Roman surenchérit, en disant qu'il a pas cherché à m'impressionner. Je lâche un rire un peu comme un aboiement.

Ha ! Bah j'espère oui, parce que ça m'inquiéterait sinon !

Encore une fois, je ne suis absolument pas sérieuse dans mes propos. D'ailleurs, j'enchaîne avec des chatouilles, et découvre que Roman est très chatouilleux. Bien sûr, comme tous les détails que je découvre sur lui, je l'enregistre dans un coin de ma tête. Je trouve ça super mignon, en fait. Mais retour au présent, parce que nous dérivons toujours sur la glace avec une trajectoire plus qu'aléatoire. Quand je lève la tête, je croise son regard. Juste l'espace d'un instant, j'ai comme une sensation de chatouillis dans le ventre, quand nos nez se touchent. Si bien que je ne comprends pas tout de suite ce qu'il dit.

Quoi..?

Et d'un coup, je me retrouve à patiner en avant.

Roman... Qu'est-ce que tu fais ? Grondé-je d'un ton suspicieux.

Et c'est là que je remarque le gros tas de neige sur le bord de la glace.

Oh non... Non, hors de question. Roman, freine. Freine, ou tourne ou je sais pas.

Mais non. Il me serre contre lui et se dirige droit vers le monticule de neige. Et ça ne rate pas, on tombe dedans ! Un grand coup de vent m'envoie de la neige au visage, qui s'accroche à l'écharpe d'Alyona, à mes cheveux, à mes cils. Roman est tombé sur le dos, sous moi. Avec une autre personne j'aurais eu le réflexe de me lever tout de suite pour vérifier que je n'ai pas écrasé la personne. Mais avec lui, qui est plus grand encore que moi, je reste contre lui tandis qu'il éclate de rire.

Ah bah ça, pour patiner y'a personne mais par contre tu sais vachement bien viser dis donc !! Dis-je.

C'est l'heure de la vengeance !! À coup de chatouilles bien sûr, que j'entame sans prévenir direct sur les côtes. Le froid de la neige ne me dérange même pas tant que ça finalement.

A l'instant où je tourne, je sens que Tori est perdue. Elle panique presque, oh non, elle finit par paniquer tout court. Je souris, et réponds à peine quand elle me dit de freiner ou de faire quelque chose.

Je sais pas freiner Tori, alors je nous sauve tel un chevalier !

J'avais dit : je me reconvertie. Et quelle façon spectaculaire de le faire. Je m'écrase au sol sans me faire mal. Les cheveux plein de neige, j'en ai aussi sur le visage. Tori en a partout aussi, on dirait qu'elle est pleine de confettis blancs, c'est joli. Elle se moque de moi, et je continue de rire à gorge déployée.

Je sais... je t'ai dit... que j-j'ai des... compétences pour certains trucs ahaha !

Et alors que j'essaie de me redresser pour lui balancer une autre vanne, elle se jette sur moi. Au-dessus du manteau, certes, mais elle pince fort, et ça m'atteint bien trop vite. Je pousse un nouveau cri, me contorsionne dans la neige.

Non Tori non !

Je ris et m'étouffe à moitié en même temps, j'essaie de repousser ses mains mais elle est bien déterminée. Je pousse un cri d'à laide, avant de redresser le haut de mon corps, passer un bras dans son dos, pour la tenir et un autre derrière ses cuisses. Je me tourne et me redresse sur les genoux en la soulevant, patins plantés dans la neige, et je la tiens presque comme une princesse, et je lui jette un regard faussement furibond.

Mais ça va pas non ! Tu veux ma mort c'est ça ??

Roman rit à plein poumons et ça me fait sourire de plus belle. Mais il ne s'en tirera pas comme ça ! C'est dans cet état d'esprit que je commence à le chatouiller encore et encore, même quand il se met à gigoter dans tous les sens.

Oh si, Tori, si Je réplique avec un sourire triomphant.

