Ahh... Peut-être que je suis trop sensible, au final. Un vrai cœur d'artichaut, dites-moi. Je me retrouve à serrer dans mes bras une gosse de presque dix ans ma cadette (bon, à deux ans près) alors que c'est même pas moi qui devrait être le plus triste, ici. Je suis sûrement pas fait pour ce job ; on voit et on entend des choses assez horribles, au final. Si je pensais être un peu immunisé, je me rends compte que c'est en réalité tout l'inverse. Y a deux ans, quand j'ai accompagné Gaetano en mission et que son frère s'est fait tuer. On en a assez peu parlé, au final, mais quand il avait besoin de discuter, j'étais là. J'essayais de faire bonne figure, et c'était plus facile avec lui parce qu'il se murait derrière un masque de colère et de froideur chaque fois qu'on abordait le sujet. La tristesse froide, inconsolable. Là, c'est plus difficile. Peut-être parce qu'elle est plus jeune que moi ? Beaucoup plus jeune, je veux dire. Gae aussi est plus jeune. Mais lui... lui, c'est un ancien tueur à gage. Elle, c'était juste une gamine qui avait rien demandé.
J'suis plutôt content qu'elle ne dise rien au sujet de ma réaction. Alors je fais comme si de rien n'était, reprends ce faux air joyeux qui me sied si bien au teint. On commence à manger et j'étire un sourire en coin en la voyant faire tranquillement, sans se presser, rassuré qu'elle ait un peu d'appétit, au final.

- Héhé, je te l'avais dit. J'suis un vrai cordon bleu. Et bien sûr, ressers-toi autant que tu veux.

Je termine mon assiette et la mets de côté, un peu ballonné. Puis j'acquiesce doucement.

- T'en fais pas. Ou alors tu m'appelles, je trouverai bien le moyen de me libérer. Je suis pas si pris que ça, tu sais.

J'étire un sourire en coin et l'observe manger, m'appuie sur ma main. Quand elle termine, et qu'elle a l'air de ne plus avoir envie de se resservir, je la relance :

- Un yaourt ? Café ?

- Héhé, je te l'avais dit. J'suis un vrai cordon bleu. Et bien sûr, ressers-toi autant que tu veux.

Les chevilles ça allait Aaron? Non parce que là, ta tête enflait! J'aurais ris si j'avais eu le cœur à ça, mais franchement, j'avais pas cette envie. Non là, j'avais juste envie de me rouler en boule dans un coin et de tenter de dormir, pour m'évader et oublier.

- T'en fais pas. Ou alors tu m'appelles, je trouverai bien le moyen de me libérer. Je suis pas si pris que ça, tu sais.

J'ai acquiescé avec un sourire discret et sans joie apparente. J'ai soupiré doucement, puis j'ai finis mon assiette.

- Un yaourt ? Café ?

J'approuve.

- Un café s'il te plaît.

Café. Je devenais accro. Pour tout avouer, le fait que je ne dorme pas y était pour beaucoup. Je dormais pas, je ne dormais plus. Encore moins depuis la mort de... la mort de... Enfin depuis elle.
J'ai tenté de t'aider à débarrasser, comme je pouvais, avec un bras en moins. En fait, je me rendais pas compte, mais un bras, c'est vachement utile! Ben ouais. Tu te sens vite con quand t'en a plus qu'un.
Je suis alors allée voir son poisson, et je l'ai regardé, amoureuse de ce truc informe mais carrément délirant. J'adorai ce poisson. Il était juste trop bien. Pi ça faisait un ami à Aaron. Ça le préserverait de la schizophrénie.
Je regardai pas ce qu'Aaron faisait. Je m'en fichai un peu. J'étais perdue dans mes pensées, réfléchissant à comment j'allais faire pour oublier, ou du moins avancer. Faudrait que j'aille voir Rin aussi. Que j'assume mes actes. J'allais le perdre, j'en avais peur. Il m'en voudrait, c'était certain.

- Oh fait Aaron... Tu crois que... Qu'on pourra me pardonner pour avoir tenter de voler?

