C'est mal de jouer avec les nerfs des gens, vous pensez ? Non parce que je me rends de plus en plus compte que déjà oui c'est mal, mais en plus, ça peut visiblement donner de très mauvaises idées à certaines personnes. Par très mauvaises idées, j'entends par ailleurs le regard profondément agacé que me lance mon partenaire de beuverie. Ses doigts se font nerveux et il triture de plus en plus sa cigarette. Besoin de tripoter quelque chose, mon coco ? Bon, j'avoue, c'est pas sympa ce que je fais, mais c'est de sa faute, il m'a perturbé tout à l'heure. J'ai besoin de lui rendre la pareille, sinon je vais y penser toute la soirée. Besoin de me dire que lui est aussi voire plus embarrassé que moi. Qu'on retrouve cet échange un peu inégal, moi qui l'embête et lui qui grommelle dans son coin. Ça marche bien en général. Ça marche bien. C'est bien…

Il me menace à demi-mot et je lève les mains, innocemment, un sourire ravi aux lèvres.

- Pardon. Promis, je le ferai plus.

Fais attention avec ce que je te promets, je t'assure. Ce soir, j'ai pas envie de ça. Ce soir, j'ai pas envie qu'on fasse des conneries que je regretterai forcément par la suite. Parce qu'avec toi, quoi que je fasse, j'ai l'impression d'en faire. Avec toi, j'ai l'impression qu'y a plus rien qui tourne rond parce que tu fais n'importe quoi et que je te suis dans tes délires. Ou peut-être que c'est moi qui te pousse à le faire. Peut-être que je le sais, peut-être que je m'en rends pas compte ; peut-être aussi que c'est moi qui fais n'importe quoi, au fond.

Mais là, quand je l'entends me menacer de la sorte, je sais pas. Y a un truc qui se brise en moi ; le mur de ma décence probablement. Enfin quelque chose dans ce goût-là…

Il continue à me fixer et j'incline la tête sur le côté en reposant mes mains sagement sur la table et ma cuisse. L'une des siennes se pose sur la mienne, restée à sa portée, et je me tends légèrement. Un frisson remonte le long de mon bras et s'étend jusque sur mes joues – les foutues traîtresses. Rougissez pas, sinon je vous donne à manger à un cannibale.

- Je crois que c'est un peu tard pour me poser la question, je lâche après un temps de silence.

Je le laisse jouer un peu, effleure l'intérieur de sa paume du bout des doigts alors que j'enlève ma main, reprenant mon verre.

- Tu aimes jouer aussi, de toute manière.

Pour le coup, je ne sais pas vraiment si c'est dit avec dépit ou amusement. En fait, c'est juste une énonciation. Un fait que je lui rapporte. Juste comme ça. Parce que c'est vrai, lui aussi aime jouer. Mais on ne joue jamais sans raison.

Mais le jeu, est-ce que c'est pas le seul moyen qu'on ait trouvé ? Faire croire que l'on est pas sérieux tout en l'étant totalement, et le faire comprendre à l'autre ? Sérieux de quoi, au juste ? Parce que si je suis prêt à tout, que ça ne me gêne pas de profiter du moment, en riant, je sais aussi qu'il n'y a pas que ça. Et… ça m'effraie terriblement. Je suis pas prêt à l'accepter.

- J'ai pas envie de me casser la gueule.

Mes lèvres se pincent. J'étire un sourire neutre.

Oublie ça.

Ne fais pas cette tête, Gaetano. Ne fais pas cette tête, sinon je vais vraiment finir par m'en vouloir. Je vais finir par m'en vouloir de ne pas être capable d'être honnête avec moi-même, ni même d'accepter ce que toi tu tentes de me faire comprendre. Tu sais qu'on avancera jamais comme ça, toi et moi. Tu sais qu'on avancera jamais. C'est vrai. On espère quoi, tous les deux ? Un avenir heureux ? Un peu de bonheur ? Même ça, ça n'arrivera pas. Ou plutôt, je doute fortement que ça nous arrive. J'y crois pas.

