- J't'interdis de me traiter de chauve, sorcière ! À une époque, on t'aurait brûlée vive pour avoir des cheveux de cette couleur.

Qu'est-ce-que t'étais moche quand tu râlais Aaron. Mais vraiment! Pi t'étais chiant aussi, mais ça, je me gardai bien de te le dire! Tu sais ce qu'il te disait mes cheveux Aaron?
Mauvais joueur? Oui tu l'étais.

- Aloooors... un insecte hein ? J'sais pas moi, fourmi, punaise, cloporte, sauterelle, grillon... Un truc du genre ? Je veux un autre indice ! J'vais jamais y arriver, tu sais le nombre d'insectes qu'il existe sur terre ?!

Genre t'étais de sale humeur? J'y croyais pas! Qu'est-ce-que t'étais rasoir! Un vrai vieux. Mais vraiment! Tu m'agaçais sur le coups, enfin, plus tu m'amusais. Mais t'étais moche comme un poux avec tes joues gonflées.

- J'veux plus jouer !

T'as croisé les bras et je me suis mise à rire. Sauf que tu as froissé le post-it où tu as pu lire l'insecte en question. J'étais plié face à ta tête. J'ai vraiment cru que t'allais me tuer.

- HE ! Cafard toi-même sale hamster !

Je pouvais plus respirer tellement je riais. Mais tu t'es levé si vite, et avec tellement de rage que j'ai cessé. Ben quoi? Tu m'en voulais peut-être?
J'ai rien dis. J'ai attendu. J'ai regardé la pendule, il était déjà tard... Il faudrait que je pense à rentrer.

- Bon, tu veux un truc à bouffer ? Je crève la dalle en fait...

Moi pas. J'avais presque envie de te le répondre mais je savais que t'allais me ruiner. Alors j'ai pris la deuxième solution. Je me suis levée et j'ai quitté le coin salon pour aller direction l'entrée.

- Non merci c'est gentil mais il vaudrait mieux que je rentre... Je vais pas te déranger plus longtemps...

Je me suis arrêtée et me suis tournée vers toi, un petit sourire fade aux lèvres.

- Merci pour le petit moment passé. C'était sympa de ta part, t'étais pas obligé. Même si t'es un tricheur et un mauvais perdant!

Alors je suis repartie vers l'entrée mais...

Genre... Genre elle se marre ?! Nan mais vous l'avez vue comme moi, là, elle est en train de se fendre la poire sur mon canapé ! Limite elle se roulerait pas par-terre, tu sais... La meuf trop normale, qui n'a pas du tout de problème mental ni rien ; tout ce que vous voyez est réel, mesdames et messieurs ! Observez la jeune Ludmila Bidule, dont je ne me souviens pas du nom de famille (au pire, vous savez quoi ? osef ! c'est dans mes dossiers), qui est en train de se transformer en phoque ; ou pire : en BALEINE. J'aurais dû lui mettre une baleine ou un béluga sur son petit front pâle de sorcière rousse. Ou un lamantin. Quoique les lamantin, ça fait un peu la bestiole qui se lamente toute la journée, c'est un peu comme le saule pleureur ; c'est méga triste.
Je me redresse d'un bond et lui sort qu'en fait, j'ai grave la dalle, et son visage perd soudainement toute gaité. Eh mais... mais non ! J'ai trop galéré à la faire sourire, elle va pas se barrer comme ça en me laissant tout seul ?! (Non c'est pas parce que j'ai pas envie d'être seul, c'est faux, je vous permets pas. Je suis quelqu'un de bien, moi : je suis pas égoïste pour un sou et-- comment ça c'est pas crédible ?!)

- Genre tu crois que tu vas où comme ça ?! je la rattrape par l'arrière de son t-shirt, au niveau du col, que je tire vers l'arrière. Reste-là, panda roux !

... Eh, c'est mignon un panda roux, faites pas cette gueule de choqué.

- Vas-y ramène-toi, on va grailler un truc. Et pas de mais, sinon je te coupe la langue. Ou ton bras valide. Fais gaffe hein, j'peux être super menaçant quand je le veux !

Pour appuyer mes propos, je me concentre (chut, je suis diminué mentalement) et fais un petit numéro de lumière en faisait courir quelques éclairs inoffensifs autour de nous. Manque juste le rejet de cheveux en arrière à la l'oréal, vous savez...

- Appelle-moi Zeus.

Ahah. Euh what ?

- Genre tu crois que tu vas où comme ça ?! Reste-là, panda roux !

Je me sentis attraper par le colback et j'ai bien été obligé de reculer pour revenir... Devant toi. Aaron, tu faisais chier tu le sais ça? Pi comment tu m'avais appelé déjà? "Panda roux"? Très original, appelle moi renard aussi je te dirais rien!
J'ai soupiré, croisant les bras, mais t'avais l'air décidé à m'obliger à rester.

- Vas-y ramène-toi, on va grailler un truc. Et pas de mais, sinon je te coupe la langue. Ou ton bras valide. Fais gaffe hein, j'peux être super menaçant quand je le veux !

Toi menaçant? T'as tenté de me faire une démonstration de tes pouvoirs mais la force te manquée et pour peu, j'aurais ris. Mais j'ai rien dit, je t'ai laissé faire.

- Appelle-moi Zeus.

