- "Ah. C'est en Amérique du Sud. De l'autre côté de l'océan Pacifique."

Bah oui, forcément, si elle n'était jamais sortie de son village, ça parait logique que sa géographie ne soit pas irréprochable. Surtout aussi loin de chez elle. Mais les explications ne me viennent pas encore naturellement !

Tout comme le choix de la couleur de mes tiffs ! Sérieux ? Bon, au moins ça veut dire qu'elle est un peu plus à l'aise que tout à l'heure.... Alors j'vais me concentrer là dessus et éviter de faire marche arrière immédiatement.

- "C'était juste le plus facile."

Concis. J'ai pas envie de m'éterniser sur le sujet, et ça tombe bien, puisqu'on rejoint bien vite le bâtiment qui nous ramène au sujet principal. Le fameux carnet. J'vois bien que ça la stresse de pas le trouver. Mais c'est pas en claquant des doigts que je vais lui ramener. J'ai pas encore de pouvoir j'te signal !

- "J'en sais rien. Mais si on regarde pas, on saura pas."

Aaaah et j'me retiens à mort de lui balancer que je ne suis pas voyante !!! Mais j'la vois bien qui est déjà toute tendue, alors je vais pas lui en rajouter une couche. Qu'on vienne pas me dire que j'suis juste un connard après ça !!

Bon par contre... J'veux bien essayer d'être cool, mais j'ai pas non plus l'intention de passer la nuit ici hein... Alors après avoir regardé le petit manège de la miss, je lui viens en aide. Nan parce que c'est quoi cette façon de faire là ?!

- "Tu risques pas de t'bruler tu sais, tu peux accélérer un peu..."

Je ne vois aucune autre explication logique à cet excès de précaution pris pour manipuler tous ces objets perdus. Je fais même gaffe à contrôler un minime ma voix pour ne pas qu'elle ait juste l'impression que je l'engueule...

Et comme j'ai du mal avec la patience, je joints le geste à la parole en l'aidant à fouiller dans tout ce bazar. Prenant sur moi pour ne pas seulement retourner cette caisse sur le bureau. Ça irait beaucoup plus vite. Mais j'ai comme l'impression qu'on risquerait de se faire virer avant même d'avoir pu finir d'examiner le contenu...

Bon, même en bougeant à pleine main tout ce bordel (les gens laissent vraiment ce genre de trucs ?!) j'ai pas l'impression qu'on se rapproche. Montrant les rares trucs roses que j'aperçois à Afya, à un moment donné, je crois bien avoir déjà vu passer cet étui à lunettes pour la quatrième fois. Et... Forcément ça commence à me saouler. Mais j'ai dit que j'allais lui filer un coup de main alors on va lui retrouver son foutu cahier !

- "T'as une autre idée ?"

Parce que moi, je commence à être à court !

Elle ne lui dit pas qu’elle n’a pas peur de se brûler mais de faire du mal à autrui. Elle ne veut pas parler de cela comme il ne veut pas parler de la couleur de ses cheveux. Chacun ses tabous, chacun ses secrets. Elle le laisse retourner la caisse de manière bien plus efficace que ce qu’elle faisait jusqu’à présent. Elle ne lui ment pas pour autant, ne lui dit pas de demi-vérité, elle garde le silence. Elle aurait pu lui dire qu’elle avait mal aux mains, ça aurait été plausible, mais elle ne sait inventer des histoires dans la précipitation.

« Merci. » dit-elle à nouveau.

Il brasse le contenu de la boite une fois puis deux. Il n’y a pas de carnets mais quelques objets roses se battent en duel. L’impatience de l’homme n’est que le miroir de la crainte grandissante de la jeune femme. Elle n’a aucune idée d’où le carnet peut bien se trouver, elle ne l’a pas vu se perdre en retraçant ses déplacements avec son pouvoir.

« Non. »

NON. Et ça lui fait peur. Elle a tout essayé, elle a couru partout et quand elle a réussi à se convaincre qu’il restait de l’espoir elle l’a perdu bien trop rapidement. C’est ce moment de désespoir que choisit un jeune homme qui se trouvait derrière eux pour intervenir, s’adressant directement à la bibliothécaire qui elle aussi semble perdre patience.

« Excusez-moi, vous en avez pour longtemps ? J’suis pressé, j’ai trouvé un carnet j’voudrais juste vous l’poser et partir. »

Le cœur de l’ivoirienne manque un battement et elle se retourne vivement vers le nouveau venu. Heureusement que cela ne fait pas partie de ses habitudes de sauter sur les gens pour les embrasser, car au vu de la situation et de sentiment de soulagement qui l’envahit.

