- Ma tête de dépressif elle te merde. Et tu vois que toi t'es pas mieux !

Je ris. C'est que monsieur était vexé! Non je n'étais pas mieux c'est vrai. J'étais même ce que l'on pouvait appeler un cas. J'étais toujours en train de réfléchir à telle ou telle chose, toujours en me demandant si j'avais pris la bonne décision, au bon moment. Quoique même en y réfléchissant, j'arrangeais jamais les choses car j'étais guidé par mes émotions et mon impulsivité. Bref.

- Par contre j'suis d'accord : si on pouvait éteindre son cerveau un peu, ce serait trop cool ! T'imagine la libération de ouf ? Ce serait trop bien d'être des robots!

J'ai ris doucement. T'avais parfois l'air d'un gamin, et qui sait? Peut-être que tu l'étais, au fond. Qu'en savais-je? Je te savais fou, dépressif, toujours disponible pour qui le mérite et bien d'autre chose encore que je ne permettrais pas de citer. Mais aujourd'hui, tu m'avais montré que tu étais aussi perdu, et très certainement aussi à la ramasse sur certains sujets de ta vie.
N'empêche que ta réflexion à la con, elle m'a fait réfléchir quand même. Après tout, on pouvait se poser des questions! On savait faire tellement de nouvelles choses avec la technologie! Alors pourquoi pas remplacer certains humain par des robots agissant comme nous? Flippant. Les gars, le jour où ça existe, je me tire sur Mars.

- T'as un truc de prévu tout à l'heure ? Ou pas du tout ?

J'ai hoché négativement la tête et Nut est revenu vers moi. Distraitement, je l'ai caressé.

- Pas du tout. Après avoir fait un tour vers l'animalerie, je pensais venir te rendre visite... je voulais savoir comment tu allais. Je m'inquiétais.

Nut jouais à passer entre nous deux, quémandant de l'attention. Ca m'a fait sourire. J'ai baissé la tête vers lui, amoureuse de ce petit être aux yeux bicolores. Bleu et marron. Il était trop mignon.

- Pourquoi cette question?

Je ne te regardais pas, fixant mon furet qui se tortillait dans tous les sens pour que je fasse un peu gaffe à lui.

Finalement, elle se met à rire. C'est pas non plus un rire hyper transcendant, mais il a le mérite de détendre l'atmosphère et de me permettre de faire retomber le stress de notre précédente conversation. Parallèlement, j'me rends compte que je raconte vraiment trop de la merde. C'est vrai, quoi. Pourquoi est-ce que je suis incapable de tenir une discussion sérieuse plus de cinq minutes ? Je sais pas si c'est parce que je suis con ou parce que j'en ai juste jamais envie, mais dans tous les cas, c'est sévère quand même.

Au final, on abandonne rapidement l'idée des robots - vous savez, j'me considère parfois plus proche du robot que de l'humain vu mes réactions bizarroïde alors bon - et je finis par lui demander si elle a un truc de prévu après ça. Visiblement pas. Sa bestiole revient sur elle et repasse encore sur moi, et ce plusieurs fois. Ça me tire un p'tit sourire en coin, et finalement je l'attrape pour remettre Nut dans les bras de sa proprio. C'est que ça commence juste un poil à me stresser...

- T'as pris un furet hyperactif, Lud, je désespère en riant. Enfin bon. Je sais pas, c'était plus pour savoir. On peut continuer à traîner un peu dehors si tu veux.

Finalement, je me passe une main sur la nuque.

- Désolé, je prends pas trop de nouvelles en ce moment. J'essaie d'me canaliser un peu en salle d'entraînement vu que je ressors un peu dans le monde pour aller chercher des élèves. Puis j'aide Tomoe avec les gosses. T'es déjà allés les voir ?

Par "les gosses", j'entends absolument pas "MES gosses", hein, si c'est la question que vous vous posez. J'parle plutôt de la classe de primaire qu'y a à Terrae. En fait Tomoe et Maria s'occupent des p'tits de 4-5 à 10 ans. Ils ont besoin qu'on soit constamment là pour eux, et ça explique aussi pourquoi elles sont toutes les deux super occupées. Quand y a besoin d'aide, je viens et j'les garde une heure ou deux. Ça leur permet de souffler et puis... Ouais, autant le dire, j'adore les gosses. Puis j'crois qu'ils m'aiment bien aussi parallèlement, alors...

