sa réponse. Cette invitation n'est pas une corvée pour lui. C'est une bonne raison pour me détendre et aborder ce rendez-vous avec plus de légèreté. Je peux essayer de sourire, pour alléger mes tensions. Il ne faut pas un sourire crispé ou faux, mais quelque chose de plus naturel. Je me concentre sur cette idée pour former un sourire, mais je n'y parviens pas. En fait, sa plaisanterie me fait rougir. Mater ? L'effet qu'il me fait ? De quel effet il parle ? Je ne pense pas qu'il me fasse un effet en particulier, je n'en sais rien ! Comment je dois le savoir ? Pourquoi est-ce que je voudrais mater discrètement, ou mater tout court ? Je me pose trop de question, à moitié tendue sur ma chaise.

Je dois me souvenir de respirer et calmer ma gêne. Je ne crois pas que les hommes draguent les femmes de cette manière, j'aurais mieux fait de me renseigner avant de chercher à sociabiliser avec le sexe opposé. En plus, il est sûrement déjà casé avec quelqu'un, non pas que ça m'intéresse.
J'ai envie de maudire mes parents, qui m'ont toujours empêché de parler aux garçons. J'ai envie de me faire toute petite, alors que je suis sûre qu'il s'amuse de la situation. Son clin d’œil et son sourire sont de parfaits indices à ce sujet.

Oui, c'est ça. Je dois le prendre à la rigolade, à la légère. Quand il revient, je me concentre sur ma respiration et cherche quelque chose à regarder sans devoir croiser son regard. En fait, je n'ose même pas le regarder, de peur qu'il pense que je le mate. Je bois une gorgée de ma boisson avant de lui répondre :

— J'ai beaucoup de mal. J'ai encore perdu des documents l'autre jour, mais j'ai réussi à les rassembler puisque c'était dans ma chambre.

Je trouve ça un peu frustrant de galérer autant avec la maîtrise de mes pouvoirs, mais je n'ai pas encore croisé de mentor. Ou peut-être que j'ai un peu fui cette perspective, par le stress que ça me provoquait. Je cherche à continuer sur d'autres sujets, mon cerveau peine à se remettre des émotions fortes d'il y a quelques minutes. Je l'ai invité, il va me trouver vraiment nulle si je n'arrive même pas à lui parler, à trouver des sujets de conversation. Les gens préfèrent les personnes capables de parler sans efforts. Je dois y arriver.

— Et heu...

Zut, j'ai oublié d'un coup ce que je voulais dire ! Je réfléchi à toute vitesse pour m'en souvenir, et je reprends :

— Tu vie à Terrae depuis longtemps ? Ça se passe bien pour... pour toi ?

Ah, je ne dois pas oublier de respirer. Bon sang, détends-toi Hua !

Est-ce que ça m'amuse de voir Hua rougir suite à mon petit jeu ? Evidemment. C'est toujours mignon une fille qui rougit. Mais je vois bien que c'est plus un signe d'embarras qu'autre chose alors, je préfère lui laisser un petit moment de répit pour qu'elle reprenne ses esprits. J'ai bien compris qu'elle est du genre émotive et à fleur de peau. Alors que moi... Je suis un peu trop brusque. Et je n'ai sûrement pas envie de réitérer la catastrophe de la fois dernière. Alors je fais un minimum gaffe.

Mais manifestement, il va lui falloir plus que deux minutes pour réussir à se sentir à l'aise. L'espace d'un instant, je me demande un peu pourquoi est-ce qu'elle s'inflige ça si c'est si difficile. En fait, je crois que je ne suis pas habitué à côtoyer des gens aussi timides. Je crois qu'il va falloir que je prenne un peu sur moi. Oui, finalement cet endroit est probablement le plus adapté.

Mais au moins, elle répond à ma question. Et si ce n'est pas non plus le plus grand succès du siècle, on avance. Reste plus qu'à espérer qu'une fois qu'elle sera lancée elle passera au dessus de ses appréhensions. C'est comme ça que c'est censé marcher non ?

- "Tu vas finir par les apprivoiser ces pouvoirs. Tant que tu limites les catastrophes d'ici là, c'est déjà une bonne chose !"

Et puis, l'air, c'est encore à peu près safe comme pouvoir. Enfin, ça peut vite être relou j'imagine, mais quand je me revois à avoir cramé toute ma garde robe (à plusieurs reprises) à chaque fois que je m'emportais juste un peu trop... Ouais, j'ai comme l'impression qu'on se fait un peu avoir quand on est Feu.