« C’EST MON CARNET MERCI ! »

La bibliothécaire lui demande de ne pas crier, mais là elle s’en moque. Un sourire immense fend son visage, alors que le jeune homme lui tend son carnet sans trop comprendre ce qui est en train de lui arriver. Elle le serre contre  elle heureuse de le retrouver. Le carnet bien entendu, pas le jeune inconnu. Tout à sa joie, elle n’en reste pas moins elle-même. Le jeune quand à lui doit la trouver vachement bizarre car débarrassé de son poids file vers ses autres activités.
Le carnet est aussi kitch que l’on aurait pu s’en douter : rose avec des paillettes rajoutées au glitter  et des autocollants d’animaux comme on peut en trouver dans les papeteries ici. Un ange passe avant qu’elle se souvienne de la présence de Tiago et qu’elle se tourne vers lui tout sourire :

« On l’a retrouvé ! »

Bon, c'est la merde. Parce que je suis clairement pas le type le plus adapté pour remonter le moral à quelqu'un. Et si la miss se met à pleurer je vais avoir l'air affreusement con. Alors va falloir trouver une autre solution.

Mais par chance, LA solution nous tombe dessus. Comme ça, sortie de nulle part. Ce mec se pointe comme une fleur, le fameux carnet rose en main. Et je vois déjà une panoplie d'étoiles remplir les yeux d'Afya. Pas besoin de mots, je sais que c'est le bon. Ah, bah finalement on aura les mots aussi. Et quel enthousiasme !! Ouah, ça change de ce qu'elle m'a montré jusqu'ici. Elle réussit même à agacer la femme de l'accueil. Finalement, ce n'est peut-être pas une miss si parfaite comme je l'imaginais.

- "Ouais. J'suis content que tu l'aies retrouvé."

Bien sûr que c'est vrai. Je n'suis pas totalement dénué d'empathie. Et la voir avec ce grand sourire est beaucoup plus agréable que d'entendre des craintes répétées. Alors je remercie la bibliothécaire qui m'a laissé foutre le bordel dans sa caisse (que je n'ai pas retournée ! La caisse bien sûr...) et reprend la direction de la sortie.

- "Bon alors, j'ai le droit de savoir maintenant, ce qu'il a de si particulier ce carnet ? C'est un genre de journal intime c'est ça ? Et t'avais peur que le mec sur qui tu craques puisse tomber sur c'que t'as écris ?!"

Un sourire taquin collé au visage, j'ai quand même le droit de profiter de ce happy end (non non je n'en fait pas des tonnes !) ! Eh ouais, j'avais une sœur moi, je connais ce genre de préoccupations purement féminines ! Ouais, ça m'est peut-être même arrivé de me retrouver devant une de ces séries pour adolescentes. Mais c'est juste parce que j'avais pas le choix hein ! Imagine pas que ça puisse me plaire ! Enfin bref, tout ça pour dire que j'ai bien une idée de pourquoi les filles pleurent quand elles perdent leur carnet !

Ils prennent la direction de la sortie un peu guidés par le regard insistant de la jeune femme. S’ils comptent taper la discut ils le feront dehors, surtout à ce niveau sonore là. Les salles de travail en groupe sont déjà fermées à cette heure-là. Afya ne lui tient pas rigueur de son attitude, habituellement elle est bien plus discrète que cela. Peut-être un tantinet moins depuis qu’elle a vu Elena tenir tête à un homme qui lui reprochait de parler au club d’écriture. Seulement en cet instant le soulagement la fait planner quelques peu, lui permettant de dépasser les limites de bienséance qu’elle s’impose habituellement.

Il lui pose la question, lui demandant en quoi ce carnet est particulier, avançant des hypothèses tellement éloignées de la réalité que d’autres qu’Afya aurait pu en rire. Elle se contente de sourire avec douceur et ouvre le carnet pour montrer à Tiago la première page transformée en enveloppe par les mains habiles de sa meilleure amie. Heureuse elle devient bien plus loquace bien que ses mains et son carnet aient d’instinct retrouvé ses poches.

