J'ai cette voix qui me murmure à l'oreille, qui m'appelle doucement. Qui me conseille et me retient. Comme un petit ange gardien au dessus de mon épaule ; ou, plutôt, une part une moi-même qui tente de brider la boule d'énergie qui se forme au creux de mes entrailles. Colère sourde et culpabilité se mêlent, gonflent, et me font lentement perdre les pédales. Il faut que je me retienne. Encore un peu. Encore quelques minutes.
Il faut du temps pour rendre une tempête destructrice...
Mes sourcils se froncent alors qu'un phoenix de flammes apparaît devant la directrice pour lui servir de bouclier face à mes attaques, avant de se laisser retomber au sol. C'est quoi cette chose ? Elle espère réellement que je pourrais faire quoi que ce soit face à... ça ? Non, vraiment, sans déconner ? Si ce truc reprend sa forme initiale, il y a fort à parier qu'elle va chercher à nous attaquer avec, et vu la taille... je ne suis pas certaine que je serai capable de l'arrêter. Il faut que je me prépare à l'affronter, là, j'ai pas le choix.
Un profond sentiment de désespoir m'envahit lorsqu'Hideko parvient à attraper mes disques avec, semble-t-il, beaucoup trop de facilité. C'est pas un combat pour être Master, on dirait presque un show télévisé... Ou comment ridiculiser un élève en lui faisant croire qu'il est apte à relever un défi irréalisable. Je commence à comprendre dans quelle situation s'est retrouvée Mitsuki, et ses appréhensions à ce sujet. Dire que je pensais que tout ça serait bien trop loin pour que je puisse ne serait-ce que songer à pouvoir y participer un jour... Maintenant, je me sens bien stupide. Et ça m'agace, ça m'agace tellement.
Puis, enfin, l'oiseau de feu renaît, avant de se percher sur son épaule, me toisant de haut, fort, puissant, bref, carrément écrasant. La femme se dirige vers l'autre Master, assurée, et je fronce les sourcils. Avant d'écarquiller les yeux d'horreur en la voyant passer au travers de mon dôme protecteur sans la moindre difficulté. Comme on déchirerait la toile d'une araignée. Et moi, minuscule insecte, j'étais forcée de la regarder apposer sa main enflammée sur le torse du professeur.
Non...

– Non, arrêtez ça !

Ma voix se fait plus forte, fébrile ; un cri d'agonie et de désespoir, de rage et d'horreur.
Elle va définitivement le tuer.
Je ne peux pas laisser faire ça. Je ne peux pas laisser faire ça merde !
Des flashs me viennent. Je me souviens d'Aëlita, de ce qu'elle a fait à ce type, cet adolescent, là, et de son sourire ; son sourire si effrayant, si mauvais, suintant le venin. Acéré. D'une froideur morbide.
Je tremble. Mes yeux me brûlent. Que le diable m'emporte, tant pis ; je ne peux pas laisser passer ça. Pas pour ça. C'est le moment.
Le phœnix se jette sur moi, et je ressens son énergie palpitante filer à grande vitesse dans ma direction. Parallèlement, les mines placées dans le sol explosent, laissant entrevoir un large écran de fumée cachant les deux Masters. Le souffle me fait encore reculer et picote ma peau. Lentement, j'abaisse les paupières. La collision est proche. Mes dents se serrent. J'anticipe la douleur.
Je place difficilement mes bras en croix. Le phœnix n'est plus qu'à quelques mètres, là, tout proche ; l'air se stabilise autour de moi, avant de fondre sur lui lorsqu'il me percute de plein fouet, l'entourant entièrement. Ma peau est à nouveau brûlée, bras, visage, ventre et jambes ; mais peu importe. J'empêche mon auto-guérison d'agir, préférant garder mes forces pour plus tard. La douleur me poussant plus loin. Plusieurs couches se succèdent et je parviens à l'éloigner suffisamment, essayant de me rappeler mes entraînements. Ce n'est pas une petite flamme, mais un immense brasier. Mais là, là... je ne peux pas me louper. Elle voulait que je me surpasse ? Très bien. Je vais le faire. Et elle s'en mordra les doigts.
Avec rapidité mais précision, le visage crispé sous l'élancement de mes membres et concentré sous l'effort, je vide le dôme de son oxygène. La bulle rétrécit peu à peu alors que le monstre s'agite en elle, se débat, et je manque plusieurs fois de ne pas y arriver. Tant pis. S'il le faut, je donnerai la moindre parcelle d'énergie qu'il me restera pour terminer ce combat. Là, faut arrêter de se ronger les ongles et casser des os.
L'opération me semble durer une éternité. Lorsque la bulle est entièrement vidée, j'étire un sourire fatigué et sans joie.
Une nouvelle bourrasque me permet de dégager l'écran de fumée. Une longue expiration. Je plie sur mes jambes. J'y arriverai. Malgré mes yeux humides, mes membres tremblants, le tiraillement de mes brûlures. On dirait que la peau a fondu en certains endroits... Glauque. Ça fait mal. Et je pourrais laisser tomber là. Me laisser m'évanouir, les genoux au sol, et basta. Ce serait terminé. Mais je m'en fous, j'ai pas fait tout ça pour m'arrêter maintenant. L'hôpital me trouvera bien une chambre. Je suis sûre qu'il y en a une déjà réservée. Si ce n'est pas déjà à la morgue...
Je décolle immédiatement, soulevant derrière moi une petite traînée de poussière. L'air accentue ma vitesse, et je me sens échapper au contrôle de la marionnettiste. Mes mouvements sont encore difficile, mais, aidés par l'air, je peux bouger. J'aurais dû y penser plus tôt.
Mais je suis stupide, c'est pour ça. Tellement, tellement stupide. Mais ça, on va finir par le savoir, hein ?
Je lance mon poing en direction de la Master Feu. Le visage. Parce qu'à ce niveau-là, je le prends personnellement. Tant pis pour elle. Qu'elle l'évite. Si elle est assez rapide.
J'atterris souplement près d'eux, essoufflée comme après avoir couru un marathon, puisant déjà dans mes réserves, mais me lance déjà dans une attaque pour la faire reculer. Je lance le tranchant de ma main en direction de son ventre, gardant toujours cette même vitesse, le bras entouré d'une longue lame d'air. Solide et acérée, comme le regard que je fixe sur elle. Mauvais et méprisant.

