Courant novembre.

On aurait pu penser qu’après le fiasco du mariage, leurs relations seraient un peu plus tendues que ça, ou auraient au contraire un peu dérapé ; mais c’est bien mal connaître la capacité exceptionnelle de nos deux protagonistes à faire traîner les choses. En tout cas, les leçons de japonais que Misao dispensait à Pandora ont repris bien vite, et si de la gêne a pu s’installer au départ, le souci du travail bien fait du nippon a dû aider à détourner un peu l’attention. Ils ont continué à se croiser au club d’Elwynn — Misao a cessé bien vite de la bouder — et, avec l’ajout d’entraînements un peu plus… actifs, on va dire, pour Misao, ils n’ont pas forcément pu profiter d’autres moments pour passer du temps en la compagnie de l’autre. Cette fois, Pandora lui a promis un vrai repas — il l’a évidemment narguée pendant quelques minutes à ce sujet — et Misao lui a proposé de ramener sa Switch collector Tears of the Kingdom (il ne lui a évidemment pas proposé comme ça) pour pouvoir lancer une ou deux parties de Mario Kart ou de Smash Bros à l’issue de leur cours.

De son côté, Pandora fait des progrès, mais Misao est un professeur exigeant, malgré ses encouragements. Leurs dernières sessions portent sur des points de grammaire spécifiques et l’apprentissage de vocabulaire… et c’est long… et c’est chiant. Donc : petite partie, maintenant qu’ils ont fait chauffer leur cerveau et que Pandora n’en peut plus. Misao lui pose un verre d’eau (il commence à faire comme chez lui, écoutez) et lui lance un sourire compatissant.

—Tu survis ?

J'avais tellement peur qu'il y ait un avant et un après le mariage, que tout devienne trop bizarre entre nous ; mais au final, passé le moment de gêne la première fois qu'on s'est revu après cette fameuse soirée, les choses ont repris plus ou moins comme avant. On se voit au club de self-défense d'Elwynn, et puis pour les cours de japonais - mais plus vraiment en dehors. J'ai bien essayé de lui proposer de faire des entraînements pouvoirs tous les deux, mais il a toujours une "bonne" excuse (c'est bon, j'ai compris hein, il a pas envie...).

Cela dit, comme lesdits cours de langue ont lieu dans sa chambre ou dans la mienne, que je ramène à manger à chaque fois (récompense en nature, hein), et qu'on finit toujours bien par papoter et se chercher des puces la moitié du temps... Au final, c'est un peu comme si on se voyait juste pour passer du temps tous les deux, avec les cours comme prétexte. Parce que oui, visiblement on a besoin d'un prétexte pour se voir, une visite de courtoisie ça rentre dans la catégorie "trop bizarre" (je crois que c'est nous qui sommes bizarres).

Bref. Donc. Ce soir, c'est chez moi ; et au lieu de commander un truc à emporter, j'ai décidé de CUISINER, attention. Ca fait des semaines que je squatte les cuisines de la cafétéria et que j'ai fait d'Oscar mon goûteur officiel, j'me sens assez en confiance pour tenter de faire à manger pour Misao (non, c'est faux, j'ai pas confiance du tout, j'ai des pizzas au congélateur si jamais c'est un gros fiasco). Mon risotto attend bien sagement au frigo d'être réchauffé, quand on aura faim - mais d'abord, séance de torture grammaire japonaise. Misao prend son rôle de prof très au sérieux, mine de rien, et même s'il est encourageant malgré ma nullité apparente, il est aussi sévère et exigeant. Et le pire, c'est que je crois que j'aime beaucoup ce petit côté autoritaire, et que du coup j'ai encore plus de mal à me concentrer... Après environ une heure à me faire des noeuds au cerveau, j'abandonne en laissant tomber ma tête sur la table, front contre le bois frais, avec un petit gémissement pathétique.

"... A peine. Et je souffre beaucoup. Achève-moi, s'il te plaît."

Ca veut dire : stop pour aujourd'hui. Je relève un peu la tête et attrape le verre d'eau que le nippon a posé sur la table, le finissant d'une traite.

"Merci. Mais je te hais quand même, sache-le."

Tant d'ingratitude, il doit souffrir autant que moi en vrai, je suis tellement nulle.