Mon sourire s'étire à cette pensée, comme en écho avec ma lassitude. C'est tellement difficile de faire comme si de rien n'était, à présent. De lâcher sa main quand je l'ai eue dans la mienne, de sourire quand je n'ai qu'envie de pleurer. Mais est-ce que ça n'a pas toujours été comme ça, au final ? Pourquoi est-ce qu'on aurait pas le droit de faire ce qu'on a envie, sans craindre de perdre, encore, quelqu'un qu'on aime ? Sans craindre de blesser la mémoire de ceux qui sont partis, ou sans craindre de nous blesser mutuellement ?

Je laisse échapper mes craintes. Les seules qui me retiennent peut-être, et je sais que je n'aurais jamais dû les lui exposer lorsque j'aperçois les muscles de son visage se crisper, petit à petit. Son visage est à nouveau plus fermé et je retiens un soupir déprimé. Quand c'est pas moi, c'est lui. Sérieux. Et on se demande pourquoi je ne veux pas faire mine de comprendre ce qu'il se passe ?

Longuement, son regard passe sur la salle, comme s'il recherchait un échappatoire. Moi aussi j'aimerais qu'il y ait une porte de secours, quelque part dans un coin de ma tête. Hélas pour moi, ce n'est pas le cas. Je n'ai pas de mode off. Ce serait pourtant tellement plus simple, hein ? Hein Gaetano ?

Il se lève, et je le regarde, plein d'incompréhension. Il fouille dans ses poches et en tire quelques billets, et je ne cesse de le fixer, sans bouger. Ma gorge est sèche.

Au calme ? Pas en se bourrant la gueule qu'on-- Arrangera les choses ? Ma respiration s'accélère subrepticement, et j'acquiesce faiblement avant de me lever à mon tour, attrapant ma veste pour l'enfiler comme par automatisme. Nous ressortons dans les rues à présent éclairées par les lampadaires, et marchons un moment, sans rien dire, côtes à côtes. Je tente de garder une distance respectable entre nous deux, plus par sécurité que par embarras. Ou peut-être que c'est de l'embarras. J'en sais rien.

- Y a rien à arranger, nan ? je lâche finalement en plantant mes mains dans mes poches.

Mon ton est un peu cynique, cette fois-ci. Mais je n'ajoute rien et me contente simplement de continuer mon chemin. J'ouvre la porte au bas de l'immeuble et monte lentement les escaliers en sentant ses yeux plantés dans mon dos. Regarde ailleurs. Regarde ailleurs, s'il te plaît.

Je me mordille la lèvre inférieure en tripotant nerveusement mes clés dans un cliquetis métallique. En arrivant devant la porte d'entrée de l'appartement, j'insère la clé et me tourne subitement vers lui en appuyant sur la poignée. Le dévisage.

- Je déteste cette situation, là, je ris avec embarras, avant de passer le pas de la porte.

Vous croyez que ce serait plus simple de le laisser en dehors de l'appartement ? Ou alors il ne va vraiment pas aimer, là ? Ahahahah. Putain, mais qu'est-ce que je fous, hein ?

- Tu veux bouffer un truc ? Boire ? j'ajoute sans le regarder, tout en me débarrassant de mes chaussures et de ma veste dans l'entrée.

Pitié, parle, dis un truc, fais quelque chose, mais là j'ai l'impression que je vais crever de nervosité. C'était beaucoup mieux au bar. Là c'est... silencieux. Trop silencieux.

Je me dirige vers la cuisine pour aller me prendre une bière. Putain faut que je m'occupe les mains.

Farfouillons un moment dans le frigo, hein. C'est déjà quelques foutues secondes de perdues sur les quelques milliers qu'il nous reste à passer avant que la soirée ne se finisse. Ô joie. Mais putain Gaetano, pourquoi il a fallu que tu ramènes tes miches ici ? J'ai déjà assez de mal à m'occuper des miennes, si en plus j'dois me focaliser sur les tiennes ça va pas le faire. Quoique là, j'ai comme l'impression que c'est pas moi qui me concentre le plus sur ce détail. Putain si vous me dites que j'ai les oreilles écarlates je vais devoir buter quelqu'un. Genre... je sais pas. MOI.