« Ma meilleure amie me glisse des mots dans cette enveloppe, je n’arrive pas à les lire car ils sont en espagnol mais je sais qu’ils sont là. C’est elle qui a décoré le carnet, alors il est important. J’ai un carnet journal intime à la bibliothèque posé entre deux livres où on écrit à plusieurs, je sais que ce que j’écris peut être lu alors je ne raconte que ce que j’ai envie de dire. »

Qui a dit un jour que les écrits restent, que les paroles s’envolent ? Elle n’en sait rien, mais elle avait toujours su qu’un secret ne restait secret que tant qu’il n’était pas partagé. Alors elle ne parlait pas de ses secrets et ne les écrivait encore moins dans un journal. D’ailleurs il n’y aurait pas eu grand-chose à écrire depuis son arrivée à Terrae. Elle était une jeune femme sage.

« Tu as déjà eu un journal intime ? »

Il semblait en connaitre pas mal sur le sujet, alors elle supposait qu’il le maitrisait. Pour elle tenir un tel journal n’était pas genré. Après tout elle partageait le sien avec deux garçons. Cela faisait quelques mois qu’ils correspondaient plus ou moins régulièrement. Parfois moins que plus, l’hiver elle avait du mal à sortir braver le froid, aussi n’avait-elle pas pris des nouvelles d’Alexander et de Chrys depuis plus d’un mois. Elle devrait remédier à cela. C’était elle après tout qui avait commencé à écrire dans ce journal.

Une fois les portes de la bibliothèque refermées derrière nous, je prends tout naturellement la direction du bâtiment où se trouve l'infirmerie. Non, je n'ai pas oublié. Ce qui ne m'empêche pas d'essayer d'en savoir un peu plus sur ce carnet qui m'a valu cette rencontre un peu... Percutante.

Et ça n'a pas l'air d'être un sujet secret défense, puisque Afya m'en montre même la première page. Alors, j'ai peut-être pas un sens artistique des plus développé, mais c'est vrai que c'est plutôt bien fait. Enfin, compte pas sur moi pour dire ce genre de truc non plus !

- "T'as jamais eu envie d'apprendre l'espagnol du coup ? C'est dommage de ne pas pouvoir lire ce qu'elle t'écris. Et... Tu parles quelle langue ?"

C'est que moi, à part l'espagnol et l'anglais, à la rigueur quelques mots d'italien (parce que ces ritals font du business partout !) j'y connais pas grand chose. Quant à savoir ce qu'ils parlent en Afrique... J'en suis loin !

Les mains qui s'enfoncent dans mes poches, je finis par les ressortir bien vite. Parce que la première chose qu'elles rencontrent, c'est évidemment ce paquet de clopes. J'ai pas envie de passer pour un toxico. De toute façon, j'suis pas encore en manque non plus. Faut juste que j'évite d'y penser. Et pour le coup, la question de la demoiselle chasse bien vite ces idées de mon esprit ! Si j'ai.... ? Ahah...

- "Heu... Nan, ça j'ai jamais eu. J'ai toujours préféré jouer dehors que de passer du temps à écrire des choses. Et puis, quand j'ai besoin de dire quelque chose, je préfère le dire à la personne concernée qu'à un cahier... Mais ma sœur aimait bien ces choses là, alors je connais un peu."

Bon, ce n'est sûrement pas difficile de capter que je trouve cette idée de journal intime inutile. Même si je peux comprendre que tout le monde ne dispose pas d'aussi peu de limites que moi, je ne risque pas de m'essayer à une telle pratique. En plus j'ai dit que c'est un truc de filles ! J'fais pas ça moi !

« J’aimerais bien, elle a essayé de m’apprendre un peu, mais c’est compliqué. »

L’enthousiasme de son amie ne fait malheureusement pas tout. Elles galèrent en enlevant et remettant les oreillettes pour se comprendre et finalement s’embrouillent. Quand elle est arrivée à Terrae, Afya parlait français et dioula, baragouinait aussi un peu en baoulé mais cette dernière c’était plus des expressions qu’elle entendait et répété qu’un moyen d’expression. A Terrae on lui avait appris un peu d’anglais, assez pour se débrouiller si elle était amenée à sortir dans Tokyo et on avait essayé de lui apprendre du japonais du coup… Elle n’y avait jamais rien compris.

Il faut dire qu’elle revenait de loin aussi, quand elle était arrivée elle n’avait quasiment jamais été à l’école. C’était trop cher et trop lointain pour que sa mère ne l’y envoie. Quand la petite école religieuse de quartier voisin avait fermé, elle n’en avait pas trouvé d’autres… Et même là, elle n’y était pas allée assez souvent pour apprendre ne serait-ce qu’à lire. Les préoccupations de sa mère pour elle et sa sœurs n’allaient pas à leur éducation, il fallait les nourrir et qu’elles soient capables d’être de bonnes épouses plus tard.