Sans me faire prier, je me lève et m'approche de la machine à café pour lui en faire couler un. Le temps que ça se fasse, je jette un œil à la petite rouquine - ... qui n'est au final pas si petite que ça, si vous voulez mon très humble avis, et parce que je sais que vous ne pouvez décemment pas vous en passer - et soupire. Elle va vraiment mal, et moi, je me sens trop nul. Tout juste bon à regarder les autres aller mal, dire des conneries, encore des conneries, et ce jusqu'à ce qu'ils finissent par esquisser un sourire saoulé. Ouais, j'suis un peu comme ça au fond. Un peu con mais pas méchant, je crois. Enfin, c'est ce que je pense. Quand on a connu tout ce que j'ai vécu, on peut que devenir un connard ou un mec un peu trop empathique. Moi, j'suis un peu des deux, mais que quand ça me chante. (Donc au final, on peut dire que je suis qu'un connard, non ? Vous avez quatre heures !)
Pendant que j'attrape la tasse, elle disparaît dans le salon et s'amuse devant l'aquarium de Blobby. Ouais ben ouais, Blobby. Heureusement qu'elle est là cette immonde bestiole, hein ! Sinon je sais pas comment on ferait pour rigoler un peu dans cette baraque pourrie !
J'arrive près d'elle avec sa tasse et la lui tend en m'asseyant sur... un meuble. Ouais je sais c'est mal. Mais c'est mon meuble, je fais ce que je veux, okay ?

- Ben... Pas tout de suite. Les gens qui tiennent à toi te le reprocheront pas constamment, mais quand ils l'apprendront ils t'engueuleront un bon coup. Puis après, ils le relègueront dans un coin de ta tête. Et flipperont un max dès que tu parleras de ce genre de trucs, même pour rigoler, je rajoute avec un léger ricanement. Mais ce sera aussi la preuve qu'ils tiennent à toi dans un sens...

Puis je fais la moue.

- J'pense qu'ils te le pardonneront. Mais laisse-leur toujours le temps. Et leur sort jamais des trucs comme quoi tu sais que tu leur manqueras pas, tu risques de te prendre une baffe, je continue en riant, pourtant plutôt sérieux sur le sujet. Nan sérieux. J'pense qu'ils le feront. Mais choisis les personnes avec qui tu vas en parler si t'as besoin de le faire, certains ont du mal. Trop émotifs.

Je lui offre un bien piteux sourire. J'suis pas très rassurant là.

- Mais ça ira. Ok ?

- Ben... Pas tout de suite. Les gens qui tiennent à toi te le reprocheront pas constamment, mais quand ils l'apprendront ils t'engueuleront un bon coup. Puis après, ils le relègueront dans un coin de ta tête. Et flipperont un max dès que tu parleras de ce genre de trucs, même pour rigoler. Mais ce sera aussi la preuve qu'ils tiennent à toi dans un sens...

J'avais baissé la tête, plongeant mes yeux mordorés dans la tasse que tu m'avais passé, alors que je te remerciais d'un signe de tête. Tu t'étais assis sur un meuble, et je m'appuyai contre un mur, les deux mains sur ma tasse, les yeux dans le vague et en plein dans mes pensées.
Ça me rassurait pas vraiment ce que tu me disais, mais je voulais la vérité, et tu me la donnais. Pourquoi aurais-je râlé alors?

- J'pense qu'ils te le pardonneront. Mais laisse-leur toujours le temps. Et leur sort jamais des trucs comme quoi tu sais que tu leur manqueras pas, tu risques de te prendre une baffe. Nan sérieux. J'pense qu'ils le feront. Mais choisis les personnes avec qui tu vas en parler si t'as besoin de le faire, certains ont du mal. Trop émotifs.

J'ai alors relevé la tête sur toi, te regardant. Tu m'as fais un pauvre sourire. Il était bien triste celui-là. Comme ceux qu'on nous fait aux enterrements, quand on nous souffle "t'en fais pas, avec le temps, ça sera plus facile". Mais ils en savaient quoi, eux? Ils n'ont pas vécu ça. Je ne dis pas que j'ai le monopôle de la douleur, mais mon histoire étant assez trash pour que j’atterrisse ici, je me pose parfois la question. Mais je joue pas à être la plus à plaindre. D'autre ont vécu pire. Moi, j'ai eu 15 années de vie merveilleuse. Certains sont maudits depuis la naissance.