Au bout d'un moment, ni tenant plus ni l'un, ni l'autre, tu as attrapé avec douceur l-être gesticulant et hyperactif qu'était Nut et tu me l'as filé. OK. La prochaine fois, je prends un poisson rouge, comme ça même hyperactif, je suis pénarde!

- T'as pris un furet hyperactif, Lud.

Tu riais. Et là, ça me faisait plaisir. Merci Nut. J'ai souris, douloureusement reconnaissante pour ce moment d'amitié. J'aimais pas te savoir mal, mais t'avais pas l'air de vouloir t'y attarder. Au contraire, tu voulais plutôt rire et faire sourire. Je respectais ça. Tu étais quelqu'un de fort Aaron. Vraiment.

- Enfin bon. Je sais pas, c'était plus pour savoir. On peut continuer à traîner un peu dehors si tu veux.

J'ai approuvé, soufflant à demi mot que j'en serais ravie. Nut avait finit par se calmer, et il nous fixait maintenant, sans bouger. Ce furet était un fada je vous promets.
Tu t'es passé une main sur la nuque, visiblement gêné ou que sais-je encore....

- Désolé, je prends pas trop de nouvelles en ce moment. J'essaie d'me canaliser un peu en salle d'entraînement vu que je ressors un peu dans le monde pour aller chercher des élèves. Puis j'aide Tomoe avec les gosses. T'es déjà allés les voir ?

J'ai secoué la tête négativement. Non, je n'y étais pas aller. Probablement parce que voir ses gamins qui vivent dans un endroit où le malheur et la douleur ne sont que trop présent, je trouvais ça un peu glauque, et bien trop douloureux.

- Ne t'excuse pas. Tu ne dois rien à personne à ce niveau là. Pi je pense que d'une certaine façon, tu as eu raison. Bien sur, on s'est inquiété. Mais je pense que t'en avais besoin, et peut-être en as-tu d'ailleurs toujours besoin.  

Je t'ai souris doucement, sincère.

- Mais non, je ne suis jamais aller les voir, j'avoues. Si tu vas les voir souvent, c'est que tu dois les apprécier et réciproquement non? Tu leurs donnes des cours de maths ou tu leurs apprends à avoir un égo surdimensionné?

Oui je sais, tu l'as déjà dit: Tu me merde.

Mes épaules se haussent doucement, et je me contente de m'adosser un peu plus franchement au banc. Mes mains viennent naturellement se loger sur ma nuque pendant que je lève les yeux au ciel, mon œil gauche un peu plus plissé que le droit. Comme toujours. Ce qu'il y a de "bien", avec ma dernière hospitalisation l'année dernière, c'est que j'ai l'impression que ma vue s'est stabilisée. J'irais pas jusqu'à dire que les cellules de la rétine se sont réparées seules, mais au moins, j'ai plus de dégringolade d'année en année comme j'l'avais depuis quelques temps. Ça aura p'tetre servi à ça, au moins.

Toujours est-il que non, j'pense pas ne rien devoir à personne. Ne pas donner de nouvelles pendant plusieurs mois à plusieurs de ses amis, ça tient soit du masochisme, soit de la volonté pure et dure de se cloîtrer chez soi. Souvent sans même qu'on s'en rende compte. Pour le coup, j'm'en veux un peu mais je sais que ça m'empêchera pas de faire de même dès le lendemain. Laisser le temps passer en le regardant de loin.

- Sûrement, oui.

Je retiens la remarque type du "tu penses beaucoup aujourd'hui dis donc", accompagné de mon sourire moqueur habituel, qui me brûle les lèvres. Au final, j'me contente juste de sourire un peu, doucement. On aura tout le temps de s'envoyer des piques plus tard.

Sa remarque suivante, en revanche, me tire un rire franc.

- Je les adore. Je crois qu'eux aussi. À cet âge-là, ils ne savent pas mentir sur ce qu'ils ressentent, je souris en coin.

Doucement, je m'étire, les bras vers l'arrière, et retiens un bâillement.

- C'est Tomoe qui se charge des cours. Après j'participe un peu parfois. S'ils ont des problèmes en calculs, tout ça, mais ça dépasse pas le stade multiplication/division alors n'importe qui peut le faire. Disons que je viens juste les voir, comme ça, parfois. Juste pour leur tenir compagnie. Ils sont très jeunes, et la plupart n'ont pas de parents. Ça les rassure un peu de voir des adultes qui prennent soin d'eux, d'autant que la plupart je les connais depuis qu'ils sont arrivés. C'est un peu eux qui nous ont adoptés.