J'avais seulement oublié un détail : Roman est encore plus grand que moi. Et même si je peux me targuer d'avoir de la puissance, il reste un homme, naturellement plus fort qu'une femme. Alors quand je me sens soulevée dans les airs (chose qui, de mémoire ne m'était jamais arrivé hors combats), je pousse un cri aigu et m'accroche à ce que je trouve. Je passe mes bras autour de son cou. Je croise ensuite son regard, faussement furieux, mais je suis tellement prise au dépourvu que je passe à côté de ce qu'il dit.

Oh. Ouah. On échange les rôles alors... Soufflé-je.

Puis je me ressaisis et un sourire espiègle glisse sur mes lèvres.

Oho, mais si c'est moi la princesse, ça veut dire que je peux être capricieuse...

Je vais lui en faire voir de toutes les couleurs ! Je prends une grande inspiration et commence ma tirade.

Monsieur, je vous prie de me ramener à la cabine j'ai assez patiné ! Je vous laisserais me poser sur un banc ! Ensuite je veux que vous me rapportiez mes chaussures, que vous les laciez, puis je voudrais un chocolat chaud, quatre sablés de Noël, un massage des épaules, une séance de spa avec hammam bien sûr, et vous me nettoierez bien sûr mon écharpe et mon manteau ! Dis-je d'un ton pompeux.

Je laisse passer un instant puis croise son regard et lui tire joyeusement la langue. Je plaisante bien sûr !

Tori me répond de la pire façon qui soit. Je suis coupé entre le rire et la respiration qui se coupe pour lutter contre les assauts de l'Air mais je lui réponds tout aussi désobligeant.

J'aimerai pouvoir dire-... ça dans-... Aahahha d'autres conditions !

Et une fois encore, ma vanne est clairement explicite. Je pousse ses mains jusqu'à n'en plus pouvoir et décider de mettre un terme à ses attaques. Elle crie quand je la soulève et je n'y fais pas attention comme elle s'accroche à moi, je n'ai pas peur qu'elle tombe. Elle ne se débat pas, en tout cas pas encore, et a l'air plutôt... surprise. C'est le moins qu'on puisse dire. Je lève un sourcil, taquin.

C'est ce que j'ai dit oui.

Son sourire ne me dit rien qui vaille et sa phrase me le confirme. Elle prend un inspiration pendant laquelle je glisse tout bas et très rapidement.

C'est trop tard t'as trahi la confiance.

Elle me sort toutes les âneries qu'elle trouve et ça me tire un sourire joueur, qui s'agrandit au fur et à mesure, et mes sourcils se froncent comme si je l'écoutais attentivement. Et elle me tire la langue la maline. Elle est beaucoup trop chou. Je lui réponds en secouant la tête et approchant mon visage du sien.

Mais vos désirs sont des ordres ma Dame !

Et sur ces mots, je me redresse lentement, debout sur mes patins, toujours en la gardant dans mes bras. Et une fois stable, je la balance lourdement sur mon épaule, comme un sac à patate. Voilà ma vengeance. Je marche lourdement en la faisant rebondir exprès jusqu'au cabanon le plus proche en étant bien heureux que la neige m'aide à garder l'équilibre.

Je ne me rends compte du double sens de ma phrase que quand Roman la souligne avec une réplique qui me tire un petit grognement outré.

Non mais dis !

Et puis je me retrouve soudain dans les airs. Passée la surprise, je ne peux m'empêcher de lancer un regard amusé au grand brun.

Tu sais, si je te plais, il y a d'autres moyens que des réplique graveleuses pour le faire. Dis-je, sans me prendre au sérieux le moins du monde.

