Nicolas commence tout juste... mais alors TOUT JUSTE... à réaliser qu'il est Master. Ça fait un an hein, mais il est lent notre garçon. Il a déjà ressenti les Appels de Novices perdus dans le monde. Comme des lumières qui étouffent dans la zone aveugle de son champ de vision. Mais celle-là était différente... Celle-là pointait directement à l'endroit d'où Nicolas était parti. GROSSE AMBIANCE DANS LA SALLE DE RÉU. Cerise sur le banana-split quand il pense reconnaître la pauvre âme à la dérive, et qu'il réagit aussitôt. Il ira la chercher. Il n'était pas inquiet, il n'était pas stressé. Ce n'est pas parce qu'il ne voulait pas qu'un Master autre que Ronron voit la désolation du village où il avait grandi. Ce n'est pas parce qu'il pensait qu'ils étaient en danger. C'était juste... sa mission. Il sait comment lui parler, il sait les codes, il connaît la situation. Tactiquement, c'était la meilleure chose à faire.

C'est la liste des arguments qu'il a donné en tout cas pour pouvoir y aller. Même s'il se doutait quelque part que les autres lui faisaient confiance, un petit rassurage de Papou ne fait jamais de mal.

Il s'est téléporté dans les bois et il a aussitôt fait la grimace. Il fait nuit, il pleut des trombes et l'odeur des différentes usines et de la station d'épuration ne lui avaient pas manqué. Il regarde autour de lui, personne. Sans perdre de temps, il s'avance entres les arbres, reconnaissant la zone grâce à eux. Il sauta au-dessus des ronces plutôt que de faire le tour, sachant bien que ses rangers le protégeaient. Il prit quelques minutes avant de rejoindre les abords du village. Les lampadaires étaient éteints, le soleil n'allait se lever que dans plusieurs heures. Il se déplaça dans les ombres des bâtiments, plus par habitude que par réelle inquiétude... C'est fou comme la simple vu de ce coin du village l'avait aussitôt ramené à ce qu'il était.

Il arriva lentement jusqu'à ce "Foyer", quartier général du gang d'Amadéus, ancienne masure en ruine qu'ils réhabilitaient depuis son départ... Quand il était venu avec Aaron, c'était encore en travaux. Aujourd'hui, il y avait une porte. Avant d'aparaître dans la lumière, Nicolas fouilla la zone des yeux, comptant sur le brouhaha de la pluie battante pour couvrir le bruit de ses déplacements. Il étendit ses perceptions et ne capta que deux âmes à l'intérieur... Être Sensitif lui facilitait tellement la tâche qu'il se demandait comment il faisait autrefois. ...Toutes les réponses sont gravées dans sa mémoire. Il arriva rapidement devant la porte fermée, vérifia l'état de la serrure, puis les gonds de la porte, le simple verrou... et opta pour la bonne vieille technique de la carte. La porte étant vieille et pas du tout adaptée au cadran -la récup' à ses limites-, de quelques coups de pieds et d'un mouvement de poignet, Nicolas réussit à ouvrir la porte sans trop de soucis. Il souffla en pensant pour lui que le gang avait bien changé si c'était aussi facile... Le quartier général dans les bois était peut-être inconfortable et petit mais au moins rien n'était à portée du premier venu.

Il ouvrit la porte et fut surpris par l'attaque... Ok il l'avait cherché pour avoir pensé du mal de la sécurité du lieu mais merde, c'est pas un accueil ça ! Son attaquant, épée en avant, voulu le surprendre directement et le gêner autant que possible dans l'étroit couloir qui servait d'entrée. Nicolas s'accroupit pour éviter la première attaque qui visait clairement ses épaules et fit un bond en avant pour rencontrer au plus près son adversaire, son point faible. Il se saisit de ses poignets et le plaqua directement au mur trop proche. Des yeux verts pastels, nuancés d'éclats d'or et bleutés, dont la pupille paraissait se mélanger à l'iris avec son cœur sombre, le fixent avec rage avant de le reconnaître, d'arrêter de se débattre et de lâcher son arme. Nicolas, de son côté, lui sourit simplement, dévoilant ses canines. :

-Hey Rat. Moi aussi je suis content de te revoir.

-Loup ?

A l'annonce de son nom de code, celle qu'il était venue voir déboula dans le couloir, yeux écarquillés. Nicolas lâcha son ancien collègue pour lui faire face, un sourire plus doux sur ses traits, les bras écartés. :

-Salut Vipère.

Dis-moi... Quel dernier retranchement te fait avoir le Vide aussi tard ?

Même en pleine crise d'angoisse, il faut avoir ses priorités. Il faut connaître son corps pour savoir quand exactement s'arrêter et se concentrer sur l'essentiel. C'est pas une chose facile, c'est un entraînement constant... Et Justine avait vécu assez longtemps pour savoir quand laisser la peur prendre le dessus et quand se battre pour survivre. Alors quand elle a entendu la porte sur le point d'être fracturée, elle a tout de suite su taire ses sanglots, sa panique, ses tremblements et est redevenue Vipère... Pas en un claquement de doigt, c'est impossible, mais assez rapidement pour se plaquer au mur, au croisement du couloir et de la pièce principale, laissant Rat se placer pour attaquer de front, lui permettant, elle, de préparer une aiguille empoisonnée, dans le silence absolu du Foyer au milieu de la nuit. Des questions traversèrent son esprit : était-ce la Marque ? venaient-ils envahir leur Foyer et demander leur dû ?... Elle secoua la tête pour les ignorer et se concentrer sur ses armes. Peu importait, c'était encore leur territoire jusqu'à preuve du contraire, elle allait se battre jusqu'au bout pour défendre sa maison.

Il y eut le bruit d'une altercation, Justine fut choquée par sa brièveté. Rat avait-il déjà mis hors d'état de nuire leurs envahisseurs ?... Était-il seul ?... Pourquoi ne donnait-il pas le signal pour qu'elle lui vienne en aide ? Puis il y eut le bruit de la lame percutant le sol... et le nom de code reconnaissable. Elle se décala d'un mouvement du mur tout en se tournant pour faire face au couloir. C'était bien Loup. Il n'avait rien à voir avec le gamin maigre avec qui elle avait grandi, ou à cet adolescent sombre qu'elle avait revu il y a maintenant trop longtemps. Il avait ÉNORMÉMENT grandi... et avait les cheveux noirs. Sans comprendre elle s'attacha à ce détail lui faisant vraiment comprendre qu'il était vraiment là. Elle rangea ses aiguilles dans leur boîte accrochée à sa cuisse en s'avançant lentement. :

-C'est vraiment toi...

Comme un mirage, Loup avait décidé de débarquer au pire moment qui soit. Elle ne sait pas si c'est le karma, le destin, n'importe quel Dieu de la création mais à ce moment, ça n'a pas d'importance... Elle a couru pour sauter au cou de son ami et plaquer ses lèvres contre les siennes, fort, comme pour être vraiment, vraiment, vraiment sûre que c'est bien lui, qu'il est bien là. Elle le lâcha ensuite pour se plaquer tout contre lui... Il était immense maintenant, elle disparaissait dans son cuir mais sa chaleur n'avait pas changé, elle. Elle se surprit à sourire.

