Je peux pas te regarder blablabla... Du coup je te détruis moi. Digne d'un méchant Disney. La douleur me contracte, la peur la renforce, et si elle ne s'arrêtait pas ? Mes ongles s'enfoncent dans la chair de mes mains en une vaine diversion. J'essaie d'appliquer les techniques de respiration qu'on me rabache, de me focaliser sur un élément insignifiant du décors sauf que ça marche pas. Ça ne peut plus marcher comme quand j'avais rien à perdre. J'ai mal, j'ai peur que cette douleur m'emporte. Peur de les abandonner. Peur de mourir alors que je viens à peine de trouver comment vivre. Il essaye d'apaiser la souffrance... et moi je comprends que je peux pas lutter contre lui. Alors je tente autre chose, je fais croitre la colère pour qu'elle prenne toute la place

"LOL. T'as raison. Il aurait été vachement mieux si j'avais laissémes potes du Centre continuer à le border. J'pouvais l'y laisser. Tu ramènes Charlotte à ses VRAIS parents ?"

C'est bon, elle est là, la colère. Elle sort, elle enfle. J'veux pas te faire mal Piu, mais putain t'es pas cool là. Je serre les dents. Ses vrais parents hein... Tu sais quoi Piu, je sais qui sont ses parents. Et c'est pas Hélène et Laurent.

—Je te parle pas de Terrae, je te parle de là, ici, chez toi, auprès de toi. Mais continue à faire comme si tu étais trop conne pour comprendre, vas-y, montre-moi à quel point t'as pas d'honneur.

Tu veux être en colère ? Alors tiens, prends ta colère. J't'aide à la faire gonfler, si tu veux. Viens. Montre moi à quel point tu peux être injuste.

Je souris, la colère apporte le calme. La douleur est moins assourdissante. Il parle d'honneur. L'honneur ça n'existe que pour ceux qui ont rien à perdre. Sinon tu serres les dents, et tu fais ce qui doit être fait. Quelque en soit le prix à payer. La colère elle est là.

"Parce que je sais très exactement ce qu'il vit, et que je voulais lui laisser le choix."

Sourire encore glacial.

"C'est drôle, le gars qui m'a bassiné pendant des mois pour que je lui dise que j'étais sa mère vienne maintenant me demander des comptes. En fait personne n'est à la hauteur de tes exigences seigneur William...s"

Mon propre regard prend la même expression que le sien. Glacé.

—Tu en parles comme si c’était incompatible. Tu dis que tu voulais lui laisser le choix, et tu as raison. Mais maintenant qu’il a fait ce choix, tu dis qu’il aurait été mieux sans toi. J’ai pas l’impression que ce soit mes exigences qui sont difficiles à satisfaire.

J'ai jamais dit mieux, j'ai dit plus simple.. Si je n'avais pas été sa mère, ça aurait été plus simple pour lui. J'aurais pu être une amie, une ressource, pas la personne à laquelle il est lié malgré lui. J'aurais pu être celle qui a vécu la même violence, qui comprend ses peurs, ses colères. Mais non, il fallu que je sois sa mère, qu'il ait les mêmes yeux que moi, qu'un crétin lui affuble mon nom "car je suis sa mère"... On aurait pu définir ce que l'on voulait être l'un pour l'autre plutôt que de subir cette injonction.

"Plus simple, pas mieux. Williams, il a jamais demandé à avoir une mère mourante. Putain. "


MERDE. JE VEUX REPRENDRE MES MOTS. JE PEUX PAS. Alors faut que je me force à parler. A noyer sous un flot d'informations que ma voix roque a du mal à prononcer. Cacher la terreur qui repointe son nez. Je pourrais pas être présente longtemps. Ça fait tellement mal. La peur domine à nouveau, et avec la douleur. Celle contre laquelle je perds peu à peu du terrain.