« Je parle français et toi ? »

Après tout il ne le lui avait pas dit, et il n’était pas certain qu’elle reconnaisse la langue si elle retirait sa puce. Elle n’en connaissait décidément pas beaucoup. Elle ne comprend pas pourquoi sortir jouer dehors et tenir un journal semblent si antinomiques dans la bouche du jeune homme. Seulement elle ne saurait pas formuler pourquoi cette pensée la dérange tant. Alors elle choisit un autre angle pour lui faire comprendre :

« Tu n’as pas peur d’oublier ? »

Car si on note les choses c’est bien pour cela non ? Pour qu’elles ne soient pas oubliées, elle ne le fait pas particulièrement… Sauf pour les idées de contes. Le temps efface les souvenirs qui ne sont pas accrochés aux objets ou aux visages des gens que l’on voit. Le temps commence à effacer le souvenir du visage de sa mère, il effacerait sans doute le souvenir de celui de sa sœur si elle ne le voyait pas chaque jour dans le miroir.

Elle n’a pas conscience qu’il compte la conduire à l’infirmerie, elle prend simplement la direction de l’institut avec la vague idée de regagner sa chambre quand cela sera fait. Elle est encore un peu euphorique d’avoir retrouvé le carnet. Elle ne se rendrait compte que bien plus tard qu’elle était redevable envers Tiago.

- "Moi... Bah je parle espagnol en fait. Il y a beaucoup de pays dont c'est la langue maternelle. Surtout en Amérique du sud."

Qu'est-ce que tu veux que je réponde à ce genre de question ?! Oui, bah j'allais pas lui dire direct, des fois qu'elle s'imagine que je voudrais bien lui faire la lecture ! Ou pire, que je me dévoue pour un rôle de professeur !

Non, parce que c'est juste marqué sur ma gueule que je suis absolument nul dans ce genre de rôle. Aucune patience et une tendance à gueuler un peu vite en traitant tout le monde de con, c'est sûr que j'ai rien de particulièrement pédagogue. Et ça tombe bien parce qu'enseigner, c'est typiquement le genre de truc qui me gonfle. Oui bah je veux bien essayer d'être cool, mais y a quand même des limites !

- "Si j'oublie des choses, c'est qu'elles ne devaient pas être si importantes. Le principal, je suis sûr que je ne pourrais pas l'oublier. Et puis, quitte à avoir un support, je préfère les photos."

Sûrement la seule raison pour laquelle je tiens à ce téléphone. Seul endroit où je dispose encore de certaines images de ma vie passée. Non pas que j'ai peur d'oublier leurs visages, je crois pas que ça pourrait arriver un jour. Mais ça reste bien plus évocateur pour moi.

- "C'est pour ça que t'écris ? Pour ne pas oublier ? Ça fait longtemps que t'es arrivée à Terrae ?"

J'essaie de comprendre cette panique d'avoir perdu ce carnet. Mais définitivement, même si les raisons sont là, lien avec sa meilleure amie et souvenirs associés, cette réaction me parait toujours aussi disproportionnée. Ouais je sais, j'suis pas le mieux placé pour parler de sang froid. Et c'est bien pour ça que je ne fais pas davantage de commentaires.

De toute façon on arrive déjà devant l'Institut. Entrant dans le bâtiment, je prends naturellement la direction de l'infirmerie, sans demander son avis à Afya. Bien sûr que j'ai pas l'intention de la laisser repartir je ne sais où les mains toutes écorchées. D'autant plus après avoir passé son temps à les frotter sur ses fringues. Tic que je ne comprends pas non plus, mais qui n'a pas dû arranger leur état.

Elle apprend de ce fait que d’autres pays que l’Espagne parlent espagnol. Cela ne la choque pas autre mesure, le français est parlé en Côte d’Ivoire, alors elle sait que les langues ne sont pas toujours palées que dans leur pays éponyme. Elle ne lui demande pas de lui lire les petits mots laissés par Ariana, cette tendresse est entre elles. Elle ne veut pas qu’une tierce personne s’y insinue. Elle préfère ne pas comprendre et garder tout cela pour elle.

