Quand elle l’a appris, elle n’a pas trop su comment réagir. Elle s’est contentée de cligner les yeux, sans bouger davantage, et a patienté le temps qu’Hideko finisse. Elle n’a pas souri, mais l’a remerciée, et finalement, est sortie. Puis elle est allée au café pour travailler, comme si de rien n’était, comme si elle ne venait pas d’apprendre que son ami a été ramené d’une base du Centre, en particulièrement mauvais état, et qu’il était à l’hôpital avec un bras en moins. Les pensées ne sont venues qu’après, une fois qu’elle prenait le chemin du retour pour rentrer chez elle ; une fois qu’elle a vu l’hôpital, de loin.

C’est étrange, les émotions qui s’agitent en elle comme des insectes. Elle les enferme un peu, jusqu’à être rentrée. Finalement, sa nuit a été dramatiquement mauvaise, et elle a pris un jour de congé exceptionnel pour ne pas avoir à se pointer au boulot avec les paupières enflées et les yeux rouges.

Il lui a fallu quelques jours de plus, sur son weekend, pour demander une autorisation de visite à Hideko et finalement attendre devant la porte de la salle de confinement de l’hôpital ; la chambre spéciale dans laquelle on a mis Ys, surveillée de loin par un Master en train de faire autre chose sur son téléphone.

Elle attend encore. Elle se demande s’il la reconnaîtra, avec ses cheveux à nouveaux roux, qui dépassent ses épaules ; avec son air calme, plus vraiment éteint, mais sans ce sourire qu’elle se forçait parfois à lui lancer, pour lui faire oublier qu’elle n’allait pas si bien. Sans l’horreur, la colère et la tristesse dans son regard, alors qu’il lui demandait de le poignarder pour lui prouver qu’elle était capable de tuer pour Terrae. Pour lui prouver qu’elle était faible, qu’il se devait de tout détruire pour protéger les bisounours comme elle.

"Tu devrais songer à arrêter de faire semblant que tout aille bien. Parce que ton petit monde parfait n'existe pas et qu'un jour, il te le rappellera."

Il y a quelques mois, on lui a remis une médaille pour avoir participé à une opération pour Terrae, pour avoir tué des gens, pour sauver sa fille.

Il n’a jamais existé, ce monde parfait.

C’est pour ça qu’elle veut le construire, le plus possible. C'est ce qui la motive à tout faire pour ne jamais avoir à lui ressembler. Est-ce qu’elle ne lui ressemble pas déjà ? Ys n’est pas un monstre, pourtant.

Il voulait juste un monde parfait, se rend-elle compte. Un monde où être heureux.

Alors elle frappe doucement contre le battant de la porte, attend une réponse, et la pousse. Ce qui la choque en premier, ce n’est pas son bras en moins, qui lui provoque un pincement douloureux au coeur, ni les brûlures effacées qui parsèment encore son visage, mais surtout son regard.

Elle pensait ne plus jamais voir ces yeux.

Les siens se remplissent de larmes, alors qu’elle ne sait plus si elle est heureuse, en colère, soulagée ou déçue qu’il soit encore en vie.

—Salut Ys… Les voyages, ça te réussit pas beaucoup, visiblement.

Sa voix sort difficilement, mais elle referme la porte derrière elle malgré tout, pour leur donner un peu d’intimité. Elle ne restera pas longtemps s’il ne le souhaite pas.

C’est comme suspendu, dans cette chambre. Le temps s’étire, alors qu’il lève la tête, et que leurs regards se croisent. Le feu éteint dans les yeux d’Ys, et l’eau verte d’un étang de larmes dans ceux d’Ariana. Quelle jolie paire ils font, à ne pas savoir comment réagir, ne pas savoir comment se regarder. Elle aimerait fondre un peu en elle-même, comme si elle regrettait déjà d’avoir mis les pieds ici. Quand elle entend sa voix, sa voix toute éraillée, hésitante, comme il ne le faisait que rarement. Comme il ne l’a jamais vraiment fait.

Elle se souvient de ce Master grandiose qu’il était, courageux et impulsif, irréfléchi. Elle se souvient qu’il brillait très fort, qu’il était l’un de ses ancrages dans une période trop dure pour elle. Heureusement que Zola et Houston sont partis, se dit-elle alors. Ils n’auraient pas supporté de le voir revenir, ni de la voir se tenir dans cette pièce.