Pardon. Vraiment. Mais j'ai eu un fou-rire à m'en rouler par terre. Toi Zeus?! Et redescend mon gars, t'es qu'un homme faut se calmer! J'en pouvais plus, j'avais la rigolo-manie, et je vous promets que c'est pénible. J'avais mal au ventre à force de rire.

- Toi?! Zeus?! Mais lai... Laisse moi rire! T'es même pas foutu de rester concentrer trente secondes d'affilées!

Et je riais mais riais. Moi et ma délicatesse que voulez vous! Mais tu m'avais bien appelé panda roux alors bon, l'un dans l'autre! Enfin, je me calmais pour te regarder, sourire aux lèvres. J'ai soupiré.

- Mis à part ça, j'ai encore pas mal de taffe pour demain et vu que j'aimerai éviter de sécher le cours parce que j'ai pas mon devoir, ben faut que j'y aille, je mangerai sur le pouce!

Ça se voyait à trente kilomètres que je te mentais. Le lendemain, j'avais pas cours et en prime, mes devoirs étaient tous fais. Ben ouais, ça occupe l'esprit mine de rien. J'avais juste pas faim. Or, te connaissant, t'allais me couper la langue si je te répondais la vérité.  Alors Aaron, allais-tu me laisser filer? J'en doutais bizarrement.

Elle me gave cette p'tiote, mais sévèrement ! Elle s'imagine que je vais la croire gentiment et que je vais la laisser partir ? Non parce qu'aux dernières nouvelles, je pense qu'elle sait que je suis sensitif. En plus d'être prof, et d'être chiant. Le mix de tout ça fait que j'ai pas spécialement envie de la laisser partir jeûner pendant trois jours. Oui, bon, ok, je dis ça mais j'en sais rien. Mais faut qu'elle mange, c'est important. Elle est déjà maigre comme un clou après on va voir que sa poitrine après on va croire qu'on s'occupe pas bien de nos élèves et qu'on les laisse devenir anorexiques et tout. C'est mal ! J'ai pas envie que panda roux devienne un stix, moi...
Je roule des yeux et la tire à ma suite pour l'obliger à s'asseoir sur une des chaises de la cuisine. Pas violemment non plus, mais suffisamment fermement pour qu'elle tente pas de se barrer. (On dirait VRAIMENT que je parle d'un animal là, ça craint.)

- Mais oui c'est ça, et la marmotte elle emballe le chocolat dans le papier alu - et elle s'emballe toute seule dans un kinder surprise, aussi.

Je m'étire et farfouille dans mes placards.

- Si déjà t'as pas envie de manger, sois honnête hein. Mais dis moi un truc que t'aimes et je te le fais. Paraît que je cuisine pas trop mal.

Ce qui est vrai, pour une fois ! J'aime pas me vanter - bon un peu quand même, mais ça vous êtes pas obligés de le savoir - mais j'arrive à faire à peu près tout, niveau bouffe. Bon, si elle me demande un truc qui met trois heures à cuire, ça risque de pas le faire, mais voilà !

- Ah et inutile de dire que t'as pas le choix ?

Mon sourire se fait plus large, et je bats doucement des cils. Beehh je dois avoir une tête de vieux crado comme ça, c'est horrible.

- Bref. Tu manges quoi, donc ?

T'es chiant Aaron. Mais vraiment. Vraiment, vraiment, VRAIMENT chiant. Du genre beaucoup. Du genre trop. Tu m'as attrapé par le colback et tu m'as traîné (oui je dis bien traîné!!) jusqu'à ta cuisine où tu m'as séquestré (Quand je vous dis que mon prof de maths est fou!). Assise, j'ai croisé les bras, enfin le bras, enfin tu m'as comprise! Non? C'est pas grave tu fais comme si.

- Mais oui c'est ça, et la marmotte elle emballe le chocolat dans le papier alu - et elle s'emballe toute seule dans un kinder surprise, aussi.

Ben t'as jamais vu la pub? Non? Ben tu la regarderas, je comptais pas m'éterniser ici! Sale kidnappeur j'ai une vie moi! Ouai enfin non, pas vraiment... Pi en plus, c'est pas comme si je pouvais compter sur grand monde pour venir me sauver. J'étais comme qui dirait coincée ici. La vie est cruelle.
Pendant que j'élaborai un plan pour partir genre rapidement et discrètement, toi tu fouillais les placards.

- Si déjà t'as pas envie de manger, sois honnête hein. Mais dis moi un truc que t'aimes et je te le fais. Paraît que je cuisine pas trop mal.

C'était le comble. Toi tu cuisinais? T'a-je déjà dit que je voulais pas mourir tout de suite? Pourtant, j'ai pas répondu, parce que je savais que malgré tout, tu faisais ça pour moi. T'étais pas que con. T'étais aussi gentil et attentif. On voyait bien que tu voulais juste pas que je me laisse mourir de faim.

- Ah et inutile de dire que t'as pas le choix ?

T'as fais un large sourire et t'avais l'air d'un débile. Mais je t'aimais quand même bien hein! Même si t'étais un psychopathe narcissique et con. Je devais être maso.
Étant donné qu'en ce moment, je me nourrissais exclusivement de café pour me tenir éveillée (cauchemars l'obligent...) j'avais pas vraiment d'idée.

- Bref. Tu manges quoi, donc ?