– Plus jamais, je grince des dents à son intention, sautant pour lui envoyer ma jambe en pleine poitrine. LÂCHE-LE !

J'accentue la force du coup avec mes pouvoirs, la faisant reculer sur plusieurs bons mètres. Puis, titubante, je m'approche de Ryu, me retiens pour ne pas me laisser tomber à côté de lui et pose ma main sur son épaule en m'y appuyant à demi, laissant agir mes pouvoirs de guérisseuse pour moi. Ses brûlures se soignent trop lentement à mon goût, mais c'est au moins ça de gagné.

– Pardon... pardon, je suis désolée, je murmure, les yeux vides et les jambes flageolantes, complètement à court d'énergie.

Mon regarde se reporte sur Hideko, en attente de sa réaction. J'ai mal, bon sang ; j'ai tellement mal, partout... Quand est-ce que ce combat se terminera ?


HRP : Si la réponse te convient pas, dis le moi et je modifierai sur le champ ToT Je sais pas si ça ira...

Son cri me déchire de l'intérieur. Un cri puissant, d'agonie, certainement amplifié par son pouvoir de Sonore. Lorsqu'il s'embrase, je lâche un cri de surprise et de colère, forcée de reculer à cause de la chaleur. Non... non, non, non, elle n'avait pas le droit ! Comment j'étais censée arrêter ça ? Comment j'étais censée réussir à le sauver ?! Là, il va mourir, c'est sûr, c'est clair, c'est certain ; brûlé vif, par ma faute, pour cette stupide masterisation. À quoi ça sert que je devienne Master si je suis pas capable de réussir le défi qu'on m'impose ? Elle n'aurait pas pu faire comme pour Mitsuki, m'imposer un combat, un objet à récupérer, ou que sais-je ? Quelque chose qui n'oblige pas une autre personne à se faire tuer à ma place, par exemple ?
Ma mâchoire se serre avec force. Mon regard s'ancre dans celui, vide, de la directrice. Je vais la tuer. Tant pis. Je vais la tuer. Là. Maintenant. Tant pis pour la Masterisation. Tant pis pour ce que les autres penseront de moi. Trop, c'est trop.
Et ça, c'est plus que je ne puis le supporter.
Quelque chose se brise en moi. Certainement la derrière barrière de ma retenue qui cède face à ma rage. Une rage froide mais profonde, qui me fait oublier un instant la souffrance que je ressens sur la moindre parcelle de mon corps, dans mes muscles. Pour ne plus penser qu'à la Sienne. Que je dois faire cesser. Sur le champ.
Mes dents se serrent. Mon poing aussi. Plus le choix. J'espère qu'il tiendra le coup. Je prie, même. Mais quelques secondes. Quelques secondes devraient suffire...
À nouveau, je me propulse dans les airs vers Hideko, sans trop savoir ce que je suis censée faire par la suite. Tout dans l'instinct. Je lui envoie plusieurs lames et disques alternés, avant de tenter plusieurs coups avec une souplesse entachée par mes brûlures, mais donc la vitesse et la force sont accrus par mes pouvoirs. Je commence déjà à puiser dans mes réserves, et chaque action m'arrache une grimace.
Puis, sans crier gare, je me jette sur elle, tentant de m'accrocher à son corps malgré ses coups et les flammes qui lèchent ma peau, la zébrant de marques. Mes yeux se ferment. Tant pis pour les flammes. Tant pis pour mes vêtements déjà à moitié carbonisés. Je serre les dents, tente de faire fi de la chaleur, de ma peau maltraitée ; un cri de douleur m'échappe malgré tout, et je resserre ma prise sur elle, tenant son avant-bras dans ma main. Au plus profond de moi, j'ai encore ces quelques tâches d'énergie que je n'ai pas réussi à rassembler, utilisant mon pouvoir de guérisseuse. Ou plutôt son strict contraire.
