La tête de Gaetano est... terne. Pour ne pas dire carrément morte, en fait. Ma question semble jeter un froid, et je fais la moue. Je suis peut-être trop décontracté vu les événements, mais sincèrement, il préfère que je fasse quoi ? Que je prenne ses fringues, que je les lui balance en pleine tête et que je le foute dehors ? Sincèrement, je suis pas un connard à ce point. Et sachant que j'assume aussi parfaitement mes fautes... Je suis prêt à me faire massacrer par Haley pour le soutenir moralement, si c'est pas beau ça ! Ahhh, les hommes et leurs élans de solidarité masculine si virils ! (Joke. Sérieux, il m'a appelé princesse hier soir, quoi... Il me fait chier, c'est pas mon surnom officiel !)
Je le regarde se lever et acquiesce lentement en lui rendant son salut.

– Évite de trop boire pour faire passer ta cuite en même temps que ta dépression, hein ! Soigner le mal par le mal, c'est du pipeau ! Ça marche que dalle.

Hum. Il referme la porte sans me répondre, et je me sens un peu con sur le coup. Le silence soudain de l'appartement me fait frissonner.
Pour la peine, je vais m'allumer une clope, puis deux, puis trois. Et, assis sur ma chaise de bureau, face à mon immense carte, je contemple mon œuvre, lunettes sur le nez, les yeux courant sur chaque parcelle du mur, s'arrêtant sur chaque punaise, chaque photo, chaque lettre et chaque information qu'ils rencontrent. Ces laboratoires poussent définitivement comme de la mauvaise herbe. Et plus ils se multiplient, plus j'ai l'impression qu'on arrivera jamais à les stopper. Quand je vois ce qu'on y fait... À des gosses, des êtres humains.
Je crame mes clopes les unes après les autres, le cendrier sur les genoux, et ferme les yeux. Je me laisse à nouveau aller à mes sensations les plus désagréables ; ce retour sur le carrelage froid, à l'odeur de désinfectant atroce qui vous chatouille les narines même lorsque vous êtes complètement abrutis par des médocs. Le vrombissement des machines, tout autour, le bip atroce de l'électrocardiogramme, des électrodes ; la lumière artificielle plus vive encore que le jour lui-même. Le jour, enfin, qu'on attend presque avec désespoir, qu'on finit par croire définitivement perdu dans les limbes.
Lorsqu'on finit nous-même par se croire perdus.
Une longue inspiration, alors que je vais vider mon cendrier d'un air torve. Je retourne dans le bureau et m'installe devant mon ordinateur après l'avoir allumé, me craquant les doigts. Bon, Aaron... T'as encore un peu de boulot avant de retourner glander. Avec un peu de chance, ça t'évitera de succomber à ton mal de crâne...
Un petit mot au marteau-piqueur qui s'y est logé : ce serait bien d'arrêter d'essayer de creuser un trou dans le peu de cervelle qui me reste, j'en ai besoin. Merci !