J'me décapsule ma bière devant son manque flagrant de réaction et m'apprête à boire directement dessus, quand il me la prend des mains pour... bah pour faire exactement ce que je voulais faire auparavant. Durant de longues secondes, je reste à le fixer, à me demander s'il le fait clairement exprès ou si le message que je viens de capter n'est que dans ma tête. Regarde ailleurs. Va ailleurs. Fais autre chose, je sais pas, n'importe quoi. Et dis quelque chose, putain ! Je suis en train de péter un câble dans ma propre tête, là, ça craint.

Un soupir m'échappe et je retourne au frigo pour me sortir une bière, que je décapsule et à laquelle je bois. Maintenant j'en suis certain, il le fait exprès. Il le fait exprès, et savoir ce qu'il veut me donne envie de partir en courant. Je n'ai jamais été prude, je crois. C'est vrai, j'ai eu des dizaines de partenaires en tout genre. Le problème, c'est, je sais pas... Lui, tout simplement ? J'aimerais encore pouvoir me dire qu'on est deux amis qui jouons un peu trop avec les limites. Mais cette situation ne nous convient plus, à aucun de nous. Que voulez-vous que j'y fasse ? Je veux plus, et je veux moins à la fois. Retrouver un certain équilibre. Basculer en arrière, quitte à retrouver ces jours un peu étranges où nous nous prenions simplement pour des cons. Il ne me laissera pas fuir, hein ?

Cette constatation se glisse dans mon esprit en même temps qu'un goût amer sur ma langue.

- Qu'est-ce que tu veux, Gaetano ? je lâche simplement.

Ma canette se pose lourdement sur la table alors que je me rapproche de lui, le nez levé dans sa direction.

- Je te le redis encore une fois : si tu veux me dire quelque chose, dis-le. Mais n'utilises pas les moyens détournés. J'en ai ma claque. J'en ai ma claque, tu entends ? je souffle lentement.

Cette fois, ma voix se bloque dans ma gorge. Pourquoi tu comprends pas que j'en ai marre ? Je suis en train de péter les plombs, Gae. C'est pas une bonne soirée pour moi, encore moins pour nous.

Un soupir. Sans attendre sa réponse, je me recule, attrape ma bière et lui passe la sienne d'un mouvement sec, puis me dirige dans le salon pour fouiller dans un tiroir et en tirer un jeu de cartes. Je chope mon briquet et mes clopes au passage et me laisse ensuite tomber sur le canapé, puis commence à battre les cartes. Je les pose sur la table, m'allume une cigarette et relève les yeux vers Gae.

- J'te laisse servir.

Ca se finira mal. Quelle importance, au final ?

Son regard croise le mien et fuit. Il comprend qu'il n'aurait pas dû, probablement, me faire cette proposition-là. Pas avec ce sourire. À force de le côtoyer, je commencer à le connaître. Je commence à comprendre lorsqu'il a une idée derrière la tête, lorsqu'il se remet à jouer comme un con, et ça ne m'aide pas à comprendre. Ça ne m'aide pas non plus à me calmer. En fait, ça ne m'a même pas fait rire, pas la moindre seconde. C'est là que je comprends qu'il y a un problème. Et le problème, clairement, là, c'est moi. Je ne sais pas ce que je veux, et j'ai... peur ? J'ai peur de m'avancer sur l'échiquier, parce que je sais que je peux pas retourner en arrière. Je ne suis pas un fou, je suis juste un pion. Un petit pion minuscule sur un échiquier gigantesque auquel il ne comprend plus rien.

Mes yeux se ferment.

Gaetano est parti dans la salle de bain, et j'entends l'eau couler d'où je suis. Il faut que je me calme. Ma respiration est longue, vibre un peu. Irrégulière. J'me passe une main sur le visage. On a transformé le malaise en plomb, là, les gens. C'est ma faute, aussi. J'aurais dû rire. J'aurais dû rire, mais là, j'avoue que j'ai pas réussi. Je me mords la lèvre. Aaron, t'es stupide.

Mes yeux se lèvent vers lui lorsqu'il entre à nouveau dans la pièce et je l'observe le temps qu'il s'installe, pas certain de savoir quoi lui répondre. Puis fais la moue et me lève.

- Deux minutes, je souffle.

Non, je ne retarde pas l'affrontement. C'pas c'que vous croyez, je vous jure. (Et pour une fois c'est vrai !)