Elle n’est pas certaine que l’on n’oublie que les choses sans importances, car ce qui avait de l’importance à un moment de la vie n’en a plus forcément quelques temps plus tard. Doit-on pour autant oublier l’importance qu’on y a porté ou simplement avancer en oubliant. Elle ne sait juger, elle sait qu’elle oublie des choses importantes et qu’elle souffre de ne pas réussir à se rappeler la voix de sa sœur. Est-ce parce que ce n’est pas important qu’elle l’a oublié ou simplement parce que le temps passe ? Elle n’a pas de réponse toute faite.
Elle se dit qu’avoir des photos cela pourrait être utile. Elle n’en a pas, sa mère en a deux ou trois de leur enfance, mais elle n’en a aucune. Elle ne portait que son pagne quand elle est arrivée à Terrae, cela elle ne l’a pas oublié. Il a de la chance d’avoir des photos, elle n’a que sa mémoire et cette dernière n’est pas fiable.

« J’écris plutôt pour ne pas être oubliée. »

Avant elle contait pour cela, les récits parfois millénaires se transmettaient encore de bouche à oreille alors peut-être que les siens perdureraient ? Les récits vivaient plus longtemps que ceux qui les avaient vécus et racontés. Alors dans sa vie ou tout était éphémère, elle essayait de léguer quelque-chose. Elle essayait d’exister, tout simplement, de se dire que sa vie n’était pas vaine. Comme chacun elle espérait juste laisser sa marque.

Ils arrivent à l’institut. Tiago prend la direction des dortoirs des filles, elle en conclue qu’il doit être nouveau et ne pas savoir où il va. Elle a la mémoire sélective et ne compte pas lui faciliter la tache.

« Les dortoirs des garçons c’est de l’autre côté. »

Il la détrompe sur ses intentions. Direction l’infirmerie et toutes ses protestations n’y font rien. Il n’est pas convaincu qu’un peu d’eau et de savon suffise, à tort ou à raison. Les mains de l’ivoirienne ont été malmenées par les graviers de l’allée. L’une est un peu plus entaillée que l’autre, le caillou l’ayant reçu ayant entamé un peu plus salement sa paume.

Ouah. Écrire pour ne pas être oubliée ? C'est chaud un peu non ? Ou c'est juste moi ?! Nan parce que... Être oubliée !! C'est carrément le pire truc qui soit !! Là j'ai presque de la peine pour elle. Et pourtant, c'est pas dans mes habitudes. Tellement que j'ose même pas lui demander pourquoi elle a peur de ça...

- "Ah... Eh bien, c'est un joli but... Enfin, j'imagine."

Putain mais qu'est-ce que je peux dire à ça moi ?! Ouais il me manque une certaine sensibilité pour ce genre de trucs j'sais bien. J'suis carrément embêté et j'ai pas trop l'habitude d'ailleurs, c'est bizarre. Mais heureusement, on arrive enfin à l'intérieur de l'institut.

Et... Visiblement le changement de sujet vient de lui-même, puisque la miss s'imagine encore que je veux m'incruster dans le dortoir des filles. Ou, que j'ai oublié à quel endroit se trouve celui des mecs....

- "J'ai pas l'intention de m'enfermer dans un dortoir tout de suite. Je t'emmène déjà faire quelque chose pour tes mains. Il doit bien avoir du désinfectant et des pansements à l'infirmerie. Tu vas pas rester comme ça. Pas la peine d'essayer d'y échapper."

Oui, bah j'me sens un peu responsable, même si effectivement, c'est pas moi qui courait sans regarder où j'allais. Mais voilà, c'est comme ça. Donc, hop, à l'infirmerie. Et je m'assure que la demoiselle suive correctement. Oui, j'suis un peu borné en règle générale...

Donc, comme j'suis à peu près bien élevé quand même, je toque quand même avant d'entrer. Mais, juste à peu près hein, donc je vais pas poireauter trois plombes devant cette porte en attendant que quelqu'un daigne donner son autorisation. Et ouvre la porte sans patienter davantage.

Je lance même un "bonjour" pour bien avertir de notre arrivée. Bon, il y a l'air d'y avoir un peu de monde. Alors, je commence à regarder ce qu'il y a de dispo sur ces étagère. Bah, si c'est laissé à la vue de tous, c'est bien que ça doit être en libre accès...

- "Fais voir tes mains."

Ah oui, j'ai aussi tendance à tout faire moi-même.... J'aime pas trop demander aux autres. Quitte à ce que ça fasse un peu trop !