J'ai dis que j'avais pas d'idée! Tu t'en fichais? Je m'en doutais. Alors j'ai fais mine de réfléchir. J'étais presque tenté de courir vers la sortie mais tu m'aurais rattraper avant même que je ne sois à l'entrée.
Alors, comme j'avais ni faim, ni d'idée, j'ai soufflé la première chose qui m'est passé par la tête.

- Je mange de tout. Fais moi ce que tu préfères.

Eh! Je faisais un effort là! Merde Aaron me frappe pas hein! Et interdiction de râler! J'ai soupiré et j'ai joué avec le bracelet de Blue qui était autour de mon poignet gauche. Blue...

- Tu m'expliques pourquoi tu fais tout ça pour moi?

Devant sa mine défaite, je ne peux que retenir un soupir tout en roulant des yeux. Franchement, cette gosse est d'un déprimant parfois. Booon ok, elle a ses raisons et je sais que je peux pas le lui reprocher. Mais allez, il faut sourire dans la vie ! Venez, chantez tous avez moi ! Iiiil en faut peu pour être heureux, vraiment très peu pour être heureux~ Hm ? Comment ça "non" ? Chut, je chante super bien, même dans ma tête, arrêtez de me dire que j'ai un grain ! (Un grain, mais un grain de quoi, de riz ou de maïs ?) C'est donc avec un sourire un peu débile - toujours, ou bien encore, je sais pas trop mais je suis pas sûr que ce soit important - que je commence à sortir une casserole pour faire du risotto. ... Quoi ? J'y peux rien, mon meilleur pote est italien et il m'a fait la bouffe pendant perpette, y a des trucs qui restent hein. Puis je kiffe ça, aussi. Y a intérêt à ce qu'elle kiffe ça aussi ! Sinon je la gave comme une oie : hop un entonnoir, et-- ouais nan c'est glauque ça.
C'est donc dos à elle que je l'entends me poser cette question stupide - ou peut-être pas si stupide que ça au final. C'est vrai qu'on pourrait se poser la question. Au final, même moi je sais pas trop. Ou peut-être que je le sais trop. J'aimerais bien oublier pourquoi je "fais ça", justement.

- C'est pas par pitié, si c'est ce que tu demandes, je commence.

Personne ne veut de pitié. Moi le premier.

- Mais je sais pas trop. Parce que j'en ai envie ? je fais d'un air taquin - et je sais que lui dire ça la mettra bien en rogne. Plus sérieusement. Quand je te vois, je sais pas, j'ai l'impression de me revoir quand j'avais le même âge. Enfin à peu près, j'sais même pas l'âge que t'as. Mais j'étais paumé, j'ai fini par essayer de trouver le moyen de m'occuper l'esprit. Programmation, meufs, mecs, alcool, drogue, armes, bagarres, l'adrénaline quoi. J'avais besoin de bouger. Parce que je savais que si j'arrêtais de bouger, j'allais crever.

Un sourire neutre s'étire sur mes lèvres. Je ne cesse pas pour autant la préparation du repas, et je ne la regarde toujours pas. J'ai un peu honte de cette part de ma vie. Enfin beaucoup.

- J'ai eu des périodes difficiles et si j'avais pas eu des gens pour moi je sais que je serais pas là. Je me plains pas, hein. Je pense pas que j'aie encore des raisons de le faire. Mais je sais que j'aurais aimé que quelqu'un soit là, comme ça, après mon arrivée à Terrae. Parce que c'est là que j'avais le plus besoin de présence.

Enfin, je me tourne vers elle. Lui fait un petit sourire. Pas triste, pas heureux. Pas indifférent non plus. Simplement présent.

- Toi non plus, faut pas que tu restes toute seule. Puis. Toi aussi t'étais là à ma sortie de l'hôpital, faut bien que je te rende ça ! je lance avec clin d’œil.

- C'est pas par pitié, si c'est ce que tu demandes.

La réponse a claqué, comme s'il te coutait d'en parler. Mais ma question était justifiée, car au fond, j'étais quoi, moi, pour toi? Tu te complaisais dans le rôle du prof trop classe et compagnie, mais on en oubliait presque qu'au fond, toi aussi ,t'étais humain. Et toi aussi t'étais là pour une histoire sordide.
La pitié? Je la hais. Personne n'a besoin de ça, ça sert à rien et ça nous rappelle juste à quel point on est merdique.

- Mais je sais pas trop. Parce que j'en ai envie ?

J'ai faillis te frapper mais tu as vite repris.

-  Plus sérieusement. Quand je te vois, je sais pas, j'ai l'impression de me revoir quand j'avais le même âge. Enfin à peu près, j'sais même pas l'âge que t'as. Mais j'étais paumé, j'ai fini par essayer de trouver le moyen de m'occuper l'esprit. Programmation, meufs, mecs, alcool, drogue, armes, bagarres, l'adrénaline quoi. J'avais besoin de bouger. Parce que je savais que si j'arrêtais de bouger, j'allais crever.

Comme moi avec la course. Pendant les deux ans. J'ai su que si j'arrêtai, c'était finit, j'allais tomber. J'ai jamais cessé de courir. Jamais. C'est la seule chose qui me maintenait en vie. Avec la musique.
Je t'avais jamais vu comme ça Aaron. Tu n'affrontais pas mon regard. On voyait que tu ressentais chacun de tes mots, et j'ai crus décevoir ce sentiment que j'avais moi aussi en toi: La honte. Mais où était ta faute là dedans Aaron?

