Je ricane un peu. Fallait pas commencer à parler d ça si tu voulais rien savoir mon coco. Je suispas volontaire non plus pour connaitre ta vie sexuelle, honnêtement. Si il en a une parce que bon, papa célibataire d'une gamine en bas âge et deux ado ? Vraiment ? Vous croyez qu'il a le temps pour ça ? (Oui, on a toujours le temps.) Je roule carrément des yeux. Tromper Aoi. Puis quoi encore ? Il en a d'autre comme ça ? Il pensait vraiment que je saboterais ma relation avec un comportement aussi débile ? J'veux que je sois con sur certains trucs mais je suis fidèle.

Je hausse une épaule en esquissant un sourire en coin. On s'en est remis, ouais. Même si ça a pas été tout de suite. En y repensant c'était à son anniversaire qu'on a commencé à se réconcilier vraiment je crois.

Je lui renvois un peu l'ascenseur pour le taquiner en lui demandant où il en est de son côté. Et là… Meilleure réaction de tous les temps. Vraiment, ça pouvait pas être plus évident. Il rougit, manque de faire tomber la vaisselle qu'il est en train de ranger. Et il bafouille sur sa réponse pas clair aussi. Je rigole un peu.

— Oh, aller. Tu peux me le dire. Je répéterai rien à personne, juré.

J'ai envie de savoir, maintenant. Il sait que je le saurai au final.

— C'est mal de mentir à ses potes Aaron~

Comment ça je lui fais du chantage ? Pas du tout, c'est de la négociation musclée. Puis il avait qu'à mieux mentir. Enfin bon, en soi je trouve ça cool qu'il réussisse à passer à autre chose.

— C'est qui, aller ? Est-ce que c'est une fille ? Un mec ?

Je juge pas, eh. Mais ça doit être quelqu'un de cool s'il le cache. Bah oui. Pas envie de se faire juger pour retrouver quelqu'un alors qu'il sort d'une longue relation. Ce que je comprends. Et c'est probablement ce qu'il fait tous les week-end où il se barre.

Nan mais en fait, est-ce que j'ai dit une fois que j'aimais bien Huo ? Si c'est le cas, faites-le moi retirer IMMEDIATEMENT. En fait non, voilà : je retire. Même si c'est sûrement jamais arrivé, JE RETIRE. On ne sait jamais. Au cas où je l'aurais pensé rapidos une fois, sans m'en rendre compte. Genre omg c'est quoi cette question de merde ??? Je suis pas fiancé, ni marié, ni rien, moi, d'autant que c'est pas moi qui ait commencé à parler de ça, c'est lui qui a posé la question sur les gamins d'un air intéressé tout à l'heure omfg. J'avais rien demandé moi ! J'ai pas demandé "Dis, qu'est-ce que ça fait de se sentir bien avec quelqu'un ?" d'un air sombre et dramatique, JE N'AI RIEN DEMANDE DU TOUT OMG.

Ok, si j'avais réussi à contenir ma réaction PAS DU TOUT obvious ça se serait sûrement mieux passé. À la place, je suis obligé de plisser les yeux et lui envoyer un regard noir. Non mais euh scrogneugneuh prout ? Je sais pas quoi répondre omg. Je sais très bien qu'il va le raconter à Aoi. Et Aoi va forcément le parler à des gens. Genre Mitsuk- Non, d'accord, peut-être pas Mitsu, vu comme elles se reluquent en salle des Masters, l'air de dire "Détourne le regard grosse tepu je te hais", mais voilà, NON JE SAIS QUE TU MENS. Omg. Il en parlera forcément à Ipiu aussi. Si Ipiu le sait elle va me faire chier avec. Elle va vouloir des détails. Qui, quand, où, comment, dans quelles positions. JE LE SAIS.

—Non mais euh, stop essayer d'insister, je mens pas, c'est bon, est-ce que t'es sensitif pour dire que je mens ? Non tu l'es pas, donc tu sais pas, RESULTAT je ne mens pas, c'est ballot, hein ???

Putain ta gueule Aaron, sérieux. Je commence à m'agiter au niveau de la cafetière et verse le reste dans ma tasse. C'est le café qui me rend comme ça. Je vous jure. Ca ne traduit aucune gêne et aucun embarras et surtout pas LE FAIT QUE JE MENTE PUTAIN.

—Mais sérieux, on s'en fout de si c'est un gars ou une meuf, t'es vraiment relou !