Pourtant, elle est là. Et Ys lui pose cette exacte question, qu’elle ne comprend pourtant pas.

—Pourquoi quoi ? Pourquoi tu es parti, pourquoi tu n’es pas mort, ou pourquoi je suis encore là ?

C’est sorti tout seul, et elle se rend compte qu’elle est quand même en colère. En colère de tant de choses, qu’elle aimerait lui dire mais qu’elle gardera peut-être encore un peu pour elle. Cette colère se transforme en soupir, alors qu’elle avance jusqu’à un siège, dans un coin de la pièce, qu’elle tire jusqu’à son chevet pour s’y assoir. Comme si elle n’était pas à un mètre à peine de cet ami qui l'a tant déçu, lui a fait tant de mal, mais lui a aussi tant manqué.

—Hideko m’a dit que tu étais rentré, alors je suis venue, lâche-t-elle finalement, les yeux fixés sur son bras absent, tristement, comme un peu vidée. On t’a beaucoup cherché.

Est-ce qu’elle devrait lui dire qu’elle était allée sur ses traces, avec Ashton ? Qu’elle a logé dans le manoir-même où ils ont fomenté leurs plans, celui où traînaient les derniers vestiges de son passage, comme des traces dans la poussière ?

Quand elle relève les yeux vers les siens, elle se souvient de leurs rires, de leurs plaisanteries, de ces moments joyeux au restaurant. Ils étaient collègues, avant ; longtemps serveurs au restaurant de Terrae, les deux hyperactifs qui se lançaient des piques toute la sainte journée. Le pauvre Adonis ne savait plus où donner de la tête avec eux. Puis il est devenu Master ; peut-être qu’ils auraient dû s’inquiéter de sa santé mentale quand ils ont failli crever, avec Aaron, sur la piste de l’arène. Mais il est parti en vrille… il est parti…

Elle inspire.

—Les médecins ont dit quoi ?

On dirait qu’il ne la reconnait pas. C’est marrant, mais elle ne les reconnait pas non plus. Ni lui, ni elle ; il s’est passé beaucoup de choses, chacun de leur côté. L’année où il est parti, rien n’allait pour elle, quand elle pensait pouvoir passer petit à petit à autre chose, mais qu’elle s’est fait quitter par celui qu’elle pensait être l’amour de sa vie, a assisté au chaos de l’attentat, la déchéance de son ami, le mal-être des autres. Et ça allait mieux, jusqu’à l’an dernier. Maintenant, elle pourra peut-être passer réellement à la suite… à autre chose. Maintenant que Lola est ici, et qu’Ys est rentré. Quand elle s’installe sur la chaise, elle se rend compte qu’elle a parlé trop vite. Aussi fait-elle la moue, inspire.

—Désolée… Je suis contente que tu sois rentré. C’est juste tellement bizarre.

Contente, est-ce que c’est réellement le terme qu’elle peut employer ici ? Au moins, elle est honnête, autant que faire se peut. Elle se tortille les doigts en se rendant compte qu’elle le fixe, et l’a mis mal à l’aise, en plus de ça. Bah bravo, Aria… Elle contient une inspiration nerveuse et relève les yeux vers lui, à la place, acquiesçant lentement. De la chance, hein… Avec un bras en moins ? Qu’est-ce qui lui est arrivé, à ce crétin ? Pourquoi s’est-il mis en danger comme ça ? Pourquoi s’est-il senti obligé d’aller aussi loin ?

La gorge serrée, elle acquiesce lentement et lui renvoie un bien faible sourire, tapotant gentiment sa main. (La seule qui lui reste, se rend-elle compte, comme si elle n’avait pas déjà constaté plusieurs fois son absence.)

—Tant mieux…

Ils devraient pouvoir lui fabriquer un bras mécanique, comme à Luna. Mais est-ce vraiment le moment ou l’endroit de lui proposer, ou même d’y penser ? Il n’a sûrement pas envie qu’elle s’apitoie sur son sort, ça lui a toujours fait horreur. Mais qu’il ne soit même pas capable d’une once d’humour… Cela lui prouve à quel point il a été isolé, blessé. A quel point il a été impacté par cette aventure de trois années. Est-ce qu’il est vraiment content d’être ici, lui ?