J'me dirige vers la salle de bain, attrape une serviette et reviens en la lui balançant sur la tête. Bon j'espère que sa clope va pas se casser la gueule et foutre le feu à l'appart. J'ai pas envie de mourir pour une connerie pareille, moi. Mon sourire se tire en coin.

- Il fait pas si chaud, tu vas chopper la crève. Et j'ai pas envie de mettre mon costume d'infirmière, tu m'excuseras. Il me grossit.

Penser à autre chose. On est doués pour ça, non ? Après tout c'est ce qu'on fait tout le temps, contourner, détourner, parler à demi mots et éluder. On ne se parle pas, en fait. On ne se parle pas, parce qu'on en a jamais eu besoin pour se comprendre. Mais là, faudrait peut-être s'y mettre non ? Pas maintenant mais... plus tard. On est pas obligés de se parler ce soir. Lui ne veut pas -  et je crois que ce n'est pas non plus ce que je souhaite. Alors ouais, on va jouer un peu. Et on va essayer de pas penser à demain. Comme toujours.

Je me réinstalle et pose le cendrier, auparavant sur la table, sur le canapé, puis y fait tomber la cendre de ma propre clope.

- Si tu le crames, ça va pas le faire non plus.

Doucement, je m'étire et fais craquer mon dos. A-ï-e. Je suis un meuble Ikéa les gens...

Enfin, j'attrape mes cartes et glisse mon regard dessus. Jeu de merde. Encore une fois. J'ai pas de chance les mecs.

- On mise quoi ? Je tiens à garder mes fringues cette fois, je lance en relevant les yeux vers lui.

Avant de me retenir de pouffer comme un abruti.

- Le voile vous va à ravir, Miss Bianchi...

Pourquoi il faut toujours qu'il me lance ce regard de blasé dès que je fais un truc, hein ? Pour un peu j'en serais vexé. Pourtant, j'étire un sourire en coin et hausse un sourcil, l'air de lui dire de faire une remarque s'il l'ose. Je suis gentil moi. J'me suis même levé, dans ma grande flemme, pour aller lui chercher une serviette !... Une serviette dont il avait peut-être pas besoin, je viens juste d'y penser. Mais bon. Ça me stresse de le voir dégouliner sur mon canapé. N'y voyez aucun jeu de mots étrange. C'est juste... ouais. Voilà.

Puis comment ça, ça m'irait à merveille ? Et comment ça, je suis svelte ?! J'sais que dans ta tête, y a le mot "maigrichon" qui s'est installé dans la tête en gros, gras et surligné. Me regarde pas avec ces yeux-là, je le saiiis. Faux frère ! Faux cul ! Enfin j'espère quand même qu'il n'est pas faux, ce serait dommage, ahahah. JOKE. C'est bon, j'essaie de me détendre là, ça se voit pas ?! C'est exactement pour ça que je reprends ma bière pendant qu'il boit : histoire de m'occuper et ne pas m'étouffer d'indignation.

- Désolé, y a que quand je suis drogué que je me réveille en bas résille et escarpins. Enfin si t'arrives à être convaincant...

Buvons, buvons... Essayons d'oublier qu'on vient de dire une chose pareille. Vous savez quoi ? Ipiu, je te hais. Je sais que tu vas me lire, alors voilà, je te le dis : JE TE HAIS. Arrête de m'embarquer dans tes idées fjksdsjfbjsf. (Non, aucun adjectif ne m'est venu à l'esprit, pour le coup...) Voilà. Ceci était un coup de gueule d'un bout de mon cerveau.

Où j'en étais ? Ah, oui. Je bois en faisant semblant d'être très très intéressé par le plafond. Lorsque je baisse à nouveau les yeux je me reçois un truc humide en pleine tronche dans un joli plaf sonore. Hmmm. Je vois. On dirait que Blobby vient de m'exploser à la tête, ça n'a rien de particulièrement agréable. Je râle et l'enlève de devant mes yeux, lui lançant un regard mi assassin mi amusé.

- T'as déjà vu un truc qui m'allait pas ? Je suis un vrai mannequin. Et on dit merci en général !