NON. J'AURAIS PAS DU DIRE CA.

—... Ce qui ne veut pas dire que c'est le cas, hein, soyons clairs, il m'est arrivé de revoir des gens, parfois, de temps en temps, mais rien de sérieux, et puis- Non mais sérieusement, tu vas pas me dire que ça t'intéresse ?!

Je refuse de parler de ma vie sentimentale omg.

C'est mal de rire quand il me regarde comme ça ? Je suis désolé mais c'est drôle en vrai. Je l'ai coincé sur un truc qui visiblement le gêne pas mal. Enfin assez pour pas qu'il ait envie d'en parler. Ca me surprend un peu en vrai. Je pensais pas que Aaron était du genre secret à ce point sur sa vie affective parce que ni Ipiu ni Nico m'ont parlé de ça et ce serait plutôt les premiers au courant de ce genre de chose.

Et puis c'est quoicette moue là ! Genre, je suis pas capable de garder un secret ! Je suis photographe mec, je sais ce que c'est de pas divulguer ses sources. Je suis capable de pas tout raconter à ma copine dès que j'apprend un truc quoi ! Je suis pas une commère. Bon un peu. Mais pas sur les trucs importants. Mec, tu me fais pas confiance. Je te juge. Voilà. Puis comme il se justifie mal quoi.

— Bah pourquoi ça m'intéresserait pas ? Tu t'intéresse bien à la mienne, de vie sentimentale.

Je souris doucement et hausse une épaule.

— J'suis pas une balance. C'est parce que c'est quelqu'un que je connais, c'est ça ?

Oui, oui, je reste sur mon idée. c'est pas la peine d'essayer de dévier la conversation. Pour une fois que c'est moi qui l'emmerde là dessus et pas le contraire. Puis comment dire… Depuis notre cuite commune et tout ce que j'ai appris sur lui ce soir là… Bah j'ai envie de voir si ça va ? Fin j'ai bien compris que l'histoire avec Bianchi a été un coup dur même s'il a Lottie pour compenser mais ça fait pas tout.

Tu t'intéresse bien à la mienne, gnagnagna. Non mais c'est bon, tu t'entends causer ?! Je m'y intéresse pas, je m'en MOQUE c'est différent. Puis je devrais rappeler que c'est toi qui m'a posé la question bordel de nouille à queue ! Je pousse un petit soupir du nez, agacé. Franchement, je crois qu'il va pas me lâcher tant que je lui aurai pas répondu, ça me saoule mais d'une puissaaance... J'ai déjà bien assez de Cassidy qui me demande des nouvelles parce que Malory lui a balancé que Lou lui a dit que je venais de temps en temps ok ?! Et puis, sincèrement, je sais pas comment les gens peuvent réagir. C'est hyper atypique comme situation, et je me vois pas lui expliquer que j'vois une meuf qui habite pas à Terrae et qui n'a donc pas de pouvoir et qui DU COUP pourrait potentiellement être une espionne qui essaie de me contrôler ou d'avoir des informations sur Terrae... Oui, j'y ai pensé, bien sûr que j'y ai pensé. Je lui fais confiance, et j'ai tenté de pas trop fouiller dans sa vie non plus ; mais putain, j'ai envie de pas me prendre la tête pour une fois et aaaaaaaarg.

—Alors déjà, non, ça m'étonnerait que tu la connaisses, et j'espère pas pour elle parce que t'es vraiment relou. Ensuite, oui, c'est une meuf, parce que non, je suis pas gay ok.

... Contrairement à ce que pense la majorité de la population Terraenne. OUI JE ME SENS ENCORE OBLIGE DE LE PRECISER PUTAIN. Je croise les bras sur ma poitrine d'un air boudeur et m'appuie contre le plan de travail. Non mais j'vois pas quoi dire de plus en fait ?? S'il me dit "Si je suis sûr que je la connais mais que t'assumes pas" je le défonce omg.

—C'est bon, t'es satisfait ? je grommelle. Tu me lâches la grappe avec ça maintenant ?

J'le connais. Je suis sûr que c'est que le début. Uuuuuurg pourquoi j'ai cédé ?!

