Ca ne va pas. Ca ne va toujours pas. Mais pourtant, aujourd'hui, j'ai décidé que j'allais retourner travailler. Alors je suis retournée travailler.

Je ne vais pas mentir. Ca a été horrible. Quand je suis arrivée, j'ai déposé directement à Keitaro les dossiers de ceux dont j'avais ressenti le Vide. J'ai failli croiser le regard de Houston, que j'ai soigneusement évité, et j'ai gentiment ouvert mon ordinateur sur lequel j'ai décidé de travailler en silence.

La bonne nouvelle de la matinée, c'est que j'ai constaté que lorsque je ne me perds pas en bavardages inutiles, je suis quand même sacrément plus efficace. Haha.

Une fois le travail terminé, je ne demande pas mon reste, et je quitte le plus rapidement possible la salle des Masters pour prendre la direction de chez moi. A pieds. Encore. Parce que je ne suis toujours pas redevenue Téléporteuse. Je ne suis toujours pas redevenue Moi.

Je marche en traînant des pieds. L'ambiance qui régnait en salle des Masters me colle encore à la peau, et j'ai envie de vomir. Je sais que j'en suis responsable, que je ne fais rien pour l'améliorer, mais je n'y arrive pas. L'échange que nous avons eu avec Houston me tord encore parfois l'estomac et... Ouais, bref. Je suis toujours aussi détruite.

Lorsque je rentre, je me jette sur le canapé, laissant tout de même Balto sortir après avoir été enfermé toute la matinée. Quand j'entends la sonnette retentir, je pousse un long soupir, déprimée à l'idée de devoir, encore, être au contact d'être vivant. Est-ce que je n'ai pas suffisamment donné de ma personne pour aujourd'hui...?

Je marche avec peu d'envie jusqu'à la porte, l'ouvre, et découvre alors de l'autre côté Akkiko. Je suis surprise de le voir là, mais comme à l'accoutumée, Akkiko se dépêche de me fournir les raisons de sa venue, espérant ne pas me déranger dans mon travail. Quel travail en ce moment, hein...

C'est là qu'il évoque son drone. Et l'autorisation de l'utiliser cette nuit. Mon estomac se serre alors que l'idée naît immédiatement dans mon cerveau. Je lui adresse un sourire, et lui fait signe d'entrer.

-Pas de souci, entre Akkiko. On va déjà discuter de ça ensemble.

Je l'invite à me suivre dans le salon pour que l'on puisse s'installer confortablement, et lui adresse un maigre sourire poli.

-Tu veux bien m'expliquer la situation ? Pourquoi as-tu besoin de ce matériel ?

Akkiko m'explique rapidement la situation, essayant comme toujours de détailler les choses le plus possible pour que tout soit clair d'emblée. Je hoche plusieurs fois la tête pour lui montrer que je l'écoute bien, fronce légèrement les sourcils quand il me parle d'ondes qui viendraient perturber les émissions de radio. Une histoire de fréquence, de réception... Il m'explique ensuite comment il souhaiterait procéder, et je baisse un peu honteusement le regard quand il achève en disant que je serais probablement prise plus au sérieux que lui. Ca j'en doute, mais passons... Ce n'était pas le sujet, après tout ?

-Oui d'accord, je vois.

Reprendre un peu du service ne pourrait pas me faire de mal après tout... Et puis je fais confiance à Akkiko, il sait respecter les règles. Et pour moi, ça me donne juste la sensation de faire quelque chose de plus productif que ce que je fais chez moi lorsque je lézarde ici et là. C'est donc pas plus mal...

-Pas de problème, je veux bien t'accompagner. Je n'avais rien de prévu de toute façon.

Je lui adresse un petit sourire, avant de poursuivre.

-Je vais aller voir si j'ai un détecteur de fréquence dans mon atelier. Sinon il faudra aller en chercher un à l'Institut. Tu m'accompagnes ?

Accompagnant le geste à la parole, je me lève pour aller fouiller mon atelier. Histoire d'accélérer les choses, je demande directement à Jarvis de faire le tour de mon inventaire pour me dire si j'ai ça ici ou si je l'ai déjà rendu. Ce qui serait préférable. Quelque part, c'est peut-être bien que ça n'ait pas traîné là, vu ce qu'Ys... Je sens mes muscles se tendre, et le bloque instantanément mes pensées. L'intelligence artificielle m'informe que je n'ai rien de tout ça ici, et je me retourne vers Akkiko.

-Bon, et bien direction l'Institut alors ! Nous devons avoir ça à l'atelier. Comment tu vas toi, sinon ?