Ses mots suivants… ils la glacent un peu, un instant. Différente… S’il savait. Est-ce qu’elle a envie de lui raconter, alors qu’il n’était pas là, alors qu’elle aurait eu besoin de lui ? A la place, elle se saisit de sa première remarque, passe une main dans ses cheveux, par le bas, alors qu’ils changent de couleur ; passant par le bleu, le rose, le lilas, avant de redevenir roux.

—Oh, ça ! C’est juste que je le fais pas tous les jours, tu me connais. Je vais pas soudainement arrêter de me faire des couleurs parce que j’ai trente ans, hein.

Elle lui lance un regard en biais, mi rieur, mi dépitée. Puis sa main retombe sur sa propre cuisse, et elle reprend sur un ton plus neutre.

—On a attaqué le Centre l’an dernier. J’aurais pensé que tu l’avais appris, puisque tu étais aussi sur ses traces.

En fait, ce n’est pas être neutre, mais fatiguée.

—Beaucoup ont failli mourir. On aurait eu besoin de toi.

Si seulement tu avais attendu.

Ses yeux la brûlent un peu alors qu’Ys lui répond. Elle s’autorise à sourire, malgré son amertume et la tristesse provoqué par son départ. Sa consternation, sa colère, tout ça était vain aujourd’hui. Elle pouvait toujours lui en vouloir, ça ne rattraperait jamais ces années passées à fuir, à combattre, à détruire. Il est vivant, au moins, et rien que ça, c’est un soulagement. Quant à Ys… Son hésitation, son émotion, tout ça semble renvoyer à la rouquine une image terriblement décalée. Non, vraiment ; elle n’a jamais vu Ys comme ça, si vulnérable et dépité. Une partie d’elle se sentirait presque mal, mais l’autre se dit que c’est bien le prix minimal qu’il doit payer pour ses actes.

Elle lui renvoie un sourire, puis l’observe le perdre alors qu’elle lui parle du Centre. Quand il lui répond… Aria se contente de froncer les sourcils, une flamme d’agacement animant son coeur. De l’agacement, mais aussi de la douleur. Parce qu’il comptait simplement y aller pour mourir, elle l’avait bien compris, à l’époque. Elle le comprend bien, en le voyant ici aujourd’hui. Il n’a jamais eu de considération pour lui-même.

—Arrête de te mentir. Ce n’est pas que tu ne pouvais pas, c’est que tu ne voulais pas.

Le choix, on l’a toujours. On a le choix jusque dans les plus petits instants décisifs. Même face à ces soldats qui voulaient leur mort, Ariana a essayé de les préserver — ils sont morts quand même, alors qu’importe cette pensée à présent ? Mais elle sait qu’elle a fait le choix de faire de son mieux, de prendre le chemin du moindre mal et de l’entraide. Pas celui de la force et de la peur.

Ariana observe son ami, du moins les vestiges de celui-ci, détailler son avant-bras absent. Sa gorge est toujours serrée douloureusement.

—Je sais… répond-elle enfin. Nous non plus. Personne ne le souhaite.

Elle baisse encore les yeux, si c’est toutefois possible de les baisser plus bas encore. Toujours plus profond dans la déception. Elle sait ce que la colère et la peur peuvent engendrer chez quelqu’un qui est trop impulsif pour la contenir.

—La différence c’est que tu voulais juste te venger. Tu voulais te décharger de cette haine et cette colère que tu avais en toi. Ys, on aurait eu besoin de toi. Mes amis ont failli mourir. On aurait eu besoin de tout le monde.

Elle enserre ses propres bras, comme pour se calmer, alors que les images du bunker lui reviennent.

—Si tu étais mort tout seul comme un con, ça n’aurait rien changé ! On aurait juste perdu quelqu’un de plus.

La petite Eau renifle et s’essuie rageusement les yeux.

—Il y a toujours un autre moyen ! Il aurait suffi d’attendre ! De faire confiance à tes collègues ! A tes amis !

C’est ce qu’elle a fait. Elle a mis sa foi toute entière en ses amis, lors de cette attente interminable, avant de lancer l’Opération Thémis. Sinon, elle se serait effondrée.