Bon ça va, j'ai compris que j'étais lourd. Je fais une moue agacée. Sérieux, si c'est ça je pose plus de question. Pour une fois que je m'intéresse un peu aux gens, on voit ce que ça donne. Je hausse un sourcil. Alors. Déjà. J'ai jamais pensé que Aaron était gay. Pas parce qu'il est sorti avec Bianchi que c'est le cas. Je suis bien sorti avec Jun moi à une époque… Et maintenant je suis avec Aoi donc bon… Puis de ce que j'en sais Aaron a aussi surement couché avec des filles. Enfin probablement ? J'ai pas envie de me poser des questions sur sa vie sexuelle.

— J'arrive pas à savoir si t'es vexé parce que je t'ai capté ou si t'as juste peur que je te juge.

Je hausse une épaule. J'suis assez mal placé pour la juger là dessus, je crois. Fin si j'en avais quelque chose à faire des conventions et de ce qui se fait je serais pas en couple avec une japonaise qui a 4 ans de moins que moi. Et je me serais pas fiancé avec elle sans demander sa main à sa mère.

— M'enfin tu fais comme tu veux. C'est cool si t'es bien avec elle, en tout cas.

Si c'est récent, j'imagine qu'il préfère garder ça pour lui ? En soi, je suppose qu'il fait bien comme il veut. Mais je suis sûr que Lottie sera bien contente d'avoir une maman de substitution.

— Tu mérites d'avoir quelqu'un qui te rend heureux.

Je crois ? Aaron est un mec bien. Après les derniers temps agités… Ca doit lui faire du bien de se poser avec une fille ?

Les deux, gars. Les DEUX. Nan mais c'est juste que la situation me stresse, j'ai pas envie que les gens commencent à se demander pourquoi je prends autant de cristaux de téléportation et surtout où je vais et qui je vais voir. J'ai pas envie qu'on me défigure ou qu'on me traite d'hypocrite, sachant que j'ai voté contre faire entrer des personnes non magiques à Terrae. Même si la situation était différente parce qu'il s'agissait de personnel paramédical et que urg, voilà, j'ai du mal. Mais en soi, Lou, c'est pareil. En plus elle est infirmière, alors j'vais vraiment être traité comme le dernier des cons si ça s'ébruite...

—C'est pas- C'est juste que c'est compliqué ok ?

Un soupir m'échappe et je plisse le nez. J'me sens rougir mais j'essaie de me contenir. Comment dire que cette discussion est vraiment gênante ? J'me sens comme un adolescent en c'moment, c'est super bizarre.

—Oula, oula, attends... T'emballe pas, j'ai pas dit qu'on était ensemble. 'Fin, on se voit, mais c'est pas... 'fin tu sais, je fais avec un geste vague de la main.

Ouais, non, on sait pas, tu nous expliques peut-être, hmmm ? NON MAIS MÊME MOI JE SAIS PAS PUTAIN. Je sais pas ce qu'on est, je sais juste c'qu'on fait et c'qu'on ne fait pas (aka parler de sentiments, parce que lol, non, trop tôt, BEAUCOUP TROP TÔT). C'est comme ça qu'on aurait dû commencer avec Gae en fait omg. On se serait tellement moins pris la tête.

—Bon, j'dis pas que j'apprécie pas c'que tu dis, hein ? Mais pour le moment, 'fin... Pour le moment c'est calme, et c'est bien comme ça. De toute manière je pense pas que ça marcherait, c'est vraiment trop...

Grimace et nouveau geste vague. Non mais non, mais j'peux pas lui parler de Boston, j'assume vraiment pas. Puis ça fait surtout bizarre d'avoir la discussion avec lui ; avec Tomoe à la limite, elle passerait son temps à glousser et me demander des détails débiles, mais bon. Voilà, hein. Scrogneugneuh.

Je hausse une épaule. Gars… C'est toujours compliqué ces trucs là. Je pensais voir un jour Aaron rougir comme un ado en pensant à son crush mais… Ouais c'est pas un truc que je risque d'oublier. Il est presque mignon. Presque. C'est Aaron quand même, faut pas déconner. Je rigole doucement. Ouais, totalement en crush sur la nana. Pas en couple mais c'est peut-être en bonne voie. Enfin j'imagine ? C'est difficile de savoir.

— C'est toujours compliqué au début, je réplique en riant.

Peut-être parce qu'il y a ce moment où on n'est pas tout à fait sûr de ce qu'on veut. Aoi et moi c'était différent je crois. Je me suis pas vraiment rendu compte de mes sentiments avant d'être vraiment amoureux et après j'étais pas sûr de vouloir d'un couple.