Des fois, je me dis que je ne m'occupe d'eux que parce que je n'ai pas réussi à m'occuper de mes frangines. Dans un sens, c'est plutôt l'apprentissage de mes erreurs qui fait que j'ai envie et besoin de les prendre en charge. Un sourire un peu tordu se glisse sur mes lèvres. Peut-être que j'ai déjà tout ce que je veux, au final. Presque tout ce que je veux.

- C'est ma famille, en quelques sortes, je souffle.

- Sûrement, oui.

Tu as eu ce sourire doux que je ne connaissais que peu. Je m'attendais pourtant à une pique, à une taquinerie. Ça faisait mal de voir que même ça, t'en avais plus envie. Je te jure, j'avais envie de te foutre des gifles en te criant de réagir.
Mais alors tu as souris, puis ris, et ça m'a légèrement rassurée.

- Je les adore. Je crois qu'eux aussi. À cet âge-là, ils ne savent pas mentir sur ce qu'ils ressentent.

J'ai souris, heureuse que tu es trouvé cet équilibre dans ta vie. C'était toujours ça de prit, et ça avait l'air de te faire du bien. Que demander de plus?
Tu t'es étiré longuement, avant de t'expliquer.

- C'est Tomoe qui se charge des cours. Après j'participe un peu parfois. S'ils ont des problèmes en calculs, tout ça, mais ça dépasse pas le stade multiplication/division alors n'importe qui peut le faire. Disons que je viens juste les voir, comme ça, parfois. Juste pour leur tenir compagnie. Ils sont très jeunes, et la plupart n'ont pas de parents. Ça les rassure un peu de voir des adultes qui prennent soin d'eux, d'autant que la plupart je les connais depuis qu'ils sont arrivés. C'est un peu eux qui nous ont adoptés.

J'ai lentement hoché la tête. Je pouvais facilement comprendre ses gamins. A nos âges à nous, la conscience voulait que l'on comprenne nos malheurs et que l'on se démerde avec. Aux leurs, leur instinct voulait les protéger, en leur trouvant un substitut à ce qu'ils avaient perdus. C'était tellement plus simple d'être un gamin!
Je pouvais comprendre le fait que tu aimes tant aller les voir. Mais je n'aurais pas pu. C'était trop difficile de voir des gamins dans cet endroit. Ils n'avaient pas à être là. A cet âge là, on n'avait pas à être entre ces murs. Même si Terrae était un chouette endroit.
T'as eu un petit sourire tordu, comme s'il venait tout droit de tes souvenirs et regrets.

- C'est ma famille, en quelques sortes.

J'ai approuvé doucement. Famille. C'était un concept tellement vague à présent pour moi! Tellement inaccessible. Tellement douloureux.
J'étais orpheline. On m'avait abandonné suite à une seule erreur. Comme quoi, pas tout le monde n'a le pouvoir de pardonner.

J'ai fermé les yeux avec douleur, sans rien en montrer pourtant. Sauf que tu aurais pu lire en moi avec facilité. Aussi, je tentai de limiter la casse, dissimulant comme je pouvais la douleur des souvenirs.

- C'est génial que tu es trouvé cet équilibre là. Pi comme tu en parles, ça à l'air de vraiment te faire du bien.

Oui Ludmila, encore un effort! Ou pas. Arrêtons là le massacre. Pitié.

Aujourd'hui, ce n'est pas ma journée, je crois. Je me suis rarement senti aussi… passionné par ce que je racontais. Réellement passionné, je veux dire. Pas ce faux intérêt dont j'empruntais parfois les traits, ou cet enthousiasme à deux balles qui n'intéressait personne, pas même moi. Qui ne trompait personne, non plus. Ou qui trompait beaucoup, parfois. Entre tout et rien, il n'y a pas vraiment de différence, après tout. Mais pour le coup… ouais, je me sens étrange. Sûrement parce que je suis un peu trop émotif, en ce moment. Émotif. C'est la première fois que j'me définis comme tel, je crois. Généralement, je suis juste déprimé. Là, c'est différent. C'est un combat. Des tonnes de choses qui se battent. Qui se confondent. Mes désirs contre mes peurs. Ma joie contre ma tristesse. J'ai envie de fermer les yeux, et de me laisser aller. Au final, c'est ce que je fais durant quelques secondes, pendant que je me confie. Le nez vers le ciel, je garde les yeux clos. Ma respiration est plus calme à présent. J'essaie de repenser à tout ce que nous nous sommes dit, et de mettre des mots sur tout ça. De comprendre ce dont j'ai véritablement envie. Parce que c'est vrai. Au final, je l'ai déjà, cette famille. Est-ce que j'ai vraiment envie d'en avoir une à moi ? La question se pose toujours. Mais un début de réponse se dessine, à contre-sens de ce que j'ai toujours imaginé.