« Un peu de savon et d’eau et elles seront comme neuves ! »

Bien tenté Afya, bien tenté mais la peau ne repousse pas aussi vite que ça. Elle se voit obligée de le suivre bien qu’elle n’en ait aucune envie. Peut-être que l’infirmière sera encore là et acceptera de la soigner, mais rien n’est moins certain. La nuit est tombée et elle doit avoir fini sa journée, pourtant Afya lui aurait laissée toucher ses mains car elle sait qu’elle aurait pris les précotions nécessaires. Elle lui avait dit qu’elle portait des gants pour lui faire des prises de sang pour ne pas risquer de s’infecter et qu’elle était désolée si c’était désagréable. Cela ne l’était pas, elle savait y faire malgré la peau sombre de l’abidjanaise elle ne loupait jamais sa veine. Elle contrôlait plusieurs fois dans l’année son taux de lymphocytes et sa charge virale. Lui donnant les résultats elle lui disait toujours que c’était très bien et que tour allait bien. Afya aimait beaucoup l’infirmière.

L’infirmière n’est pas là mais ils rentrent tout de même dans l’infirmerie, comme toutes les salles de Terrae ou presque elle reste ouverte toute la nuit. Les médicament dangereux restant gardés sous clef, il restait important que les pensionnaires puissent guérir leurs petites plaies à toute heure de la journée.

Tiago lui intime de lui montrer ses mains, ce qu’elle n’acceptera pas de faire. Elle refuse qu’il les touche. Elle refuse qu’il se contamine. Elle ne veut rendre personne malade.

« D’accord, seulement si tu mets des gants. »

A cette condition elle accepte. Il faut qu’il se protège. Il proteste un peu, mais finit par accepter [j’peux modifier au besoin] et elle lui tend ses mains malmenées. Leurs paumes sont claires et légèrement entaillées en divers endroits. Elle n’est pas tombée de bien haut, mais elle est mal tombée. La plus grosse de ses plaies n’est pas très propre, elle ne semble pas profonde mais l’entaille n’est pas rectiligne et s’il ne semble qu’aucun gravier n’y soit resté coincé à première vue elle périte d’être bien désinfectée.

Des... Gants ? Elle est sérieuse là ?! Bien sûr que je pige pas pourquoi elle voudrait que je mette des gants ! J'ai pas l'intention de me lancer dans une chirurgie ou je ne sais quoi là ! Juste m'assurer qu'elle ne se contente d'essuyer le surplus de sang sur ses fringues en guise de soin. Mais elle n'en démord pas et veut ces satanés gants !

- "Ok c'est bon, j'vais les mettre. Mais j'pouvais aussi juste me laver les mains tu sais ! C'est rien qu'un peu de sang."

Bon, après avoir fouillé dans toutes ces étagères (y en a du bordel !!) je finis par être équipé ! Putain, c'est bizarre dis comme ça... Mais bon, tu vois l'idée. Parfaitement protégé (non, c'est décidément beaucoup trop chelou...  J'arrête) Afya accepte enfin de me laisser voir ses mains. Bon, c'est pas top mais ça va, rien de grave non plus.

Alors hop, j'attrape le désinfectant et du coton, un pshit pshit, je commence par la main la moins abimée. Elle n'avait pas l'air du genre chochotte déjà. Je fais gaffe bien sûr, j'ai pas l'intention de me conduire comme brute non plus, je sais bien que ça peut picoter et que ce n'est jamais agréable. Mais j'suis pas infirmier non plus...

- "Ça va ?"

Nouveau pshit pshit nouveau coton en passant à l'autre main, faut vraiment pas de chance pour s'ouvrir la main comme ça avec une stupide chute !!

- "Ça a pas l'air bien méchant. Et ça ne saigne plus. Tu peux rester comme ça mais fait quand même gaffe à pas la rouvrir. En plus, ça doit pas être pratique d'écrire avec les paumes de main abimées."

Ouais ouais, bah j'fais ce que j'peux hein. Je me sens encore affreusement ridicule, mais c'est bon, il n'y a pas trop de monde pour en juger... Forcément, soigner des blessures c'est le genre de truc auquel je suis habitué. Pas comme si j'avais évolué dans un cadre particulièrement calme et sécurisant.

Mais il y a quand même une différence entre recoudre à vif un gros dur à cuire parce qu'il ne peut pas mettre les pieds à l'hosto, et se retrouver à désinfecter quelques égratignures pas super jolies sur une jeune femme tombé par terre... Même si la deuxième option reste plus sympa. J'crois que j'vais me ramollir ici... Va falloir que j'me reprenne un peu !