Elle n'avait pas observé la réaction de Rat à l'arrivée de leur ancien collègue et ami, et avec du recul, elle se dit qu'elle aurait dû. Il eut un silence mais elle sentit très vite quelqu'un se coller à elle dans son dos et elle leva la tête, inquiète. Rat était à quelques centimètres du visage de Loup, les traits ne cachant rien de sa colère. ...C'est qu'elle allait étouffer s'ils restaient comme ça ! :

-Tu as du culot pour croire que tu es le bienvenu ici.

Elle soupira. Évidemment. D'aussi loin qu'elle se souvienne, Loup et Rat ont toujours eu du mal à se comprendre. Pas à "s'entendre" nuance ; elle les avait déjà vu échanger poliment, se supporter assez pour réussir leurs tours de garde et missions, même rire une fois ! Mais se comprendre, non jamais... Il y avait toujours cette tension malsaine entre eux, un affreux gouffre qui avalait tout et ne les laissait jamais construire un pont. Nan, le pont c'était elle. Et elle allait devoir agir avant que ça ne tourne vinaigre, comme elle l'avait vu trop souvent.

Justine leva les bras pour tapoter leurs joues et attirer leur attention. D'un regard elle indique clairement aux garçons, pas seulement Rat, que ce n'était pas le moment. Et qu'elle était prête à les foutre dans le coma s'il y en à un qui haussait trop le ton à son goût. Après ce court échange muet, elle se tourna vers Loup et lui fit signe de se pencher... Il était trempé. :

-Viens par là, on a des serviettes... Tu veux un café ?

Nicolas a vu son amie lentement réaliser qui il était... avant de courir à fond vers lui. Sans doute pour avoir assez d'élan pour sauter. Elle n'avait pas grandi du tout depuis sa dernière visite ?? On dirait bien que non et- WOOOH ! Il avait complétement oublié ce détail ! Vipère saluait les personnes en qui elle avait confiance en les embrassant. Alors oui c'était un détail pour Nicolas quand il était plus jeune parce qu'il comprenait pourquoi. Vipère pouvait tuer d'un baiser -ou de bien moins que ça-, c'était une preuve de confiance mutuelle qu'elle offrait. A cette époque, il en avait rien à foutre de ses lèvres, de celles des autres ou de quoi que ce soit en fait. Il était tellement en mode survie que le "bisou de Vipère" était normal, donc un détail oubliable... Mais bon depuis il a été à Terrae où du coup, il a appris LE normal des gens normaux... ok pardon : quasi-normaux... Et il a un petit ami. Dooooonc... ouais il va rien dire tout de suite parce qu'il a pas envie de lui briser le cœur mais c'est sur la liste des choses qu'il faudra absolument lui dire avant de la lâcher dans Terrae, c'est clair et net.

Il la laisse se blottir contre son torse, sa chevelure rousse disparaissant dans son manteau de cuir quand il perçoit de côté, le mouvement de Rat qui semble s'être remis de ses émotions. Il réalise à quel point ils ont tous un peu changé à ce moment... Vipère était habillée de manière bien plus classe qu'avant ; une robe noire simple mais qui la mettait en valeur. Il n'arriverait jamais à se faire à ses cheveux teints, l'ayant trop connue avec sa couleur noire naturelle. Elle était plus ronde, en forme, ça change de ses airs malingres. Rat était... plus petit que lui ?! Il le réalisa quand il se rapprocha et qu'il dut baisser les yeux pour affronter les siens. Il aurait jamais cru voir ça un jour... Rat, qui lui avait toujours paru imposant dans ses souvenirs, était en fait bien plus fait de finesses... Il était tellement surpris qu'il n'a pas pris la mouche en l'entendant dire qu'il avait du culot de venir ici... Il l'a pris comme une bonne raison de continuer à être culoté. :

-Aaaw... Toi aussi tu m'as manqué.

La filsdeputerie de retour. Yep. Ça aurait pu déborder, comme à chaque fois qu'ils se faisaient face, mais Vipère était là pour veiller au grain. Elle a claqué leurs joues, les séparant de manière efficace et rapide avant de leur lancer ce regard vide et ce sourire froid. Son visage était souvent une énigme pour ceux qui ne la connaissaient pas, et même lui qui avait grandi avec elle avait parfois du mal à lire ses expressions. Mais avec ou sans pouvoirs, le doute n'était pas permis ; soit ils arrêtaient maintenant, soit elle les arrêtait. Et Nicolas ne pouvait pas s'accorder une sieste de plusieurs heures quand il devait rentrer à Terrae le plus tôt possible.

Ils s'écartèrent donc et Nicolas se pencha à son signal pour qu'elle tâte son manteau, son visage, ses cheveux... Il risquait pas de sécher de si tôt alors ses propositions lui firent plaisir à entendre. :

-Je veux bien, oui.

Il la suivit dans le couloir sous l'œil mauvais de Rat qui ferma la marche. Il était pas le bienvenu mais il ne lui donnerait pas l'occasion de s'enfuir ? Ok. Contradictoire mais ok hein... C'est pas comme s'il comprenait quoi que ce soit aux émotions qu'il dégageait de toute façon. Un fouillis ce gars. Pour quelqu'un qui se montrait toujours discret au point qu'on entende jamais ses pas, il était ultra bruyant à l'intérieur.

La pièce principale était presque cosy, faite de pleins d'objets de récup'. Des poufs et fauteuils variés, d'un buffet auquel il manquait un pied, le faisant se pencher en avant et d'un comptoir derrière lequel s'était installée Vipère après lui avoir trouvé une serviette propre qu'il réceptionna. Il poussa un soupir en s'asseyant à un tabouret de bar, secouant frénétiquement sa crinière trop longue... Il n'y avait pas seulement ses anciens collègues qui avaient changé... Le quartier général aussi. Était-ce pour ça qu'elle ressentait le Vide ?... Non, la connaissant ça n'avait pas de sens. Est-ce qu'il fallait qu'il mette les pieds dans le plat directement ? Il souffla de nouveau, cette fois plus tristement, avant de placer la serviette sur le comptoir, se coiffer vaguement d'un bref passage de ses doigts entre ses mèches noires et retirer son manteau de cuir. :

-Est-ce qu'il s'est passé quelque chose de grave ?

Bon, technique des pieds dans le plat, let's gooo !