Il ne peut s’empêcher de lâcher un rire soufflé, alors qu’il s’appuie contre la table ; Pandora, elle, a complètement abandonné et a carrément le front posé dessus. Misao étire un sourire en coin.

—Tu veux que je t’achève avec une autre leçon de grammaire, ou on s’arrête là ? Pourtant, on n’a même pas révisé les kanji.

Evidemment qu’il veut lui faire dire, eh.

—Ah bon, tu me détestes ? Je croyais le contraire, sourit-il en coin.

C’est que le deuxième post du RP, mais bon euh Pandora a un peu cherché, là. Il attrape le livre de grammaire qu’ils utilisent pour avancer, place un marque-page et le repose ; il fait ensuite de même avec le cahier de Pandora, pour l’encourager à se redresser et euh… comprendre qu’il va arrêter la torture ici. Ce n’est même pas un mauvais moment pour lui, il sait que le japonais est une langue difficile, et il est plutôt admiratif de sa ténacité. Puis l’objectif, c’est pas de la dégoûter d’une langue qu’il aimerait bien la voir parler un jour ahah lol-

Je garde le front sur la table et lève les mains en l'air en signe de reddition à la remarque de Misao.

"Si tu veux vraiment utiliser les kanjis pour m'achever, je te propose de m'assommer avec le bouquin, plutôt."

Parce que si je dois encore regarder un seul mot de japonais là, je crois que mon cerveau va vraiment commencer à me couler par les oreilles. Je me redresse ensuite pour boire mon verre d'eau, taclant gentiment Misao qui... Réplique par un coup bas, écoutez. Je plisse un peu les yeux, pose mon coude sur la table, menton sur ma main, et me penche un peu en avant, vers lui. Je viens le poker doucement sur la joue avec l'index de mon autre main, un sourire en coin sur les lèvres.

"Ca, c'est que tu aimerais bien croire, mais je t'ai déjà dit d'arrêter de prendre tes rêves pour des réalités, eh !"

Mes gestes, mon sourire, mon regard - tout mon corps contredit mes mots, mais je ne vais pas lui faire le plaisir de l'avouer si facilement. Je le laisse ranger les livres de cours et me lève de ma chaise pour m'étirer un peu en levant les bras au-dessus de ma tête, me balançant de droite à gauche.

"Tu veux manger ou faire une partie d'abord ?"

—Je ferai jamais ça. Je saurais pas où planquer ton cadavre ensuite, ça me créerait des problèmes.

Une fois de plus, le ton est très premier degré, mais il sourit en coin, amusé. Non, puis terminer par les kanji, c’est la pire idée. Mais il faudra peut-être qu’il lui reconstruise une évaluation sur ceux qu’elle a déjà appris, elle risquerait de les oublier sinon… Ce serait dommage. Pandora plisse les yeux à sa réponse et vient lui appuyer sur sa joue comme pour… faire pouic pouic. Il n’arrive même plus à contenir son air mi-moqueur mi-attendri, c’est malin.

—Tu me fends le coeur. Quelle cruauté.

Que d’la gueule ouais, s’ils arrêtent une seconde de parler sur ce ton-là, il assumera déjà plus grand-chose. Enfin, il en profite pour terminer de tout ranger et empiler sur le bord de la table pendant que Pandora s’étire. Il aurait presque de la peine pour elle, mais pas trop, finalement.

—J’allais te poser la même question. S’il faut réchauffer quelque chose, on peut faire une partie pendant ce temps, cela dit. Qu’est-ce qu’on mange ce soir ?

Il est bien content de ne pas avoir à cuisiner, et puis c’est qu’on prend des habitudes, au bout d’un moment ! Même si parfois, il lui propose de ramener quelque chose lui, elle refuse habituellement.

"Tss quel scientifique en carton, tu me déçois, même pas capable de se débarrasser d’un corps. La baignoire d’acide, comme dans les films, tout ça ?"

Est-ce qu’on n’avait pas déjà abordé la sujet de la dissimulation de cadavre la dernière fois ? Si, si totalement, on a vraiment un humour glauque ptn. Je hausse ensuite un sourcil faussement surpris quand Misao m’accuse de lui briser le cœur.