- J'ai eu des périodes difficiles et si j'avais pas eu des gens pour moi je sais que je serais pas là. Je me plains pas, hein. Je pense pas que j'aie encore des raisons de le faire. Mais je sais que j'aurais aimé que quelqu'un soit là, comme ça, après mon arrivée à Terrae. Parce que c'est là que j'avais le plus besoin de présence.

J'ai pas pu lever les yeux de mon bracelet, parce que je comprenais chacun de tes mots. Parce moi aussi, je connaissais ses sentiments.
Alors tu t'es tourné vers moi et tu m'as fait un pauvre sourire. Il voulait pas dire grand chose celui-là, mais il était là et c'était déjà ça.

- Toi non plus, faut pas que tu restes toute seule. Puis. Toi aussi t'étais là à ma sortie de l'hôpital, faut bien que je te rende ça !

J'ai souris aussi, allez savoir pourquoi.

- Compare ce qui est comparable s'il te plaît. En plus la première fois, je te rappelle que je me suis foutue de ta gueule quand tu t'es pris le poteau!

J'ai réfléchis un instant à tes paroles. T'étais pas que gentil, con, narcissique, stupide (sisi) et fou. Non, t'étais aussi brisé Aaron. J'avais cru le remarqué une fois, au café, la dernière fois. Mais j'avais rien dit, parce que c'est pas des choses dont on parle facilement, encore moins à une inconnue (fin presque).

- Et j'ai 18 ans pour ta gouverne. Aaron... Je comprends pas pourquoi tu veux pas que je reste seule. Je te l'ai dis, je recompte pas sauter.

Je me suis levée et me suis approché de toi pour finalement te sourire. Autant changé de sujet non?

- Bon alors, on mange quoi? Je peux t'aider?

Faut pas croire je suis plutôt douée, même avec un bras en moins! Pi le plus fou dans tout ça, c'est que j'avais plus tellement envie de partir. Surtout qu'il faisait nuit. Je n'aimais pas sortir la nuit. Plus depuis cette nuit-là. Pi j'étais bien finalement ici. Même si tu me séquestrais.

C'est un sujet plutôt difficile à évoquer. Pas aussi difficile que je le pensais, cela dit. J'arrive à en parler, à sourire. Faut juste pas que je me concentre trop dessus ; faire autre chose en même temps, c'est bien mine de rien. Au moins, j'ai pas les yeux perdus dans le vague et les larmes aux yeux comme un cocker blessé. J'en ai assez de me morfondre, mais c'est tellement plus simple comme ça. Alors je me contente de lui parler, lui raconter, même si elle en a peut-être rien à faire, je sais pas. Sur le coup, ça me libère, me fait du bien. Je revis tout ce dont je lui parle, mes expérience, mes gros fails, les moments douloureux, de colère, de joie, un peu tout ça. Mon passé, tout simplement. Parce que c'est ce qui me fait moi, comme je suis maintenant. Je me suis construit sur cette base chaotique - ça n'a pas donné grand chose de bon au final, mais j'imagine que j'ai pas que des mauvais côtés. Pas que.
Je me tourne vers elle et l'expression sur son visage me rappelle à la réalité. En fait, je pense pas qu'elle s'en fiche. Elle n'en a pas l'air en tout cas. Touchée, peut-être. Elle a l'air de se poser des questions, aussi. Peut-être qu'elle se demande ce qui est arrivé - mais est-ce qu'elle a besoin de le savoir ? Elle serait triste pour moi ; j'le sais parce qu'elle est empathique. Pas comme moi qui suis sensitif, évidemment, mais elle s'inquiète vite pour les autres. La preuve. Je voulais pas la miner. Mais elle m'a posé une question, et j'en ai assez de fuir. Assez d'être un lâche et de mentir aux gens. Les autres ne méritent pas toujours la vérité, mais elle, elle a besoin de voir qu'on peut s'en remettre. Même si, très honnêtement, je sais pas si je m'en suis remis. J'ai encore l'impression parfois que j'en ai pas la volonté. Ni celle d'avancer, ni celle de continuer à stagner. On fait comment, dans ce cas-là ?
Elle sourit. Elle sourit et ça me fait du bien, alors je souris un peu plus, comme par mimétisme. Je préfère quand les gens sont heureux autour de moi. Ça me permet de pas penser. Puis ils transmettent une énergie positive, la plupart du temps. C'est pas possible de pas s'en inspirer !

- Maiiis si c'est comparable. Puis euh je me serais foutu de ma gueule aussi si je m'étais vu faire, hein...

En fait, je crois que quand on a besoin de quelqu'un, peu importe la gravité de ce qu'il s'est passé, la profondeur de notre tristesse, on sera toujours heureux d'être ramassé.

- C'est pas ça qui m'inquiète. C'est juste... 'fin j'ai pas envie que tu ressasses tes idées noires. Parfois on a besoin de calme, c'est clair, mais je sais aussi que le silence peut tuer.

Puis je souris. Lui désigne la casserole.

- Du risotto. J'espère que t'aimes ça. Mais t'inquiète, ça va cuire maintenant ; faut juste que j'oublie pas de mélanger. Tu peux faire si tu veux, mais j'ai pas envie que tu te fasses mal. Avec ton bras.