Justine alla rapidement derrière le comptoir pour activer la bouilloire. D'un regard, elle demanda à Rat s'il voulait lui aussi un café. Il hocha la tête. Elle sortit donc deux tasses, mit quelques cuillérées de café lyophilisé bon marché et les remplit d'eau chaude le temps que Loup sèche ses cheveux. C'est quand elle dépose les tasses devant les garçons que Loup pose la question. Il n'y eut aucun mouvement sur son visage, pas l'ombre d'une micro-expression. Elle plongea juste son regard dans celui du Loup, jeta un coup d'œil à Rat qui semblait plus intéressé par sa tasse qu'à l'idée de renvoyer bouler leur ancien collègue d'une autre pique. Vipère réfléchit brièvement. Est-ce qu'elle devait vraiment lui en parler ? Il était parti, avait quitté tout ça. Mais il était là... Arrivé au bon moment. Elle ne savait pas comment. Elle s'appuya au comptoir, se penchant un peu en avant sans le quitter des yeux. :

-C'est la Marque. On a trop de succès, ils nous ont repéré. Ama leur a cédé le gang. Il n'y a plus que Rat et moi pour gérer la boutique avant qu'il ne leur prenne l'envie de tout prendre... Le matériel, les marchandises,... les petits.

Elle n'est pas sûre mais elle a l'impression de sentir les larmes sur le point de faire leur retour. Elle se redressa en prenant une profonde inspiration, les bras croisés sous ses seins. Vipère fait son compte-rendu à Loup, ce qu'elle n'avait pas fait depuis si longtemps. Ça lui avait manqué. :

-Le risque, si on démantèle, c'est de laisser les petits dans la misère. On aura le soutien de Cynthia, c'est évident, mais elle n'a pas encore fini ses études, n'a pas autant de poids au Conseil Municipal, même grâce à l'argent de son père. Autre risque, quelqu'un de bien moins intentionné pourrait en profiter pour récupérer tout ça.

-Les marchandises ?

-Revente massive des stocks d'alcool, c'est pas les clients qui vont se plaindre. De même pour les munitions. Le plus difficiles sera les plants. Soit on crame tout pour ne laisser aucune trace, soit on laisse quelques plants aux plus âgés qui pourront sans servir pour tenir le coup dans les temps difficiles... Et ce qu'on aura amassé servira à soutenir les plus jeunes. Dans tous les cas, il y a beaucoup de risques.

-Vous avez arrêté la MD ? La C ?

-Bien sûr que non. Mais la weed a plus de succès ici tu sais bien. On a surtout misé là-dessus ces dernières années alors ce sera moins difficiles de refourguer les drogues qu'on ne fait pas nous-mêmes.

Cet échange lui rappelle tous ces moments passés avec eux après la guerre avec les Vikings... Quand ils se retrouvaient dans les bois, dans l'ancien quartier général, autour d'une vieille table d'école en bois où l'on trouvait encore le trou pour l'encrier. Les cartes du village et des alentours étalées devant eux, en train de s'organiser pour sauver le gang... et maintenant, il s'organisait pour le détruire. Elle massa brièvement ses bras, comme pour se rassurer, avant de hausser les épaules et de sourire à Loup. :

-Alors tu vois, rien de forcément grave !

Rien qu'en entendant le nom de la Marque, Nicolas comprend bien la situation. Il n'a jamais eu l'occasion de croiser un membre de ce gang, puisqu'il n'est que trop rarement allé dans la ville d'à côté, et c'est vraiment une chance. Ces hommes n'étaient pas des blagues. C'était pas une troupe de gamins paumés comme dans le gang d'Amadéus, c'était pas des trentenaires qui savaient pas quoi foutre de leur temps après être sortis de taule comme les Vikings. La Marque avait des hommes qui possédaient des hôtels et des intérêts dans tous les domaines. Les explications étaient clairs et concises, comme les comptes-rendus de l'époque. Il s'est aussitôt mis dans le même état d'esprit du coup. Il s'avança, accoudé au comptoir, ne fut pas surpris que Rat rejoigne la conversation, lui aussi penché en avant. Les anciens Capos d'Amadéus. Sept ans plus tard. Même ambiance.

La réaction de Vipère ne le convainc pas. Il sent sa souffrance qui enfle un peu plus, le Vide comme un phare aveuglant dans la tempête de ses émotions, et elle perdue dans une simple barque ballotée par la fureur de l'océan. Ça fait mal. :

-Et vous ?... Vous allez faire quoi ?

La question qui fâche ici. Nicolas le sait bien, il en a fallu du temps avant qu'il sorte de son mode de "survie", à penser à lui de temps en temps, savoir s'arrêter. Il boit une gorgée de café ; dégueulasse, mais ça lui rappelle le café qu'il buvait avec Oldie alors il l'aime. Il observe d'abord Rat. Il touille son café sans faire de bruit, la cuiller ne touchant jamais sa tasse. Il fait un cercle, ne suivant pas le sens des aiguilles d'une horloge, puis une croix, avant de faire un nouveau cercle... Son regard est éteint, mais encore une fois ses émotions sont bruyantes et chaotiques. Ému, ébranlé, perdu, de la colère, du chagrin, du dégoût,... Comme s'il était incapable de ressentir une seule chose à la fois. Puis il se tourna vers Vipère et le contraste le choqua. Si le Vide n'était pas là, il aurait été difficile de voir ce qu'elle ressentait tant c'était lointain. Il a fallu qu'il se concentre, qu'il s'élance mentalement, en avant, pour qu'il perçoive la trace infime de peur en elle.

Face au silence, il continua. :

-Je suis venu pour toi Vipère. Je suis venu pour te proposer d'aller à l'Institut où je vis, à Terrae. Découvrir de nouvelles choses... Vivre.

Simplement. Pour commencer. Parce que les pouvoirs ça peut intéresser n'importe qui mais eux, c'est l'idée d'apprendre à vivre qui est plus alléchant. Faire des rencontres sans se dire qu'on se fait manipuler, travailler légalement, faire des études sans s'inquiéter de l'argent, manger sans penser au repas de demain, rire... Vivre.

Faire quoi ?... La réponse était évidente. Elle allait continuer de veiller sur les gamins du gang, de loin ce sera plus difficile, mais il fallait bien faire attention aux anciens clients qui pouvaient potentiellement profiter de la situation et les agresser gratuitement. Elle survivrait facilement de petits boulots, elle le faisait très bien jusqu'à maintenant. C'est sûr que bipper les articles en caisse ou faire le service au bar n'avait rien de passionnant mais ça avait toujours été plus stable que de faire le trottoir de toute façon. Faire quoi. La réponse semble évidente mais elle est plus profonde que ça, elle le sait bien. Qu'est-ce qu'on fait après avoir passé la plus grosse partie de sa vie dans ce milieu ? Elle ne sait rien faire d'autre que ça. Elle ne sait pas ce qu'en pense Rat, il n'était pas seul lui, il avait encore une famille, mais le silence répond à leur place... Faire quoi... Survivre. L'ampleur de cette tâche sans le soutien du gang était immense et Justine se demanda si ça valait vraiment le coup d'essayer. Au final, peut-être que le traitement de la Marque ne serait pas si terrible ? Elle n'avait jamais été la plus douée pour se débattre de toute façon... Autant se laisser mourir, c'est moins usant.