L'os se fêle. Dans le même temps, profitant de, peut-être, un instant de déconcentration, je créé une bulle d'air autour de Ryu et en retire immédiatement tout l'oxygène. Quelques secondes plus tard, je constate que les flammes se sont taries, et en injecte à nouveau suffisamment pour que le Master puisse respirer. Le surveillant du coin de l’œil, pour agir à nouveau si jamais le brasier reprend, je sens un voile noir me cacher la vue. Non, pas encore, pas encore ! Je peux pas encore m'arrêter là. Encore un peu. Encore un petit peu...
Je resserre encore ma prise sur elle, si c'est possible. Qu'elle me frappe ou qu'elle se débatte, qu'elle augmente la chaleur de ses flammes, qu'importe ; je ne la lâcherai pas.
La tête me tourne. J'ai des nausées, et je sens mon diaphragme se soulever et s'abaisser plus rapidement sous ma respiration erratique. Je crois que j'aurais voulu m'évanouir. Là, maintenant. Mais il faut que je termine ça avant. Et après... après, je pourrais enfin être en paix. Au calme. Loin de tous ces coups, toutes ces horreurs, tous ces cris affreux qui résonnent dans ma tête. Loin de ces gradins qui hurlent parfois, qui suivent avec attention – trop d'attention – ce putain de combat. Dans le bruit. Ils m'énervent. Ils n'auraient pas dû venir. Ils n'auraient jamais dû venir voir ça...
Je décolle, la gardant serrée contre moi plus grâce à la pression de l'air qu'à la force de mes bras, et nous fait monter dans les airs. Je pousse de plus en plus haut, de plus en plus loin. Le crâne prêt à exploser. Une quinte de toux me prend, et je sens un goût métallique envahir ma bouche. Ne pas s'arrêter. Aller toujours plus loin. Quitte à arracher la moindre part d'énergie qui me reste pour vivre. Je terminerai ce combat. J'ouvre les yeux pour fixer le sol qui s'éloigne. Je crois que je vais nous tuer, sur ce coup-là. Mais sincèrement. Sincèrement. Je m'en fous. Elle voulait que je l'arrête ? Parfait.
Nous prenons de la vitesse. Ma vision se trouble à nouveau, mais je tiens bon ; parce qu'il faut aller au bout de ce qu'on entreprend, qu'il faut mettre fin à ce massacre. Et quoi de mieux qu'une sublime chute d'une à deux centaines de mètres pour conclure tout ça ?
Cela dit, plus je monte, et plus je me rends compte... que j'aurais peut-être pas l'énergie nécessaire pour nous éviter de mourir en atterrissant. J'ai un sourire crispé, un peu las. Perspective intéressante, j'aurais dû y penser avant. Tant pis.
C'est trop tard maintenant, de toute manière.
Ma vitesse faiblit, et je sens mes réserves se vider, petit à petit. Trop rapidement à mon goût. Les larmes envahissent mes yeux. De douleur. De colère. De tristesse. De honte. De désespoir.
Nous cessons de monter, mais je reste cramponnée à elle. À deux doigts de m'évanouir.
Le soleil m'éblouit un instant.

– Je laisse tomber, je lâche faiblement en fermant les yeux.

Nous chutons.