Rien qu’un peu de sang. Ces mots, elle ne les reprend pas mais ça fait mal quelque part au fond, parce qu’elle sait que ce n’est pas rien qu’un peu de sang. Son sang, n’est pas propre. Son sang est dangereux, son sang est un poison et elle doit faire attention pour qu’il n’arrive pas aux autres ce qu’il lui est arrivé. Elle fait comme si elle l’oubliait, elle vit comme si de rien n’était mais la maladie est là. Alors certes, elle n’a pas maigri, certes elle n’est actuellement pas souffrante, mais elle est malade. Elle le sera chaque jour de sa vie, et ça pique le cœur. Ça pique les yeux, elle regarde dans le coin pour empêcher une larme de couler, espère qu’il prendra ça pour de la douleur et non pour un bleu à l’âme.
Elle ne dira rien de plus, il portera des gants, et elle lui sourira alors qu’il regardera ses plaies. Lui dira que ça alors que cela ne va pas vraiment, elle s’en veut d’être comme ça. Elle s’en veut que cela lui soit arrivé à elle. Elle avait juste réussi à oublier. Ça aussi ça ne devait pas être bien important : la culpabilité. Il désinfecte, elle ne scie pas. Ça pique un peu mais pas assez, telle une enfant elle aimerait que le piquant guérisse tout. Si ça faisait plus mal peut-être qu’elle pourrait guérir ?

« Je ferais attention, je n’ai rien à écrire de toute manière ça devrait bien se passer. »

Elle sourit, essayant de se convaincre que tout va bien et qu’elle ne se sent pas trop mal. Elle pense alors à profiter de l’homme qui lui fait face d’une manière bien étrange.

« Tu pourrais me bander les mains quand même pour que je ne risque pas de salir ce que je touche ? »

C’est ainsi qu’elle profite des gens, leur demandant des services sans doute étranges… Mais puisqu’il est ganté il ne craint rien non ? Elle n’a sans doute rien compris à sa maladie, et c’est peut-être le plus triste dans cette histoire. Elle ne comprend pas alors elle ne peut pas avancer sereinement. Elle a peur de beaucoup de choses qui n’ont aucune importance mais à contrario ne se préoccupe pas de situations porteuses d’un réel danger. Elle fait ce qu’on lui dit, sans savoir pourquoi cela est bénéfique pour elle ou pour les autres.

Bien sûr que le vois cet air tout triste. On se trouve juste à quelques centimètres l'un de l'autre. Il est bien loin ce grand sourire de quand elle retrouvait son carnet. Mais une fois de plus.... J'ai appris à gérer les blessures physiques, pas de soucis. Pour le reste en revanche, je viens pas vraiment d'une famille où on confie ses doutes et ses peines.

Alors les mots restent un peu bloqués. C'est pas que j'veux pas. Ça m'embête de la voir comme ça, évidemment. Pourtant, je reste muet le temps de terminer cette petite désinfection, tout en restant concentré sur ses mains. Parce que c'est décidément ce que je peux faire de mieux.

En revanche, lorsqu'elle me demande de lui bander les mains, je ne peux m'empêcher de la regarder d'abord avec un air étonné. Ça n'a rien d'hyper agréable ou même pratique, et la situation ne l'exige pas spécialement. Mais je troque bien vite mes yeux arrondis pour un sourire amusé. Comme si je venais de trouver une échappatoire à cette étrange tension que je sentais se faire dans la salle.

- "Si t'aimes juste que je m'occupe de toi, tu peux le dire sans détours. Pas besoin de trouver des excuses ! J'vais pas le prendre mal."

Ah, ouais, là je retrouve un terrain que je connais beaucoup mieux !! Et qui réussi à m'enlever ce poids que j'avais dans la poitrine jusqu'ici. Un ton plus léger retrouvé, j'attrape tout de même un rouleau de bande et un gros scotch blanc avant de me retourner vers la miss. Je vais lui faire ses bandages si c'est ce qu'elle veut.

- "Allez, on va t'empêcher de salir quoi que ce soit. Même si pour ton leggin ça a l'air un peu trop tard !"

Je comprends un peu mieux cette manie de s'essuyer constamment du coup. Ou de mettre des heures pour manipuler les objets qu'il y avait dans cette caisse... Alors si ces bandages peuvent lui permettre d'être plus sereine, pourquoi pas. C'est peut-être parce que j'y suis habitué que de voir des traces de sang ne me dérange pas particulièrement.