À côté de moi, Ludmila semble attristée, et je rouvre les yeux en cherchant son regard. Elle aussi fait semblant d'aller bien. Mais quelque part, c'est inutile. Ne sait-elle pas que je suis sensitif …? J'ai toujours trouvé stupide de la part des autres de me cacher ce qui n'allait pas. Mais avec le temps, j'commence à comprendre quelques trucs. Ils ont leur dignité. Et je la leur enlève en décortiquant leurs émotions. C'pour ça que Gae se cache toujours. Parce qu'il veut rester digne, et choisir de me montrer ce qu'il a envie uniquement. Un frisson remonte le long de mon échine lorsque je repense à Boston. J'crois qu'on peut vraiment dire qu'il m'a ouvert son cœur, hein… Ces conneries me rendent trop sentimental.

- Ca m'a toujours fait du bien, tu sais. Mais je pense pas toujours à y aller.

D'autant que je suis loin de pouvoir parler d'équilibre, mais bon… Je me suis pas encore recassé la gueule depuis… ce soir-là, où j'ai bu jusqu'à n'en plus pouvoir. C'est bon signe nan ?

- Et toi, Lud, tu as réussi à le trouver, ton équilibre ?... je l'interroge avec hésitation.

Un blanc s'installe.

- Tu m'as beaucoup trop laissé parler, aujourd'hui, je tente de sourire.

- Ça m'a toujours fait du bien, tu sais. Mais je pense pas toujours à y aller.

J'étais distraite, perdue dans mes propres pensées, partie loin dans mes souvenirs. Blue me manquait. C'était pire qu'un manque, c'était comme un vide. Une souffrance sans arrêt, sans pause. Une douleur insoutenable, un déséquilibre de l'âme. Comme si d'une certaine manière, moi aussi j'avais un pied dans la tombe. Dans sa tombe.
Elle était jeune. Trop jeune. On pouvait pas mourir à son âge. Et jamais je ne pourrais lui dire adieu. Parce que ce jour-là, j'ai refusé de le dire, je refusais d'y croire.
Beaucoup m'ont dit que la douleur disparaîtrait. La vérité, c'est qu'elle reste, quoi qu'on en pense. On tente juste de se persuader du contraire, pour avancer. Et un jour, quand tout va mal, on s'isole pour repenser à cette douleur qui nous détruit intérieurement, nous pourrissant l'existence. On se replonge dans celle ci pour comprendre que sans elle, on en serait pas là. On serait ailleurs.
Les cauchemars ne disparaîtront pas. Je le savais déjà à l'époque. Parce qu'ils font parti de moi. Il seraient toujours dans mes souvenirs. Mais je ne les vivrais peut-être plus dans le présent de ma vie. Un jour. Un jour j'oublierai qu'ils étaient là, pour ne penser qu'à ma vie, qu'à mon avenir. Un jour j’oublierai. Et un autre jour, j'y repenserai. Ainsi va la vie.

- Et toi, Lud, tu as réussi à le trouver, ton équilibre ?...

J'ai alors tourné mon regard vers toi, profondément étonnée d'entendre ta voix. Oula. J'étais partie vraiment loin. J'ai repassé ta question dans ma tête, et je me suis mordue la lèvre. Et je me suis levée, croisant les bras et marchant sur un mètre. Te tournant le dos, j'ai osé répondre, mais tu m'as devancé.

- Tu m'as beaucoup trop laissé parler, aujourd'hui.

J'ai souris mais le cœur n'y était pas. Si je t'avais fais parler, c'était pour que moi, je n'ai pas à le faire.

- Mon équilibre? Oui. Même s'il est parfois bancal, je crois l'avoir trouvé.

Non je ne l'avais pas trouvé. Bien au contraire. A vouloir jouer au funambule, j'allais finir par tomber. J'étais déjà en total déséquilibre.