Puis je réalise ce que ce changement de rôle (je suis devenue la princesse !) signifie. Et j'en profite. Je déblatère une longue liste de souhaits et d'ordres sous le nez de Roman, un grand sourire aux lèvres. Quand j'arrive à la fin je croise le regard du jeune homme. Et je lui tire la langue. En le voyant secouer la tête, je dois faire un gros effort pour ne pas me mettre à ricaner comme une hyène. Ça serait pas très élégant après tout ! Puis l'Air rapproche son visage et je lui souris en l'observant sous mes cils, attendant de voir ce qu'il va faire. Oh, je n'ai pas à attendre très longtemps. Une phrase de preux chevalier plus tard, il me hisse tel un sac à patate sur son épaule. Je lâche un petit cri à nouveau et dois me retenir d'agiter mes patins dans tous les sens pour ne pas le blesser. Je me mets à lui frapper le dos, pas trop fort, alors que mes tresses se balancent sous moi.

Monsieur je ne vous permets pas !! Veuillez me lâcher !

Mais pendant que je dis ça, mon regard glisse le long de son dos et j'arrête de me débattre. Je hausse un sourcil.

Quoique... Finalement, c'est peut-être pas très confortable, mais j'ai une belle vue...

Et toc.

Tori réplique que je pourrais lui dire autrement si elle me plaît. Je me marre, c'est bien envoyé, le point est beau, propre, pas de bavure. Je lui réplique faussement agacé, trahi par mon grand sourire.

Figure-toi que c'est ce que j'ai fait y a quelques minutes mais visiblement j'ai plus de talent pour te faire rire qu'autre chose, je m'y suis résigné !

Habile renvoie à ma longue glissade sur la glace tout en lui débitant ce que je pense d'elle non ? Et sur ce, paf, sur mon épaule et ça dégage. Ca va bien de me prendre pour un larbin qui doit en plus faire des compliments, non mais oh ! Je plaisante bien sûr, et tout en avançant lentement pour te ne pas tomber une énième fois, j'encaisse ses coups, bien faible et là juste pour continuer la bagarre. Je ne perds pas mon sourire, même quand elle arrête de se débattre. Sa phrase me surprend honnêtement, et je lâche un rire surpris. Pour être honnête, je ne la pensais pas capable d'une répartie aussi osée. Et c'est pas pour me déplaire. Je lui lance, en entrant dans le cabanon.

Aahhh enfin une parole censée. Et encore, j'ai mon manteau...

Je glisse un bras derrière ses genoux et accompagne sa descente avec l'autre dans son dos pour la poser comme si elle ne pesait rien sur un banc. Je souffle un coup.

C'est ici que s'arrête ce voyage aux beaux paysages ma Dame. Désolé pour ce bref moment sur la glace, s'il vous sied d'y retourner c'est avec joie que je vous accompagne. Néanmoins je peux également vous retirer vos patins comme vous me l'avez demandé.

Je m'agenouille devant elle, et avec un sourire des plus espiègles, lui assène :

En vous faisant remarquer que je ne suis pas le seul à utiliser la technique des blagues graveleuses, mais bien l'unique à dire ce qui habite mon esprit.

La réplique de Roman me fait pauser un instant. J'avoue que je suis un peu passée sur les moments où il a dit que je l'intéressais parce que j'y croyais pas vraiment. Mais maintenant...

Je ne sais plus trop comment réagir pour le coup, et il en profite un peu pour me jeter sur son épaule. Je ne vois pas son visage, alors difficile de dire exactement ce qu'il pense ou ressent à ce moment-là. Du coup, au lieu de m'attarder sur ça, je profite d'un moment d'inattention pour l'embêter encore un peu, sur la "vue" incroyable que j'ai. Monsieur n'est pas dévoré par l'humilité et réplique. Je ricane.

Je ferais plus attention la prochaine fois alors !

Je le laisse accompagner ma redescente sur terre malgré le fait que j'aurais aussi bien pu le faire moi-même. Mais c'est agréable d'être traitée comme une femme et pas juste comme un truc qui y ressemble. Roman ne me laisse aucun répit et je souris en le voyant s'agenouiller sur le sol plein de petites flaques de neige fondue.

Relève toi gros bêta. Tu vas finir encore plus trempé que tu ne l'es déjà. Dis-je d'un ton amusé.

Pour ce qui est de retourner sur la glace.

