Etait-ce un rêve ou bien rêvait-elle toute éveillée ? Cette voix qu’elle entendait, qui l’appelait lui semblait-il, était-ce réel ou bien le fruit de son imagination ? Dans tous les cas, Joanie se réveilla. Au début. Assise dans son lit le cœur battant la chamade et tentant de voir quelque chose dans la pénombre de sa chambre. Son regard se porta vers la fenêtre qu’elle laissait la plupart du temps entrouverte. Le vent léger de la nuit vint caresser son visage qui s’était couvert d’un léger film moite. Ce n’était donc que le vent dans sa fenêtre entrebâillée. Sa respiration et les battements de son cœur reprirent alors un rythme normal. Elle s’apaisa.

Joanie se rallongea dans son lit tirant la couette jusqu’à son menton. Scrutant la pénombre de sa chambre. Enfin, le peu qu’elle pouvait voir dans cette position. Allongée sur le côté droit face au mur du couloir.  Ce n’était qu’un léger courant d’air. Elle haussa les épaules, presque moqueuse d’avoir eu si peur. Elle aurait pu se lever et fermer la dite ouverture, mais non. Lentement alors ses yeux se refermèrent. Elle repartit dans les bras de Morphée. Cette fois-ci. Et partie dans un rêve bien étrange. Joanie s’endormit en se recroquevillant sous sa couette en position fœtale.

-Petite sœur… mini Jo...

Un murmure. Ce n’était plus le vent. Elle dormait à poings fermés. Elle commença à trembler de tout son être et à avoir chaud. Comme si elle avait attrapé la fièvre. Dessous la couette, son souffle… hachuré. Le murmure semblait se rapprocher. Un fantôme ? Non, cela allait être pour la jeune fille un rêve, oui tout simplement un rêve, long et étrange. Cette voix n’était pas ennemie. C’est alors, comme flottant au-dessus de son corps endormi, qu’elle se vit à deux mains, faire glisser lentement la couette sur son cou, la tenant très fort. Etrange rêve que voilà. Sa tête seule dépassait. Elle regarde une ombre qui semble flotter au pied de son lit. Une ombre qu’elle reconnut.

Le rêve continu. Impossible de se réveiller. Ni une ni deux, elle remet la couette sur sa tête. Les yeux grands ouverts en dessous de celle-ci par la surprise, apeurée aussi ça va sans dire, Joanie ne savait plus comment réagir. Dans la pénombre de la chambre le corps de Joanie remuait, avait des soubresauts… se retournait sans cesse. Son sommeil envahi par cette apparition. Des souvenirs, avec l’éloignement d’avec ses parents…l’impression d’avoir laissé une moitié d’elle là-bas… la solitude dont elle s’était entourée… la fatigue de ces derniers jours à cause d’un climat avec lequel elle avait du mal à s’habituer… pourquoi cette présence dans son sommeil ? Pourquoi maintenant ? Quel rêve bien confus.

-- Petite sœur… n’ai pas peur… regarde-moi… tu m’as appelée… je suis venue… comme on se l’était promis… avant…

- Naan…

Joanie ne s’entendit pas geindre… logique. Elle dormait d’un sommeil lourd mais assez mouvementé. Elle se souvenait n’avoir fait aucun appel ou alors ça avait été fait vraiment inconsciemment. Il est  vrai que sa jumelle lui manquait énormément. Après un long moment de silence et de forte hésitation, toujours en plein rêve, Joanie pointa le bout de son nez en dehors de la couette. L’ombre était peut-être partie ? Non. Elle était toujours là, flottante, souriant. L’apparence était moins floue. Oui, c’était bien elle. La brunette la regarda un instant. Perturbée. Angoissée. L’apparition lui tendait même une main lui faisant signe de venir avec elle. Après un court un instant de doute, Joanie se posa assise sur son lit la couette sur les chevilles et attrapa la main tendue de sa jumelle disparue. Après tout, c’était sa sœur. Dans son lit, c’était la bataille avec son oreiller, sa couette. Tout était dans un désordre inexplicable. Emmêlé. Elle perdait pied et tombait au fond d’un puits. Une porte vers un autre monde. Irréel.