—Mais maintenant ça ne change rien non plus. Tu n’es pas mort. Mais tu ne pourras plus protéger Terrae non plus… elle chuchote, au désespoir.

Parce qu’elle sait qu’ils auraient encore eu besoin de lui.

Ca la met en rage qu’il ne se rende même pas compte. Qu’il ne cherche qu’à se justifier, sans poser de question, sans essayer de comprendre… Mais c’est injuste de sa part de lui demander cette rédemption tout de suite, alors qu’ils n’ont parlé de rien d’autre. Au fond, Aria se dit qu’en enlevant le pansement de suite, elle parviendra peut-être à passer à autre chose. Mais Ys, lui, non non non… Lui n’est pas prêt à passer à autre chose. Il n’est prêt à rien du tout. Mais c’est en ça, peut-être, qu’il est encore trop tôt pour lui. Elle aurait peut-être dû attendre qu’il soit prêt, qu’il aille mieux, qu’il ne soit plus alité…

Elle inspire alors qu’il lui dit encore de partir. ENCORE UNE FOIS.

Sa gorge se bloque et elle relève les yeux vers lui, d’abord scintillants de colère et de tristesse… Puis elle le voit… Et elle se rend compte qu’il a juste mal. Qu’il a juste peur. Alors elle souffle l’air qu’elle retenait pour ne pas exploser et se passe une main sur le visage.

—Ys, je te préviens. Ne recommence pas à me faire ton dark Sasuke en me disant que je dois partir parce que t’es trop dangereux et patati et patata. C’est n’importe quoi.

Elle l’observe encore et repose sa main sur la sienne.

—Tu prends des décisions nulle quand t’as peur.

Quand comprendra-t-il qu’Ariana n’a pas peur, elle ?

—Pourquoi tu veux que je parte ? Si c’est parce que je t’embête, ou parce que t’es fatigué, je pars. Je vais pas planter une tente ici.

Elle hausse encore un sourcil et le fixe dans les yeux.

—Mais si c’est parce que tu as encore envie de décider à ma place, je te réponds tout de suite : je ne vais nulle part.

Que pourrait-il lui arriver, au juste ? Il a peur de la blesser ? Il a peur de se mettre en colère ? Il ne veut plus l’entendre ? Il ne veut pas qu’elle le regarde ? Il ne veut pas que les autres se mettent en colère contre elle ? Si certains souhaitent la décrier, tant pis. Elle aura toujours ses proches, ses amis, en qui elle place une confiance aveugle. Cette question ne la traverse même pas plus d’une seconde.

HRP> Je prenais tellement ta réponse au sérieux et puis j'ai lu ça:
"Ne recommence pas à me faire ton dark Sasuke"
J'ai pleuré x'DDDDD



Il ne faut pas qu'elle reste. Il ne le faut pas. Pas elle. Tout le monde lui tournera le dos. Qu pourrait-elle faire de sa vie en gardant un incapable comme ami? Maintenant qu'il n'avait plus aucun pouvoir, qu'il était devenue la bête noire, qu'avait-il à lui offrir mise à part des ennuis? Elle ou un autre proche, il le sait que trop bien que désormais, il devait rester seul. Pour leur bien. C'était du moins, le mieux qu'il avait à leur offrir.

Et alors qu'il lui implore de partir d'ici, celle ci réagit autrement et surprenant, elle reste à ses côtés.
Il peut ressentir son agacement seulement au ton de sa voix. Elle le réprimande et quelle meilleure amie pour faire cela?!
Etonnement, Ys se stoppe net. Ses yeux s'écarquillent tandis qu'il continue de l'écouter sans plus brancher.
Et lentement, il relève son regard sur elle, toujours un peu plus gêné par ses paroles. Par son attitude. Son attention n'est pas perturbée par la main qui se pose sur la sienne, tout est dirigé vers son amie.

"Oui..."Souffle-t'il doucement."Les autres. Les autres, ils vont te haïr si tu me parle. Si tu reste avec moi. Tu vas t'attirer des ennuis. Je suis pas stupide Aria. Je sais que je ne suis pas le bienvenue."

Et alors qu'il tente en vain de se justifier, la rouquine reprend, cette fois, le garçon est déconcerté, elle parait si déterminée. Elle semble si différente d'autrefois. Et comprendre que quelqu'un sur cette terre ne vous tournera pas le dos malgré vos erreurs, aussi horribles soient telles, est une chose dont le Master déchus ne pensait entendre.