C'est vrai que patiner c'est chouette... Mais je crois que je n'ai aucun talent pour, haha ! Après, si tu veux refaire un essai, je t'accompagne bien sûr !

Mais durant tout notre échange, une question me tourne dans la tête. Et ses derniers mots m'incitent à la poser.

Non mais... Pour de vrai, sérieusement, je te plais ? Demandé-je, avec un petit rire.

Je ne me moque pas, pas à ce sujet. C'est important pour moi, parce que si c'est vrai... Je ne sais pas trop comment je réagirais. Alors ce rire, c'est un peu mon bouclier, un rire nerveux teinté d'autodérision.

Ahaha mais j'espère bien !

Et alors que je m'agenouille, elle me sourit pour me dire de me relever. Je pouffe et tout en délaçant mon premier patin, j'ajoute.

Moi trempé, vraiment je dois tu parles...

On a beau être tombés tous les deux, c'est moi qui ramasse le plus de côté, j'ai les jambes et le dos complètement trempés, mais je m'en fiche. Je retire mon premier patin, et m'attaque au second quand elle me dit qu'elle n'a pas spécialement envie d'y retourner. Je lève la tête vers elle en souriant.

Ok ! Ca ira pour moi aussi, c'était chouette mais je crois que j'ai eu ma dose, j'y retournerai demain.

Je me redresse et tends ma main vers ma chaussure et enfile un pied dedans, quand elle me demande avec un léger rire si elle me plaît. Je tourne la tête vers elle en souriant, avant de voir son expression. C'est pas qu'une vanne. C'est même, pas du tout une vanne, c'est une vraie question. J'étais prêt à enchaîner, à continuer de jouer comme un idiot. Je prends quelques secondes pour la regarder vraiment, être bien sûr qu'elle me pose une vraie question.

Euh, oui. Pour de vrai sérieusement, tu me plais. Est-ce que c'est si surprenant ?

Je lui souris un peu, repousse mes cheveux de devants mes yeux. Et me rappelle de nouveau que, de ses dires, elle n'a jamais eu de relations à proprement parler. Autres qu'amicales.

Mais attention, ça n'implique rien hein. J'veux dire, j'attends rien de particulier ou quoi. Mais si je réponds juste à ta question : oui.

L'ironie de Roman me tire un sourire. Je le détaille du regard de haut en bas et lâche un petit grognement moqueur.

Non, bien sûr que tu vois pas.

Je lui confie que je n'ai plus vraiment envie de retourner sur la glace. Roman retire ses patins, et je lui largue une bombe. L'ambiance joyeuse et pleine d'insouciance s'évapore comme la neige au soleil. Par ma faute. Je me mords la lèvre. J'aurais peut-être dû m'abstenir. Est-ce que je vais vraiment me prendre mon premier râteau comme ça, dans une cabane en bois, plantée sur des patins d'emprunt ? J'ai l'impression d'être de nouveau dans les vestiaires en attendant mon combat, voyant les autre combattant revenir avec le nez, le bras, la mâchoire cassés, pleurant et appelant leur mère maintenant que l'adrénaline ne fait plus effet. J'ai le même type d'angoisse qui monte, je le sens. Mais non : la réponse de Roman me désarçonne encore plus, et je reste plantée là un instant. Il s'intéresse vraiment à quelqu'un comme moi. Est-ce que c'est si surprenant ?

Bah, oui ! 'Fin je veux dire y'a plein de- bon, on a déjà eu cette conversation ensemble.

J'allais repartir dans mon délire de "y'a plein de jolies filles à Terrae". Mais on en a déjà discuté donc je me retiens, et tente un trait d'humour à la place :

Enfin, moi ça me surprends, qui serait assez fou pour choisir la vachette du groupe ! Dis-je en riant.

Mon rire meurt cependant vite dans ma gorge quand un nœud d'appréhension s'y forme. Il a été honnête, je devrais l'être aussi. C'est moi ou il fait chaud d'un seul coup. Je mets un genou à terre (non, pas pour ça !) et commence à défaire mes patins à mon tour sans m'attarder sur l'eau qui imbibe mon pantalon. Ça me donne une raison pour ne pas regarder Roman. Mes tresses me barrent de toute façon la vue.