— C'est compliqué, j'ai compris. C'est à cause de la petite ?

C'est vrai que parfois ça peut être un peu effrayant de s'engager avec quelqu'un qui a déjà des gosses. Y a cette espèce de pression qu'on se met j'imagine. On se dit que si les gosses nous aime pas, ce sera pas vivable. Enfin bon.

Pourquoi on en revient toujours aux gamins d'ailleurs ? Pour ma part je sais toujours pas si j'en veux. Enfin je crois que j'en veux ? Mais je serais tellement pas un bon père. Je m'assume déjà pas tout seul alors éduquer un gamin…

— Et comme elle s'appelle, sinon ?

Oui, je suis trop curieux pour mon propre bien. Tant pis.

C'est bon, j'me sens jugé. C'est pas parce que c'est compliqué "au début", c'est parce que c'est compliqué TOUT COURT. Non mais est-ce qu'il comprend au moins quand j'lui parle omg ? Bon. J'imagine bien que pour lui c'était galère aussi. Mais. Là c'est pas de savoir si j'plais à Lou ou pas le problème (j'sais que c'est le cas loul)(pardon mais c'est vrai) c'est juste- Ouais, non, je sais pas ? C''est agréable d'être avec elle, mais elle a sa vie à Boston, moi j'ai la mienne ici, et j'pense pas que l'un soit prêt à tout lâcher pour l'autre... Alors clairement, j'attends pas grand-chose de ça, hein.

—Non, pas vraiment… je lâche en faisant la moue. J'suppose que ça ferait du bien à Lottie d'avoir une maman à la maison, mais- 'Fin, en plus elle s'entend bien avec et Lottie l'aime beaucoup, alors c'est pas vraiment ce qui pose problème.

Un soupir pendant que je me passe une main sur la nuque. J'sais pas trop comment le dire. Je sais qu'il va pas forcément me le reprocher, mais j'ai pas vraiment envie que ça se retourne contre moi non plus. Et c'est dans des moments comme ceux-là, où j'suis sacrément stressé, que j'ai juste envie de ressortir une clope...

—Elle s'appelle Lou. Enfin, Louisa.

Il y a un blanc. Je sais vraiment pas comment le dire, mais y a comme un truc qui m'y pousse. Peut-être parce que j'ai aussi besoin que ça sorte, à un moment donné ?

—Le problème, c'est surtout qu'elle vient pas de Terrae. Elle habite à Boston.

Nouveau silence nerveux. Je me passe une main dans les cheveux en regardant ailleurs, une grimace sur le visage.

—... Donc, c'est compliqué.

Et dangereux. Et je le sais. Mais je peux juste pas faire comme si c'était rien. J'ai pas envie de couper tous mes contacts avec elle. Elle ne sait pas pour Terrae... Elle ne sait pas pour les pouvoirs. Et j'crois que j'ai pas envie qu'elle le sache pour le moment.

Je sourits en coin quand il m'explique que le problème est pas vraiment dans la présence de Lottie. Perso, je pense qu'une maman à la petite serait cool aussi. Enfin, pour une gamine de cette âge elle a vécu pas mal de changements et de trucs compliqués les derniers mois. Même si j'imagine qu'elle comprend pas tout ça peut quand même être déstabilisant. Fin bon, elle a Aaron d"jà mais c'est vrai qu'éduquer un gosse c'plus facile si on est pas tout seul. Il a les garçons aussi mais c'est pas pareil non plus je pense.

Je lui fait signe de continuer avec un sourire. Lou c'est mignon. Occidental en tout cas. Je hausse un sourcil quand il m'annonce que sa chérie vit en fait à Boston. Donc, en dehors de Terrae ou même de Tokyo. Il pouvait pas faire plus près, là c'est clair. Après si je me rappelle bien, il habitait à Boston avant donc logique qu'il y retourne de temps en temps. Peut-être qu'il l'a rencontré quand il est parti pendant la crise de Nico.

— Est-ce que l'opinion des autres t'importe tant que ça ? Enfin. J'veux dire, je te fais confiance pour être assez prudent et pas balancer des dossiers confidentiels ou quoi donc je me doute que c'est pas ça le problème.

J'espère ouais. Fin après, Aaron fait partie de ceux qui ne voulaient pas des psy à Terrae donc je me doute bien qu'il a un peu fait attention si c'est quelqu'un qu'il ne connait pas d'avant Terrae.