Et puis Loup annonce la véritable raison de sa visite ; il veut l'emmener là-bas. Ailleurs. Terrae. Cet endroit qui l'a changé. Une partie d'elle veut répondre "oui"... Elle lui fait confiance et il y a quelque chose de réconfortant dans sa voix qui apaise ses craintes. Mais c'est surtout l'autre partie qui gagne, lui hurlant que c'était trop risqué. Partir de zéro dans cet endroit inconnu. Laissez son Foyer derrière elle... On pouvait bien lui dire qu'elle était couarde, elle se foutait complètement des ragots de ce genre à son sujet mais sa loyauté ne sera jamais remise en question. Elle ne pouvait pas abandonner les petits à leur sort dans un moment aussi critique. Pourtant elle n'a pas le temps de répondre... Rat avait bu un peu de café avant de l'arrêter, comme s'il savait très bien ce qu'elle allait répondre. :

-Tu dois y aller Vipère. Profite de cette chance pour sortir de là.

-Sois pas stupide. Je ne veux pas vous abandonner.

-Tu ne nous abandonnes pas... Regarde. Loup l'a fait et tu crois qu'il a des remords ?

-Rat !

Elle avait tapé le comptoir de colère, mais il l'ignora en buvant un peu plus de sa boisson chaude, détournant la tête pour n'affronter aucun de leur regard. Justine avait souffert de l'absence de leur collègue, mais elle savait combien sa vie était difficile. Il n'y a pas de degré dans la souffrance ; Rat serait parti qu'elle aurait été tout aussi triste et soulagée. Le prix à payer était bien mince comparé à tout ce qu'ils gagnaient en s'échappant de cet enfer. Elle battit des paupières en réalisant ce à quoi elle venait de penser. Si elle l'acceptait pour le Loup, pourquoi n'arrivait-elle pas à le faire pour elle ? Parce que le gang était tout ? Non, et elle le savait bien. Comment se sortir de cette passivité...

Nicolas s'attendait bien évidemment à un refus en premier. Par contre que Rat intervienne pour la convaincre n'avait pas été prévu. Il allait pas cracher sur un coup de main, mais c'est clair qu'il ne s'y attendait pas... et la raison principale avait suivi juste après. Des remords... Loup autrefois aurait réagi au quart de tour à cette déclaration. Il lui aurait probablement donné une bonne droite pour avoir dit une connerie pareille. Il en avait des remords, il vivait avec depuis toujours. Des regrets, non... Il assumait ses choix, même s'il en a souffert, parce qu'aujourd'hui il peut aider les autres. Alors Nicolas se serait mis en colère ouais, et bien. Comment Rat, un gars qui a toujours ses parents, ses frères, une vie stable qui l'attend à la maison, pourrait comprendre ce qu'il y a au plus profond de lui ? Il ne pourrait pas. Et plutôt que d'en parler, il lui aurait défoncé la mâchoire... Parce que la communication chez eux est inexistante.

Aujourd'hui, il était Sensitif, et même s'il bitait rien de ce qu'il ressentait en voyant l'ensemble, en s'attardant sur la solitude et le chagrin, comme s'il avait vécu un deuil, Nicolas comprit à quel point son départ les avait touché plus profondément qu'il ne l'aurait cru. Rat et Vipère avaient été des "collègues" dans sa tête, pas des "amis". Ses amis il les perdait, il s'était détaché de ça pour ne faire souffrir personne... Au final, comme pour beaucoup d'autres choses, il s'était planté. Il se leva de son siège et se posa à côté de Rat qui se retourna brutalement -ici, on entre pas dans l'espace vital des gens comme ça, ça se fait pas voyons. Délicatement, il posa sa main sur celle de Rat qui tenait encore sa tasse... Il a tremblé. Il a baissé la tête. :

-...Désolé.

On enchaîne les révolutions aujourd'hui ; Nicolas ne se met pas en colère, Grégoire s'excuse. La prochaine étape c'est quoi ? Justine arrive à éclater de rire pour de vrai ?! Ahah, non chaque chose en son temps.

Nicolas se réinstalla sur sa chaise pour terminer son café, s'adressant à nouveau à Vipère qui semblait perdue dans ses pensées. :

-Tu ne vas abandonner personne. Je reste en contact avec Cynthia pour avoir des nouvelles d'ici et je suppose que tu en garderas avec Rat... On peut revenir à tout instant si tu es inquiète. On sera à l'autre bout du monde mais on a... des moyens.

Oui parce qu'avec tout ça, ils ont pas encore parlé de ça en fait. Les pouvoirs.

Quand Loup s'est levé, Vipère lui accorda toute son attention, prête à s'interposer si les garçons commençaient à se battre... Mais ça n'arriva pas. Loup n'était pas en colère, il a posé sa main sur celle de Rat dont le regard afficha brièvement de la panique avant qu'il ne retrouve ses moyens. Est-ce que c'est déjà arrivé ?... Justine est persuadée qu'elle ne l'a jamais vu comme ça mais d'un autre côté, sa mémoire lui fait souvent défaut. Elle observe, sans un mot, l'échange muet entre eux avant que Rat ne finisse par baisser la tête et s'excuser. ...Comment ? Elle avait vraiment entendu ça ? Cette fois, elle en était sûre ; Rat ne s'était jamais excusé. Mais bizarrement, c'est Loup qui l'intriguait le plus. Il n'avait rien dit. Il s'est rassis comme si rien ne s'était passé et a repris la conversation là où elle s'était arrêté, en terminant son café comme s'il expliquait les nouvelles du matin au bar avec des amis de longues dates. Jusque là, elle ne s'était pas attardée sur les détails parce qu'elle était contente de le revoir, qu'ils avaient discuté comme ils le faisaient autrefois, mais ce geste était différent. Tout chez le Loup était différent.

Elle grimpa sur le comptoir pour s'y asseoir basculant ses jambes du côté où se trouvent les garçons pour leur faire face. Elle dut se pencher pour regarder le Loup dans les yeux. Différent. Elle avait connu une bête sauvage, il était plus sage. Physiquement, c'était évident, mais à l'intérieur, c'était subtil. Qu'apprenait-il là-bas ? Dans ce "Terrae"... Quelque chose qui, apparemment, était à sa portée aujourd'hui, puisqu'il était venu pour l'amener. Elle réfléchit, longtemps, avant de lancer sans préambule. :

-D'accord. Je viens.

Ça paraît direct mais c'est surtout devenu logique dans sa tête. Et puis il avait bien dit qu'elle pourrait revenir au moindre problème. Elle allait pas se gêner si elle apprenait qu'un seul des petits avait souffert à sa place.

Elle saute de la table, replace ses cheveux en arrière. :

-Mais on doit organiser ça bien. Rat, va me chercher mes listes s'il-te-plaît. Loup, j'ai des affaires à prendre dans mon appartement... Tu me parleras des détails en chemin.