En vrai... Enfin, tu as été honnête et ça me fait vraiment super plaisir. Que tu sois honnête, mais pas que hein ! Que je te plaise, ça aussi ça me fait plaisir.

Mais viens-en au fait, Vittoria ! Je m'éclaircis la gorge.

Alors pour être totalement honnête avec toi aussi... Tu me plais beaucoup. Voilà.

Je laisse passer un instant, j'ai les yeux vissés sur mes patins, qui ne sont pas près de quitter mes pieds, vu que je ne fais pas vraiment d'effort pour les enlever.

Mais comme toi, ça n'implique rien, tu n'es obligé à rien ! Je ne veux pas que tu te sentes forcé ou quoi que ce soit, c'est juste pour être totalement transparente avec toi. Rajouté-je très vite.

Tori a l'air complètement surprise par ma réponse. Et c'est d'ailleurs ça qu'elle me confirme, qui me tire un sourire amusé, mais loin d'être moqueur. C'est fou qu'elle ne voit pas absolument pas la possibilité qu'elle puisse plaire. Déjà parce que je suis absolument certain de ne pas être le seul sensible à son charme -je veux dire, je commence à connaître un peu les gens d'ici... et bon, je suis pas le seul. Et de nouveau, elle se descend, emportant avec elle mon opinion d'elle. C'est vrai ça, qui voudrait d'une meuf comme elle ? Je croise les bras et réplique aussi vite, sur le même ton qu'elle.

C'est vrai ça, qui aurait l'idée de s'intéresser à la meuf sympa, drôle, super déterminée et attentionnée du groupe, hmmm, j'me demande bien...

Elle l'a pas volé, mais je m'en voudrais presque de lui lâcher ça comme ça, même sur le ton de la blague. J'en connais une qui serait fière de moi par contre... Son rire gêné laisse place à un blanc un peu gênant, je décide de fixer ma seconde chaussure, avant de me redresser pour l'écouter. Mon expression se fait immédiatement plus tendre quand elle dit que ça lui fait plaisir, que je lui ai dit qu'elle me plaisait. Bon, c'est déjà ça. C'est agréable hein ? Je me demande si c'est la première fois qu'on le lui dit. Puis si c'est la première fois qu'elle l'accepte. Sérieusement si on lui a jamais dit c'est une erreur du destin je vous jure.

Et elle enchaîne, elle veut être honnête aussi, on connait ça ahaha. AHAHA OH. Je, je crois que je m'y attendais pas. Pas comme ça. Je sais pas. Ok. Pas si surprenant non plus, en fait. Je crois que j'ai eu l'air surpris, mais elle me regardait pas. Elle enchaîne ensuite en parlant un peu vite que bien sûr, ça n'implique rien de particulier, c'est juste ce qu'elle ressent. Je hoche la tête doucement, j'intègre l'information. Ok. Ca fait... Ca fait combien de temps que je n'ai pas plu à quelqu'un ? Enfin, qu'on ne me l'a pas dit ? Ca fait combien de temps que je ne suis pas retrouvé dans cette situation ? A expliquer que, ouais, j'ai une meuf, mais que c'est ok pour tout un tas de choses, que rien n'est obligé évidemment, à faire attention à l'autre ? Combien de temps, pour moi, le vrai moi, que je n'ai pas géré cette situation que j'ai pourtant, bien connu ?

Depuis longtemps, trop longtemps. Et je n'ai plus reçu de phrase dans le genre depuis qu'elle est morte. Je viens m'asseoir lentement à côté d'elle, croise mes mains entre mes cuisses. Je tourne la tête vers elle, en souriant doucement.

Ok. Cool. Ca me fait très plaisir aussi.

Je penche un peu la tête sur le côté.

Est-ce que tu veux qu'on en parle ? Ou tu veux... Plus tard, ou pas du tout même. Moi ça me va d'en discuter, si tu en as envie.

