Aaron dormit. D'un sommeil léger, réparateur. Sans rêve. Sans cauchemar. Un sommeil qui ne fut dérangé par absolument rien. Après autant de haut et bas, en seulement une ou deux heures, il fallait dire qu'il avait bien besoin de repos. Alors, quand il rouvrit les yeux et qu'il faisait grand jour, il fut un peu étonné. La couverture ramenée vers lui, il avait dormi au sol. Ou alors, il était tombé du lit... Aucune idée... Y avait quelque chose d'étrange. De changé... Il se redressa en baillant. Clignant des yeux pour tenter de trouver le truc qui avait changé. Le truc de bizarre... L'adolescent n'était pas vraiment du réveil, à moins d'avoir quelques choses à faire, et il resta bien trois quatre minutes à regarder l'armoire en face de lui avant de trouver le machin qui n'allait pas. C'était cette sensation chaude dans son coup et ces carrés de lumières sur le sol. Depuis... quand ces machins existaient ? Et aussi l'étrange luminosité... Se retournant, il vit la fenêtre. ouverte. Ah. Il avait une fenêtre. De... puis quand ? Puis ce fut... l'éclair de conscience. Et un long gémissement, dû aux quelques neurones grillés par cette lumière trop vive, s'échappa.
- Ludmi, gémit-il en tirant la couette sur sa tête. Lumièèère...

Ça fait trop mal aux yeux... Il reste un moment s'en bouger, puis se souvient de ce que faisait son frère. Tant qu'il ne le disait pas avec politesse, cet enfoiré restait à côté ou le bloquait jusqu'à ce qu'il le dise...
- S'il te plais, ajouta-t-il d'un ton plaintif.

Lumière : 1 - Aaron : 0

Aaron l'entendit rire alors, il tira un peu plus fort la couette sur sa tête. Ce rire sentait mauvais... Elle le traita de marmotte avant de lui sonner l'heure qu'il était. Mais qu'est-ce qu'il en avait à faire qu'il soit onze heures ? Il aurait beau être quatre heures comme vingt-deux heures, il en avait rien à faire... La réponse vint dans la foulée et sous sa couette, l'adolescent grimaça. Il pourrait faire moche et horrible comme il pourrait faire beau et bon dehors, il s'en foutait aussi. Il voulait juste rester à l'intérieur. Loin de tout... Mais il se rappela de ce qu'il avait murmuré. Qu'est-ce qui lui avait prit de promettre une telle chose ? Pour un peu plus, il se serait cogné la tête contre le mur. Une longue complainte s'enfuit de sous la couverture dès le moment où elle lui annonça qu'ils iraient prendre un petit déj à la cafét. Il n'avait pas faim, et encore moins envie de descendre... Alors quand elle conclut, il ne put s'empêcher de tirer la couette de sur sa tête et de râler.
- Nan...

Levant les yeux avec l'innocence d'un gosse qui faisait chier, il ajouta :
- Tu n'as pas dis "s'il te plait"...

Mais l'adolescent ne voulait pas bouger. Il savait qu'il lui avait dit qu'il essayerait mais... mais là, non...
- Y aura du monde, geint-il en cherchant à l'aveugle un oreiller après être retourné sous la couette. Y aura du bruit...

Conscient qu'il y risquait d'horribles représailles, il se recula jusqu'au mur. Encore caché sous la couette et tenant un oreiller contre lui.
- Et j'ai pas faim, marmonna-t-il en la regardant par-dessus la couette.

La couverture valsa et l'adolescent se recroquevilla contre le mur. La rouquine faisait peur quand elle s'énervait. Comme un peu tout les gens... Mais la colère des autres, il s'en fichait un peu, mais de celle de la rouquine. Il fronce les sourcils, et sent déjà qu'il va perdre, alors il lui obéit sans quitter son air maussade. Il n'a pas envie de sortir. Pas envie de voir d'autres visages... Déjà que discuter avec la rouquine n'était pas prévu au programme, alors reprendre contact avec le reste du petit monde que forme Terrae... Comme un enfant qui ne veut pas aller à l'école, il traîne des pieds en allant jusqu'à son armoire. A sa vitesse, l'armoire prend allures de bout du monde. Peu coopératif à l'idée de sortir, il prend uniquement un pull qu'il enfile en grommelant. Fuyant ensuite vers la salle de bain, il tire les pansements d'un tiroir pour les mettre sur ses doigts.
- On peut aller sur le toit ? demanda-t-il.

L'adolescent s'occupa en pansant le bout de ses doigts. Il aurait peut-être dû désinfecter... Oh tant pis, maintenant que c'était mit... Il tendit le bras et à la lumière naturelle, observa sa main. Pour une fois, il avait des pansements tout à fait normaux : "couleur chair" était-ce précisé, mais sur sa peau cela ressortait beige. Est-ce eux qui avaient un problème ou est-ce lui qui était trop pâle ? A te voir, on dirait un cadavre. Hum... Plutôt lui. Levant un peu les yeux, il ajouta :
- Pour manger, hein. Pas pour sauter.