Penser à autre chose, se changer les idées, vite.

-Tu t'en sors avec tous les changements ?

Je ne pensais pas qu'Akkiko ferait partie de ceux qui se faisaient retirer leurs pouvoirs. Etant d'un naturel calme, je pensais qu'il serait plutôt du genre à prendre le temps de se poser calmement pour essayer de les appréhender, et apprendre ensuite à s'en servir... Comme quoi, parfois, même quand on pense pouvoir savoir comment réagiront les gens, on se trompe.

Comme pour Ys...?

Je me pince la lèvre, et reporte immédiatement mon regard vers mon ami. Je hoche la tête à ses mots, et me permet de prendre la parole.

-Je vois, oui. Ca ne doit pas être facile... Après tu peux continuer à aider à l'Institut comme tu le fais déjà. Parfois on a l'impression que ce n'est pas grand chose, alors qu'en réalité, c'est important, autant que ce que font les autres !

Je lui souris doucement, avant de glisser mes mains dans le sweatshirt que j'ai enfilé ce matin. De toute façon, visiblement, je ne m'habille plus que comme ça maintenant... Il faudrait songer à en racheter, histoire que je puisse varier les tenues quand même...

Lorsque nous arrivons à l'atelier, nous trouvons rapidement ce que nous étions venus chercher. Je hoche la tête quand il m'indique qu'il va l'installer sur son drône, et je m'installe en face de lui quand il se rapproche de la table pour préparer son plan de travail.

Pendant quelques instants, je me perds dans le bidouillage de ses mains sur les appareils. Peut-être que je devrais me remettre à bricoler aussi, ça me ferait peut-être du bien...? En tout cas, de ce que je vois, il a l'air plutôt dégourdi. Ses gestes sont assez précis, et il analyse bien les branchages, en plus de le faire rapidement.

Je relève les yeux vers lui quand il reprend la parole, mon estomac se tordant douloureusement quand il évoque un... dragon. Haha. Hahaha...

Je me pince les lèvres, et détourne très vite le regard en sentant mes yeux s'embuer. Il faut tenir Mitsu, tu es une fille forte, pas vrai ?

Tu n'es pas que "la meuf d'Ys", pas vrai...?

C'est fou comme c'est dur parfois de se faire entendre raison.

-Si tu as des idées pour la sécurité, c'est plus simple si tu m'en parles à moi, vu que je suis en charge de cette fonction, je lui dis avec un petit sourire.

Essayer de reprendre comme si tout allait bien, comme si tout était normal...

-Mais sinon nous... Nous tenons le coup, oui.

Je me mords la lèvre inférieure. Mitsu, ALLEZ reprends-toi !

-L'enquête, pour en apprendre plus sur cette personne qui a fait un attentat, avance, je crois. J'ai décidé de ne pas y participer. Je préfère rester concentrée sur la sécurité.

Je me passe une main derrière la nuque, laissant mon regard se perdre à nouveau sur les manipulations qu'il faisait de son drône.

-Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort... C'est difficile en ce moment, mais nous parviendrons à en voir le bout.

Crois-le au moins autant que tu le peux, Mitsu.

Je me sens un peu prise de court quand il me fait la liste de toute ce qu'il faudrait, selon lui, pour défendre Terrae. Tant de choses que nous n'avons clairement pas les moyens d'avoir... Pas les moyens, ou simplement pas assez de reconnaissance pour le faire. Avoir des informateurs, c'est compliqué, quand nous travaillons encore pour nous faire accepter du monde...

Je hoche cependant la tête, et me permet de répondre, alors que nous arrivons dans la cour :

-C'est sûr que nous serions beaucoup mieux protégé comme ça... Mais vu notre position actuelle, nos moyens, et la vision qu'ont les gens de nous...

Je grimace.

-Mais après, nous avons aussi des pouvoirs ! Et les pouvoirs, ça peut avoir un effet peut-être tout aussi redoutable ! Les Voyants et les Télépathes peuvent devenir nos informateurs, les Terres peuvent renforcer nos murs, et les rebâtir à l'instant-même où ils sont détruits, d'ailleurs ! Enfin, tout le monde peut apporter sa pierre à l'édifice, d'une manière générale ! Pas que je veuille faire la guerre, hein, pas du tout, je...

Cette pensée me trouble, alors que je retombe à nouveau sur Ys, et je détourne le regard, le posant sur le drone qui s'élève dans les airs.

-Enfin, si un jour on se ferait attaquer, je suis sûre qu'on saurait se défendre !