- "Ca dépend de ce que t'appelle longtemps. Mais, ouais, ça fait déjà plus de quatre ans. J'imagine que ça commence à faire pas mal."

Quatre ans et franchement, je n'ai toujours pas l'impression d'avoir avancé sur quoi que ce soit. On m'avait promis un endroit pour se reconstruire et avec le recul... Je me demande si je n'ai pas juste réussi à m'enfoncer encore plus. Quel enfer. Mais je ne risque pas d'étaler mes états d'âme !

- "Enfin j'dis ça, mais y en a qui sont là depuis tellement plus..." si c'est à Mitsu que je pense en disant ça, je sais qu'il y a en a beaucoup qui sont au moins aussi anciens qu'elle. "Comment tu te sens ici toi ? Tu envisages d'y rester encore longtemps ?"

Parce que oui, si certains s'installent pour de bon à Terrae, pour beaucoup, ils repartent, plus ou moins vite. J'en sais quelque chose.

J'essaye encore de me détendre en sa présence. Je suppose qu'à force de parler avec lui ça sera plus simple. Ses paroles me réconfortent un peu, même si mes appréhensions persistent. Lui, il maîtrise son feu, si je me mets à sa place ça n'a pas dû être simple.

— Je suppose que le feu a dû être plus chaotique à maîtriser que de l'air. Ça t'as pris beaucoup de temps à atteindre ton niveau ?

Je dois songer sérieusement à rencontrer un mentor, parce que faire ça toute seule me paraît lent et je ne sais pas par où commencer. J'observe un instant ses mains et j'ajoute :

— Tu es invulnérable au feu avec ce pouvoir ?

En fait, le sujet des pouvoirs m'intrigue et ça m'aide à m'ouvrir un peu. Juste un peu. Je n'ai pas l'occasion de parler avec beaucoup de monde et encore moins du rapport à nos pouvoirs.
Pour lui, ça fait quatre ans. J'avais l'impression qu'il y était depuis plus longtemps que ça. Je sirote une nouvelle gorgée pendant qu'il me répond. J'affiche un air étonné pendant une seconde lorsqu'il me demande si je compte rester longtemps.

— Parce qu'on peut partir ?

Ma propre interrogation me semble soudain stupide. Bien sûr, nous ne sommes pas prisonniers ici. Sauf que si je pars, ce sera pour me retrouver à nouveau dans une cage dorée. Je préfère choisir ma cage, et Terrae m'a l'air plus agréable. Je reste songeuse un moment. Comment je me sens ici ?

— Je ne sais pas vraiment. Je ne me sens pas encore à ma place. Je ne sais pas si ça a du sens d'avoir des pouvoirs, je ne comprends pas pourquoi ça existe ni pourquoi j'en ai. Au moins, j'ai pu gagner une certaine liberté en me retrouvant ici. Je n'ai pas prévu de partir. Et toi, tu penses quitter Terrae un jour ?

Mince, avec mes réponses je plombe l'ambiance ! Qu'est-ce que ça peut lui faire que je me sente mal de toute façon ? Je reprends une gorgée de ma boisson pour m'éclaircir les idées et le laisse me répondre s'il ne trouve pas ça trop indiscret.

- "Ahah chaotique ouais, c'est un bon terme. Même si c'est difficile de comparer."

Quoi que. Pendant l'éclipse, j'ai bien vu qu'il y avait des pouvoirs qui m'emmerdaient plus que d'autres. Mais ce n'est peut-être pas la peine d'aborder le sujet maintenant.

- "Et, je dirais qu'il m'a fallu toutes ces années pour avoir mon niveau actuel." Je laisse apparaitre un sourire un peu moqueur, laissant bien comprendre que j'ai bien capté le vrai sens de sa question. "Mais, si tu veux savoir le temps qu'il m'a fallu pour commencer à avoir un contrôle acceptable de mon pouvoir... Je ne sais plus trop. C'est difficile à dire. Trois ou quatre mois je pense. En même temps, je passais mon temps à me cramer, bruler mes fringues ou foutre le feu aux éléments autour de moi. Y avait bien urgence !"

Ah ça, ils m'ont coûté une fortune ces premiers mois avec pouvoir...