"Mais quel cœur ?! C’est bien connu que les Feux n’ont rien du tout, là-dedans…"

Et j’abandonne sa joue pour venir tapoter son torse, cette fois, juste au milieu, au niveau du sternum. Mon sourire s’efface un tout petit peu quand je sens les battements de son cœur (qui n’est pas inexistant, donc) dans sa poitrine, et la chaleur de sa peau au travers du tissu. Ce serait une bonne idée d’arrêter de le toucher, non ? Oui, oui définitivement. Et de m’éloigner aussi ; ce que je fais en m’étirant un peu alors qu’il range la table.

"Il faut effectivement que ça réchauffe donc on peut faire une partie en attendant ; bonne idée. J’ai fait, euh... Du risotto de poulet et courgette. Y’a aussi de la pizza surgelée, au cas où c’est dégueu, ahah !"

Oui, bon, je préfère anticiper et m’auto-tacler sur le sujet, plutôt que d’attendre que ce soit lui qui le fasse…  Je suis vraiment pas sereine, en fait.

—Le temps que j’arrive à faire acheminer suffisamment d’acide, l’odeur aura déjà empesté les couloirs, et je me serai fait repérer. Ca demande de la préparation, c’est bien moins difficile de se débarrasser d’un cadavre imprévu, répond-il, goguenard. Après, je suis invisible, donc c’est vrai que ça permet d’échapper aux caméras de surveillance… Mais il reste l’alibi, ensuite, et dans un endroit truffé de télépathes et de voyants, bon.

… Posez pas de questions, d’accord ? Il a toujours réponse à tout, c’est ce qu’il faut retenir ici. C’est pas qu’il pense à tout, c’est qu’il est capable de réfléchir à tout ; nuance. Jusqu’à ce qu’il roule des yeux en contenant un rire. Oui oui, pas de coeur, c’est ça. Une fois n’est pas coutume, il attrape son poignet et hausse un sourcil moqueur.

—Hmhm.

Heureusement qu’il a encore un cerveau ce soir, il laisse partir sa main le temps qu’elle s’étire. Il répond d’un air enjoué :

—Tu as cuisiné ? Génial. J’ai hâte de goûter ça. Arrête de te descendre, y a peu de risques que ce soit dégueu quand même, non ?

Non ???

Pendant qu’elle lui répond, il commence à brancher la Switch qu’il a ramenée sur le cable HDMI.

L'humour noir m'a toujours fait rire, même si c'est pas forcément celui que je préfère ; peut-être parce que justement, ça dérive un peu trop facilement sur des souvenirs très (trop) douloureux. Je plisse le nez et pince les lèvres alors que des images remontent, quand il parle de l'odeur d'un cadavre ; je n'entends pas trop la suite de sa tirade, trop concentrée à faire refluer ces souvenirs auxquels je ne veux pas penser. C'était rien de plus qu'une blague, il ne pouvait pas deviner que c'est un sujet sensible, je ne lui en veux pas mais je ne trouve rien d'autre à répondre que ;

"Ouais. Un corps, ça commence à sentir plus vite qu'on ne le pense, ahah."

Mon rire est un peu amer, clairement, et c'est peut-être pour ça que je lui dis que je le hais ; mais au final, ça repart juste en taquineries plus légères. C'est bizarre mais quand il se moque de moi et qu'il me sourit comme ça, c'est beaucoup plus facile de chasser les pensées tristes. Et surtout quand il me touche aussi, même si le contact ne dure que quelques instants.

J'esquisse une petite moue quand Misao souligne que mon plat ne peut pas être aussi dégueu que ça. Alors, comment dire...

"Ben écoute, les ingrédients séparément sont bons, et j'ai pas fait tomber la salière dedans, donc j'ai de l'espoir. Mais j'ai quand même aussi un plan de secours au cas où, ahah !"

Je le regarde brancher sa Switch amoureusement sur la télé, roulant des yeux, un petit sourire aux lèvres.

"Tu sais que j'en ai une qui fonctionne très bien, hein ?"