- Mais ça ira. Ok ?

Alors, j'ai un peu souris, pour te faire comprendre que ça allait, même si j'avais pas l'air. J'étais plus forte qu'on pouvait le penser. Même si j'avais fait la connerie de sauter. OK. J'aurais pas du. C'est vrai. Mais au moins avais-je compris mon erreur.

- Et toi Aaron? Tu dis que les autres sont parfois trop émotifs pour qu'on puisse leur parler de nos déboires, mais toi alors? Je t'ai vu tout à l'heure. T'avais l'air détruit, ou plutôt, anéantis. Tu ne me feras pas croire que c'était juste une poussière dans l’œil. Je te demande pas de m'en parler, parce que j'ai pas à le faire, ça me regarde pas. Je te demande juste de réussir à dire stop quand t'es pas en mesure de rassurer une personne tout en te préservant toi.

Je te fixais, la mine grave, inquiète.

- C'est pas parce que tu es plus vieux que tu as tout oublié de ton histoire. C'est pas parce que t'es plus vieux que t'as pas le droit d'avoir mal. Alors c'est pas non plus parce que t'es plus vieux que toi, tu ne dois pas en parler ou ne serait-ce que te préserver.

Très honnêtement, je n'ai pas l'impression d'être le type le plus rassurant du monde. Mais c'est pas dans ma nature de raconter des mensonges pour rassurer les gens. Vaut mieux être préparé, dans la vie, plutôt que d'entendre des histoires de bisounours. Quand on a des problèmes, après, on sait comment les gérer au moins. Ou alors on s'y est attendu. Alors que bon, la gentille princesse disney dans son château, elle peut l'attendre encore longtemps son prince charmant, hein... Ça existe pas, toutes ces conneries. Alors ouais, je suis un peu désillusionné. Mais c'est pas de ma faute, j'ai pas eu d'enfance. Peut-être pour ça que je suis un homme-enfant ; j'ai besoin de m'amuser et de faire des conneries comme le gosse que j'aurais voulu être. Mais c'est pas donné à tout le monde de vivre une enfance tranquille, avec des jouets et tout et tout. Nop. Vraiment pas cool.
Bref. Elle semble avoir compris ce qu'elle a fait de mal et ça, ça me va très bien de cette manière. Je suis un mauvais donneur de leçons, dans tous les cas... Alors bon, je suis pas du genre à lui répéter pendant trois ans : "Alors, tu vois que je te l'avais dit, hein hein hein ?"...
Lud se concentre sur sa tasse un moment, avant de se décider à me répondre. Je me contente de faire la moue à ses mots, l'écoutant parler sans rien dire. Elle a pas vraiment tort la p'tite. Mais je suis plus du genre à vivre en faisant sourire les autres, plutôt que l'inverse. C'est difficile de me remonter le moral, alors je fais comme je peux et je me le remonte tout seul.
Hum. Peut-être que je devrais aller voir un psy, un de ces quatre... Ça pourrait pas me faire de mal, hein. Enfin j'crois. Merde mais j'ai pas besoin d'un psy, ça sert vraiment à que dalle !

- Bah... je suis sensitif, je lâche comme une justification. J'absorbe les sentiments des autres. Alors forcément ça me ramène aux miens. Mais ça repart aussi vite que ça vient. C'est l'avantage d'avoir le cerveau qui carbure à cent à l'heure.

J'esquisse un sourire amusé. Bon, je le suis pas tant que ça, mais quitte à lui faire croire que ça va, autant jouer la comédie jusqu'au bout.

- De toute manière t'as pas envie de m'entendre me plaindre. Rien de plus chiant qu'un vieux croûlant qui te raconte à quel point sa vie est chiante, je rigole. Puis je me préserve, je me préserve. À ma manière. Disons que ça se remarque pas toujours !