"Aria...."Siffle-t'il entre ses dents.

Son corps réagit pour lui. De son seul bras valide, il dégage sa main de celle d'Aria pour lui tirer l'épaule afin de pouvoir l'enlacer. C'est la gorge nouée, qu'il reprend:

"Je suis désolé pour toutes ces choses que je t'ai dis. Je suis désolé de vous avoir abandonné. Je suis désolé de ne pas avoir été là quand vous en avez eu besoin. Je suis sincèrement désolé, Aria."

HRP : J’AI PAS CONTROLE OK MDRR C’est la faute de la playlist d’Aria, j’oscille entre des trucs déprimants et Shakira mdrrr


Il semble secoué. Tant mieux, quelque part. Au moins, son message est passé, elle n’aura plus besoin d’insister autant. Elle souffle néanmoins du nez, pas vraiment agacée, mais plutôt lasse. Evidemment, les autres. Evidemment qu’il s’en inquiète. Evidemment qu’il n’est pas la bienvenue. Ils le savent tous les deux, mais cette information ne semble pas vraiment faire son chemin jusqu’au cerveau d’Aria. Elle plisse le nez et finalement lui lance une moue boudeuse.

—Ecoute… C’est mon problème, ce que les autres vont dire sur moi. J’ai des amis avec qui je m’entends bien, les gens m’écoutent habituellement… Ils ne sont pas irrespectueux, même quand on est pas d’accord. Je sais que je pourrai leur expliquer mes raisons s’ils me le demandent. Et s’ils me le demandent pas… Je peux pas faire grand-chose de plus.

S’ils ne lui font pas confiance, bien sûr, ça va lui faire de la peine, mais ce n’est pas ça qui va la déstabiliser ou lui faire changer d’avis. Elle est Eau, loyale jusqu’au bout. Et haïr… boh, c’est peut-être un mot fort, non ? Elle fait confiance à ceux qu’elle apprécie pour comprendre. Ou au moins pour la laisser s’exprimer. Sa gorge se serre un peu. Peut-être que certains ne comprendront pas… Mais elle sait que ceux qui lui en voudraient le plus, comme Houston et Zola, ne sont plus là pour le lui dire.

La rouquine s’humecte les lèvres après avoir renchéri. La lèvre d’Ys semble trembloter, et un instant elle craint qu’il ne pleure… mais il l’attire contre lui, et elle l’enlace d’abord doucement en retour, puis un peu fort, comme en comprenant qu’il est bien rentrée. Et sa mâchoire se serre fort, très fort alors qu’elle se retient de pleurer. Elle renifle et appuie son visage contre son épaule…

—Je sais. Le….. Le refais juste plus jamais, parce que je te pardonnerai pas une deuxième fois…

Et elle se recule, les yeux remplis de larmes qu’elle essuie de sa manche en reniflant.

—Va falloir qu’on te coupe les cheveux quand tu sortiras d’ici, ils ressemblent plus à rien.

La rouquine a un sourire sans joie, un peu absent, lorsqu’Ys rejette sa tentative. Evidemment qu’il ne ressemble à rien, il revient de guerre, et de cavale. Il n’est pas encore assez en forme. Elle le lui reproposera plus tard, alors ; de temps en temps, pour lui rappeler que pour aller mieux, il allait falloir qu’il prenne un peu soin de lui. Et elle ne pourrait pas le faire à sa place, seulement lui montrer qu’elle est là. Elle acquiesce alors, lentement, terminant d’essuyer ses larmes.

—Bien sûr, excuse-moi.

Est-ce qu’elle devait l’empêcher de s’apitoyer sur son sort ? Est-ce qu’il ne le méritait pas un peu, au moins un peu, pour tous les ennuis qu’il leur a causés ? Et la peur, et la tristesse, et la trahison ? Et en même temps, il est son ami ; elle ne veut pas qu’il se sente mal non plus… C’est une posture bien difficile dans laquelle elle se met. Elle aimerait pouvoir lui apporter plus, pour le moment, un peu plus d’espoir, mais il n’a sûrement pas envie de ça. Aria serre les doigts de son ami entre les siens.