La réplique de Roman me laisse bouche bée l'espace d'un instant. Je décroche même mon regard de mes patins pour fixer le grand brun. Et puis, comme je n'ai rien à dire parce que c'est son opinion et que je respecte les opinions des gens, je referme la bouche. Ok. Message reçu. Ça me fait doucement sourire. Il m'a bien rabattu le caquet cette fois ! Je recule donc pour aller m'asseoir sur le petit banc afin d'enlever mes patins pour de bon.

L'ambiance qui s'en suite est... étrange. On s'amusait bien quelques minutes avant, et là, ça a viré à quelque chose de gênant. Je crois qu'on ne sait ni l'un ni l'autre comment réellement réagir. Moi, parce que c'est la première fois que quelqu'un me dit que je lui plaît. Et lui... Je connais un peu son passé, je sais qu'il a été en couple avec une femme et qu'elle est décédée. J'ai l'impression de ne pas être légitime, que je ne suis pas vraiment à ma place. Mais j'ai aussi envie de tenter ma chance. Vraiment. Et si mon intérêt lui fait plaisir, peut-être que je peux essayer ? Alors quand il vient s'asseoir près de moi, qu'il me propose d'en parler, je n'hésite pas trop.

Ok... Oui, ouais je veux bien qu'on en parle.

Enfin, c'est vite dit. Parler de quoi exactement. Je me débats avec le double nœud que j'ai fait en laçant mon patin droit.

Rhaaa mais allez là ! Je râle, avant de lui lancer un regard. Avant toute chose... Il faut que tu saches, enfin je l'avais déjà dit je crois, mais... J'ai...

J'ai un peu honte, de dire ça comme ça. J'ai l'impression d'être dans un vieux nanar à l'eau de rose, c'est ridicule. Je m'éclaircis la gorge.

Hm. En fait, j'ai jamais eu... enfin j'ai jamais été en couple. Entre le quartier où j'ai grandi et mon travail, j'avais pas le temps ni la tête à ça. Avoué-je du bout des lèvres, sans pouvoir m'empêcher de me justifier.

La réponse de Tori ne se fait pas attendre, elle est d'accord pour en parler. Je la regarde faire, elle s'entête à essayer de défaire son lacet. Je me doute que c'est aussi pour se canalyser, aussi je ne fais que sourire gentiment quand elle râle tout à coup.

Tu veux de l'aide ?

On échange un regard, elle a pas l'air sûre d'elle du tout, et je suis content qu'on en parle d'autant plus, pour que ce soit clair, au moins qu'on soit d'accord quelqu'en soit l'issue. Elle tient à me prévenir de quelque chose. Elle m'en avait déjà parlé, j'avais déjà compris qu'elle n'avait jamais réellement eu de relation de couple, voire de relation du tout. Je lui adresse un sourire compréhensif et doux.

Tu me l'avais déjà dit, en effet. Y a aucun mal à ça tu sais.

Je hausse les épaules, et m'appuie sur le mur de bois du cabanon sans la lâcher du regard.

J'ai jamais eu de relation conventionnelle si on peut dire. J'ai été en couple longtemps avec la même personne, mais c'était euh... bah tu sais, avec mes activités, je fréquentais beaucoup d'autres personnes. Et il est venu un moment où on s'est juste mis à fréquenter d'autres gens pour nous aussi, sans parler de nos missions. C'était un couple ouvert entre autre. J'ai jamais eu de couple "classique". Je sais pas trop si c'est une bonne nouvelle ou pas non plus ahaha.

Je crois que le fait de lui parler et d'éclaircir la situation, pour moi en tout cas, m'apaise un peu. La petite gêne que j'ai ressenti plus tôt s'évapore, je parle juste de ce que je ressens et ça, mine de rien, je sais un peu faire.