Il y a différent courage dans la vie. Il y a celui qui consiste à être près à mourir pour une cause qui nous dépasse. Celui où l'on se doit de sacrifier des années de sa vie pour un rêve, ou quelque chose de plus grand que chacun de nous. Mais il y a aussi celui qui veut que l'on avance. Chaque jour, avec la douleur et la peine, même si c'est dur. Même si c'est parfois difficile. Il y a aussi celui d'oser ouvrir la bouche. Oser parler. C'est pas toujours facile, surtout avec nos passés sombres à tous. Rin, toi, Ipiu, moi... On était pas tous bien clairs hein? Mais on devait trouver la force et le courage d'avancer. Et de parler.

- Bah... je suis sensitif. J'absorbe les sentiments des autres. Alors forcément ça me ramène aux miens. Mais ça repart aussi vite que ça vient. C'est l'avantage d'avoir le cerveau qui carbure à cent à l'heure.

Je savais que tu étais sensitif Aaron? Mais je savais aussi que tu mentais. Tu étais mauvais comédien. Je n'ai cependant fait aucune remarque, j'avais pas à en faire. Alors je suis restée silencieuse. Tu as esquissé un sourire amusé, mais je n'y croyais pas. Cette fois se n'était pas mes émotions, c'était les tiennes, et ça, tu le justifiais comment?

- De toute manière t'as pas envie de m'entendre me plaindre. Rien de plus chiant qu'un vieux croulant qui te raconte à quel point sa vie est chiante. Puis je me préserve, je me préserve. À ma manière. Disons que ça se remarque pas toujours !

On aurait dis moi. "Je vais bien même si ça se voit pas", paye toi ma tête, ça reviendra au même. J'ai soupiré et secoué la tête avant de reposer ma tasse vide sur la table basse, pas très loin.

- Tu peux ne pas avoir envie d'en parler Aaron, ce que je respecte. Mais ne me mens pas. C'est injuste envers moi mais aussi envers moi. Et ne crois jamais que toi, t'as pas le droit de craquer. Parce que tu en as le droit, autant que nous tous. Voir plus. Parce que tu dois nous supporter en plus.

Je t'offre alors mon plus beau sourire. Comme une promesse. Une promesse d'aller mieux. Une promesse d'avenir. Comme pour dire que j'allais avancer. Car au fond, il ne me restait que ce choix là non? C'est ce que Blue aurait voulu. C'est ce que vous vouliez. C'est ce que je voulais.

Un soupir m'échappe. J'ai envie de lui dire de se mêler de ce qui la regarde, mais je peux pas le faire ; j'étais comme ça aussi avec elle à peine quelques temps auparavant. Alors très franchement, si je n'ai pas envie qu'elle m'envoie chier, j'ai tout intérêt à faire gaffe à ce que je dis. Je le sais, et elle le sait aussi. À tous les coups elle m'attend au tournant. Alors je vais éviter d'en rajoute par-dessus tout ça, même si j'en ai très envie. Aucun de nous n'a envie de s'énerver contre l'autre maintenant. Ce n'est pas le bon moment, et en plus, c'est fatigant. J'ai pas le moral pour me fatiguer encore plus à justifier pourquoi j'ai ni envie d'en parler, ni envie que les autres voient que j'ai mal, ni envie qu'on me pose des questions à propos de moi. C'est pas parce que j'ai pas les couilles d'en parler, c'est que ça n'est intéressant pour personne. Encore moins pour eux que pour moi, par ailleurs. Mais bon...
Mes épaules se haussent ; nonchalamment. Son sourire est doux mais je sais pas, je sens comme un poids dans ma poitrine depuis qu'elle a repris la parole. Parce que non, je n'ai pas le droit de craquer, moi. Je n'en ai pas le droit. C'est pour ça qu'il faut que je parte un peu. Quelques jours de vacances, ça pourra que me faire du bien, nan ?

- T'inquiète, j'vais me prendre des vacances à Boston pendant quelques jours pour décompresser ! Ce sera kioul !

Enfin décompresser, dans la ville la plus déprimante du monde, je sais pas si c'est possible...

- Ou en Australie... C'est cool l'Australie.... Han, il faut que je parte à Las Vegas, aussi ! J't'emmènerai quand tu seras majeure.

Un sourire en coin et un clin d'oeil ; j'ébouriffe les cheveux de la rouquine et retourne dans la cuisine pour commencer à débarrasser.