L’instant d’après, une douce fraîcheur la caresse. Elle se trouve au bord de la falaise. Cette falaise de l’accident. Son visage se rembrunit. Dans son lit Joanie remuait un peu plus, se crispait. Pourquoi revivait-elle ce jour ? Pourquoi sa jumelle lui montrait ça ? Pourquoi ? Debout au bord du vide qui avait pris la vie de sa sœur. Elle serre les poings regardant les vagues s’écraser contre les rochers en contre bas. Ce qu’elle avait souvent fait. Après. Joanie se dit que si elle avait réagi plus vite peut-être qu’elle aurait pu aider son père et la sauver. Mais non. Au lieu de ça, elle était restée figée. N’y croyant pas, sur le moment. Elle ne pouvait pas disparaître comme ça, pas aussi vite. Et maintenant ? Un sentiment de colère l’envahit, un sentiment grandiose. Quelque chose au fond de son ventre grogne, gronde. Un cri longtemps retenu, certainement, s’échappe. Vient résonner contre le vent, vient s’écraser contre le vide devant elle. Dans la chambre c’est juste une faible complainte qui se fait entendre. Et ça ne réveille pas la jeune fille. Elle regarde ses mains. Ses mains qui tremblent, qui se tende au-dessus du vide, comme un appel vers cette ombre qui flotte, sa jumelle qui lui sourit. Qui s’enfuit en virevoltant. Et qui s’évanouit dans la nuit. Rêve traumatisant. Rêve qui semble si réel.

-- Viens… mini Jo... mais fait attention…

- Quoi ?… Attend-moi… Josiiie… atteend…

Joanie ne veut pas la perdre, elle s’avance alors vers elle, veut la rejoindre, mais ses pieds quittent le sol et en dessous, bien sûr, le vide. Et plus bas les rochers, les vagues qui s’écrasent contre leurs parois acérées… le corps de sa sœur, gisant. Le visage de sa jumelle qui lui sourit, cependant.


Elle tombe, tombe, tombe toujours plus vite. Sous la couette, sur le visage pâle de la jeune fille, des larmes coulent. Puis de nouveau, un grand vide. Un manque. Un manque qui la réveille brutalement. Lui fait faire un sursaut. Son cœur qui bat qui cogne. Elle se redresse haletante mais à demi réveillé. Joanie se rend compte alors qu’elle est tombée de son lit. C’est certainement dû à ces pas vers le vide. Le cerveau encore bien embrouillé, elle regarde autour d’elle. Fait le point tant bien que mal. C’est flou, encore.

Une "image" bouge devant elle. Là elle se recule d’un coup et se prend le bord du lit dans le dos. Ce qui a pour effet de bien la réveiller cette fois. Ça ne fait du bien certes mais elle est soulagée. Ce n’est que son reflet dans son miroir. Mais un truc cloche. La pénombre lui montre quelque chose dans ce miroir qui la fait avoir un doute sur son identité. La couleur de ses yeux. Elle allume sa lampe de chevet. Elle aurait vu ses prunelles grises changer de couleur. Hallucination ? Effet de lumière nocturne qui s’en va ? Elle se rapproche alors du grand miroir, à quatre pattes. Ses jolies prunelles grises couleur pluie, seraient-elles devenues bleues ? Oui, en effet, elle ne rêve pas cette fois, c’est la réalité, elles sont bleues, comme l’océan. Ce bleu qui est entre la surface et les profondeurs. Elle reste immobile quelques instants, le temps de reprendre ses esprits. Le temps de comprendre. Elle respire et inspire profondément. Se fixant dans le miroir.