Et quelque part, on l'avait déjà fait, il y a quelques années, lorsque les scientifiques s'en étaient pris à nous...

Le drone repère visiblement un signal extérieur, et j'acquiesce quand Akkiko me propose de rejoindre la zone d'où vient visiblement le problème. Je souris doucement quand il me fait part de son envie de lui fournir des propulseurs comme ceux d'Ipiu, et je hoche la tête. Pendant que nous marchons, il me partage son plaisir de travailler avec moi, et malgré tout gênée, je ne peux pas m'empêcher de réaliser avec quelle franchise Akkiko semble agir en permanence. Parce que vous vous en douterez bien, en tant que nouvelle Télépathe, en dépression qui plus est, il est encore difficile pour moi de contrôler ce pouvoir, et de l'empêcher d'entrer dans les têtes des gens. Mais ce qui est fort agréable avec Akkiko, c'est que dans sa tête ou à l'oral, tout concorde. Dès qu'il pense quelque chose, il le dit. Et quelque part, c'est si beau d'être si honnête ? Et si troublant de le constater avec surprise. Cela soulève l'idée qu'habituellement, les gens ne sont pas sincères...

-Alors, tu vois quelque chose ? je lui demande alors qu'on se rapproche de l'endroit indiqué par les ondes.

Un mince sourire étire un peu tristement mes lèvres. C'est sûr qu'ici, les choses sont tellement différentes d'ailleurs, et tout peut parfois sembler flou. Mais pourquoi ? Quand Hideko prend la parole, ça ne me semble jamais flou. On sent qu'elle sait, on sent qu'elle maîtrise les choses ; les plans d'actions sont bien déterminés dans sa tête. C'est presque comme si elle nous laissait parler simplement pour nous laisser la chance de participer un peu. Mais tout est calculé. Alors pourquoi pour nous, dès qu'elle sort de notre champ de vision, tout re-paraît ensuite flou ? Parce que nous ne déterminons pas bien nos limites ? Nos capacités ? Parce que nous ne savons pas nous organiser entre nous...?

Je tourne la tête vers mon ami quand je perçois une pensée qui me trouble un peu. Afya ? Ce ne serait pas la meilleure amie d'Aria ? Aaah mais je ne veux rien savoir, pourquoi faut-il que je sois télépathe ?! C'est un enfer !

Je secoue la tête, et reprends la parole, pour essayer de déconnecter de sa tête.

-Je pense que c'est ce qui a été mis en place avec les préfets, non ? Ils sont sensés mettre des plans d'actions en cas de souci. Comme nous le faisons aussi, chez les Masters. Chacun gère une zone spécifique, et s'occupe de la crise de son côté, pour que tous réunis nous parvenions à le gérer sans souci.

Je me mords la lèvre.

-Comment ça fonctionne les sapeurs pompiers volontaires en France ? Je ne connais pas du tout. Peut-être que ça pourrait être quelque chose, oui. Je ne suis pas trop ce qui se décide chez les préfets, mais je crois que Hideko leur a laissé ce genre de réflexion pour se concentrer sur les choses qui concernent les Masters.

Nous arrivons devant la maison hantée, et je hausse une épaule.

-Oui, bien sûr. Je ne pensais pas que ça pourrait venir de là... Mais ce n'est peut-être pas si étonnant en fait. Les gens perdent souvent des choses ici...

Je m'approche de la porte, et l'ouvre dans un grincement, avant d'afficher une moue embêtée. Il fait bien sombre, et je ne suis plus Tonnerre pour créer un peu de lumière avec une sphère. Si le monde savait à quel point ça me manque, d'être Tonnerre...

Sauf qu'avant d'être Tonnerre, j'avais bien d'autres solutions... Bravo Mitsu, c'est bien de réfléchir. Je sors mon téléphone et allume la lampe torche, avant d'avancer dans le hall. C'est vraiment l'anarchie ici hein...

Je me tourne vers Akkiko, et essaie de lire par dessus son épaule d'où vient le signal.

-Par ici, je dirai, dis-je en avançant vers l'étage.

Alors que je rattrapai Akkiko avant qu'il ne s'enfonce dans le plancher in extremis, je me dis que nous pourrions faire un bon duo en mission grâce à notre réactivité commune. Entre lui qui m'attrape tout à l'heure dans les escaliers, et moi qui l'aide là, nous étions assez complémentaire.

Je lui adressai un sourire, avant de m'éloigner pour éclairer moi aussi, en plus du drone, le fameux trou dans lequel il avait manqué de s'enfoncer. Il en sortit une radio, et la décrivit assez rapidement, la tournant entre ses mains. Mes sourcils se froncèrent et mon coeur s'agita dans ma poitrine alors que j'apercevais le logo qui avait été griffé (par le Master Morphe qui avait perdu la raison...?).