Se relevant, il alla sans un sourire jusqu'à ses bottes. Non vraiment, il n'avait aucune envie de sortir. ça s'entendait au son de sa voix, légèrement détaché, comme si ça lui importait peu. Alors qu'il se chaussait, il demanda comme si elle connaissait la réponse :
- Puis, à l'heure qu'il est, ils seront tous en bas ?

L'adolescent fit la moue. Vraiment pas. Il ne voulait vraiment, vraiment pas y aller. Mais il avait promis d'essayer... Il gonfle ses joues et souffle doucement. Une fois les bottes mises, et avec toute la mauvaise foi du monde, il ouvrit la porte en invitant la rouquine à passer en première. Appuyé sur la poignée et se balançant légèrement dessus. Il n'arrive pas à comprendre pourquoi elle fait une fixette sur le fait qu'il doive manger. Il avait manger un peu hier, elle voulait pas non plus qu'il fasse de même aujourd'hui ? La tête baissée et le regard ailleurs, l'adolescent tentait de rester le plus longtemps possible dans un lieu connu, là où il n'avait personne d'autre...
- Je veux pas descendre.

Pour une fois, la boule qui lui retourne les entrailles n'est pas due aux douloureux souvenirs. Non, non... c'est l'idée de se retrouver de nouveau plonger dans une masse de gens. Avoir traversé le cortège lui avait laissé une horrible sensation qu'il ne voulait plus jamais ressentir. Se sentir tellement différent des autres, sentir que tout ce qu'on lui dira ne fera que l'enfoncer un peu plus. Accroche toi, disaient-ils, désolé, ça va aller, courage... Tous ces mots prononcés avec les meilleurs bontés au monde lui avaient faits l'effet d'une bombe ravageant les derniers lambeaux de sentiment. Et si, aujourd'hui il les acceptait de la rouquine c'est uniquement car il les mettait de côté. Trop borné avec sa vision noir du monde : ça ne va pas et ça n'ira pas mieux, alors pourquoi faire un effort ? L'adolescent leva de grand yeux bleus remplis de larme, la voix tremblante, s'éleva une toute petite phrase :
- J'y arriverais pas...

Ses lèvres formèrent le mot "rien" mais aucun son ne sorti. Il ne pouvait quand même pas dire cela... Elle n'accepterait pas. Ou alors elle le forcerait à descendre... Baissant la tête, il essaya de se souvenir des plats qu'il pourrait prendre mais il n'avait vraiment envie de rien. Faire un effort... faire un effort...
- Je sais pas... murmura-t-il. Cookies, chocolats, céréales... j'sais pas trop, c'est comme tu veux.

La laisser choisir... De toute façon, ce n'est pas comme si elle allait lui rapporter des champignons ou du fromage, ce qu'il avait en horreur quoi, comme petit déj. Fixant jusqu'alors le bout de ses chaussures, il releva la tête, interloqué. Pourquoi lui disait-elle ça ? Il ne comprenait pas... Mais il hocha quand même la tête. Oh, c'est à cause de la hauteur ? Mais... Pourq... Oh ! Il ne l'avait pas vraiment écoutée. Elle voulait qu'il aille sur le toit et qu'il l'attende. Oh. Mais... non ! Il ne voulait pas être tout seul. Il tendit la main pour la rattraper mais se ravisa. Il allait devoir descendre s'il faisait ça... Descendre et supporter le monde ou monter et supporter la solitude... ? Il ne voulait aucun des deux mais devait en choisir un... Alors qu'elle descendait, il trépigna tout seul en haut des escaliers. Non, non, non il ne voulait pas rester seul. Mais descendre non plus...

Aaron dévala à toute vitesse les escaliers et attrapa le poignet de la rouquine. Il avait laissé filer son frère et il n'était jamais revenu alors la rouquine... Pour qu'elle ne voit pas son expression complètement paniqué, il posa sa tête contre son épaule. Cachant ses yeux pleins de larmes contre le tissu blanc.
- Désolé, articula-t-il alors que ses doigts se resserraient contre la manche.

Désolé d'être gamin. De pas savoir ce que je veux. De ne pas réussir à être tout seul. D'être chiant... Il ne serait jamais capable de dire tout cela...Sans lui laisser le temps de répliquer, il se redressa et détourna la tête.
- Go ? Demanda-t-il en s'avançant légèrement.