"T'attends quoi de moi, que je mette un tablier à fleurs, qu'il y ait toujours une tournée de cookies chez moi ? Que je colle le gamin en prétendant être sa mère parce que la moitié de ses chromosomes viennent de moi alors que je l'ai rencontré en même temps que toi ? Que je le foute à la porte parce que ce serait plus facile pour moi ? Non, mais vas-y, balance ce que tu veux !"

“Williams”… C’est bon, j’ai compris, hein. Je lui lance un regard blessé, et en même temps respire aussi lentement que je le peux pour ne pas laisser ma colère m’envahir. Elle est injuste, et j’le sais. Elle le sait aussi, y a eu ce soubresaut en elle que je reconnais. Je secoue lentement la tête, comme pour lui dire “non”.

C’est amer dans ma bouche, et je réponds d’un air défait :

—Evidemment qu’il a pas demandé à avoir une mère mourante. Il a pas non plus demandé à avoir une mère qui prend ses médocs en même temps que tout l’alcool qu’elle ingurgite.

J’suis triste, et ça m’fait chier parce qu’on se comprend pas. Et ça se voit qu’Aylan occupe toutes ses pensées, sinon elle arrêterait pas de m’en parler en boucle.

—C’est toi qui n’arrête pas de parler d’Aylan, depuis avant. Je suis pas venu pour ça, en fait. Moi j’te dis que j’ai pas envie que tu crèves. Que j’aimerais t’aider. Que j’aimerais que tu fasses attention à toi, parce qu’y a des gens qui t’aiment. Y a Aylan, ouais, mais y a aussi moi, y a Erik, y a Nath, Selvi, Huo…

Y avait Ys, fut un temps. Et là j’ai les larmes qui me montent plus fort aux yeux et juste, j’arrête de la regarder, parce que c’est trop. J’ai l’impression que lui aussi, si on avait agi plus tôt, on aurait pu le sauver de lui-même. Et finalement il n’est plus là.

—Ce que je veux c’est que tu prennes soin de toi. Et pour Aylan, tu lui as laissé la porte ouverte… Alors il est ta responsabilité. Je te dis pas qu’il faut que tu le colles. Ou que tu le foutes à la porte. J’te dis qu’il faut que tu restes en vie.

LOL.

"TOUT L'ALCOOL QUE J'INGURGITE ? T'as raison. T'sais quoi j'ai qu'à arrêter de boire et tout ira mieux. Bien sûr. J'y avais pas pensé. Je suis trop conne pour ça !"

LOL. Je ne bois plus quotidiennement. Ça a été dur. J'me suis fait aider. Je pouvais pas aller me confronter au Centre en ayant une chance sur deux d'être bourrée. C'était le deal pour que je puisse partir. Les douleurs n'étaient pas encore présentes. On m'avait prévenu : un alcoolique reste alcoolique toute sa vie. Alors j'ai lutté. Encore et encore. J'ai craqué. J'avais mal et j'ai juste espéré que l'état d'euphorie suivant la prise d'alcool engourdisse mon esprit. Que maintenant en plus d'avoir mal, honte, et peur, je dois lutter contre l'envie de me servir un verre. À nouveau.

Tu crois que je sais pas que vous vous faites du souci ? D'après toi pourquoi je vous raconte pas que je passe deux à trois fois à l'hôpital pour des perf, bilans et autre joyeusetés ? Qu'une semaine sur deux on me dit qu'un de mes médicaments a dégommé un de mes organes et que je dois en changer ? Que finalement cette douleur qui me démoli est pas ce qui inquiète les toubibs, que pour eux sa gestion était que accessoire ?

Nan, t'as raison je fais tout ça pour claquer.

"J'essaie Aaron. Ça suffit juste pas."

Je lui lance un nouveau regard noir. J’ai l’impression qu’elle fait exprès de pas comprendre, et qu’on tourne en rond depuis avant. Mais au moins, elle détourne plus le sujet de manière aussi vénère, c’est déjà ça. Je me rassois sur l’accoudoir du fauteuil et la fixe. Finalement, je soupire. “C’est ce que je fais depuis six ans”… Mais merde, quoi.