— Si tu me poses la question je pense que ceux qui te connaissent un minimum vont pas te reprocher d'avoir quelqu'un dans ta vie qui soit pas à Terrae. On essaye de s'ouvrir au monde extérieur, ça fait partie des choses qui vont forcément arriver et pas qu'à toi.

Je m’inquiéterais plus des rumeurs et du mal qu'elles peuvent causer si ça se sait.

Franchement, je stresse. J'dois bien avouer que j'suis pas bien par rapport à sa réaction ; j'ai l'impression qu'il va juste froncer les sourcils et finir par me dire que j'ai complètement craqué et que c'est hyper irresponsable. Mais au final, rien ne vient, il m'encourage à continuer, il sourit, il n'a pas l'air trop secoué par l'idée. Ca a l'air de le surprendre un peu, mais pas au point de sauter au plafond - ou alors, si c'est le cas, il le cache très bien. Je me tortille un peu les doigts en détournant les yeux. Hm.

C'est pas vraiment l'opinion des autres, je m'en fous de ce qu'ils peuvent dire. Mais j'ai surtout peur de la mettre en danger elle. Il suffirait qu'il y ait des Masters qui refusent strictement tout échange qui n'est pas professionnel avec l'extérieur pour que ça parte en couille. Je pense pas qu'ils lui feraient du mal, mais l'interroger pour savoir ce qu'elle sait, fouiller son esprit voire carrément lui effacer des bouts de sa mémoire... Franchement, très peu pour moi.

—Le problème c'est que je peux comprendre la réticence des autres Masters. J'ai accès à tous les dossiers, donc forcément, c'est pas difficile d'imaginer qu'elle puisse être envoyée pour nous espionner. Ou même que certaines personnes lui fassent du chantage, simplement ça…

Un soupir m'échappe et je me mordille l'ongle du pouce d'un air pensif. Huo a pas totalement tort, mais on est tellement conditionnés à avoir peur que c'est comme une seconde nature. C'est devenu totalement automatique…

—C'est pas tellement de ceux que je connais que j'ai peur. Plus de ceux que je connais moins, ou des personnes qui me prennent pas assez au sérieux. Depuis ce qu'il s'est passé y a trois ans, ils ont encore plus du mal à ne pas me voir comme nuisance. Suffit de voir vos réactions l'année dernière quand on a parlé d'introduire les psychologues et que je m'y suis opposé, je lâche avec un rire amer.

Cette fois, je souffle et reprends avant qu'il ne puisse en recaser une par après.

—J'entends pas par là que vous aviez tort de les faire venir. C'était une bonne chose. Mais vous pouvez pas reprocher aux gens d'avoir peur. Pas quand on a vécu ces trucs-là. Les laboratoires, c'est vraiment horrible. Alors je peux pas non plus reprocher aux gens de m'en vouloir de faire ça, parce que c'est la même chose. Ca peut nous mettre tous en danger et j'en suis parfaitement conscient.

Le problème, c'est que j'ai beau en être conscient, j'en ai marre de faire des sacrifices pour les autres. Ca ne veut pas dire que je saurai pas faire les bons choix le moment venu, et si je dois en faire un, mais clairement, là j'essaie de prendre de la distance avec tout ça. Penser à moi avant tout. Et honnêtement ça marche pas trop mal jusqu'ici.

—L'arrivée des psychologues nous a montré qu'on peut s'ouvrir au monde sans trop craindre pour nos vies. C'est encore en étude, mais pour le moment y a pas eu de problèmes... Enfin, à part les gens qui ne sont pas d'accord avec cette décision, du coup. Mais ça a l'air efficace, faut juste voir sur le long terme comment ça se passe. Alors peut-être...

Peut-être qu'on pourra juste arrêter de vivre dans la peur un jour ?

Je peu comprendre qu'il flippe, honnêtement. Terrae a pas spécialement une passif hyper tendre avec les étrangers mais en même temps… Fin il serait temps qu'on apprenne à faire confiance. Je serais pour ne pas laisser la peur nous contrôler. Il faut qu'on oit plus fort que ça. ET puis les autres Masters… Enfin je ne les connais pas tous mais merde. Aaron tient à lui tout seul une grosse partie de la sécurité de Terrae et c'est lui qui gère tous les dossiers mais justement. C'est bien parce que personne accepte de faire ce boulot qu'il s'en occupe. C'est ridicule de lui reprocher de vouloir être heureux quand il a surement donné plus que n'importe qui pour Terrae.