Elle ne veut pas parler. La réponse semble assez claire dite comme ça. Mes lèvres se pincent et je détourne les yeux, incapable de répondre pour le moment. Elle m'engueule quand je ne lui dis pas ce que j'ai, mais moi je suis censée la supporter en train de me mentir aussi ouvertement ? La colère monte légèrement. Je n'ai pas la foi de me battre aujourd'hui, pourtant, je sais que dans quelques minutes, je ne vais pas tarder à craquer. Je sais que je n'ai pas à lui demander d'aller bien, et ce n'est pas ce que je fais. Pourtant, là, j'aurais bien voulu juste un peu d'honnêteté. Je viens de m'ouvrir, de lui dire des choses que je n'avais jamais avouées, je crois. Alors je ferme les yeux et je prends une lourde inspiration pour me contenir. Ma gorge se serre.

- Pourquoi tu te sens obligée de me sortir ces fadaises ?

Brusquement, je me lève et plante mes mains dans mes poches pour ne pas serrer les poings. J'en ai assez de la voir réagir de cette manière, et d'être constamment pris pour un con, au final. Tout le monde me prend pour un con, en ce moment, ou bien quoi ? Un instant, je jette un regard en arrière pour croiser le sien, et me renfrogne. Sans rien ajouter, je m'éloigne du banc et commence à marcher vers… vers rien en fait. Je marche juste pour partir. Ou prendre quelques mètres d'avance. Parce que faire les cent pas m'aide à me calmer. Tic nerveux.

Ca me saoule. Un soupir m'échappe et j'essaie de ne pas me retourner vers Ludmila. En fait, faut que j'arrête de m'attacher aux gens, comme ça. De les considérer comme s'ils avaient tous le même âge. Parce que là, j'ai l'impression d'être le mioche de six ans face à sa sœur de quinze ans son aînée. Et ça m'énerve. Faut qu'elle arrête. Faut qu'elle arrête maintenant…

- Pourquoi tu te sens obligée de me sortir ces fadaises ?

Je m'étais rassise à tes côtés. Je voyais bien que je t'avais énervée, et même peut-être blessé à me taire ainsi. Mais que pouvais-je bien répondre à ça?
T'avais raison Aaron. T'avais entièrement raison. Je t'avais reproché de ne pas parler mais voila que je faisais exactement la même chose.

Tu t'es levé, visiblement irrité et sans un regard, tu as avancé droit devant toi. Comme pour fuir je ne savais quoi. Je t'ai regardé partir, et un instant, nos regard se sont croiser avant que je ne baisse les yeux sur Nut, couché sur mes jambes.
Et te voilà qui t'éloignait, et moi qui restait là comme une conne.

Devais-je te laisser partir et prendre le risque de te perdre? Ou te retenir et devoir tout te dire? C'est finalement peut-être impulsivement que je pris ma décision. Je me suis levée, obligeant Nut à se réveiller quand je le posai sur le banc.
Je me suis tournée dans ta direction, mais je n'ai pas fait un pas. Tu n'avais pas pu voir mon geste. Alors, d'une voix assez forte pour que tu m'entendes distinctement malgré les pas qui nous séparaient, j'ai répondu à ta question.

- Peut-être parce qu'ainsi, je peux encore me convaincre que tout va bien. Que je ne vais pas tomber.

J'ai pris une inspiration et j'ai fermé les yeux, baissant la tête. Tu ne te contenterai pas de ça, et je le savais pertinemment. J'ai relevé les yeux vers toi, et sans faillir, j'ai finalement laisser sortir:

- La vérité tu la connais déjà Aaron: Je n'ai trouvé aucun équilibre. Pour la simple et bonne raison que le jour où j'ai cru en avoir trouvé un, tout m'a explosé au visage. Tout a volé en éclat, et moi je me retrouve avec un équilibre qui repose sur une douleur refoulée et sur un sourire forcé!

J'ai repris ma respiration, pesant le pour et le contre de ma réponse. Elle était complète.

- Je suis désolée Aaron. Je te demande pardon d'avoir menti. Mais je refuse de m'apitoyer sur un sort dont je suis la seule fautive.

Honnêtement, je ne sais pas ce qu'il m'a pris. C'était un peu comme ça, un coup de sang, qui m'a forcé à me lever pour ne pas simplement continuer à serrer les poings à côté d'elle, et attendre que quelque chose se place. On ne me fait pas la morale pour ensuite faire la même chose. "Fais ce que je dis, pas ce que je fais" ; c'est bien ça ? Pour qui se prend-elle à s'imaginer pouvoir me dicter ma conduite, me reprocher de trop ou pas assez en dire ? Mon ventre se tord et je suis content de n'avoir que la cour vide devant moi. Ça évitera à qui que ce soit de voir ma tête à l'instant présent.