Rat s'est précipité dans le bureau d'à côté pour lui ramener ce dont elle avait besoin. Elle feuilleta le dossier désignant les noms de code des prostitués travaillant cette nuit, fut ravie de voir beaucoup d'absences. :

-Les rues ont bien changé ses dernières années... et elles sont calme depuis le passage de la Marque. Tu vas avoir du mal à les reconnaître.

Il se recula légèrement en la voyant se placer sur le comptoir et le fixer sans bouger. Ce regard fixe lui rappelle un serpent face à une proie, même s'il sait bien qu'il ne craint rien. Il arrivait à Justine d'oublier de battre ses paupières, son visage inexpressif n'aidait pas à cette sensation qu'elle était sur le point de vous dévorer. Et puis elle balança d'un coup qu'elle voulait bien venir. ...OK. C'était plus rapide que prévu mais il allait pas se plaindre hein. Ça lui évite d'être trop décalé une fois rentrer au Japon eeeet Justine veut faire des trucs avant, merde. :

-Vipère.

Mais elle ne s'arrête pas. Elle parle du village comme s'ils allaient faire une belle balade champêtre et il a presque envie d'en rire. Presque. Parce qu'il faut qu'il lui parle des pouvoirs avant de sortir. :

-Vipère, s'il-te-plaît, je dois te parler d'un... détail, avant.

Si, si, c'est un détail comparé au reste.

Il prit une inspiration. Terrae était connue mais dans ce coin paumé de France, les nouvelles arrivent tard... et comme ils étaient pas du genre à perdre du temps à regarder la télé... Y'a d'autres priorités disons. Rat fronce les sourcils, mains dans le dos... Nicolas n'avait pas hâte de voir sa réaction. :

-Écoutez... La vérité c'est que Terrae ce n'est pas qu'un Insitut qui accueille des gens comme ça au hasard. Il arrive qu'une personne ressente le Vide. J'en ai fait parti, Vipère en fait parti maintenant, c'est ça qui m'a attiré ici... Et... pour apprendre à vivre avec on... Erm. Ok. Ne paniquez pas.

Il attendit un peu, le temps qu'ils se concentrent bien sur lui pour claquer des doigts. Il fit glisser quelques éclairs dans la paume de sa main, entre ses doigts, un serpent lumineux se lovant sur sa peau pour illustrer ses propos. :

-On nous offre un pouvoir lié aux éléments, ainsi qu'un deuxième, lié au soleil ou à la lune. On ne choisit pas, ça arrive, c'est comme ça. L'Institut est là pour qu'on apprenne à s'en servir, pour notre sécurité.

-............Tu aurais pu m'électrocuter ?

-Alors. Non-

-Tu m'as touché ! réalise Rat dans un souffle horrifié, fixant sa main. Tu m'as plaqué au mur !

-Ok ce serait sympa d'éviter de dire ça comme ça à l'avenir. il gronde, faisant disparaître les éclairs d'un mouvement de main agacé. Et je fais de la magie sous tes yeux et c'est le premier truc auquel tu penses ?!

-Tu veux que je penses à quoi ?! Bien sûr que la magie existe tête de nœud, t'as vu la taille de tes bras ?

-Quel putain de rapport avec la taille de mes bras ?!

Yep, on les a perdu.

Quand le Loup lui demande son attention, elle ne réagit pas tout de suite. C'est la douceur du "s'il-te-plaît" qui l'a arrêtée, fait reposer le dossier,... Les explications sont étranges, elle ne comprend pas ce "vide" dont il parle et, jusqu'à ce qu'il lui montre le serpent électrique, elle pensait sincèrement qu'il avait quitté un gang pour un autre, plus chéper. Rat est choqué, pas pour les mêmes raisons qu'elle, mais vu à quel point ils se sont forgés pour faire face à n'importe quelle situation, savoir que la magie existe ne chamboulait pas leur quotidien. ...A quelques détails prêts. Quand les éclairs disparaissent, Vipère s'empare de la main de Loup. Elle fouille la peau des yeux, sourcils baissés, comme si elle cherchait d'abord à comprendre comment ça fonctionnait... Avant de réaliser qu'elle n'a pas besoin de savoir comment... Une autre question a fait son chemin dans sa tête, une question douloureuse. Elle a donné un léger coup de poing dans le ventre de Rat, lui sommant d'arrêter de parler -des bras de Loup ou de quoi que ce soit d'autres...

Les yeux toujours durs, elle leva sa tête vers Loup. :

-Tu peux ? Tu peux électrocuter quelqu'un ?

Toute l'implication qu'une réponse positive apportait chamboulait tout. Loup n'était pas forcément le meilleur d'entre eux, mais il faisait ce qu'il avait à faire avec une force insoupçonnée, à l'époque où la faim dévorait son corps... Maintenant, regardez-le ! S'il a une once de ce qu'il avait comme rage de combat, comme visée avec un pistolet, avec ces pouvoirs et ce corps, Loup était comme un dieu plus mortel qu'un petit gangster de campagne. Qu'est-ce qu'il ne pourrait pas faire pour sauver les petits de la Marque ?! :

-Et si, au final, tu étais ici pour rester ?... Tu pourrais sauver le gang, le protéger ! Tu pourrais te battre comme avant ! Et nous on gérerait le reste, que les petits puissent continuer à gagner leur pain en attendant une meilleure solution !

-Vipère... Vipère calme-toi tu pleures un p-

-Non ! souffle-t-elle fermement. Enfin si, je sais que c'est injuste de te demander ça mais-... On était gamin, Loup, tu te souviens ? Tu te souviens de tout ce qu'on aurait donné pour un peu de sécurité, de pain ?... Tu te souviens ?...

Elle serre un peu plus la main de Loup entre les siennes, désespérée... Rat ne risquait pas de demander de l'aide, mais elle, elle était prête à s'abaisser à tout pour les gamins du coin. Elle les connaît tous, les noms de code ont des prénoms derrière, des histoires qu'elle connaît par cœur, bien plus que les détails de sa propre vie. Il y a Cerf, Théo en vrai, sa grande sœur avait été violentée lors de la guerre contre les Vikings, il avait rejoint le gang par pure vengeance... et la remplacer pour payer les dettes de jeu de leurs parents. Lièvre, qui préfère son nom de code à son prénom, un jeune garçon trans qui se payait de la testostérone douteuse sur internet grâce à l'argent qu'il récoltait... mais que pouvait-il faire de plus pour se sentir bien dans sa peau et éviter d'être mis à la rue ?... Et Mulot, Romain, leur petit dernier. si petit, rejeté par sa mère qui ne voulait pas de lui et doit se débrouiller pour manger parce qu'elle refuse parfois de le nourrir... juste parce qu'il existe... :

-Ils vont perdre tout ça parce qu'on ne peut pas faire face à ça... mais toi, tu peux !