Je pince les lèvres. J'ai conscience que j'ai surement été dur à ce moment là pendant la réunion mais je pense qu'on peut pas se permettre de se laisser dominer par ses sentiments quand il s'agit plus que de nous. Terrae a besoin qu'on garde tous la tête froide pour prendre des décisions.

— Je suis pas dans ta position alors je peux juste essayer de me mettre à ta place. Je sais que tout le monde a la trouille des scientifiques et qu'il y a de quoi. Personnellement je suis d'avis qu'ils ont compris leur leçon et qu'ils vont nous foutre la paix, si ils existent encore ce dont je suis pas convaincu.

On ne peut pas avancer si on reste bloqués sur notre peur.

— Ce dont je suis sûr par contre c'est qu'on peut pas continuer de s'empêcher d'aider les autres et de créer des liens avec l'extérieur et c'est pour ça que s'ouvrir comme on le fait est une bonne chose.

Je me mordille la lèvre, cherche un peu comment expliquer ce que je veux dire.

— Un vase clos parfait ça n'existe pas. Partant de ce principe, tu as toujours un risque de fuite, d'infiltration et j'en passe. C'est comme ça, c'est un fait et vouloir l'empêcher c'est stupide.

Je soupire doucement. Je m'exprime mal. J'arrive pas à formuler ce que je pense correctement.

— Ce que je veux dire c'est : à partir du moment où on a décidé de s'ouvrir plus sur l'extérieur, il va forcément y avoir des rencontres. On a des élèves qui vont à la fac de Tokyo, d'autres qui ont gardé un contact avec leur famille et leurs amis. Ca m'étonnerait que tu sois le seul dans ton cas.

Essayer de se mettre à la place des autres, c'est toujours bien, mais visiblement c'est pas forcément efficace, hein. J'aimerais bien pouvoir acquiescer et lui dire que je suis d'accord avec lui, qu'effectivement on ne risque pas de les revoir de sitôt. Le problème, c'est qu'ils peuvent tout à fait avoir constitué un réseau en se rendant invisibles ; ce sont des humains comme nous, et ils apprennent de leurs erreurs. Le gouvernement américain, lui, nous a envoyé un missile dessus : clairement, c'est une déclaration d'hostilités entre nous. Maintenant, ça va un peu mieux ; mais qui nous dit qu'ils n'ont pas formé des groupements d'études nous concernant ? Qui nous dit qu'il n'y a plus d'enlèvements ? On n'en sait rien.

—Ne pas être au courant de leurs actions ne veut pas dire qu'il ne se passe rien. On a fait ce qu'on a pu pour les démanteler, mais ils peuvent toujours revenir. Il suffit qu'on n'ait pas détruit les bonnes données, pas fait arrêter les bonnes personnes, et tout peut recommencer. C'est pas que de la paranoïa. Ca fait dix ans que c'est comme ça, et ça m'étonnerait que ça change juste parce qu'on a fait table rase il y a trois ans. Est-ce que t'imagines le nombre de labo qui ont pu être reconstruits pendant ce temps ?

Avoir ralenti mes recherches et un peu délaissé mon scan mondial ne veut pas dire qu'il n'y a plus rien. Pour autant, je ne me laisse pas aller à la paranoïa. George surveille les activités suspectes et nous les vérifions toujours ensemble. Mais il suffit qu'on loupe un truc, et on est morts.

Un soupir m'échappe et je hausse une épaule. J'comprends ce qu'il veut dire. Et effectivement fermer Terrae n'est pas la solution miracle. Mais pour le moment, c'est encore la meilleure qu'on ait. On fait des efforts, on laisse les gens entrer et sortir, petit à petit ; on prend le risque d'être découverts, on prend le risque d'être sous les feux des projecteurs. Et toutes les pubs sont pas bonnes à prendre. On se retrouve déjà devant des journaux télévisés qui expliquent à leurs concitoyens qu'on se considère comme des élus qui ne souhaitent pas partager leur recette miracle de longévité et de puissance. Forcément, on est des ennemis pour le monde entier... Et pour le reste, à la limite, on est des armes ou des outils. Est-ce que c'est une vie ? Bien sûr qu'on essaie de rendre le monde meilleur, mais est-ce qu'on y arrive seulement...