Peut-être que je devrais simplement arrêter d'en vouloir au monde entier dès que quelque chose dérape. Lentement, je me passe une main sur le visage, et tente de respirer calmement. C'est pas si terrible, hein ? Faut que tu te calmes, que tu te retournes, que tu croises son regard et que t'essaies de lui faire comprendre que t'es désolé d'être con. Si tu pouvais lui dire, ce serait encore mieux, mais ça paraît assez compromis pour le moment.

Au final, j'me retourne pas et je continue mon chemin, lentement, jusqu'à ce que la miss se lève et se mette à me parler. Je tourne un regard las dans sa direction, le corps seulement à demi tourné. Évidemment que je sais que tu vas pas bien, triple idiote. Je suis sensitif, aux dernières nouvelles. Mes lèvres se pincent légèrement. Que dire ? En fait, ça me regarde pas. Je devrais arrêter de m'inquiéter pour les autres, au point de m'en rendre malade et de les engueuler dès que ça ne va pas pour eux. Parce qu'au final c'est ça : je les engueule pour qu'ils captent que je m'inquiète. Piètre medium, mais bon, après tout, on a jamais dit que c'était interdit. Et je suis un insensible et un connard, tout le monde le sait.

- Tu n'en es pas responsable, arrête avec ça, je lâche, un peu plus froidement que voulu.

Puis, en me rendant compte du ton que je viens d'employer, je secoue doucement la tête et détourne les yeux. Ma voix se radoucit.

- Pardon, je ne devrais pas m'énerver.

Ma main rejoint à nouveau mon visage et je me masse lentement l'arête du nez. Reste zen, Aaron. Même si tu ne sais pas quoi dire, et que ça te fout encore plus en rogne. Parce que qu'est-ce que je suis censée lui dire, au juste ? Rien. Il n'y a pas de mots pour apaiser la peine, seulement une présence à avoir. Mais cette présence, est-ce que je suis seulement capable de la lui donner ? On dirait un vieux débris, comme je parle, pense, me déplace. Un foutu vieux débris.

- Je devrais p'tetre te laisser. Je suis pas de très bonne compagnie aujourd'hui. Sauf si t'es prête à me supporter, mais j'aimerais t'éviter ça quand même.

- Tu n'en es pas responsable, arrête avec ça.

Tu étais froid. Comme si tout cela n'était pas plus important qu'une anecdote. Tu avais voulus savoir Aaron, et je m'étais montrée franche. Où était le problème? J'ai reculé d'un pas, le regard noir, mais plutôt que de partir, je t'ai laissé reprendre, cette fois-ci plus doucement.

- Pardon, je ne devrais pas m'énerver.

- Alors pourquoi tu le fais?

J'avais répondu du tac au tac, sans réfléchir, et aussi froidement que toi tout à l'heure. Je m'en voulu tout de suite, mais au fond, n'était-ce pas là la vérité? Qu'est-ce-qu'on foutait Aaron? Pourquoi on agissait comme ça l'un envers l'autre? On foutait quoi bordel?!
Je t'ai fixé, et je t'ai vu plus abattu par ton comportement et le poids de tout ça qu'auparavant. Pourquoi cherche-t-on toujours à détruire ceux que l'on aime quand nous aime sommes au plus bas?

- Je devrais p'tetre te laisser. Je suis pas de très bonne compagnie aujourd'hui. Sauf si t'es prête à me supporter, mais j'aimerais t'éviter ça quand même.

Je t'ai rejoins assez rapidement et je t'ai fais une moue désolée, la plus sincère possible. Que dire? Que faire? Pourquoi on cherchait ainsi à se taper dessus plutôt que d'avouer qu'on allait mal et de s'aider? Ça aurait été tellement plus simple.

- Je te supporterai même si t'étais encore plus chiant que ça. Et Dieu seul sait que tu peux être chiant! Si je te le demandai... T'accepterai de nous supporter mon sale caractère et moi?

Je t'ai souris gentiment, comme une enfant l'aurait fait à son aîné, désolée.

- S'il te plaît Aaron. J'en ai marre de me battre.