Bon, la blague n’a pas fait mouche. Il s’éclaircit la gorge d’un air gêné en apercevant son expression, mal à l’aise et réprobatrice ; c’était peut-être un peu trop dégueu… et il espère qu’elle ne pense pas qu’il dit ça parce qu’il a déjà expérimenté, vu ce qu’il a déjà pu lui raconter sur lui. Ca lui tord un peu l’estomac, mais la discussion s’enchaîne bien, finalement. Il décide de laisser passer ça, pour l’instant.

—Alors si tu as pas fait tomber la salière dedans, on devrait survivre tous les deux, il sourit. Mais oui, c’est peut-être plus sage, si tu ne crois pas en tes compétences de cuisinière à ce point ! Je suis sûr qu’on en aura pas besoin.

Il essaie de la rassurer un peu, comme pour se faire pardonner pour tout à l’heure. Ca lui trotte encore en tête, quand même.

—J’ai tous les personnages débloqués sur ma partie, ce sera plus simple. Puis elle est belle ma console, nan ?

Si elle dit non, il va vraiment être triste ptdr. Il profite d’être accroupi pour faire les branchements pour s’éclaircir la gorge une nouvelle fois.

—Désolé pour tout à l’heure, je voulais pas te mettre mal à l’aise. Je vais un peu loin quand on me relance, mais j’éviterai. C'était pas utile.

Il lui lance un demi regard vers l’arrière, hésitant. Ils sont pas obligés d’en parler, mais il a compris : il fera attention.

Je souris en retour, il est mignon, à essayer de me rassurer comme ça. Je suis presque tentée de lui dire que j'ai commencé à m'y mettre après notre discussion d'il y a quelques mois, quand il s'était trop foutu de ma gueule - mais ça lui ferait trop plaisir. J'suis tellement influençable ptn, dès qu'il me fait une remarque je le prends direct à coeur.

"J'suis encore débutante, c'est pour ça ! Vaut mieux prévoir que de te regarder geindre en crevant de faim, hein."

Je ne sais pas pourquoi, mais j'imagine assez bien Misao devenir grognon quand il a faim, ahah. Je ris quand il se cherche des excuses à propos de sa Switch - ouais, ouais, il voulait juste me montrer fièrement son bébé, j'suis sûre !

"Et qu'est ce qui te fait dire que j'ai pas tout débloqué aussi, moi ? J'vois que t'as super confiance en mes capacités, merci hein ! Mais allez, j'avoue, c'est vrai qu'elle est plus stylée qu'une normale."

Et puis, il revient sur le sujet précédent. Je m'assieds sur l'accoudoir du fauteuil, derrière lui, et soupire un peu. Je pourrais juste lui dire "ouais, c'est rien t'inquiète", mais. Je vois que ça le travaille un peu, il peut pas comprendre ce qui m'a mise mal à l'aise si je ne lui dis rien. Et il faudra bien que je lui en parle à un moment ou à un autre, de toute façon...

"Ca me rappelle des mauvais souvenirs, mais tu pouvais pas savoir... J'étais encore petite quand ma mère est morte. On vivait juste toutes les deux, j'ai pas bien su quoi faire, et du coup je suis restée allongée par terre à côté d'elle pendant un moment..."

Je me racle la gorge. Ok, j'étais peut-être pas obligée de donner ce genre de détails par contre.

"Désolée, c'est hyper glauque."

—Eh, ça va, je râle pas longtemps avant d’aller aux fourneaux, en général, il se moque.

De toute manière, il sait qu’il lui dirait pas si c’était dégueu, il ferait très bien semblant et lui donnerait des conseils d’assaisonnement, puis voilà- Il est poli, quand même, il va pas se plaindre d’être nourri à l’oeil. Bien que ce soit le paiement pour les cours dispensés, certes. C’est qu’il pourrait avoir des exigences, en fait…

Il souffle du nez et sourit en coin.

—Tu m’avais pas dit que t’avais pas Smash Bros., ou alors j’ai rêvé cette discussion ?

Misao termine son branchement, prend les deux manettes, et se retourne finalement pour écouter Pandora. Il sent que le ton change instantanément, à sa manière de fuir son regard. Alors il la fixe, sans se redresser, et sent d’abord ses sourcils se froncer… puis ses lèvres s’étirer alors qu’il les pince. C’est…. ouais. Ok. C’était pas son meilleur move, du coup, en effet. Il a un vertige en imaginant ce qu’elle a dû traverser.