—Tu sais, on n'a jamais voulu créer un vase clos à la base, enfin je crois pas. Terrae c'était juste censé être un endroit où on était en sécurité. Mais comme on ne l'était pas, les portes ont été fermées, la sécurité renforcée. Alors je me doute que des rencontres ont lieu, que les élèves vont trouver ça très vite injuste de ne pas pouvoir sortir pour aller voir leurs copains de Tokyo. Mais j'suis Master, et contrairement à eux, j'ai mes responsabilités.

Je me mordille la lèvre.

—Du coup, je sais qu'il faut s'ouvrir. Que c'est bien, que tu essaies de me rassurer et compagnie. Et j'suis heureux de pouvoir partir parfois, de respirer un autre air, sinon je retournerais pas à Boston pour voir Lou, tu sais ? Mais même si le monde extérieur ne cherche pas nécessairement à nous exterminer, faut rester prudent. Un initié ou une étoile peut faire des erreurs. Nous, en tant que Master, on ne peut pas.

Et pourtant, quand je pars d'ici, ce n'est même pas la première chose qui me traverse l'esprit. C'est sans doute la preuve que j'ai raison de me méfier, non ?

Peut-être que je suis trop détendu ? C'est vrai que je n'ai pas le même rapport avec les scientifiques qu'Aaron. Ils ne m'ont pas enlevé et torturé. Je sais qu'on doit rester vigilant et c'est aussi une partie de mon job, de faire en sorte que ceux qui cherchent du soutien auprès des gouvernements en trouve le moins possible. Mais je pense qu'être parano n'aide personne non plus ? Voir des ennemis partout ne permet pas de se faire des alliés, au contraire.

J'entends vraiment ce qu'il me dit, et c'est vrai que la sécurité des élèves passe avant tout. Mais je pense qu'il faut aussi pas sous estimer le confort que certains trouvent dans leur contact avec l'extérieur. Quand les ados arrivent ici ils ont le Vide, leur monde vient de se renverser et ils ont besoin de repère et de personnes pour les aider. Si certains le trouvent dans des personnes de l'extérieur on a pas à les priver de ça avant d'avoir réfléchi à un autre moyen de nous protéger.

— Je dis pas que tu as pas raison d'être prudent. Vu la position que t'as avec la sécurité et les dossiers de Terrae, c'est normal.

Est-ce que c'est vraiment normal de devoir toujours se surveiller ? Regarder par dessus son épaule ? J'aime vraiment pas cette idée. On a pas trop le choix étant donné la menace qu'on représentera toujours pour l'extérieur. J'ai bien vu ça en en parlant avec Misao. Les gens normaux ont peur de nous.

— J'veux juste que tu penses aussi à toi ?

Parce que même si j'aime pas spécialement Aaron, j'ai vu ce qu'il encaisse. Ce qu'il a encaissé. Le problème quand on a des responsabilités c'est qu'il faut parfois penser aussi à ne pas les placer devant notre propre bonheur je crois ? C'est pas une erreur que j'ai envie de faire aussi.

— T'es peut-être pas assez égoïste ? Enfin. J'veux dire tu as le droit de penser à toi d'abord parfois.

Huo a raison. Même si ça m'fait mal au cul de le dire, je sais aussi qu'il faut que j'me raisonne un peu à ce niveau-là. J'y arrive pas encore tout seul, ça prend le temps, mais petit à petit, je sais que ça le fera. J'esquisse un demi sourire à son attention. Penser à moi. J'ai l'impression d'avoir le poids du monde — de mon monde — sur les épaules quand j'entends ça. Pourtant c'est simple ? Mais pas pour moi. C'est comme demander à un oiseau de miauler, ou à un chien de se transformer en poisson. Ma tête ne fonctionne pas de cette manière-là. C'est beaucoup plus simple de m'auto-flageller. De me dire que c'est de ma faute. Mais c'est aussi vrai que j'ai envie d'être heureux, et en ce moment j'y arrive pas trop mal. Alors. Prendre un peu de distance. Y aller mollo. Tout doucement. Sourire. Prendre soin de moi. C'est important.

—Depuis tout gamin, c'était soit à ma survie, soit à mes soeurs que je pensais. Tant que je suis vivant c'est bon. Et tant que ceux qu'j'aime sont heureux et en sécurité, j'peux bien faire n'importe quoi.