Ce dont Aaron avait peur, n'était pas vraiment de se retrouver parmi la foule à encaisser leurs encouragements... non c'était la peur de se fermer à cette foule. De reprendre le même comportement qu'il avait eut à l'enterrement : complètement renfermé, impassible... Ce dont il avait peur c'était de faire comme ses tuteurs, de ne plus montrer qu'un regard froid en présence d'inconnu... Et c'est un peu ce qui y arrive ce jour là. La tête haute, les mains dans les poches il avançait comme si jamais rien n'était arrivé... Mais lorsqu'il fallu attendre son tour, il se calfeutra complètement derrière son regard. Ni laissant qu'un brasier de flamme glacé, qui balayait toute sympathie de son être. Lui donnant plus que jamais un air froid et détaché. Il se hâta de prendre quelque chose, des pommes de terre aux lardons et une bouteille d'eau, autant pour faire plaisir la rouquine même s'il savait qu'il aurait du mal à en manger plus du quart, que pour éviter tout houspillage derrière lui. Même lorsqu'ils quittèrent la cafet pour remonter, son air froid ne se détacha pas de lui. La tête tournée à l'opposée de la rouquine, son regard posé contre le mur. Ses pensées étaient si loin qu'il préférait les laisser là où elles étaient, et si près qu'il pourrait les rappeler à n'importe quel moment, mais là, il n'en avait pas envie. Elles étaient très bien où elles étaient. Et c'est sans doute parce qu'il les gardait éloigné qu'il ne tiqua pas lorsque la rouquine l'interrogea sur sa famille, se contentant de répondre sur un ton froid.
- Un père, une mère, la fille de leurs amis.

Sentant une légère angoisse revenir, il leva la main et se mordilla le pouce en ajoutant.
- Leurs amis étaient mes tuteurs, mon frère a tué la mère, le père s'est chargé de mon frère avant de s'immoler dans son bureau, ou quelque chose comme ça.

Voilà. Y avait pas grand chose d'autre à ajouter. Quoique... Sur le même ton froid, détaché, il continua.
- Mais je ne considère pas vraiment mes parents comme de ma famille donc... juste la fille de leurs amis.

Le regard dans le vague, il pilla. Marya... Elle était vraiment sa famille ? La seule qui lui restait ? Ou rejetait-il ses parents uniquement car tout était de leurs fautes... ? Puis, avec qui était-elle à l'heure qui était... ? Il n'en savait absolument rien et rapidement il chassa les autres pensées. Autant pour éviter une crise à cause de question sans réponse que pour éviter d'y penser. Sa voix n'avait trahit aucune douleur juste un horrible détachement... Soufflant doucement, il ouvrit la porte qui menait au toit et laissa Ludmila passer en première. Au même moment, il posa enfin son regard sur elle en lui demandant :
- Pourquoi ? C'est important ?

- Plutôt moi le gosse par adoption, marmonna l'adolescent en fermant la porte.

L'indifférence était bien trop palpable. A quoi bon s'en faire maintenant ? Les Rockwells étaient aussi morts que son frère l'était. Ils auraient dû les haïr pour ce qu'ils avaient faits... Pour avoir préférés protéger leurs amis au prix de leurs vies et de celle de son frère... Mais ça ne servait plus à rien. Il s'asseyant contre la petite structure, il leva la tête vers le ciel. Grand, bleu, avec quelques nuages traînant par-ci, par-là... Il n'avait vraiment pas faim... Surtout que reparler de tout cela lui couper l'appétit. Alors, lorsqu'elle lui demanda pourquoi elle n'était pas ici, à Terrae, Aaron tourna brusquement la tête vers elle. Une sorte de flamme de colère et d'incompréhension faisait fondre la glace qui le calfeutrait jusqu'alors.
- Tu plaisantes j'espère ! s'exclama-t-il presque choqué. Une gamine de sept ans n'a absolument rien à faire ici ! Ça pue la dépression et le malheur à des kilomètres !

L'adolescent faisait bien sûr référence à ce qu'il avait entendu dans le rang de la cantine. Un type, un feu, se serait bourré de médicament et serait "mort". Si ça ce n'était pas la joie ! Oui, il était en colère contre Terrae. Pourquoi ? Il ne savait pas vraiment... peut-être était-ce parce que l'Ancienne lui avait enlevée son frère. Peut-être... Déjà les éclairs recommençaient à courir sur sa peau, dressant ses cheveux sur sa tête.
- Je n'ai que dix-sept ans et je me comporte toujours comme un gosse, c'est vraiment pas de ça dont elle a besoin. Elle est mieux là où elle.