C'est aussi pour ça que je te dis que j'attends rien de particulier. J'ai pas l'habitude d'avoir des relations "par défaut". Je pose beaucoup de questions en général, je veux pas que ça t'embête si t'as pas envie de ça. Enfin je dis ça. Moi, j'aime bien notre relation comme ça aussi hein, ça me va très bien si on fait rien de ça. Du fait qu'on se plaît je veux dire.

L'éclat joueur qui m'habite souvent revient dans mes yeux alors que j'ajoute, sans blague mais avec amusement.

Enfin j'aime bien jouer sur le fait que tu me plais quoi, au cas où t'avais pas remarqué. Mais je veux pas que ça te gêne. Et euh, je sais pas... vraiment de quoi j'ai envie. En terme de relation. Ca fait longtemps que j'ai pas relationné en fait. Je sais pas si je suis prêt émotionnellement à... accueillir quelqu'un dans ma vie, très proche comme euh... Du genre comme Nina l'était pour moi. Mais j'ai pas envie de plus jamais me lier aux autres. Oh j'ai beaucoup parlé ahaha mais je veux que ce soit clair pour toi !

Je ris, un peu embêté d'avoir tant pris de place et je passe une main dans mes cheveux.

Alors que je râle, Roman me propose son aide. Une image de lui agenouillé devant mes patins en train d'essayer d'en défaire les nœuds surgit dans mon esprit et je manque de m'étouffer.

Euh. Hem, haha, euh non ça va je vais m'en souvenir- SORTIR. Je vais m'en sortir !

Oulà. Heureusement, l'ambiance change et se fait plus sérieuse parce que là...
On décide de parler de tout ça... Notre attirance mutuelle, nos relations (ou dans mon cas, leur absence), tout ça. Et au début, j'avoue que je ne comprends pas trop où il veut en venir. Un coup il dit qu'il préfère les relations ouvertes, quoi que ça puisse vouloir dire, puis après il dit qu'il ne sait pas trop ce qu'il voudrait faire de cette attirance... Qu'il pose beaucoup de questions ? J'incline la tête sur le côté, j'ai totalement laissé tomber les patins. Ce qu'il finit par me confier en conclusion tiraille mon cœur. Mais je souris.

Les questions, ça ne me dérange jamais, tu sais... Surtout venant de toi. Parce que... Enfin, tu me plais, ça oui, mais tu connais aussi mon passé. Alors tu peux bien me demander tout ce qui te passe par la tête, ça ne m'embêtera pas. Et puis... On n'est pas vraiment pressés en même temps. Moi je ne sais pas ce que c'est vraiment que d'être en couple, alors ça me fait un peu peur. Parce que je n'ai pas l'impression de me connaître assez pour anticiper mes réactions.

Je lâche un rire, entre le rire nerveux et la plaisanterie.

Je me dis que si ça se trouve, je suis hyper toxique, Que je pourrais être une jalouse maladive, une manipulatrice, ou juste trop possessive. Je prends une inspiration. Clairement, tu mérites pas ça. Alors je voudrais pas te l'infliger par mégarde.

Ça, c'est pour les points négatifs. Je n'ose toujours pas mentionner la mission. Je ne veux pas l'inquiéter, et puis ça ne sert à rien de se précipiter dans une relation si on ne sait pas dans quel état je rentrerais. Une pensée à propos de possibles problèmes de santé liés à mon vitiligo me traversent aussi l'esprit, mais je l'écarte.

J'aime notre relation actuelle. Vraiment, je suis heureuse. Et même si une part de moi aimerait plus, je ne te forcerais jamais à rien. Si tu ne te sens pas prêt, ou que tu n'es pas sûr, on peut attendre, ou pas, et juste... rester comme ça.

Tori est dans tous ses états. Je lève les mains de mes cuisses pour signifier que je ne vais pas bouger alors, que je la laisse se débrouiller tranquillement. Et puis je me perds un peu en divagation, mais je voudrais que tout soit clair, jouer cartes sur table. Je veux pas qu'elle prenne un truc que je ferai comme ce que ce n'est pas. J'aime pas trop quand y a la place à l'interprétation quand on parle des relations avec les autres, j'aime bien quand c'est clair.