La conversation avec Rat n'a aucun sens, et il est d'abord bien content que Vipère l'interrompe d'un seul geste. Il est moins emballé par le fait qu'elle lui demande s'il le peut, électrocuter quelqu'un. Il a pas besoin de plus pour savoir ce qu'elle s'apprête à lui proposer. Il répond d'une grimace, sans dire un mot, et ça suffit pour qu'elle comprenne... Il avait oublié à quel point il n'avait pas besoin de s'exprimer pour être compris, avant Terrae... Ils avaient leur propre code, pas étonnant que la communication ait été compliquée pour lui au début... Retrouver ses collègues après être passé Master rendait la chose évidente. C'était... un peu choquant ?... Il ne sait pas trop... Et il n'est pas aidé par l'effluve de désespoir que dégageait Vipère. Oui, elle était désespérée. Comme si "l'espoir" avait été annihilé en elle, même l'idée de savoir que Nicolas pourrait éventuellement sauver la seule chose qui compte pour elle était mû par de l'angoisse, de la détresse, de la déception... Elle explique comment ils pourraient s'organiser, s'il restait aider. Les larmes s'étaient accumulés dans ses yeux, longtemps, sans tomber, avant de déborder et de rouler sur ses joues... Nicolas avait toujours soupçonné qu'elle ne sentait pas vraiment son visage, Rat le confirma en la prévenant qu'elle pleurait...

Mais ça n'arrête pas leur amie qui reprend, nerveuse, précisant qu'elle trouvait ça injuste de lui demander ça mais qu'elle se souvient... Et lui aussi se souvient, bien sûr. La voir supplier lui brise le cœur. Il la connaît, ils ont grandi ici ; il sait combien ça lui coûte d'avouer qu'elle préférerait priver Nicolas du bonheur qu'il a construit ailleurs, pour porter à bout de bras la sécurité d'une centaine d'enfants ici... Oui voilà, elle était si désespérée qu'elle était prête à sacrifier ce qui la rendait heureuse, le bonheur de ses proches... Pas étonnant qu'elle ressente le Vide. ...Elle serrait sa main si fort. :

-Ça ne marche pas comme ça... et tu le sais.

Il lui laisse sa main, se sert de l'autre pour effacer ses larmes avec son pouce. Il respire calmement, pose sa voix, la rassure avec un peu de douceur avec ses pouvoirs sans étouffer son chagrin... Il tient une allumette pour réchauffer son corps frigorifié. :

-Si on répond par la force à ce genre de gens, on n'a aucune idée de l'intensité que les répercutions vont avoir.

Ils ont fait sauté l'ancien Q.G. des Vikings, ils ont répondu en butant les Capos. Personne ne peut vraiment savoir ce que pourrait faire la Marque à la moindre incartade... :

-Mais je peux aider différemment, de Terrae. Pas en utilisant mes pouvoirs, pas en leur nom. Je veux aussi protéger les miens, Vipère.

-Les tiens ? Et comment tu pourrais aider ?

Ah. Oui. Parce qu'au dernière nouvelle pour Rat ; Loup n'a pas de meute et il est pauvre. Nicolas ne sait même pas par où commencer pour lui résumer le bordel de son héritage "familiale" et de sa véritable famille terraenne... :

-Hmmc'est-... compliqué ?

-J'en doute pas une seconde. marmonne-t-il en grimaçant, bras croisés et reculant légèrement, comme s'il avait peur de se faire électrocuter.

Nicolas à un bref sourire contrit, faisant plisser les paupières de Rat... Il essaie même pas de comprendre le chaos de sentiments face à lui, se concentre à nouveau sur Justine. :

-Et je pense que tu pourras aider toi aussi, dès que tu iras mieux, tu pourras 100% donner ton soutien sans pourrir ta propre santé. Crois-moi je sais de quoi je parle.

Bon à côté d'elle, il passerait toujours pour un gros égoïste mais il s'en fout. Il sait qu'ils se ressemblent là-dessus, ils peuvent tout donner. Nicolas dans sa survie, Justine dans celle des autres, mais le but final est le même ; ne plus être seul. ...Elle ne pleurait plus. :

-Alors ?... Toujours partante ?... Et vous voulez toujours me faire visiter nan ?

Ça ne marche pas comme ça, et bien sûr qu'elle le sait. Quelque part elle connaissait déjà sa réponse avant même de l'avoir entendue... mais elle voulait essayer au moins. Pour une fois. Évidemment qu'elle allait essuyer un refus. Il avait une famille à protéger maintenant, si Rat ne le savait pas, Justine elle, avait écouté avec attention les histoires de Cynthia... Elle comprenait que pour lui, le gang n'était plus une priorité... il ne l'avait jamais été en même temps. Elle soupire quand il lui parle de sa santé... En vérité elle allait bien mieux ces dernières années mais elle se doute que c'est bien peu pour le Loup, alors elle n'insiste pas sur ce point... S'il ne ment pas, ça ne pourra qu'être bénéfique dans tous les cas. :

-Je te préviens tout de suite, si un seul petit est en danger, t'as intérêt...

A quoi ? Elle ne sait pas encore mais la menace pèse... Elle secoue la tête. Oui, passons à autre chose. Autant que son passage au village et ces derniers instants dans l'endroit où elle a grandi soient plus joyeux. ...Aussi joyeux qu'on peut l'être ici. :

-Bien sûr. Rat tu es prêt, on est parti ?

Rat avait eu le temps de planquer son épée dans l'un des faux murs pour prendre un parapluie à la place. Il répondit au regard interrogateur de Loup qui remettait son manteau de cuir. :

-On doit passer par le centre-ville, il y a des caméras maintenant. Ça le fait moyen de se balader avec des armes blanches maintenant.

Ça devait être la première étrangeté pour Loup, qu'on préfère se balader avec un parapluie plutôt qu'une arme... Mais il n'avait pas l'air inquiet, plutôt surpris. Bon normal s'il est un taser ambulant, il ne doit plus être inquiet de grand chose. Ils sont sortis du Foyer les mains dans les poches. Rat tenait le parapluie, Justine était protégée entre eux, Loup ne semblait pas dérangé de recevoir les gouttes sur son épaule. Ils remontèrent la route principale en marchant d'un bon pas. Pourtant Justine précise, parlant pour combler le silence, sachant qu'ils avaient une bonne demi-heure de marche devant eux. :

-Il n'y a plus d'activité du tout à cette heure. Du moins en centre-ville. La plupart des interstices entres les vieux bâtiments ont été condamnés et les gouttières remplacées. On ne peut plus traverser la ville comme avant en coupant à travers les quartiers. La zone du village autour du Foyer n'a pas trop changé, c'est toujours aussi désert... On va passer devant ton ancien immeuble.

Le bâtiment se repère de la rue avant même la place du centre-ville. Il est vide maintenant, des travaux sont en cours pour tenter de le sauver puisqu'il est sur le point de s'effondrer... Les ouvriers doivent bien galérer, ça fait un an qu'il y a des échafaudages devant. :

-Ils ont modifié la place de la mairie aussi... Il y a des jets d'eau devant maintenant. Des gamins viennent s'y amuser en été. ...Ce bar a fermé, il vendait de l'alcool aux mineurs et les flics leur sont tombés dessus.