J’me permets rarement d’intervenir ainsi dans le récit d’Afya, mais je dois avouer que le plat de ma main a rejoint violement mon front quand j’ai lu les paroles de Tiago. J’ai ensuite eu une petite discussion avec cette dernière, et elle n’a nullement compris les sous entendus du mexicain. Non, elle ne peut pas les comprendre, et elle ne voit pas pourquoi elle le détromperait d’ailleurs si de la sorte il accepte de l’aider encore à lui bander les mains. Elle est épuisante je tiens à l’dire, et c’est peu dire. Elle se contente de tenter un sourire malgré son humeur orageuse. Un remerciement silencieux, pour ne pas avoir chercher à savoir, et pour tout le reste aussi.

« Tu as raison, je vais devoir le retirer dès que je rentre. » dit-elle en parlant du leggin, peut-être même le jeter ? Elle ferait mieux de le mettre dans un sac et de revenir poser la question à l’infirmière le lendemain. Un lavage pourrait être suffisant ? Elle n’a pas énormément de leggins différents, et seulement deux sont assez épais pour la saison froide. C’est d’ailleurs grâce à son épaisseur qu’il n’est pas ne serait-ce que rappé.

Elle avait presque oublié qu’elle l’avait sali, elle se lève pour vérifier qu’elle n’a pas laissé de taches sales sur la chaise où elle est assise. Ce n’est pas le cas, alors tant mieux, il n’est pas contaminé. Le jeune homme lui bande les mains avec dextérité, on dirait qu’il a fait cela toute sa vie. Est-il lui-même infirmier ? Mais alors pourquoi portait-il du coca quand ils se sont rencontrés ? Elle ne sait pas mais n’ose pas le demander.

« Merci de ton aide Tiago, si un jour tu as besoin de quoi que ce soit n’hésites pas. »

Afya. NON. Ma belle, tu ne peux pas faire ça avec un type comme Tiago. Genre tu viens de promettre ton âme au diable, et je ne dis pas ça parce qu’il est feu… Mais tu pourrais te retrouver à dealer de la coque avant de t’en rendre compte.

Ok là... J'avoue qu'elle me perd carrément ! Nan mais parce que quand je dis un truc de ce genre, en général la nana en face, soit elle m'envoie chier, soit elle rentre dans mon jeu. Ou au pire elle devient écarlate et baragouine que c'est pas ça du tout. Là... Rien du tout.

Ou plutôt si justement. Elle me dit comme ça qu'elle va se foutre à poil en rentrant. Plus ou moins oui. A ton avis, comment ça s'imbrique dans mon cerveau tout ça !! Le problème, c'est que l'attitude qu'elle garde ne colle absolument pas avec les conclusions un peu trop cools auxquelles j'arrive. Bien sûr que c'est perturbant !

Ah, différence de culture ! C'est vrai, j'avais oublié ça. Ouais, je vais rester focus là dessus, ce sera plus sûr. Ca m'évitera de m'entendre lui proposer de se débarrasser de son pantalon sans plus attendre. Ouais ouais c'est mal, mais je contrôle pas le flux d'idées qui me traverse l'esprit non plus ! C'est déjà pas mal que je contrôle ce que je peux dire. Alors... J'oublie le sujet (ou plutôt j'essaie de le laisser de côté) et termine de mettre en place ces bandes.

- "Bah, t'inquiète. C'est pas comme si j'avais un emploi du temps surchargé. Mais, ça marche. Si j'envisage de changer de couleur de cheveu un jour, je penserais à venir te demander ton avis !"

Un clin d'oeil en prime, bien sûr que je déconne quand je dis ce genre de truc ! Déjà que je demande rarement de l'aide (quitte à subir un échec critique en suivant), mais je risque pas de demander quoi que ce soit à une fille en plus ! J'ai certains principes quand même !

- "Ça va aller maintenant ? T'as bien ton carnet avec toi ? C'est que j'ai encore des bouteilles à récupérer, avant que quelqu'un ne décide de les emmener je ne sais où...."

En vrai... J'en ai pas grand chose à foutre de ces bouteilles. Et si je dois me faire engueuler bah... Ce ne sera qu'une fois de plus. C'est juste que là je me rends bien compte que j'ai besoin de remettre un peu d'ordre dans mes idées. Et pour ça, vaut mieux que je sois seul !