Je touille avec ma cuillère en bois et souris en coin.

- Enfin si t'as envie de te rendre utile je peux te tenir la casserole.

- Maiiis si c'est comparable. Puis euh je me serais foutu de ma gueule aussi si je m'étais vu faire, hein..

J'ai eut un petit rire. T'avais pas tord. Ce qui m'étonnait pourtant, c'est que tu es réussi à me parler de ton passé. Pourquoi toi, tu pouvais, et moi, je pouvais pas? Parce que t'étais master? Parce que tu étais plus vieux? Parce que tu avais oub.... Non oublie, ça pouvait pas être ça. On oublie jamais.

- C'est pas ça qui m'inquiète. C'est juste... 'fin j'ai pas envie que tu ressasses tes idées noires. Parfois on a besoin de calme, c'est clair, mais je sais aussi que le silence peut tuer.

Je t'ai souris gentiment. T'en fais pas Aaron, ça va. Certain avait besoin de calme, d'autre de brouhaha pour avancer. Je dirais que les premiers temps, j'aurais eu besoin de bordel, d'adrénaline. En un deuxième temps, j'aurais eut besoin de calme, pour réfléchir et faire le point. Et enfin, la vie aurait pu continuer. Mais j'avais fais les choses à l'envers. Alors maintenant, je reprenais calmement mon train-train quotidien pour ne pas tomber, pour ne pas flancher.

- Du risotto. J'espère que t'aimes ça. Mais t'inquiète, ça va cuire maintenant ; faut juste que j'oublie pas de mélanger. Tu peux faire si tu veux, mais j'ai pas envie que tu te fasses mal. Avec ton bras.

J'adore le risotto. Bizarre, beaucoup n'aiment pas, mais moi, si. Me faire mal? En tournant une cuillère? Aaron, je voulais bien que je sois avec le bras en écharpe mais j'étais pas non plus une incapable! J'ai levé les yeux au ciel, t'étais rabat-joie!

- Enfin si t'as envie de te rendre utile je peux te tenir la casserole.

Tu souriais et j'ai approuvé. Aussi, j'ai touillé. J'avais besoin de m’aérer l'esprit, de penser à autre chose. Parce que je pensais toujours à Blue. Je pensais toujours à... ça.
Je t'ai pas regardé, je réfléchissais. Mais comme une idiote, au bout d'un moment, j'ai pensé tout haut. Ou alors avais-je besoin d'en parler? Sûrement un peu des deux.

- J'ai tout fais à l'envers. Depuis le tout début. A commencer par cette fameuse nuit. Si j'avais accepter que mon.. père vienne me chercher, on en serait pas là. Ni lui, ni Blue, ni moi. Mais j'ai voulu faire la grande, et j'ai dis non. J'ai tout fais à l'envers. Au mauvais moment, au mauvais endroit comme on dit. Mauvais timing. Réflexion à la con d'une gamine de quinze ans.

J'avais pas dis grand chose. Juste ce qu'il fallait pour que j'admette avoir eu un passé assez lourd de conséquence. Juste pour que j'admette avoir du mal à oublier. A passer à autre chose. Juste assez pour qu'Aaron comprenne et me laisse ou non le droit de me libérer d'un fardeau trop lourd à porter. Juste assez pour que moi, je puisse respirer.
Le mot père avait eu du mal à franchir mes lèvres. Mon père m'avait battu à mort, et avait tenté d'aller au delà des limites, tout ça parce qu'un jour, j'avais fauté. Il était allé trop loin. Bien trop loin.
On se relève jamais vraiment de ça, et après, il est facile de comprendre pourquoi pour nous, le mot "papa" n'a plus aucune signification. Non en fait, il n'a pas plus de signification. Non. Pire que cela. Il devient synonyme de cauchemar, de peur et de douleur. Alors qu'en vérité, pour la majorité, il est censé représenter un modèle et un soutien.
J'ai fermé les yeux un instant, repensant avec douleur à tout ça. Il fallait que j'avance, que je cesse d'y penser, que j'accepte d'en parler, même si c'était ma honte. Il fallait que je m'en remette, et que j'accepte que cela est pu être mon passé.

Trop heureuse de pouvoir se rendre utile - enfin, je sais surtout que c'est pour s'aérer la tête, je me doute qu'elle est pas aussi généreuse. (Roh je blague !) En attendant, je tiens la casserole aux deux anses pour qu'elle ait pas trop de mal. Si je vois qu'elle galère, je lui arrache la cuillère des mains, juré ! C'est pas parce que je suis un papa poule, c'est juste que je sais ce que ça fait de pas avoir des biscotos dans les bras. Rappel : crevette ! Ou moucheron. Qu'est-ce qui est le plus classe, une crevette ou un moucheron, d'ailleurs ? Non parce que je me pose la question, histoire de pouvoir me sacrer roi de quelque chose qui un minimum la classe face à quelque chose d'autre. (Genre une fourmi sera toujours plus classe qu'un blobfish, sauf dans ma tête.)
Quand elle reprend la parole, j'avoue que je m'y attendais pas trop. Je l'ai écoutée en silence, avec ce même sourire que tout à l'heure, pauvre et faible, que je me suis obligé à gardé scotché au visage. Extérieurement, j'ai pas laissé échapper le moindre signe de colère ; peut-être mes mains se sont-elles légèrement reserrée sur les anses du récipient. Peut-être qu'un éclat mordoré a traversé mes iris. Quand bien même cela aurait été le cas, j'ai fait comme si mon corps ne me trahissait pas.
Doucement j'acquiesce. Mais j'ai du mal à prendre la parole tout de suite, une boule s'est comme logée dans ma gorge.
Je relâche l'ustensile de cuisine pour éviter de le balancer contre le mur de rage, et pose ma main sur ses cheveux, doucement.