Bon, j'aurais pas dû, c'est ça ? J'suis censé m'excuser une deuxième fois ? Je le ferais pas, j'en ai marre de devoir des excuses à tout le monde. Déjà à Haley… À Gae. À Ipiu ? À Destan, aussi… Un soupir m'échappe et je me passe une fois de plus la main sur le visage. J'me fais vieux, c'est ça ? Dites-le. Dites-le ça me fera du bien, je crois… Pourquoi personne est assez sympa pour vouloir me coller une baffe ? J'en aurais bien besoin, là. Au final, j'détourne les yeux en lui disant qu'il vaudrait mieux que j'la laisse là. Je rends les autres malheureux. Je sais faire que ça. Et ça me compresse la poitrine assez douloureusement de m'en rendre compte de cette manière.

Ludmila me rejoint cependant et esquisse un semblant de sourire désolé, devant lequel je baisse piteusement les yeux. Mes dents torturent mes lèvres une seconde. Pourquoi est-ce qu'elle ne part simplement pas ? Pourquoi elle me laisse pas seul ? Pour le moment, c'est ce que je mérite, nan ? Je comprends tellement pas les meufs, sérieusement… ça doit être pour ça que j'me tourne vers les mecs. AHAHAH. La vie c'est vraiment de la merde, en fait !

- Alors ne te bats plus …? je fais en esquissant une moue boudeuse. Et je te supporte déjà, sale teigne !

Je détourne les yeux, mal à l'aise. Avant de sourire, faiblement. J'capte vraiment pas ce que cette gosse a dans la tête. Moi non plus, d'ailleurs. Des fois y a des idées qui viennent, je sais pas d'où. Un peu comme maintenant.

- Allez, viens. T'as envie de faire quoi ? Faire grésiller des étincelles du côté des eaux, couper le courant dans le couloir des feux ?

Puis je tourne le regard vers elle. Sourit. Ben quoi ? J'ai jamais aimé les feux, j'suis sûre qu'elle non plus. Personne n'aime les feux, c'est bien connu. Suffit de voir leur tronche pour avoir envie de leur mettre la tête dans les toilettes…

- Alors ne te bats plus …?  Et je te supporte déjà, sale teigne !

Tu as eu une moue boudeuse, et puis tu as détourné le regard, comme mal à l'aise. Puis t'as faiblement sourit, et au final, ça m'a suffit. J'en demandai pas plus en faîte. Juste un sourire, prouvant que le Aaron que je connaissais, celui qui me faisait chier à longueur de temps, était toujours là, quelque part.
Sans un mot, je t'ai souris aussi, oubliant presque que tu m'avais traité de sale teigne, car au fond, si tu me supportais, c'est que d'une certaine manière, tu devais bien m'aimer un minimum.

- Allez, viens. T'as envie de faire quoi ? Faire grésiller des étincelles du côté des eaux, couper le courant dans le couloir des feux ?

J'ai ris doucement, sans émettre de commentaire et je t'ai ébouriffée les cheveux. Tu vois Aaron? C'était ça que j'admirai chez toi (et pourtant bon sang qu'il faut chercher pour savoir quoi admirer en toi... Oui tu peux me frapper): Ta manière de vivre. Tu étais toujours tourné vers ton passé, t'étais parfois déprimé ou en colère, et pourtant, il suffisait que tu croises un ami ou un proche pour que tu changes du tout au tout. Tu devenais souriant et avenant, pour ne pas nous inquiéter ou nous faire du mal. Tu voulais pas déranger. Pourtant, tu aurais pu.
Puis tu m'as sourit de nouveau, et j'ai souris, complice.

- J'ai toujours rêver de voir à quoi ressemblent un feu et son égo quand ils se cassent la gueule.

J'ai souris de nouveau, plus confiante et plus présente. Tu m'avais dis de ne plus me battre si j'en avais assez, mais au fond, c'étais pas ça. Il fallait juste que j'apprenne à choisir mes combats. Et toi aussi.
On ne gagnerait rien à se battre entre nous. Il fallait juste qu'on se batte contre cette partie de nous-même qui nous empêchait d'être heureux et de profiter de la vie. Plus facile àdire qu'à faire hein?

Tiens, c'est quoi cette lueur que je vois dans le regard de ma très chère amie Ludmila ? Hein ? De l'intérêt ? Certainement, oui. C'est bien ça, c'est bien. C'est beaucoup plus motivant, d'un coup. On laisse de côté cette petite parenthèse déprimante, qui aura quand même pris pas mal de notre temps cette après-midi, et nous commençons à marcher vers l'institut. J'me demande ce qu'on peut faire. Trafiquer le système électrique pour que les feux n'aient plus de lumière le soir... Oh, et couper la chaudière aussi ! Même si avec cette chaleur, les gens ont plus tendance à prendre des douches froide que brûlantes... J'effectue une moue boudeuse, à la recherche d'une idée.