La question qu’Ys lui pose ensuite la glace… elle se raidit, ne répond pas, d’abord. Elle fixe son ami, puis le mur derrière lui, pour éviter son regard. Elle se souvient du bunker, des tirs à travers les murs, des flammes qui ont manqué de les engloutir… les explosions… Elle déglutit et son regard se durcit, pas à cause de ses mots, mais à cause des images qui lui reviennent. C’est toujours un peu difficile d’y repenser.

—Ys... Je sais pas si elle voudrait que je réponde à cette question. Mais elle est en bonne santé, de ce que je sais.

Puis elle regarde à nouveau son ami.

—Je sais pas si elle va bien. C’est une question qui aurait pu te traverser avant, et c’est pas à moi qu’il faut la poser surtout.

Et avant qu’il ne reprenne, elle lève la main, comme pour l’arrêter :

—Et si elle veut pas te parler, n’insiste pas.

Aria s’humecte les lèvres, mal à l’aise.

—Mais si tu veux savoir ce qu’il s’est passé, je peux te raconter.

Ariana aurait certes pu se montrer plus indulgente, mais ça n’aurait pas été bénéfique pour lui non plus. Elle ne va pas l’accueillir en héros, et elle ne va certainement pas être malhonnête non plus. Ca ne lui correspondrait pas, et cela ne ferait aucun bien à son ami. Parfois, être gentil nécessite de ne pas être sympa, et c’est ce qu’elle a décidé de faire aujourd’hui. Être honnêtement ferme, peut-être un peu brutale, parce qu’elle ne peut pas faire autrement. Elle n’a pas à l’épargner des conséquences de ses actes, elle n’en a pas non plus envie.

Bien sûr, elle sait qu’elle l’a blessé ; elle le lit dans son regard qui se baisse. Mais il faut comprendre : elle aussi a vécu cet abandon. Si elle est ici, c’est par choix ; et si Mitsuki n’est pas encore venue… c’est peut-être par choix, là aussi.

Alors il ne dit rien, et c’est peut-être mieux comme ça. Son coeur se serre dans sa poitrine, mais elle ne peut et ne doit pas revenir sur ses mots.

Quand elle se propose d’expliquer, en revanche, elle n’avait pas envisagé l’instant d’après qui signifiait devoir effectivement parler. Dire. Comment résumer les trois années qui viennent de s’écouler, en quelques mots ? Pour elle, c’est impossible de résumer l’intensité du deuil qu’elle a du vivre à toutes les échelles. D’abord, Allen la quittait — pour elle, c’était un rejet pur et simple, une violence inouïe, qu’il aurait pu résumer injustement d’un simple geste de la main : “C’est pas toi, c’est moi”, indépendamment de ce qu’il a pu lui faire ressentir. Ses pouvoirs ne revenaient toujours pas. Et puis, Terrae a été attaquée, son mur brisé. Ensuite, Ys a déraillé. Zola et Akihiko ont déraillé. Ys l’a menacée, puis est parti — faire sa vendetta stupide, plutôt que de les aider à continuer à protéger la paix dans cet endroit. Tout le monde était trop occupé à gérer les conséquences de l’Eclipse. Allen n’était plus là. Ys non plus. Les Masters, sur les nerfs. Ariana ne s’est jamais sentie aussi terriblement seule qu’à ce moment-là, au milieu de ceux qu’elle aimait mais ne reconnaissait plus, des fantômes lourds et silencieux de ceux qui étaient partis, puis de ceux qui partiraient ensuite. Même ceux qui restaient n’arrivaient pas à lui faire oublier qu’ils n’étaient plus là.

Peu de gens le savent, et elle n’est pas certaine de l’avoir réellement nommé, mais lorsqu’elle a entrepris son voyage, l’année suivante, c’était ça ou partir définitivement. Cet endroit qu’elle aimait tant l’avait tant blessée qu’elle ne parvenait pas, ou plus, à trouver sa place. Le restaurant la rendait malade, la renvoyant sans cesse à Ys, et à son altercation avec Zola. Et si tout a fini par s’arranger, par la suite, il y a eu Aylan et Lola.

Mais tout ça, s’y intéresse-t-il réellement ? Que peut-elle lui dire sans que cela n’active plus fort la culpabilité qu’il ressent, ou ne ravive sa propre peine ?