- C'est pas à toi de porter la responsabilité d'une chose contre laquelle tu pouvais rien.

Je me suis posté face à elle, et j'ai posé mes deux mains sur ses épaules, délicatement pour ne pas lui faire mal.

- Parfois on fait des conneries. On pense qu'on peut gérer, et on se fout seul dans la merde. C'est clair. Mais c'est pas pour autant que c'est de notre faute. On peut pas savoir comment les gens vont réagir, parce qu'on est pas eux. Même en étant le plus prudent du monde, y a toujours des facteurs qu'on contrôle pas. Qu'on ne voit pas.

Mon sourire me fait mal, mais il n'exprime pas la moindre joie. Je ne comprends pas les gens. Je ne comprends pas leur cruauté.
Ma voix se fait étranglée. Pourtant, ça ne devrait pas être à moi de pleurer. Trop sensible le mec, tu sais.

- Pense jamais que c'est de ta faute...

Je me mords la lèvre, soupire et laisse tomber mes bras mollement le long de mon corps. Avant de reprendre la casserole en main.

- Pardon. J'dois manquer de tact. Mais si t'as besoin d'en parler, je suis là. Ça fait du bien de pouvoir se lâcher parfois. Mais je t'oblige pas.

T'avais resserré tes mains sur la casserole, j'ai pas compris pourquoi. Après tout, c'était con comme histoire non?
Et puis tu l'as lâché et tu as posé ta main dans mes cheveux, dans un geste qui se voulait rassurant. Présent.

- C'est pas à toi de porter la responsabilité d'une chose contre laquelle tu pouvais rien.

Lentement, tu t'es mis face à moi et j'ai fais pareil, même si j'arrivais pas à te regarder dans les yeux. J'avais pas envie qu'on me dise des choses que je savais déjà. A savoir que c'était ma faute. Que j'avais tout foirer. Que si j'avais pas eu la bêtise de traverser seule la rue pour rentrer chez moi, on en serait pas là. Trois ans. Ça faisait trois ans.
Tu as mis tes mains sur mes épaules et j'ai enfin osé ouvrir les yeux pour te regarder.

- Parfois on fait des conneries. On pense qu'on peut gérer, et on se fout seul dans la merde. C'est clair. Mais c'est pas pour autant que c'est de notre faute. On peut pas savoir comment les gens vont réagir, parce qu'on est pas eux. Même en étant le plus prudent du monde, y a toujours des facteurs qu'on contrôle pas. Qu'on ne voit pas.

Je t'ai fixé. Tu manquais de tact, c'était certain. Mais tu m'avais pas dis que c'était ma faute. Tu souriais, comme pour dire de continuer à avancer. Ça irait. J'ai rien dit, parce que y avait rien à dire.

- Pense jamais que c'est de ta faute...

Mais je le pensais, et il était bien là le problème. C'était vrai, c'était ma faute. T'as lentement laisser tes bras retomber et j'ai détourné le regard alors que tu reprenais la casserole.

- Pardon. J'dois manquer de tact. Mais si t'as besoin d'en parler, je suis là. Ça fait du bien de pouvoir se lâcher parfois. Mais je t'oblige pas.

Je le savais bien. J'ai pas bougé pendant quelques secondes. Je pouvais pas. Ca tournait en boucle dans ma tête.
Alors j'ai tenté de me calmer.

- Je te laisse finir.

Je me suis alors approché de la fenêtre et j'ai regarder au dehors, avec l'impression que j'étais tout à coups très seule.
J'avais pas spécialement envie de parler. J'avais seulement besoin de me libérer.

- Comment veux-tu que je ne me sente pas coupable? C'est moi qui ait affirmé pouvoir rentrer seule. C'est moi qui ait dit à mes amis que je n'étais qu'à deux pas. Une rue à traverser, c'est tellement peu. C'est moi qui n'ait pas eu la force de repousser ce type. Ivre. Il était ivre putain. Il aurait suffit que je ne sois pas tétanisée par la peur... Que je réagisse! Je l'ai laissé faire Aaron! Je l'ai laissé ruiner ma vie! C'est ma faute. Ça a toujours été de ma faute. Mon père me l'a assez fait comprendre Aaron. Si je n'avais pas été aussi conne, Blue serait encore en vie, et ma famille ne serait pas détruite! Je ne serais pas là. C'est moi la seule coupable...  

J'aurais juste tout donné pour ne plus me sentir aussi mal. Et j'aurais tout donné pour me sentir moins seule aussi.