—Pandora, je suis désolé. T’excuse pas. C’est pas glauque, c’est… c’est triste.

Ah, la voilà, la boule dans sa gorge ; il se redresse, pose les manettes sur l’assise du siège et s’installe à demi tourné vers elle, sur l’autre accoudoir du fauteuil, et lui tend la main.

—J’suis désolé. Ca a dû être horrible.

Je hausse un sourcil ; ouais, il dit ça, mais depuis le fameux petit-déjeuner, il n'a plus cuisiné pour moi, hein ! Je lève les yeux au ciel en riant un peu, quand il mentionne une ancienne conversation qu'on a eue - il a une bonne mémoire, il est pénible.

"Ouiii, bon. J'ai jamais trop joué à Smash Bros, juste une ou deux fois chez Allen - mais par contre, j'ai tout débloqué dans Mario Kart hein !"

Qu'il n'aille pas me prendre pour une grosse nulle non plus, eh ! Il termine ses branchements tout en revenant sur le précédent sujet, qui m'avait fait tiquer, en s'excusant ; et je ne sais pas trop pourquoi, mais je décide d'être honnête sur la raison de ma réaction un peu froide et pincée. Un peu trop honnête, peut-être. Il se retourne, me regarde d'un air gêné avant de me dire que c'est... Pas glauque, mais triste. Je hoche la tête - qu'est-ce que je peux bien dire d'autre, hein ? Il vient vers le fauteuil, mais pas près de moi ; il s'installe sur l'autre accoudoir en posant les manettes entre nous. Horrible, hein... Oui, on peut dire ça. Je ramène mes jambes repliées contre moi et les entoure de mes bras, en posant mon menton sur mes genoux, le regard dans le vague, ignorant sa main tendue.

"C'était un dimanche matin comme un autre, juste avant mon anniversaire - j'allais avoir 12 ans. Je regardais un peu la télé pendant qu'elle préparait des pancakes, puis y'a eu un bruit bizarre, alors je suis allée voir dans la cuisine. Et elle était juste là, par terre. J'crois que j'ai compris tout de suite, elle avait les yeux grands ouverts mais ils étaient... Fixes, et vides. J'ai pas pensé à appeler les secours, ni ma grand-mère. J'ai juste pensé que ce serait mieux de mourir aussi. Alors je me suis allongée par terre, j'ai mis ses bras autour de moi, et je suis restée là. Jusqu'à ce que ma grand-mère arrive pour le souper. Après ça, je me souviens plus trop, les semaines suivantes sont très floues. J'ai beaucoup pleuré et dormi."

Ma voix tremble, mais j'arrive à contenir mes larmes, et ça c'est déjà incroyable. Je tourne finalement la tête vers Misao avec un sourire triste.

"Du coup, j'aime pas trop mon anniversaire. Et j'ai plus jamais mangé de pancakes non plus."

—Bon bah c’était pas inutile que je la ramène alors !

Le ton de la conversation change très vite, et finalement, Misao vient s’asseoir en s’excusant… Pas qu’il pouvait s’y attendre, il n’a fait qu’aller trop loin sur le sujet, mais quand même. Il lui laisse le temps qu’il faut, même s’il ne s’attendait pas forcément à ce qu’elle… lui en parle. Ca le touche qu’elle lui fasse suffisamment confiance pour ça, mais il se sent surtout con et mal pour elle. Alors comme elle ignore sa main, une simple invitation, il la laisse retomber sur ses propres cuisses, et écoute.

Ouais, c’est encore pire que ce qu’il pensait. Il peut comprendre cette envie de se laisser aller, d’attendre. Ca a dû être difficile pour elle, toute cette journée sans rien faire, juste à attendre… le cerveau est une machine bien étrange, qui nous force parfois à des réactions que l’on ne comprend plus, des années plus tard. Pendant qu’elle lui parle, sa voix semble se bloquer dans sa gorge, tremble ; elle lutte alors qu’elle se recroqueville, comme cette enfant qu’elle a jadis été. C’est trop tôt pour voir mourir quelqu’un, et encore moins quelqu’un qu’on aime. Tout doucement, Misao pose sa main chaude dans son dos, juste pour montrer qu’il est là. Il n’aime pas qu’on le touche, quand il est dans cet état ; il ne lui imposera pas, surtout si elle fait un geste pour se dégager.