- "J'imagine que ça m'a permis de moins craindre la chaleur que la plupart des gens, mais ça m'arrive encore de me brûler quand je me foire ! Et je suis loin d'avoir une parfaite maîtrise alors, ça arrive encore."

Quand je teste de nouvelles choses seulement, bien sûr, même dans les moments d'emportement particulièrement intenses, j'arrive à contenir mon pouvoir.

Je laisse le sucre de côté et porte la tasse à mes lèvres. Ses questions me font un peu sourire. Parce que tout le monde se les pose évidemment. Et quant à savoir si on peut partir... je crois bien que c'est la première question que j'ai posé quand je suis arrivé. Comme s'il s'agissait d'un contrat peu fiable avec de toutes petites lignes stipulant que je pouvais à tout moment devenir la propriété de cet endroit. Ce qui n'est évidemment pas le cas.

- "Encore heureux qu'on peut partir. T'as vraiment accepté de suivre un inconnu qui te parle de magie sans même savoir dans quelles conditions tu pouvais repartir chez toi si la vie ici ne te convenait pas ?"

Bon, j'étais peut-être pas obligé de lui demander de le spécifier... Mais je n'arriverai jamais à me faire à la confiance que certains peuvent avoir envers les autres.

- "Les choses ne se font pas en quelques semaines, ou mois. C'est normal. Tant que tu apprécies la vie que tu as ici, c'est déjà pas mal. Le reste viendra petit à petit." Et je sais de quoi je parle. "J'ai souvent pensé à partir. Dès le premier jour en fait." Je ris légèrement, parce que maintenant, c'est loin. "Mais, il y a quand même des gens que je n'ai pas envie de quitter ici, et puis... pour tout le monde à Terrae, si on est là, c'est bien parce qu'on n'avait aucune perspective ailleurs alors... tant que j'arriverai à supporter la vie ici, je compte bien y rester."

Malgré les bas. Parce que oui, comme partout, il y a ces moments de doute. De remise en question. J'imagine que c'est nécessaire pour avancer.

J'esquisse un sourire en l'imaginant galérer avec son pouvoir. C'est sûr que je ne risque pas de brûler mes vêtements, nous ne sommes pas égaux là-dessus !

— Je vois. J'ai encore du chemin à faire...

Je suis curieuse de voir ce qui est possible avec l'air. En dehors d'éparpiller des objets légers et attraper froid à force de s'exposer à des bourrasques.
Je sirote une nouvelle gorgée tandis qu'il fait remarquer à quel point c'est stupide de suivre un inconnu sans plus d'informations. Je ne m'en suis jamais rendue compte. Mes joues rosissent sous le coup de l'embarras.

— Disons qu'à ce moment-là, j'ai juste vu un moyen d'être libre et que ça ne pouvait pas être pire que chez moi. Alors je ne pensais pas à l'idée de retourner à la maison.

Cela dit, ça aurait pu être pire ici pour de vrai, au point de me faire regretter d'être partie. Je me sentais seule là-bas et oppressée, contrôlée. Ici je me sens juste seule, il y a du progrès. Un peu perdue aussi, mais je ne pouvais pas espérer le paradis et ne plus avoir de soucis du tout.

— C'est vrai... les choses se feront petit à petit. Merci. Disons que... ça me rassure de l'entendre dire.

Je bois une énième gorgée et me perd un instant dans mes pensées. Je m'efforce de chasser mon père de mon esprit et je réfléchi à d'autres sujets de conversation, oubliant presque la présence de Tiago. Le lieu est propice pour demander :

— Tu en lis ? Je veux dire, des BD et des mangas.

Après tout, on en est entouré !

- "Ca viendra. Chacun a son rythme. Tant que ça ne te pourri pas la vie, c'est le principal."

Je crois que mon ego a poussé à ce que je maîtrise au plus vite mes pouvoirs (même ce putain de marionnettisme qui m'en a fait baver). Mais heureusement, tout le monde n'en a pas autant.

Sa réponse à ma question (qui était plus du jugement qu'une vraie question mais ce n'est pas la peine de trop insister dessus) m'arrache une grimace de réflexion. Les sourcils froncés, je ne suis pas sûr de tout comprendre. Et comme je sais me tenir, je ne vais pas faire remarquer que ce raisonnement est stupide. On trouve toujours pire ailleurs.

- "T'étais, genre, retenue prisonnière ?"