Parfois, j'ai l'impression d'être un peu lourd, comme mec. De forcer les gens à parler - peut-être qu'ils me font juste confiance ? Mais je sais pas comment ils font, les trois-quarts du temps. On rencontre quelqu'un, on se voit un peu, et puis paf, parfois ça tombe, comme ça, les confidences. Au sujet du passé, du futur. Peut-être qu'ils m'aident aussi à m'ouvrir un peu moi-même. Enfin je sais pas, c'est étrange. Je sais en tout cas que j'apprends encore beaucoup des autres. De leurs réactions.
Doucement, j'acquiesce et empoigne la cuillère pour touiller le riz, perdu dans mes pensées. Pendant un moment, un silence s'est installé. Y avait que l'odeur du repas qui me montait aux narines et le sifflement insupportable de la hotte pour me distraire un peu. Puis un courant d'air frais m'a filé la chair de poule, et j'ai relevé les yeux vers ma jeune visiteuse. Elle a pas eu de bol, elle non plus. Ce qu'elle finit par me raconter vient évidemment me le confirmer, et je ne peux que secouer tristement la tête. On devrait pas avoir à se préoccuper de ça à cet âge.

- Ton père n'était pas dans cette rue. Il ne peut pas savoir ce que tu as enduré. C'est normal d'être tétanisé quand on a peur. C'est normal. C'est ce qui fait que tu es humaine.

Quand bien même se serait-elle défendue, le résultat n'aurait-il pas pu être le même ...? Mais ça, je ne le lui dirai pas. Tout ce que je peux penser à propos de son père, c'est que c'est un enfoiré qui n'a pas vu la détresse de sa fille. Qui n'a pas été là pour la protéger, ou même présent après. Parce que c'est ce qu'on attend d'un père, qu'il soit présent pour son enfant. Protecteur. Je ne comprends pas ces gens qui trouvent bon de tout reprocher à ces filles. Ces mecs parfois aussi, parce qu'y en a aussi. Mais je sais pourquoi elles, elles se le reprochent. Parce que c'est plus facile de s'en vouloir à soi-même que de comprendre qu'on aurait rien pu faire.
C'était pas de la lâcheté. C'était pas de la couardise. C'était juste humain.
Doucement, je dirige une vague d'apaisement dans sa direction.

- Tu es une fille courageuse, Lud. À ta place, je crois que j'en voudrais au monde entier...

Un soupir m'échappe.

- Viens, c'est prêt. On peut manger.

Je coupe le feu et sort assiettes et couverts, la mine basse.

- Ton père n'était pas dans cette rue. Il ne peut pas savoir ce que tu as enduré. C'est normal d'être tétanisé quand on a peur. C'est normal. C'est ce qui fait que tu es humaine.

J'ai pas regardé dans ta direction. Parce que je pouvais pas. Parce que je savais que si je voyais que non, je n'étais pas seule, j'allais craquer. Hors, j'avais assez pleurer. Et je n'en avais pas le droit. Ma faute. Ma faute. Ma putain de faute. Un coupable ne pleure pas pas vrai? Y a que les victime qui le peuvent. Y a que les victimes qui ont le droit de pleurer.
T'en sais quoi Aaron? J'aurais dû réagir, et je le savais. Parce que si j'avais réagis, peut-être aurais-je pu m'en sortir sans avoir... A porter le fardeau de ma faute.
Et doucement, comme un souffle dans le cœur, je me suis sentie comme apaisée, bien qu'encore assez retournée par tous ça.

- Tu es une fille courageuse, Lud. À ta place, je crois que j'en voudrais au monde entier...

Mais j'en voulais au monde entier Aaron. J'en voulais à mon père. A ma mère. A ce gars que jamais on a arrêté. A tous ces gens qui m'ont abandonné et jugé. Et plus que tout au monde, je m'en voulais à moi.
J'ai pas répondu, parce que qu'est-ce-que tu voulais que je réponde? T'avais tord Aaron. C'était ma faute.
J'ai souvent pensé que mon père avait été dans cette rue justement. Parce que c'est lui qui m'avait trouvé. Parce que sans que j'en parle, il avait su ce qu'il m'était arrivé. Parce quand il me battait, il y avait des choses qu'il disait qui laissait entendre que non, il n'avait pas été absent.

- Viens, c'est prêt. On peut manger.

T'as coupé le feu et moi, j'avais l'appétit coupé. Mais j'ai rien dis, parce que ça se fait pas. Déjà que tu m'accueillais chez toi et en prime que tu me nourrissais, j'allais pas en plus, la ramener. J'ai soupiré et enfin, je me suis tournée vers toi, avec une pauvre sourire. Il voulait rien dire non plus celui-là. Il était seulement là. Pour montrer que ça irait. J'avais pas le choix.

- OK.

Je t'ai aidé à mettre la table, comme j'ai pu mais j'ai vu que t'avais la tête ailleurs. T'étais préoccupé. Et je savais pourquoi.
Alors je suis allée vers toi et j'ai posé ma main sur ton épaule, te souriant doucement, pour te montrer que moi, ça allait. Pour te dire que je gérais.

- Eh! Ça va? T'es tout triste.