- T'inquiète, j'vais me prendre des vacances à Boston pendant quelques jours pour décompresser ! Ce sera kioul !

Ton sourire était doux, mais je voyais bien que t'avais qu'une envie: que je ferme ma bouche. Parce que ça fait mal d'entendre la vérité d'une minote de 18 ans? Peut-être. Ou alors parce que tu voulais juste pas en parler. Quoi qu'un mélange des deux était aussi possible.
J'ai rien dit de plus, parce que tu voulais que je réponde quoi à ça? Tu partais. Tu fuyais pour un moment l'ambiance pesante de l'institut, et pour cela, je t'enviais.

- Ou en Australie... C'est cool l'Australie.... Han, il faut que je parte à Las Vegas, aussi ! J't'emmènerai quand tu seras majeure.

Tu m'as fait un clin d’œil suivit  d'un sourire, pour finir par m’ébouriffer les cheveux. J'ai un peu râler mais tu avais déjà filé en cuisine pour débarrasser.

- Je suis déjà majeure! Enfin chez moi. Ici je sais pas.

Je t'ai suivis et sans un mot de plus, je t'ai aidé à débarrassé et à tout ranger. Comme je pouvais, avec un bras en moins.
En même temps, perdue dans mes pensée, je réfléchissais à aujourd'hui. Une journée bien singulière pas vrai?
J'ai soupiré pour m'appuyer sur ton plan de travail, toujours sans parler.
Alors enfin, j'ai relevé la tête, alors que tout été rangé et je me suis avancé vers ton entrée.

- Bon et bien... Je crois que je vais te laisser, je t'ai assez embêter comme ça. Passe un bon séjour si on ne se revoit pas d'ici là.

En faîte, je retardais pas mal mon départ, car étant encore assez faible je ne maîtrisais que peu mes pouvoirs, et je rentrais de nuit. Je n'aimais pas ça. Aucun doute que tu l'ai remarqué. C'était flagrant.
Je pensais à Rin aussi. Fallait que j'aille le voir. Mais pas dans cet état là. Je pouvais pas. Il m'en voudrait trop et en prime, il me verrait ainsi. Non. J'attendrais d'avoir de nouveau mes deux bras.

- Merci pour.. aujourd'hui. T'étais pas obligé.

L'adolescente me suit dans la cuisine pour m'aider et je rigole un peu. C'est vrai, elle vient d'où, elle, au juste ? Américaine, européenne ? Je pourrais même pas dire. Mais au Japon c'est 21 ans. Vous me direz, la plupart du temps, c'est la même chose aux US aussi. Ça dépend seulement des états... Enfin bon. Maintenant, j'ai plus trop à m'en faire de ce côté-là.

- Les casinos ouvrent que pour les plus de 21 ans, donc faudra attendre encore un peu la miss.

Moi j'm'en fous, j'peux picoler et me droguer si je veux, j'suis majeur et vacciné ! Bon, euh... Pas me droguer, ok. Mais ça ne m'empêche visiblement pas de le faire... Puis zut, je fais ce dont j'ai envie, c'est pas ma conscience pourrie qui va me dicter mes actes maintenant, hein. J'suis trop vieux pour ça.
Pendant que je fais la vaisselle en sifflotant, puis essuie les assiettes, Lud m'observe, accoudée à la table. Elle me remercie pour la soirée et je me contente de hausser les épaules.

- C'est rien ça m'a fait plaisir. Sinon je t'aurais probablement pas invitée.

Pis, voyant son malaise, je range toute la vaisselle dans les étagères et m'approche pour la raccompagner à la porte. En passant devant l'aquarium, je tapote un peu sur la vitre pour attirer l'attention du blobfish et sourit en coin devant son regard vitreux abominable.

- Tu veux que je te raccompagne ? T'as pas l'air dans ton assiette, je la relance avec un demi sourire.

Ce serait con qu'elle soit incapable de retrouver son chemin, d'autant qu'il fait nuit.

- Ça me dérange pas de faire l'aller-retour, ce sera pas très long.

Puis bon, j'ai pas envie qu'elle tombe dans les pommes non plus. Je me sentirais un peu mal pour le coup, quand même...