Depuis qu'il y avait une autre fournée de gendarmes dans le village, ça aussi c'était différent. Les plus jeunes voulaient vraiment faire bien leur travail... Le gang d'Amadéus passait plus ou moins leur radar puisque les plus anciens recevaient encore des pots de vins. Mais ils allaient partir bientôt eux aussi... au final...

Ils remontèrent ainsi l'avenue, Justine lançant des anecdotes sur les changements en les pointant du doigt, Loup attentif à ce qu'elle désignait, Rat tout de même aux aguets... Ce n'est pas parce que c'est plus calme que ça l'est définitivement... Et autant éviter que "le retour du Loup" ne s'ébruite. Ils arrivèrent bien vite dans la zone de la gare... Loup poussa un son surpris. :

-Oui, ils ont changé la couleur. Et il y a aussi plus de trains en direction de la ville d'à côté, pour moins de bus... Comme il y a plus de passages, on a dû abandonner la planque ici.

Elle ouvrit la grille de ce qui ressemblait de l'extérieur à un manoir... Il avait été en fait transformé en immeuble abritant six appartements de tailles ridicules mais au prix raisonnable. C'est ici que Justine a grandi, sa sécurité planquée derrière d'immenses buissons, sous les toits d'un bâtiment dont on ne peut ouvrir la porte d'entrée sans la clef ou en la forçant dans ce qui devrait être un bruit tonitruant vu l'épaisseur des verrous. Elle se faufila à l'intérieur ; Rat fit glisser sa main dans ses cheveux pour se recoiffer, Loup s'ébroua. Après quelques escaliers, le parapluie fut abandonné sur le palier et elle invita les garçons dans son nid. :

-Faites comme chez vous.

Nicolas hoche la tête à la menace... Elle est incomplète mais elle n'est pas lancé en l'air, il connaît bien Vipère. Le sujet fût clos, et il put observer rat en train de changer son équipement pour un parapluie tout ce qu'il y a de plus banal... Même pas une petite lame planquée au bout. Il fixa son collègue qui lui répondit que ça ne se faisait plus trop de se balader avec une arme en ville... Nicolas faillit lui demander depuis quand c'était une option de marcher en centre-ville sans se faire attaquer mais il a eu sa réponse très vite... Il y a des caméras maintenant. Donc il n'y a forcément plus d'attaques et de passages, c'est forcément plus sûr, même à cette heure... Premier changement radical de son époque. "Époque" et alleeeer coup de vieux gratuit à 22 ans.

Il pleuvait encore dehors, juste moins intensément. Vipère se plaça naturellement entre Rat et lui, tenant leurs bras comme une lady accompagnée de deux gardes du corps. Ils avaient souvent marché comme ça, ça lui fait plaisir de retrouver cette dynamique. La seule différence maintenant c'est qu'ils sont géants à côté d'elle. Nicolas comprend pourquoi Aria fait la moue quand elle lui dit qu'il a grandi trop vite... Il ne réalise à quel point que maintenant.

Tout le long de ce qui servait d'avenue, Vipère donna des informations sur les changements qu'il y a eu en ville... Il est choqué par la nouvelle présence de trottoirs à certains endroits... Des chemins de terre ont été goudronnés, créant de nouvelles impasses. Les petits passages discrets que les gamins du gang empruntaient ont été bouchés en majorité mais il a remarqué d'autres qui ont été agrandis, déblayés, pour former un chemin de randonnée. ...Qui fait des randonnées dans ce bled ?! Et de surprises en surprises, il voit son ancien immeuble qui était en ruine en train d'être retapé. Il ont du courage de faire ça plutôt que de le raser, rien n'allait dedans. Le réseau électrique était bancale, les tuyaux datant de la dernière guerre mondiale, le toit tenait par miracle... Et la place de la mairie juste en face avait été refaite ; adieu le goudron éclaté par endroit et les pavés arrachés ; maintenant tout semblait neuf et blanc... La seule chose qui aurait pu faire tâche dans ce décor est le bar de la poste qui est du coup fermé. ...Voir un des piliers de la ville complètement vide le choqua, surtout quand il a été clos pour cette raison tout à fait normale. C'est du jamais vu pour lui, ici.

Tout du long, Nicolas ne prononce pas un mot. Ça doit avoir l'air d'être rien, ces changements, pour le commun des mortels... Mais pour lui qui a connu les longues nuits de garde, les courses poursuites, les combats de rue... Les bâtiments en ruine, les gouttières à grimper pour rejoindre les toits, les chemins minuscules envahit de ronces ou d'orties, les trottoirs pas finis voir inexistants,... Les petits yeux qui apparaissent au détour d'un carrefour, le silence soudain brisé par un hurlement ou un coup de feu, cette sensation de ne jamais être seul dans le noir,... Le village s'était limite transformé en joli petit hameau pour que les personnes âgées finissent leurs jours en tout tranquillité, ou un nid à résidence secondaire. Les gangs vivaient réellement dans l'ombre maintenant.

Même la gare à une nouvelle gueule... et d'après Vipère, il y a plus de trains. Cette révolution ! Au point qu'ils abandonnent le précieux point qu'ils avaient récupéré après la guerre avec les Vikings. :

-Quoi ? L'ancien Q.G. des Survivants ? Sans déconner on l'a plus ?! s'indigne Nicolas sans réaliser qu'il s'est inclus malgré lui.

-Techniquement on peut encore y aller, mais seulement la nuit. Il y a trop de passage en journée. Et de toute façon, on a déplacé les réserves...

-Haaan mais merde, on s'était tellement fait chier à le récupérer... Tu te souviens Rat ?

-Je me souviens des cris de Max...

-Évidement... On lui a enlevé combien de phalanges ?

-Hmm... Trois je crois. Ça l'empêche pas de bosser au Smiley en tout cas.

Le Smiley, c'était un autre bar, plus au nord, qui portait ce nom pour les habitants à cause d'un tag qui n'avait jamais été enlevé. Nicolas rit légèrement au souvenir et à la nouvelle que le grand Max, un autre grand taré qui a failli le buter, devait tout autant vivre avec le poids de ses erreurs qu'eux.

Le temps de cet échange, ils ont grimpé les escaliers jusqu'à l'appartement de Vipère. Nicolas se secoua avant d'observer les lieux. C'était un poil plus grand que là où il avait grandit mais vraiment de rien ; il y avait une pièce en plus, une chambre probablement. Il ne se fit pas prier quand son amie leur indiqua de faire comme chez eux. Il posa son cuir sur le dossier d'une chaise avant d'aller se poser dans le canapé. Vipère avait disparu dans le couloir, Rat se servait un autre café. Il paraissait plus détendu qu'au Foyer. :

-Alors ? Dépaysé ?

-Un peu, mais tant mieux. Les choses changent dans la bonne direction...

-Ce n'est pas grâce à toi...

Loup marque une pause, plongeant son regard dans celui de Rat. :

-Qu'est-ce que je t'ai fait exactement pour que tu m'en veuilles à c'point ?

-...Rien. Absolument rien.