Elle me sourit, et je le lui rends quand elle dit que je peux lui poser des questions. Ok. Cool. Mon expression devient tendre, quand elle m'explique ne pas trop savoir, avoir un peu peur aussi. Je comprends. Elle enchaîne sur les points négatifs, elle se descend beaucoup alors même qu'elle ne sait pas comment elle peut être dans une relation. Je penche la tête vers elle sans trop m'approcher.

Je suis pas sûr d'être beaucoup mieux tu sais, pareil je suis incapable de répondre aux attentes d'une autre personne, et ça pourrait juste faire du mal. Mais j'ai quand même... Enfin, je te connais un peu et je crois pas que tu sois le genre de personne à refuser de parler. Et tout ce que tu décris là, ça peut se régler en discutant. Alors faut pas que t'hésites ok. Même les trucs pas jolis et pas agréables, si c'est toi, je voudrais bien les entendre.

Je me veux rassurant, je sais pas non plus si je suis prêt à tenter une relation stable, exlusive, j'en sais rien. Mais j'ai pas envie de rien faire non plus. Et autant je ne me prive pas pour flirter, autant je n'ai pas envie de blesser les gens que j'apprécie autour de moi. Ca me rassure qu'elle dise apprécier notre relation. Et puis je tique. Je me redresse, me tenant de nouveau droit à côté d'elle.

Attends attends. Si t'as envie de plus, c'est important aussi hein. Ca compte. Je ne me forcerai pas à plus si je sens que je n'en suis pas capable, et c'est génial si on aime tous les deux la relation qu'on a. Mais c'est aussi important que tu sois pas frustrée, déjà...

Je cherche sa réaction dans ses yeux, avant de détourner le regard, théâtralement poser mon poing contre ma poitrine et toussoter, avant de me tourner vers elle de nouveau avec ce sourire joueur qu'elle connait bien.

Mais rien nous empêche d'avancer tranquillement. Par exemple, si je te proposes qu'on se voit pour un date, tu serais partante ?

Parce qu'à la base. Je l'ai dit pas mal de fois. Mais elle me plaît. Si c'était pas clair quoi.

Roman essaye de me rassurer. Je lui en suis reconnaissante, vraiment. Mais en réalité c'est surtout qu'après ce qui s'est passé avec Tiago, j'ai l'impression de ne plus vraiment me connaître. D'être une sorte d'inconnue dans une équation que je ne comprends pas. Et je ne veux pas que Roman en devienne un dommage collatéral, juste parce que je ne suis pas foutue de me maîtriser ou de prévoir mes réactions. Résultat, je ne sais pas trop quoi dire. J'incline doucement la tête vers l'avant comme pour acquiescer.

Merci.

J'enchaîne en expliquant très maladroitement mon ressenti sur la situation. On est visiblement attirés l'un par l'autre. J'aime l'idée que ça pourrait déboucher sur plus que de l'amitié et je veux être honnête avec lui, alors je le dis. Mais ça ne veut pas dire que je serais déçue si notre relation reste ce qu'elle est actuellement. Pourtant, Roman s'arrête de suite sur ce petit bout de phrase. Je le sens se redresser, et ce qu'il dit ensuite me tire un sourire très doux, tendre.

Tu dis ça, mais tu ne sais pas si tu te sens prêt, toi... Et je ne veux pas te forcer à t'engager...

Je n'ai pas le temps d'en dire plus, il enchaîne et je sens mon estomac faire un looping. Soudain j'ai beaucoup moins froid malgré mes vêtements mouillés.

Vraiment ?

Pourquoi c'est ma première réaction, sérieux...

Je veux dire, oui bien sûr, je suis partante. Ça me ferait beaucoup plaisir. Mais... tu es sûr ? Tu as dit ne pas vouloir t'engager, et vraiment je ne serais pas frustrée si notre relation reste celle de simples amis, hein.

Ok, nouvelle question : pourquoi est-ce que j'essaie de saboter ma chance comme ça ?!