Ben ouais, carrure et tout ! J'suis svelte, c'est lui qui l'a dit ! (Même si je persiste à croire qu'il m'a traité de maigrichon dans un coin de sa tête. Je le sais, je vous dis.)

Gaetano reprend finalement au sujet des mises et je le fixe quelques secondes, songeur. Hmmm... Des mises, des mises... Pas des bières, c'est moi qui paie t'façon. Oh nan, vu comme c'est parti, ça va être des gages... Ce mec est un sadique, vous savez pas ce qu'il est capable de me faire faire ! (Oui je me victimise un poil, j'viens de m'en rendre compte aussi si ça vous inquiète.)

- Dis moi....

S'il me dit "moi" je lui fous ma bière dans le slip. Juré.

- T'es chatouilleux mon p'tit Gae ?

Ouais je détourne un poil la conversation. Parce que mon jeu est merdique et que vu sa réaction je vais me faire démonter. ♥

Tss, j'savais que ça allait t'intéresser ; pervers va. Dès que ça parle de cul ou de bas résille tu accoures en remuant la queue. Tu crois que je capte pas ton p'tit sourire, du con ? Ahlala. Je te connais trop bien, toi aussi d'ailleurs, et je crois que c'est pour ça que ça nous fait autant rigoler – j'dirais plutôt glousser comme des dindes vu le niveau actuel de la conversation ; que voulez-vous, ce n'est pas donné à tout le monde d'avoir l'air spirituel quand il rit ! C'est pas mon cas, c'est pas le sien, au fond, on s'en tape un peu nan ? Déjà que le coup de la serviette était pas très intelligent, là, ça frise le ridicule… Gamins de trois ans, tss.

Avec mon sourire en coin toujours aux lèvres, je lui lance un clin d'œil et glisse mes deux mains sur ma cuisse, que je longe vers le haut dans une posture excessivement féminine. Vous voulez avoir con ? Faites comme moi, allez jusqu'au bout.

- Mais voyons chéri, évidemment que je porte bien du Yves Saint-Laurent. Tiens faudrait que je me ramène en Louboutin, un de ces quatre, avec petit tailleur et jupe serrée ; tu comprendrais même pas ta douleur.

Euh, ou alors c'est moi qui la comprendrait pas ?... Dans tous les cas, mauvaise idée. Enfin j'ai déjà fait plus con, je crois… Ma sœur m'a déjà habillé en princesse et en écolière, j'crois qu'y a pas pire. (Enfin si, y a pire, mais je suis pas certain de vouloir le connaître merci bien, bonjour, au revoir. Je crois que ma bière m'est monté à la tête.)

Alors que nous réfléchissons au sujet de ce que nous pouvons miser, il prononce le mot magique "gage" – mot magique qui, somme toute, me donne très envie de me recroqueviller dans mes coussins en gémissant "Naaaaaaaan laisse-moi tranquille !". Bon, allez Aaron, sois un homme bon sang de bonsoir ! ASSUME TES… Attendez. IL A DIT "MOI" ?!

Mon regard navigue un instant de ma bière à Gae. De Gae à ma bière. Encore, et encore, et encore. Jusqu'à ce que je croise son regard et que mon sourire ne s'étire. Non mais. Il a cherché là. C'est pas des chatouilles qu'il récoltera… ce sera bien pire !

Sans attendre, je balance mes cartes derrière moi et me jette sur lui en gueulant un "WAZA" et tenter de le plaquer contre le canapé – n'y voyez, s'il vous plaît, aucune CONNOTATION DEGUEULASSE merci au revoir. Que disais-je ? Ah, oui. Je me bats donc contre ses bras, qui tentent de me maintenir à l'écart. Merde mais comment vous voulez que je lui foute ma bière dans le slip sans qu'il s'imagine que je suis en train d'essayer de le violer ?! Une distraction, une distraction… PUTAIN UNE DISTRACTION ! Paniqué, je fais la première chose qui me vienne à l'esprit, alors que je manque de me casser la gueule du canapé : je tire son pantalon tant bien que mal et y coince tout de même la canette.

…

Silence dans la salle.

… Pourquoi c'est pas aussi classe en vrai que dans ma tête, déjà ? Injustice.