C'est difficile de tenir une discussion pareille. Je sais pas comment elle-même fait. Pour ne pas craquer, s'effondrer au sol et simplement pleurer toutes les larmes de son corps. Peut-être que du haut de ses dix-huit ans, elle est bien plus mature que je ne le serai jamais ? C'est quelque chose qu'on peut en effet supposer. J'avoue ne pas trop savoir comment réagir face à ce genre de récit. Ça m'empêche pas de compatir. Parce que je compatis trop, on m'a dit. Déjà avant Terrae. Je me contentais de vivre en pensant à moi, à ceux que j'aimais. J'crois qu'être sensitif m'a ouvert un peu les yeux. Des drames, y en a partout, tous les jours. Dans les rues et les trains, dans les écoles et au travail. Des drames, y en a eus dans toutes les maisons et tous les appartements. Dans le coeur de tout le monde. L'âge ça veut plus rien dire, de même que l'endroit d'où on vient. Ou alors faudra m'expliquer ces orphelins, ces SDF, toutes ces personnes malades, toutes ces personnes tristes.
Tristesse, partout. J'me dis qu'on vit vraiment dans un monde pourri. Peut-être que c'est effectivement le cas. Mais je m'en rends un peu plus compte chaque jour. Et ça me tue, petit à petit.
Vous savez, j'ai toujours voulu avoir des enfants. Ma famille à moi. Une famille avec qui je répèterais pas les erreurs dont j'ai moi-même dû subir les frais. Mais vous savez quoi ? Au final, ça sert à rien. Faites pas de gosses. Ils seront tous malheureux. Tous malheureux...
Sa main se pose sur mon épaule et je relève les yeux vers elle, sourit faiblement. Je glisse ma main dans son dos et la serre doucement contre moi ; pas violemment pour pas l'effrayer ni la blesser davantage. Comme pour m'excuser d'avoir les yeux humides et la gorge trop serrée pour parler. Pour qu'elle le voit pas, peut-être aussi.
Avant de me reculer et de lui offrir mon sourire le plus large.

- Allez, viens, j'ai toujours autant la dalle moi !

D'un pas sautillant, je me dirige vers la table et sert nos deux assiettes, pas trop dans la sienne vu qu'elle a sûrement pas faim. Avant de m'installer en balançant les jambes comme un gosse.
Mon coeur saigne.

Alors que je tentais de deviner ce qui n'allait pas, tu m'as attiré à toi, glissant ta main dans mon dos. Tu m'as serré doucement, mais trop fier pour me l'avouer, j'ai dû reconnaître seule tes yeux humides que je ne vis qu'un quart de seconde. J'ai posé ma main valide dans ton dos et timidement, je me suis rapprochée un peu de toi, pour te prouver que même du haut de mes 18 ans tout frais, j'étais quand même là.
On avance tous avec un passé, personne n'en ai dépourvu. On vit tous avec nos regrets, nos peurs et nos peines. Le plus triste dans tout ça, c'est que même si on ressent tous ces même sentiments, on est pas foutu de s'entre-aider. Mais le monde est ce qu'il est et nous, on a qu'à suivre le mouvement, sans rien dire pas vrai?
J'aimais pas te voir comme ça Aaron. Parce que c'était pas dans tes habitudes. Moi je te connaissais chiant, con et déconneur. Je te connaissais pas sensible et pas bien, triste. J'aimais pas te voir ainsi. Je préférai te voir sourire.
Ce qui était bien avec toi Aaron, c'est qu'au delà des apparences parfois trompeuse, on voyait que tu connaissais la douleur. Au final, t'étais aussi brisé que nous tous, et si je n'ai rien dis sur le moment, j'ai bien vu en toi la même culpabilité que celle que je ressentais. Tu comprenais car tu connaissais. Les sentiments que je ressentais, tu les avais toi aussi connu. T'avais beau faire le fier Aaron, je savais bien qu'en vérité, t'avais le cœur en miette. Tu tentais juste de recoller les morceaux.
Je te connaissais pas beaucoup Aaron, c'est vrai. Mais j'en savais assez pour savoir que tu m'étais chère, même si je refuserai probablement de te le dire. J'étais une handicapée des sentiments, fallait pas m'en vouloir.

Allez, viens, j'ai toujours autant la dalle moi !

Tu t'étais reculé doucement et tu souriais plus franchement. J'avais bien compris ta manœuvre, même si je n'en dirais rien. Des fois, y a pas besoin de mot pour faire comprendre à l'autre ce que l'on ressent. Bon en plus, toi, t'avais l'avantage d'être sensitif. Mais quand même!
Tu m'as servit et j'ai remarqué que tu me servais pas beaucoup, respectant le fait que j'avais pas vraiment faim sur le moment.
Alors j'ai fais honneur à ton plat et j'ai goûté. Une seule bouchée. C'était juste... Tu étais très bon en cuisine Aaron. C'était délicieux. Vraiment.

- Je crois que je vais venir manger plus souvent chez toi Aaron! C'est super bon!

J'ai mangé doucement, sans me presser, mais en profitant de ce plat que j'appréciais grandement. J'aimais vraiment ça.
Et puis... Ma mère m'a toujours dis que quand on aime, on parle pas. J'ai jamais été aussi muette pendant un repas!
Et puis je me suis relevée et j'ai regardé Aaron.

- Ça te dérange si je me resserre? S'il te plaît.

J'ai attendu son accord pour me resservir et j'ai dégusté son plat. Ça faisait du bien de remanger convenablement. Et puis une idée m'a traversé l'esprit pendant que je réfléchissais.

- Oh fait. Je te dois un café. C'est non négociable. La dernière fois, je me suis vraiment comportée comme une idiote. Alors quand t'as cinq minutes à m'accorder, préviens moi d'ac?