Incompréhension totale. Elle cligne des yeux mais rien ne change. Et ce n’est pas fini. La respiration rapide, le corps envahit d’une désagréable moiteur, la sueur coulant sur ses tempes, ses longs cheveux cendrés collés dans son dos…. Une étrange peur angoissante l’envahit. Que lui arrive-t-il ? Elle se recroqueville sur elle-même. Tête enfouie dans ses genoux. Des larmes viennent. Puis tout lui revient. Le rêve. Ce rêve où elle a pu revoir sa jumelle… ça lui fait encore plus peur. Pourquoi. Elle se sent alors étrange. Elle tremble de partout, la jolie brunette est en eau. Elle voudrait se lever pour aller se lover dans son lit. Elle se sent rassurée sous sa couette dans ce genre de situation. Mais n’y arrive pas.

Le corps de Joanie est comme tout ramolli, comme une poupée de chiffon. Désarticulée. Ça ne fait pas du bien tout ça, mais ne dit rien. Souffre en silence. Une certaine tristesse envahi alors son cœur. Elle ne sait pas combien de temps cela dure. Elle a hâte que ça s’arrête. Et au moment où elle n’y croit presque plus, tout redevient normal. Ou presque. Elle dégouline de sueur. Alors doucement, elle relève la tête et pose un regard vide sur son être. Elle tente de remuer une jambe, un bras, doucement. Ça fonctionne. Peu à peu elle reprend du dynamisme. Enfin, il lui semble. Oui, il lui semble c’est bien le terme, parce que si visuellement ça va bien, à l‘intérieur, la jeune fille se sent vidée de toute force. Complétement.

Toujours assise elle se glisse vers son lit et y prend appui. Joanie se lève alors, encore un peu abasourdie. Ses gestes pas très sûrs. Un peu tanguant. Un voile de lumière pâle vient se poser sur elle. Elle se cale sur le bord de son lit. Regarde la fenêtre. C’est l’aube qui pointe. Un autre regard vers le miroir. Elle est dans un sale état. Trempée jusqu’à la moelle. A croire qu’elle est tombée dans le lac. Et ce n’est pas que elle qui semble être tombée dans le lac, si son peut dire. Sa chambre. Elle ne ressemble plus à rien. Qu’est-ce qui s’est passé ici pendant qu’elle dormait ? Tout est inondé ! Des restes de son rêve ? Quand elle tombait dans le vide ? Mais comment cela serait-il possible ? Elle secoue la tête. Impossible. Se pose quelques questions. C'est quand même étrange tout ça. Et en plus, elle ne s’en est même pas rendu compte en se regardant dans le miroir ! Elle souffle à se voir aussi désespérante de n’avoir rien remarqué et à cette pensée, Joanie réussi à sourire, un mince très mince sourire cependant. Elle a besoin d’une bonne douche, c’est sûr et aussi d’aller voir la directrice. De toute façon, Joanie se dit qu’il n’ y a que elle qui pourra certainement comprendre ce qui vient de lui arriver. Oui. Mais se connaissant, ça va pas être vraiment simple d’expliquer tout ça. Ce qui s’est passer dans cette chambre. Si elle est réellement étoilisée. Pauvre directrice.

Sous la douche elle voit encore tout ce rêve. Ce sentiment de changement en elle. Est-ce lié ? Elle lève la tête, ferme les yeux et laisse l’eau l’inondée. Des images floues, un étrange ressenti, défilent devant ses yeux fermés, coulent dans ses veines. Dans les rumeurs comme on dit, elle a entendu des trucs qui se rapportent à ça. Serait-ce vraiment ce qui lui est arrivé ? Et serait-ce aussi puissant ? Elle soupire pas encore bien rassurée. Eteint l’eau. Se sèche et s’habille l’esprit embrouillé. Un dernier regard dans le miroir, une main posée contre le reflet de sa main. Est-ce que Josie est encore là ? Son reflet semble lui confirmer que oui. Joanie penche la tête sur le côté, perplexe. Attend un peu, quand même. On ne sait jamais, c’est tellement chamboulé en elle. Puis décolle sa main de son reflet. Avec regrets. Elle tire un peu sur son uniforme, le lisse d’un geste machinal, robotisé. Allez… Il est temps d’y aller. Même si ses pas sont incertains, un peu déstabilisés.