- Les casinos ouvrent que pour les plus de 21 ans, donc faudra attendre encore un peu la miss.

Je t'ai tiré la langue, comme une enfant. J'irais faire les casinos en France va! C'était bizarre pour moi tu sais? Tout nouveau, tout neuf. Depuis que j'étais ici, je m'ouvrais. Je veux dire... J'avais passé deux ans à fuir tout contact masculin, fuyant même les bus et les métros.

- C'est rien ça m'a fait plaisir. Sinon je t'aurais probablement pas invitée.

J'ai souris doucement, sans excès. Timidement. On est pensé devant l'aquarium et tu as tenté une approche avec Blobby. Il était marrant ce poisson. Je l'aimais bien.
On est arrivé dans ton entrée.

- Tu veux que je te raccompagne ? T'as pas l'air dans ton assiette. Ça me dérange pas de faire l'aller-retour, ce sera pas très long.

Je t'ai fixé, le regard étonné. Que... Quoi? Je savais pas vraiment quoi répondre.

- Non c'est bon je... J'ai repris ma respiration, consciente que j'aurais dû mal à aller seule dans la nuit noire. Oui je veux bien merci.

Je t'ai regardé, un pauvre sourire aux lèvres. Je devais avoir l'air d'une enfant aillant peur du noir. Mais quand on connaissait mon histoire, ça paraissait plus vraiment futile comme peur.
Je me rendis alors compte du pas de géant que je venais de faire en un an. J'avais dans mes amis deux garçons. Et en prime, pour le plus étonnant, j'avais un petit ami (bon OK. Plus pour longtemps. Mais quand même!). Terrae avait fait mieux encore que m'offrir une nouvelle vie. Il m'avait offert la guérison. J'étais loin d'avoir oublié, et les épreuves seraient encore bien nombreuses. Mais avec un constat pareil, comment vouliez-vous que je parte défaitiste? Et si finalement, moi aussi, j'avais droit au bonheur?
Alors quand la porte de ton appartement s'est refermée sur nous, je souriais encore. Parce que l'avenir pouvait bien attendre, parce que le passé pouvait bien m'oublier et parce le présent pouvait bien m’accueillir. Nous avions la vie devant nous.

Lud acquiesce timidement quand je lui propose de la raccompagner. Elle a hésité pendant quelques secondes, mais je crois que j'aurais insisté même si elle n'avait pas voulu que je le fasse. C'est plus l'heure pour laisser une gamine rentrer seule, même à Terrae. Quand on voit les psychopathes qui peuvent traîner dans ses rues, on se pose quand même la question...
J'attrape donc ma veste et l'accompagne dehors, apprécie le vent frais qui me rafraichis un peu la tête. Ca me remet les idées en place l'espace d'un instant, chose à laquelle je ne peux hélas pas dire non après les sujets qu'on a évoqués. Ca devient par ailleurs une habitude avec elle, il faudrait tout de même que je me méfie. Pas d'elle-même, mais plutôt de moi ; elle ne veut pas savoir ce que j'ai vécu, et je ne le souhaite pas. Pour autant, quand on est dans ce genre d'ambiance, comment ne pas être poussé à se confier, même si on ne se connaît au final pas depuis si longtemps - ou plutôt, si on ne s'est que très peu vus depuis que nous nous connaissons ? Sûrement le fait qu'elle m'ait vue sous mon pire jour, à ma sortie de l'hôpital, joue ce lien entre nous ; une sorte de confidence à mi-mots, sans qu'on ose trop en dire. Et pourtant, des choses ressortent. Semblables ou non, c'est pas le plus important. En tout cas, je sais qu'elle, de son côté, s'en sortira. Parce qu'elle veut pas rester bloquée comme moi je le suis. Et franchement, c'est déjà une sacrée bonne victoire. Franchement, je lui souhaite pas de me prendre pour modèle, ça craint un peu.
En tout cas, on a pu passer une bonne soirée. C'était chouette, quand même. Même si sur le chemin du retour on est plus réservés, qu'on sait plus trop quoi dire, on rigole encore un peu, avant que je ne l'abandonne devant la porte de sa chambre. Le temps a beau être pourri ces derniers temps, je sais que le soleil va revenir.
Il revient toujours.