...Ok alors pourquoi dès qu'il peut lui lancer un pique il le fait ce con ?! Il se décide de l'ignorer, parce qu'il a vraiment pas la tête à ça et qu'il n'est pas là pour lui.

Vipère avait beau être dans sa chambre, la porte était ouverte et bien sûr, elle avait entendu l'échange entre les garçons. Elle pousse un gros soupir en prenant son plus grand sac. Elle sait la raison de la colère de Rat, mais elle ne comprend pas pourquoi il reste aussi véhément. Après tant d'années, après toutes les épreuves qu'ils ont passé ensemble, pourquoi rester rancunier ? Elle n'était pas la dernière pour se venger, pour rester de marbre, mais envers sa propre famille de substitution ?... Non. Surtout Rat et Loup. Elle se souvient les avoir trouvé ce soir-là, dans les bois. Blessés, couverts de sang, le leur et ceux des autres, mais ils riaient aux éclats. Ils riaient en pleurant, bras dessus-bras dessous, et elle sait qu'au fond de leur cœur bouffé par la haine, ils s'apprécient. Ils ne lui avaient pas expliqué ce qu'il s'était passé, mais quand elle les a soigné, c'était évident qu'ils s'étaient battus... Contre d'autres, et entre eux. Elle n'avait pas osé poser des questions, pas osé connaître leur raison,... Si elle avait fait l'effort d'être plus qu'une collègue pour eux, une véritable amie, peut-être que les choses auraient été différentes... Peut-être qu'ils seraient tous partis ailleurs bien plus tôt, et tous ensemble... Peut-être qu'elle ne se sentirait pas coupable d'avoir, une fois de plus, rien fait.

C'est dans un silence pesant qu'elle les rejoint dans le salon. Elle ne dit rien, se contente de mettre ses vêtements dans le fond du sac. Il n'y a pas grand chose dans ses placards : l'appartement est petit et plein de vide tout à la fois, seulement habité d'essentiel. :

-Je suppose que je n'ai pas le droit d'avoir une arme ?

A la grimace de Loup, elle devine bien que non. Elle hausse les épaules et se relève pour atteindre la cuisine. Là, elle ouvre en grand un placard et aussitôt des senteurs florales s'en échappe. Des bouquets sèchent, pendus aux portes, des bocaux sont alignés avec des étiquettes désignant dans le désordre des poisons, des médicaments et des épices dans un chaos qu'elle seule connaît. En regardant de côté, sur le buffet, elle voit tout son matériel de concoction qu'elle avait acheté à Lloyd, le scientifique du gang. Béchers tachés à force d'utilisation, tubes à essai aux bouchons de liège noirs et abîmés, ça lui faisait de la peine de se séparer de tout ça. Elle s'activa d'un coup en sélectionnant ses mixtures favorites et celles demandant du temps et du matériel qu'elle n'aura donc plus. :

-Je vais prendre certains produits quand même...

Elle ne pouvait pas se sentir entièrement elle, entièrement en sécurité sans ses plantes... Elle farfouilla un tiroir pour ajouter à son sac tout son attirail d'aiguille, de petites bouteilles en verre et de couteaux si petits qu'ils tiennent dans la paume de sa main pendant que Loup les avait rejoint dans la cuisine.

Le silence est lourd quand Vipère revient mais il veut tout dire. Nicolas fixe Rat avec un regard mauvais mais il hausse les épaules et continue de boire son café en déviant ses yeux. Là, il s'en fout. Le Master serre la mâchoire mais n'ajoute rien ; c'est comme ça, ça a toujours été comme ça, passons à autre chose. Il observe Vipère remplir son sac ; elle a beaucoup de robes et de jupes, un attirail pour mettre en valeur son corps mais rien de bien confortable. Sa garde-robe a bien changé depuis qu'il est parti. Elle se tourne vers lui pour lui demander si elle a droit aux armes... Il grimace. Si c'est une arme à feu, il se doute bien que c'est non. Mais il ne pouvait pas décemment lui demander d'aller là-bas sans rien... Le Loup était arrivé à Terrae avec ses poings et ses dents après tout, ce serait hypocrite de demander à une Vipère de retirer ses crochets et son venin. Elle semble l'avoir compris puisqu'elle s'est dirigée vers la cuisine pour ouvrir un placard... Même de loin il en capta toutes les odeurs... Beaucoup d'odeurs... Il s'était rapproché par curiosité mais il le regretta un peu ; son odorat était trop sensible pour cet amas puissant de fragrance. Il éternua aussi discrètement que possible puis pointa du doigt deux plantes qu'il connaissait très bien. :

-Tant que tu laisses l'aconit et le laurier rose, ça devrait aller.

Et il ponctue sa phrase d'un léger coup de coude dans le bras de Rat. L'aconit, c'est le véritable nom du "tue-loup", une plante dont se servait les chasseurs pour empoisonner leurs flèches et tuer... des loups entre autre... Le laurier rose est connu pour avoir longtemps servi de mort-aux-rats. ...Oui, Nicolas faisait de son mieux pour détendre l'atmosphère. Rat le fixa dans les yeux cette fois, sourcils baissés, visage froid. :

-Hilarant.

Nicolas pouffa... Oui parce que Rat le cachait bien avec son visage mais ses émotions ne mentaient pas ; il a, pour un bref instant, vraiment trouvé ça hilarant. Vipère a poussé un énorme soupir en fermant les yeux... Elle avait trouvé ça drôle aussi mais elle était aussi exaspérée... Va savoir si c'est à cause de son humour ou de la réaction de Rat par contre. Aucune idée.

Elle reprit sa sélection et fut longtemps troublée par un choix semblant cornélien. Entre un bocaux de ce que Nicolas reconnut pour être des organes d'animaux flottants dans de l'alcool -de loin, il n'est pas sûr desquels- et un autre avec des plantes fraîches, elle pesa longuement le pour et le contre, jusqu'à ce que Rat intervienne. :

-Ama est toujours le proprio de l'appartement nan ?... Laisse-moi les clefs. Je t'enverrai le reste de tes affaires s'il faut et je le prendrais à ta place.

-Quoi ?

Nicolas ne s'était pas retenu. Il se recula pour observer son ancien collègue qui posa sa tasse de café vide avant de croiser les bras. :

-C'est le meilleur plan. Je garde les affaires de Vipère le temps qu'elle s'installe, et je serai à la fois mieux placé dans le village pour démanteler le gang et protéger ceux qui en auront besoin de la Marque.

-T'as pas genre... des parents toi ?

...Ok c'était sorti peut-être de manière un peu trop sarcastique mais ça n'a pas démonté Rat qui a claqué sa langue avant de répondre. :

-J'ai 23 ans p'tit génie.

Nicolas poussa un son avant d'hausser les épaules... Y'a circonstance atténuante et puis, lui, il avait 22 ans et vivait toujours chez Aaron, il voyait pas le souci... Mais si c'était l'occasion pour que le Rat prenne son indépendance, pourquoi pas.