—Je sais que t’essaie. Je sais que t’as essayé d’arrêter. Mais si ça continue à manquer de te tuer, c’est qu’il faut agir autrement et tu l’sais. Est-ce que tu vois un psy pour gérer ton addiction ?

J’arrive à la regarder de nouveau.

—Ca fait quelques années que j’ai l’impression de te perdre. Qu’on parle plus. Laisse-moi t’aider. Ou juste être là. Mais me cache pas des trucs.

Non. Je vois un psy pour ma dépression, mon trouble anxieux, mon syndrome de stress post traumatique et. Ouai. L'addiction c'est peut-être la cerise sur le gâteau. Bien qu'en ce moment je le vois moins, pour la simple raison que j'ai pas l'énergie de parler. D'ailleurs mes paroles sont de plus en plus rappeuses et ma gorge me fait mal. C'est chiant.

Ca fait quelques années que t'es papa, que t'as plus important à gérer que ta pote relou qui n'en fait qu'à sa tête. T'as pas le temps de t'occuper de toute le monde Aaron. Putain ma gorge me fait vraiment mal. Je tends la main vers la brique de jus de fruit hyper protéiné dans laquelle Erik a planté un paille avant de partir. Tout est à porté de main, parce que même si ça va mieux, passé la séance de rééducation du matin, il y a plus grand monde aux commandes. Parce que ouai, trois putains de jours de réa ça laisse plus de traces que j'le voudrais. Le liquide sucré brûle un peu, puis apaise.

"Une autre fois Aaron, j'ai pas l'énergie pour ça.. Promis."

Elle abandonne, et quelque part, j’aimerais abandonner aussi. Mais je décide de lui laisser du répit, parce que je vois, je sens qu’elle est à sa limite. Je garde mes pouvoirs actifs quand même, pour faire refluer la douleur comme je le peux, sans toucher à ses émotions. Celles qui font qui elle est. Celles qui ne la détruisent pas, mais qu’elle refuse souvent de voir. De ressentir. Je sais qu’elle fait des efforts… et j’aimerais être fier d’elle pour ça, mais elle était encore en réa et j’en ai marre de souffrir parce qu’elle souffre. Un jour, j’aurai plus l’énergie d’être là pour elle du tout, alors j’mets mes dernières forces dans cette bataille. Parce que j’veux que ça aille mieux. Que j’marie mon fils l’an prochain, qu’on fait des projets avec Lou aussi. Je veux que ça aille mieux. Et c’est sans doute égoïste, parce que pour elle, ça ne va pas mieux… Mais est-ce qu’elle n’est pas égoïste aussi, de toujours se faire du mal sans penser aux conséquences ?

Lentement, j’me lève et plante mes mains dans les poches. Ma gorge est serrée aussi, mais j’ai certainement pas aussi mal qu’elle.

—Si tu me le promets, alors une autre fois. J’ai dit ce que j’avais à dire.

Je la fixe, mais j’ai l’impression de fixer le vide. Elle est comme un fantôme devant moi, maintenant que la colère semble retomber.

—Tu veux une infusion ?

J'oublie pas ce qu'elle m'a dit, mais je reste son ami. Peut-être qu'un jour, j'en aurai marre de la voir m'attaquer sur ce qui m'est le plus cher dès qu'on a un désaccord.

J'hoche une fois la tête. Oui. Je lui parlerais. J'essaierais. Est-ce qu'une lettre suffirait ? J'en parlerais à ma psy avant. C'est plus sûr.

"Non merci." je croasse.

Je me force à ne boire que des liquides surprotéinés, Senri serait fan, ça ne vaut pas l'eau on est d'accord mais au moins ça me permet d'essayer d'espérer reprendre du poids. Ne plus en perdre. J'ai pas toujours très faim en ce moment, et j'me force pour les repas... Alors au moins j'fais en sorte que tout ce que j'mange soit très calorique.

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