Longuement, je contemple mon œuvre avec des yeux interdits, avant qu'un sourire nerveux tente de s'afficher sur mon visage quand la canette se fait éjecter de son réceptacle (dit comme ça c'est encore pire omfg) et se casse la gueule par terre en y déversant son contenu. Comment dire. Je. Je.

J'éclate de rire, cache à demi mon visage dans mes mains alors que je me plie à moitié en deux. Le front appuyé sur son épaule, je laisse le stress qui m'étreint depuis un moment maintenant s'envoler. Il doit tellement pas comprendre sa vie, le pauvre.

- T'aurais tellement dû voir ta tête, je pouffe de rire en essuyant des larmes de rire.

En même temps, j'crois que même moi je comprends pas ce qui a disjoncté dans mon cerveau, là.

- Faut vraiment que tu perdes du poids, je reprends, l'air plus sérieux, avant de retomber dans l'hilarité.

C'est les muscles, qu'il dira. C'est les muscles !

Mon fou rire commence sérieusement à me foutre mal aux côtes. Non mais, comprenez-moi : la tête que Gae a tirée était juste… Je dirais pas merveilleuse, mais c'était carrément magique. Non mais. Sérieusement ! Dans ma vie, j'ai dû le voir arborer ce type d'expression, allez, une ou deux fois ? Et jamais aussi profondément et merveilleusement choquée. Ahh. Vous savez quoi, les gens ? Parfois, j'ai des idées de merde, mais je les aime. Qu'est-ce qu'on ferait, sans moi, hein ? (On se regarderait dans le blanc des yeux en se demandant qui va rouler une pelle à l'autre en premier. … Je crois.)

J'arrive à me calmer l'espace de trois minuscules secondes, le temps d'apercevoir que les joues de mon collègue et ami ont pris une jolie teinte rose. OHHH. Mais c'est qu'il rougit le Gae, gouzi gouzi ? T'as cru que j'allais te tripoter, c'est ça ? Ou t'as juste honte ? Je te stresse à être aussi près ? Quoi ?! Mais PARLE !

Il part lui aussi dans un fou rire et je le rejoins à nouveau. C'est vraiment débile. Mais franchement, c'est libérateur. Je m'essuie les yeux, où des larmes d'hilarité continuent à se former. C'est toujours un peu bizarre, comme ça. C'est calme, puis c'est la canicule, le vent polaire, et après la tempête de rire. Et ça recommence, parfois. On est un peu cons, mais est-ce que c'est pas aussi bien de cette manière-là ?

J'lui fais remarquer qu'il faudrait éventuellement qu'il songe à faire un régime – rien qu'une remarque, heiiiin. Ou alors il serre moins sa ceinture, j'sais pas. Non parce que là, c'était vraiment trop bon. J'suis tenté de lui demander si c'était pas trop froid, mais sachant qu'il est eau, j'doute qu'il l'ait vraiment senti… Euh… Moi, s'il me la foutait sur le ventre ou dans le slip, je crois que je serais en train de couiner d'horreur. Je croise son regard. Et son sourire. Me calme immédiatement en étirant un sourire nerveux, et commençant à descendre de sur lui (vos gueules) pour fuir leeentement. Allez, un peu plus en arr– MAIS CE TYPE EST UN GROS MALADE ! (dit-il)

Un glapissement m'échappe alors que je tombe en arrière, un peu aidé par mon partenaire de beuverie.

- Noooooon pas les côtes ! Pas les côtees, haaaa, stooop !

Il commence à me chatouiller et je me tortille dans tous les sens pour lui échapper en chouinant entre deux crises de rire. Mes bras n'arrivent pas à le maintenir à distance, et pourtant, c'est pas faute d'essayer hein. Mes abdos me font mal. Et non, je ne suis définitivement pas une foutue chochotte. Je crois.

- Co-comme t'es susceptib- AH ! OK OK STOP J'ARRÊTE ! J-je m-me rends ! Pit-tié !

Gaetano reprend de plus belle et je n'arrive pas à m'arrêter. Je. J'ai. Stop. Pitié. Help. Je suffoque. Plus d'air dans le cerveau. Je dois être écarlate. T'es content ? Je rivalise avec les tomates. Maintenant si tu veux pas que je fasse de même avec les bleuets, laisse-moi respirer !