Je ne pouvais pas savoir à qui avait appartenu cette radio. Mais ce que je sais, c'est que ce sigle, je n'aurais reconnu entre mille, griffé ou pas griffé.

Un étrange frisson remonta le long de ma colonne vertébrale alors que je m'asseyais sur le sol, restant à distance de cet appareil. Comment avait-il pu arriver là ? Et se trouver dans le plancher ? Il avait été caché ? Mi... Misao aurait pu le ramener ?

Mon estomac se tordit alors que je repensais à ce que j'avais vécu, les souvenirs remontant à la surface peut-être un peu trop violemment.

-Ce... C'est une radio qui a appartenu aux scientifiques.

La marque à côté de mon omoplate me brûla comme à chaque fois que j'évoquais ces types. Je relevai le regard vers Akkiko, le visage pâle.

-Elle fonctionne encore...?

Est-ce que ça ne serait pas super grave ? Super dangereux ? L'organisation avait été démantelée, mais rien n'indiquait qu'ils n'avaient pas pu en reformer une nouvelle. Ou pire, rejoindre le Centre...

Mon estomac se tordit de dégoût en me souvenant de cette période sombre. Toutes ces missions abominables. Ces expériences. Ces morts... Je détournai le regard de l'objet, ne répondant pas encore à Akkiko. Peut-être aussi que le Master Morphe l'avait utilisée. Il était déjà là. Il a beaucoup vécu ici, d'ailleurs. Ce Master devenu fou... On a toujours dit qu'il avait perdu la raison à cause de ses pouvoirs, de ce trop plein d'un coup, de sa greffe qui lui aurait échappée... Mais si, quelque part, il avait gardé la raison ? S'il avait mené l'enquête de son côté, s'il avait continué à chercher à savoir, à les chercher, pour les tuer ? Il avait déjà franchi le cap, tuer ne signifiait probablement plus rien pour lui...

Je me pinçai les lèvres et reportai mon regard sur Akkiko alors qu'il annonçait la fin de notre mission, réussie avec brio. Je fronçai les sourcils. Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase que la radio commença à grésiller. Je me contractai immédiatement, et Akkiko m'entraîna d'ailleurs avec lui dans un coin de la pièce. Je le regardai avec une pointe de colère -la présence de cet objet me rendait un peu irritable, visiblement- et pestai.

-On part pas d'ici, non.

Prenant en main la radio qu'il m'avait tendue, je frissonnai. Elle manqua de m'échapper des mains mais je tins bon et la repris correctement, essayant d'ordonner à mes muscles d'arrêter de trembler.

-C'était ton nom. Et c'était clairement un message qu'on doit comprendre. On peut pas partir d'ici sans avoir compris.

Je lui tendis l'appareil, parce que je ne voulais plus toucher quelque chose ayant appartenu à ces enflures. Le sang pulsait dans mes veines à cause de la colère. Je grinçai des dents.

-T'es pas là depuis longtemps. Ca peut pas être les scientifiques. Ils n'ont pas de lien avec toi, et ils ont été décimé il y a 6 ans maintenant. Ma théorie, c'est plutôt que cette radio a été mise hors service... Les griffes dessus, je soupçonne le Master Morphe fou de Terrae de les avoir laissées...

Je grimaçai, détournant le regard.

-On n'a plus entendu parler de lui depuis longtemps, je pense qu'il a fini de perdre entièrement la raison, et qu'il est resté bloqué sous une forme animale. C'est un type qui est passé Master avant que moi j'arrive, je crois. Ou pendant mes débuts à Terrae, j'en sais rien. Mais apparemment, il a pas supporté les pouvoirs, et ça a dérapé, il s'est enfui et il est venu vivre dans la forêt, probablement un peu ici aussi. Je me dis que s'il a trouvé cette radio, et s'il était encore un minimum conscient des choses, il a peut-être voulu faire quelque chose... Mais ne trouvant rien, il aurait essayé de la détruire, je n'en sais rien ?

Je me pinçai les lèvres en reportant mon regard sur Akkiko.

-Toujours est-il que cette radio est là. Et tu m'as dit que ton pote avait rencontré pas mal d'interférences, donc c'est pas le premier message qui a été envoyé... On peut décemment pas laisser ça là. Faut absolument qu'on comprenne, parce que si Terrae est en danger, ça repose sur moi... Et j'veux pas encore une fois tout gâcher...