- Oh, leur égo ressemble plus à grand-chose dans ces moments-là, j'te rassure.

Leur lancer des bombes à eau... ? DES BOMBES A EAU. OH MON DIEU J'AI EU UNE IDEE DE GENIE.

Je m'arrête net et lui chope le poignet pour l'entraîner avec moi jusqu'au magasin le plus proche.

- Il me faut des ballons !!

En plus ils croiront que l'attaque vient du district eau, et ce sera la guerre entre eux... Oh oui, ce serait tellement tellement telleeement drôle en vrai ! Ahaha je suis un putain de génie, vénérez-moi les mecs. Je la lâche et entre dans le magasin pour fouiller dans tous les rayons, pour voir s'ils ont pas des ballons. Rien du côté farce et attrapes, c'est quoi ces conneries ?! Ils sont en rupture de stock ? C'est pas carnaval que je sache ! On a pas de fêtes en ce moment nan ?! C'est pas comme si on prévoyait un mariage ou mon pot de départ, hein...

- Rahh mais ils en ont pas !

Je m'éloigne en rageant, coupé net dans mon idée, et en repassant dans les rayons pour sortir, je m'arrête net. Fixe la boîte de préservatifs bons marchés. ... Ludmila va me détester. C'est pas grave. Je l'attrape et sautille jusqu'à la caisse, sourire jusqu'aux oreilles. (La vendeuse me regarde bizarre, c'pas étonnant.)

- J'vais prendre ça !

Devant le regard choqué de Ludmila, que je m'attends à voir gueuler, je dis avec enthousiasme en ressortant :

- On peut en faire des bombes à eau ! Avouuuue c'est une trop bonne idée !

Vous voyez les étoiles qui brillent dans mes yeux ? Ouais ? Ben voilà. Cherchez pas, c'est normal.

- Oh, leur égo ressemble plus à grand-chose dans ces moments-là, j'te rassure.

J'ai ris et on a avancé vers les boutiques de nouveau. Décidément, cette journée était vraiment bizarre. Pis depuis quand tu faisais des conn.... Non laisse, j'ai rien dis, tu fais tout le temps n'importe quoi.
D'un coups, tu t'es arrêté avant de choper mon poignet pour me traîner de force jusqu'au magasin le plus proche.

- Il me faut des ballons !!

Oh non la bonne idée que tu venais d'avoir! Les feus aller déclarer la guerre aux eaux, qui comprendraient que ça ne pouvait venir que des tonnerres... On était foutu! Pis merde, c'était l'été!
Du coups tu m'as abandonné à l'entrée du magasin, et sans chercher à te rattraper, je t'ai attendu.
J'ai discuté avec la caissière quand on a vu revenu tout sautillant. Elle m'a même demandé si t'avais un problème mental. Ce à quoi j'ai répondu par l'affirmative (ben quoi?!). Sauf que dans ta main, c'était pas des ballons. Bon Dieu que t'étais con Aaron!
Je désespérai de te voir un jour adulte, responsable et mature. Oui, ce que t'étais censé être à bientôt 27 piges!
La caissière t'as regardé avec des yeux ronds, et moi de même. Et puis ça a fait tilte. Putain que t'étais con. Bon Dieu de merde, mais c'est quand que t'allais grandir? Ouai OK, compris: Jamais.

- On peut en faire des bombes à eau ! Avouuuue c'est une trop bonne idée !

Oui j'avais compris que t'étais content là. On est ressorti, et j'étais carrément éberluée. Et dire que t'étais prof de maths...
Je t'ai laissé sautiller et compagnie, désespérant dans mon coin. J'ai déjà dis que t'étais con? Il était où ton fucking cerveau?!

- [....]

Ben quoi?! Tu voulais que je te dises quoi?! J'ai réfléchis un instant, et puis finalement, je me suis dis pourquoi pas. C'était pas con comme idée (fin si mais je me comprends). J'ai souris doucement, amusée et j'ai approuvé.

- Bon Dieu mais comment il marche ton cerveau Aaron?!

Ben ouai, parce qu'elle est où ta logique à deux balles? Alors j'ai souris et je t'ai fais signe, avec un clin d’œil.

- Aller dépêche, on a un sale coup à organiser.