Il voulait le croire. Croire que Marya était vraiment mieux là où elle était. Qu'elle était tombée avec une bonne famille, qu'elle ne soit pas toute seule dans un immense orphelinat... Il voulait s'en persuader. Puis, elle avait bien quelqu'un pour s'occuper d'elle. Il ne pouvait pas l'avoir abandonnée, parce qu'ils n'avaient jamais été très proche. Hein... ? Sa colère retomba brusquement et les éclairs disparurent en un clin d'oeil. Reprenant doucement pied avec la réalité, il remarqua qu'il foudroyait du regard la rouquine. Heureusement qu'aucun éclair n'avait eut l'idée de s'échapper... Passant les mains dans ses cheveux, il baissa les yeux vers le sol.
- Elle est bien mieux loin de moi, marmonna-t-il en ramenant ses genoux contre lui.

Le masque de glace s'étant brisé, il ferma les yeux et appuya sa tête contre ses genoux. Tentant de réprimer toutes les autres envies de se laisser aller... Soupirant fortement, il tourna la tête vers la rouquine.
- Tu as réussi à trouver une nouvelle famille, ici, toi ? demanda-t-il sur un ton légèrement triste.

Le ton craintif surprit l'adolescent. Pourquoi se mettait-elle brusquement dans cet état ?! Sa réponse lui vint rapidement et il baissa les yeux. C'est vrai... Elle ne l'avait jamais forcé à répondre et voilà qu'elle... semblait paniquer par sa faute. Sa faute... Encore une fois ses mots blessaient quelqu'un. Rouvrait des souvenirs scellés et il se retrouvait comme un con, à côté, à observer leurs pouvoirs dévastateurs. Encore plus que ses éclairs... Là, il sentait que même le plus honnête de ses "désolé" ne servirait plus à rien. Comme avec son frère... La gorge serrée et le coeur au bord des lèvres, il détourna la tête. Ne supportant plus de la voir faire de l'hyperventilation. Voilà... ça finissait toujours comme ça... Le regard perdu quelque part dans l'horizon, il ne l'écouta même plus. Voilà. Fallait bien que ça se termine de cette façon. C'était trop... idyllique, trop futile d'y avoir cru un tantinet. C'est toujours comme ça... Soit on finissait par lui crier dessus, soit on l'abandonner. L'abandonner car on en pouvait plus... de son caractère de gosse, de ses caprices, de sa non-reconnaissance... On finissait par abandonner car on en avait juste marre de lui. Même son frère.

Les larmes aux yeux, Aaron se renferma complètement. Tentant d'endiguer et d'assécher ses larmes. Ça servait à rien. Ça servait absolument plus à rien ! Il avait beau avoir l'horizon qui s'étendait en face de lui, il ne voyait que le bord du toit. Combien de mètres ? Beaucoup... Il n'avait guère envie d'y penser. Déjà que cinq petits mètres l'avaient mis dans un état misérable alors ceux là... Pourtant, il avait la même envie de tout foutre en l'air. Mais à quoi cela servirait, maintenant ? Son frère ne pourrait pas le savoir et il ne le saura jamais. Peut-être à ne plus ressentir cet horriblement étau dans son coeur. A oublier cette sensation de vide absolu... A ne plus se faire torturer par ses pensées. A... A ne plus penser à rien ! A ne plus se soucier de rien ! L'adolescent se relève brusquement et fuit.
Fuit là où personne ne pourra l'atteindre.
Là où il n'en aurait plus rien à faire...

Aaron bouscule la rouquine et descend les marches quatre à quatre. Fuir... Simplement fuir. Autant ses pensées que la rouquine. Ne plus se frotter au monde. Il l'avait fait et que cela avait-il donné ? Un abandon de plus à rajouter à la liste. Les escaliers, il les saute plus qu'il ne les descend et rapidement, il se ramasse contre le mur. Rien à foutre, il continue de fuir. Courant, affolé comme s'il avait vu un fantôme. Et finit par débouler dans le couloir des tonnerres. Ce n'est pas la première fois qu'on voit un élève arriver de cette façon, et ce n'est surement pas la dernière, mais ça, il n'en a que faire. Sa porte claque, si fort... Mais pas assez fort pour lui faire oublier ce coeur qui lui martèle la poitrine. La clé tourne, la bloque pour de bon et à grande enjambée va claquer les volets. La chambre retrouve sa pénombre habituelle en même temps que son ambiance. Prit de peur des souvenirs qui pourrait resurgir, l'adolescent va à grand pas vers son bureau, jette en tas toutes les affaires de son frère dans un carton qu'il cache dans l'armoire. Et il referme les portes.

Les portes semblent absorber son moment de folie, de panique, et complètement lessivé, essoufflé, il scrute les plaques qui tournent doucement dans le vide. Il les scrute comme si c'était le seul monde qui lui restait... avant de brusquement battre en retraite dans la salle de bain. Il n'arrive pas jusqu'à la cuvette et restitue le pauvre contenu de son estomac dans le lavabo. Il n'avait... rien mangé. Le plat prit était resté complètement intact en haut. Tant pis, qui s'en souciera ?