Même partir. Je l'ai déjà fait. C'était stupide, mais je l'ai fait. Et puis, au fond, c'était aussi pour me protéger moi.

—Mais j'suis très égoïste aussi, tu sais ? Juste... Pas comme vous le pensez.

Parce que j'impose mes décisions ; celles que je pense être le mieux pour tout le monde. Je laisse pas forcément le choix aux autres, en face. Et c'est un peu con.

—Enfin bon, on va pas s'épancher. Je vais bien. J'espère qu'un jour, j'pourrai la ramener et vous la présenter. Mais pour ça, faudrait que je lui parle des pouvoirs, et... enfin, on en est pas encore là, je grimace.

De toute manière, je sais pas bien pourquoi j'ai besoin de son approbation, de celle de mes amis. Mais ça me fait du bien de voir que j'suis soutenu, au moins ? Et pas directement accusé de tous les maux, aha. (Nan mais laissez tomber, trop l'habitude ?)

—Bon, allez, faut que j'te donne ton dossier, toi... Juste une minute avant.

Je disparais rapidement en sentant Charlotte se réveiller, et elle ne tarde pas à pleurer doucement pour m'appeler. Sa petite bouille lumineuse fait naître un sourire doux sur mon visage ; elle m'appelle avec cet air attendrissant et tend les bras vers moi. Je la câline et la bisouille un peu avant de revenir dans la cuisine une fois qu'elle est bien réveillée. Hop, le petit biberon d'eau… Elle l'attrape par une des anses, l'agitant dans tous les sens pour faire tomber quelques gouttelettes.

—Oh, tu peux lui donner s'il te plaît ? Elle arrive à peu près à boire seule, mais elle s'en met partout. J'vais te chercher ton dossier comme ça, je souris en coin et m'approchant pour la lui passer.

Charlotte, elle, ouvre de grands yeux comme à chaque fois qu'elle voit Huo. Sa petite main potelée va chercher ses cheveux qu'elle tire légèrement en riant, montrant son sourire édenté. Non, moi j'essaie pas d'le faire craquer, c'est faux-

Je sautille jusqu'au bureau pour aller chercher mon dossier. Une chance que Lottie soit un bébé curieux, hein… (Elle a presque un an je blblblblblbl)

Je souris doucement. Rendre les autres heureux plutôt que soi c'est pas un truc que je comprends vraiment. Pour moi… Enfin je ne fais pas ça au détriment de mon propre bonheur. Si je peux aider un peu j'ai pas de problème à le faire. J'aime Aoi. Je ferais n'importe quoi pour elle. Mais c'est peut-être la seule personne à qui je pourrais sacrifier autant. Et je le sais. Et je m'en fous. Pourtant, autant que je tienne à Nico ou Matthy je sais que je pourrais pas avoir le même dévouement envers eux. Je crois. Donc je suis pas sûr que je comprends.

— Je sais pas Aaron. Je suis pas certain que je serais capable de faire passer quelqu'un d'autre devant moi. A part Aoi peut-être.

Je hausse les épaules. Ca me déplairait pas de la rencontrer, de savoir un peu ce qu'elle pense de nous en tant que personne extérieure. Puis bon, quelqu'un qui supporte Aaron au naturel. La nana doit être assez zen.

Je me sers un verre d'eau en attendant qu'il revienne. Il fait un détour par la chambre et je souris en coin. Miss se réveille. Et- Wowo ! Attend tu me fais quoi là ! Je sais pas faire ça, putain. Me laisse pas tout seul.

Sale lâche. Je fusille la porte du regard avant de regarder la gamine dans mes bras qui essaye de chopper mes cheveux. Elle tête son biberon d'eau qu'elle tient d'une main et de l'autre elle tire sur mes cheveux.

Je suis sûr que je la tiens mal. Elle gigote dans mes bras, c'est ouf. J'pensais pas que c'était aussi remuant un bébé. J'essaye de la caler dans mon bras et de lui tenir son biberon de l'autre. Finalement elle l'attrape des deux mains. Ses yeux. Elle a les mêmes que son frère c'est dingue. Elle me fixe comme si… Je sais pas.

Je lâche le bib pour la tenir un peu mieux maintenant qu'elle l'a bien en main. C'est bizarre. Je caresse doucement sa joue de l'index et elle me fait un sourire et rejetant sa tétine. Non. Méchant bébé arrête avec mes cheveux. Aïe. Reviens Aaron, je veux pas devenir chauve...