—J’imagine, oui, il souffle. Ca a dû être très dur pour toi...

Il ne peut pas comprendre, alors il ne dira pas ça. Il ne peut qu’imaginer, et c’est encore tellement béant en elle, aujourd’hui… Il ne sourit pas, lui, mais soutient son regard, son pouce traçant de petits cercles dans son dos. Heureusement que sa grand-mère est venue la trouver. Se serait-elle réellement laissée mourir ? Il a tellement de questions qu’il aimerait lui poser, mais ce n’est pas le moment, certainement. A la place, il ne sait même plus quoi dire. Ce n’est pas un chagrin qui se console, mais qui s’accompagne.

—Merci de m’avoir expliqué.

Il a la gorge si serrée qu’il se demande si c’est à cause de la culpabilité ou de la tristesse que Pandora ne veut pas laisser sortir.

—Tu as besoin d’espace, ou est-ce que je peux te prendre dans mes bras ?

La main de Misao dans mon dos me fait du bien ; elle m'ancre un peu, pour ne pas perdre pied alors que les mots se déversent, de plus en plus tremblants. Je hoche la tête quand il me dit que ça a dû être très dur ; bien plus dur que ce que des paroles pourraient exprimer. Alors je n'essaie pas de lui expliquer.

Je tourne la tête vers lui, un sourire triste aux lèvres, quand il me remercie de lui en avoir parlé. Il y a encore tellement de choses à dire, pourtant. Et j'ai envie de lui dire, tout. Parce que ça fait partie de moi, que ça me colle à la peau malgré les années et la thérapie, que ça pourrait l'aider à comprendre beaucoup de choses à propos de moi. De pourquoi je suis comme je suis, terrifiée et fuyante, parfois. Et si je ne l'exprime pas, tout ça finira par se mettre entre nous, je crois.

"Est-ce que tu veux bien que... Je continue ? J'ai envie que tu saches, que tu comprennes. Mais je ne suis pas sûre d'avoir le courage de reparler de tout ça plus tard, si je m'arrête maintenant..."

Et quand il me propose de me prendre dans ses bras, j'ai envie de dire oui. J'ai envie de m'y blottir, d'y pleurer, et qu'il me réconforte doucement. Mais pourtant, je refuse, secouant un peu la tête, le regard fuyant.

"Pas tout de suite, je- je ne vais pas y arriver, sinon."

S’il y a bien une chose que Misao sait faire, c’est écouter lorsqu’il le faut. Ce n’est pas difficile pour lui, ça ne lui demande pas d’effort, et il ne se sent pas écrasé par le poids des secrets des autres ; ce n’est pas qu’ils le traversent, c’est qu’il les accepte. Il partage la peine, et cherche à trouver des solutions avec eux. Et quand il n’y en a pas, il se contente d’être là ; c’est un peu frustrant de ne rien pouvoir faire, mais il a appris à aller lentement et prendre le temps de ressentir, pleinement. Avec Pandora, surtout, même si parfois tout s’accélère un peu trop.

Alors il acquiesce juste et lui renvoie un regard doux, même s’il ne sourit pas. L’humeur ne s’y prête pas, mais c’est tout comme.

—Bien sûr. Autant que tu veux.

C’est tellement dur de s’ouvrir, et pourtant elle ose, courageuse ; c’est étrange, lui qui est habitué à la voir fuyante, à n’avoir ces discussions que lorsqu’elle est mise dos au mur. Ca lui rappelle leur reprise de contact, plus tôt cette année ; quand elle a tout déversé parce qu’elle n’en pouvait plus, ne dormait plus… Oui, c’est dur. C’est dur…

—Prends le temps qu’il te faut. Je ne bouge pas.

Il lui suffira d’un seul mot, et il ouvrira grand les bras. Cette discussion lui rappelle étrangement son Etoilisation, il y a bien des années maintenant ; l’annonce d’une maladie incurable, et l’impossibilité d’agir dessus. De changer les choses. Il aimerait faire disparaître toute cette douleur qui lui pèse sur le coeur. Alors il se contentera de se taire, et d’écouter, sans bouger sa main.