Ok, je sais, il y a des questions qui ne se posent pas ici. Notamment toutes celles qui concernent avant Terrae. Il faut déjà avoir établi un certain niveau de proximité avec la personne avant de s'aventurer sur ce terrain, mais si j'ai entendu pas mal d'histoires différentes, c'est vrai que cette possibilité m'intrigue. Non mais parce que, admettons qu'il suffise que tous les captifs contre leur gré développent un Vide pour qu'un master vienne les enlever à leur bourreau, ce serait une nette progression humanitaire !

Et comme s'il ne fallait pas trop insister (il ne faut pas), je porte la tasse à mes lèvres en suivant. Non, je ne suis pas super à l'aise dans le rôle du mec curieux en fait. C'est mieux quand j'en ai rien à foutre de la vie des gens.

Alors je ne suis pas contre ce nouveau sujet. Même si je n'y connais absolument rien. Ce que je ne cherche pas à cacher.

- "Nop. J'y connais que dalle. Si ce n'est que certaines couvertures sont parfois aussi explicites que du porno."

Ah oui, bah je suis bien plus à l'aise là hein, déso. Parce que ça doit être l'unique info que j'ai sur les mangas. Des meufs avec nichons hors normes et des kinks plus chelous que tout ce qu'un metteur en scène ne pourra jamais représenter à l'écran.

Je suppose que mon pouvoir ne m'embêtera pas autant que le sien a dû le faire. La conversation tourne sur un sujet plus délicat. Je tenais à justifier mon choix un peu stupide, mais c'était difficile sans mentionner un minimum ma vie avant Terrae.
Je réfléchi à ma réponse. Je le connais à peine, je me vois mal me confier à lui. Je suis sûre qu'au fond, il s'en fiche. Inutile de s'épancher si c'est pour l'ennuyer. J'ai lu qu'une personne négative, qui se plaint et qui parle de sujet de ce genre n'est pas très appréciée. En revanche, je ne sais pas si c'est à un certain degré... j'imagine que si.

— C'est un peu exagéré peut-être de dire que j'étais retenue prisonnière...

Je laisse ma réponse en suspens, prise dans ma réflexion qui me pousse à changer d'avis.

— En fait, non. J'étais prisonnière. D'une cage dorée, certes, mais...

Je n'ai pas le courage de terminer ma phrase. Pourquoi devrais-je me justifier après tout ? Certaines personnes envient les familles riches et les enfants qui ne manquent de rien. Ma propre situation était idyllique de leur point de vue extérieur.
Quoiqu'il en soit, ce sujet m'embarrasse plus que je ne le pensais. Je termine ma boisson pour me focaliser sur autre chose.

La conversation se voulait plus légère avec ma question sur les BD et les mangas, mais sa réponse me surprend. Je rougis à nouveau et je n'ai plus de boisson pour m'aider à me détendre.

— Ah, je n'avais pas fais attention...

Je joue avec ma tasse, encore gênée. Avec ça, je ne sais plus où me mettre.

Je suis un peu perplexe face à la réponse d'Hua. Je connais évidemment l'expression de la cage doré, mais j'ai toujours autant de mal à la concevoir. Peut-être parce que je ne connais que l'inverse. Se retrouver prisonnier d'une situation merdique qui nécessite de faire toujours pire pour s'en sortir, cercle vicieux qui ne s'arrête qu'avec la mort. Mais j'ai bien eu le temps de comprendre que ma vision des choses est loin de faire l'unanimité. Et que parfois, il vaut mieux que je m'abstienne de la proposer.

- "Si tu te sens mieux ici, j'imagine que c'est le principal."

Ouais, parce que le degré de liberté qu'on a à Terrae, ça aussi j'aurais de quoi y redire. Mais je ne vais pas insister plus que je ne l'ai déjà fait. A la place, j'accepte de parler mangas. Du moins, avec le peu de connaissances que j'en ai. Ce qui, étrangement, ne coïncide pas avec celles de la miss. Et une fois de plus, sa réaction gênée m'arrache un rire.

- "J'viens de te le dire, j'y connais rien, pas la peine d'accorder d'importance à ce que je raconte ! T'aimes ça toi ? Les bds et les mangas ?"

Non promis, la rendre mal à l'aise n'est pas mon objectif. Mais il faut dire qu'il ne lui en faut pas beaucoup !