La rouquine regarde ses mains, qu’elle a serré en deux petits poings sur ses cuisses.

—Terrae a mis du temps à se remettre de l’Eclipse, mais on a réussi à retrouver un peu d’harmonie tous ensemble. C’était… une année compliquée, pour moi. L’année suivante, c’est comme si rien ne s’était passé, plus personne n’en parlait vraiment. Mais Ashton m’a proposé de partir en mission et d’aller sur vos traces. On est allés dans ton ancien manoir.

Elle relève les yeux vers lui et le fixe.

—On voulait récupérer des informations pour vous localiser dans le voisinage. Evidemment, vous vous déplaciez trop pour qu’on arrive à vous attraper. De toute manière, ce n’était pas notre rôle ici, elle sourit amèrement.

Ariana s’humecte les lèvres, prise dans ses souvenirs.

—Ah, je travaille plus au restaurant, maintenant. Je travaille au café BD à temps partiel, donc si tu veux passer me voir, tu peux. C’est à ce moment-là que j’ai commencé, c’est pour ça que je t’en parle.

Elle se tortille un peu les doigts, réfléchissant longuement. Sa gorge est comme bloquée, soudain, et elle regarde par la fenêtre.

—La même année, c’était… 2021… Je crois… Il y a un garçon du Centre, doté de pouvoirs, qui a été récupéré par les Masters.

Pas besoin de signaler que c’est le fils d’Ipiu, ça ne regarde qu’elle et Aylan.

—Il s’est intégré, et on est devenus relativement proches, pas vraiment amis, mais… tu vois. Il venait de temps en temps toquer à ma porte, et on s’amusait avec nos pouvoirs.

Elle prend une pause, le temps de respirer, mais elle semble juste perdre son regard par la fenêtre. Elle rassemble les mots dans sa tête, essaie de les faire former des phrases cohérentes. Malgré la difficulté de l’exercice, elle l’a reproduit plusieurs fois depuis l’année dernière, pour expliquer à ses proches. Ca sonne toujours autant abstrait, confus, et bizarre. Un instant, elle se demande si cette information est vraiment pertinente, mais Ys a un jour été l’un de ses amis les plus proches.

—L’an dernier, je fêtais l’anniversaire de… ... c’est bizarre de commencer comme ça.

Durant un instant, elle s’arrête, fronce les sourcils et souffle du nez, agacée par elle-même. Pour se calmer et les empêcher de trembler, elle presse ses mains l’une contre l’autre et prononce lentement, détachée :

—Si j’ai pété les plombs au début de l’Eclipse, c’est parce que j’ai eu une vision de ma fille, que je n’ai pas élevée, avec des pouvoirs. Et j’ai… essayé de l’ignorer. Et deux ans après, Aylan l’a reconnue sur une photo chez moi ; c’était son amoureuse du Centre. On a prévenu Hideko, et les Masters ont monté une opération. Parce que grâce à notre lien, on pouvait réussir à la retrouver plus facilement, comme on a réussi à récupérer Aylan plus facilement parce que…. (Elle pince les lèvres.) Bref.

Aria accepte enfin de le regarder à nouveau, la poitrine compressée.

—On a fait plusieurs équipes, et on a monté l’équipe de récupération en collaborant avec l’armée anglaise. On y est allé, et on a vécu la guerre. Mitsuki était dans l’équipe chargée de retrouver et démanteler la machine anti-pouvoirs de la base, je te laisse deviner dans quel état trois Terraens sans pouvoirs peuvent finir face à des soldats armés jusqu’aux dents.

Plus elle se souvient, plus elle est amère. Elle se souvient de la peur et de l’horreur dans son coeur.

—On a réussi qu’à récupérer cinq personnes là-bas sur… une dizaine, je crois, je sais plus ; peut-être une quinzaine. Tous mes amis ont été blessés. Lola a été blessée. Nicolas et Norah ont failli mourir. Aaron était dans le coma. Des gens ont perdu temporairement leurs pouvoirs. Alice sortait plus de chez elle après. C’était le chaos.

Sa mâchoire se contracte.

—Et pourtant, on s’est préparés pendant des mois. Si on l'avait pas fait, quelqu'un serait mort.


HRP : ptdr le pavé que j't'ai fait