Non mais sérieux, ils ont fumé quoi ? Je sais pas, quand est-ce qu’ils ont pensé que c’était une bonne idée de me mastériser ? QUAND ? Non, mais c’est pas comme si j’enchainais les conneries depuis plus d’un an pour pas que ça n’arrive hein ? La première fois qu’Aaron a soumis l’idée j’ai foutu la merde dans la gare de Londre avec Mitsu, la seconde fois qu’il en a parlé j’ai fait péter la chaudière avec Huo… Vous en concluez quoi vous ? Moi je suis une personne censée et j’en conclue qu’il ne faut pas que je fasse équipe avec les masters. Jamais Never.  Alors vous m’expliquez pourquoi ? Non plutôt comment, comment ils ont pu se dire « non mais t’inquiètes c’est une bonne idée j’le sens là. »

Lol. Je suis une catastrophe ambulante, et le pire c’est que je ne le fais même pas exprès. Sérieux. C’est une idée de merde… Et l’autre là Hideko qui me fait bien comprendre que quoi qu’il advienne j’me ferais baiser et que j’peux pas me défiler. Oh mais t’inquiètes pas que si j’veux me défiler de l’alcool trois bédos et c’est bon vous me réveillerez pas avant demain soir… Seulement, si j’fais ça je me ferais sans doute démolir dans mon sommeil. J’aurais du choisir Tomoe, Tomoe elle aurait jamais fait ça… Non Tomoe elle m’aurait guéri et frappé dessus après. Samer. Donc si on résume, j’ai pas le choix. Demain j’vais essayer de ne pas me faire poutrer la gueule.

Je toque à la porte de celui chez qui j’me réfugie toujours pour rager. Pour panser mes blessures. Pour parler. Pour prendre du recul.

« Yo ! J’peux squatter chez toi ? J’ai apporté du jus de pêche en offrande ! »

Quoi qu’il se passe demain, j’veux une soirée tranquille. P't'être qu'Ys m’achèvera demain, on verra bien. M’en tape, juste faut que j’prévienne Nathou avant. Lui il s’inquiètera, hein Aaron ?

La seule lampe éclairant la chambre de Nathanaël était celle trônant sur sa table de nuit. Il était encore tôt, mais il était déjà prêt à aller au lit. Assis dans ce dernier, appuyé contre son coussin, le jeune homme lisait une publication scientifique que son professeur lui avait conseillé. Trois autres documents étaient empilés sur le meuble, accessibles d'un mouvement de bras lorsqu'il aurait fini d'étudier celui qu'il avait dans les mains.

Soudain, quelqu'un frappa à sa porte. Il sourit et se leva avec souplesse. Il lui semblait qu'Ipiu avait une manière bien à elle de toquer à sa porte. Peut-être était-ce une question de rythme ou d'énergie, mais jusqu'à présent, il avait toujours deviné juste. L'Anglais enfila un pantalon de training, par-dessus son caleçon, et un t-shirt avant d'aller répondre, préférant faire légèrement attendre la Sensitive, plutôt que d'apparaître dans une tenue indécente.

Bonsoir Ipiu. Bien sûr, entre.

Armé de sa voix et de son sourire doux, Nathanaël s'écarta alors pour laisser entrer son amie et referma la porte derrière elle. Il aimait sa spontanéité, le fait qu'elle vienne parfois le voir sans prévenir, le sortant de sa vie bien rangée. Oh, il n'apprécierait peut-être pas un tel chamboulement dans ses plans tous les jours, mais c'était rafraîchissant. Lui qui avait besoin d'ordre et de contrôle, cela lui ouvrait de nouvelles perspectives, le sortait un peu de sa zone de confort. Et puis, le Terre était toujours heureux de voir la Tonnerre, de passer du temps avec elle.

En revenant vers son lit, l'Anglais alluma le plafonnier pour augmenter la luminosité de la pièce, puis vint s'asseoir au bord de son matelas, faisant face à la femme qu'il aimait.

Tu vas bien ?

Beaucoup de gens posait cette question par politesse ou simplement comme amorce dans une conversation, ne se souciant souvent pas vraiment de la réponse qu'il leur serait fourni, mais le jeune homme ne demandait jamais cela à la légère, en tout cas pas lorsqu'il parlait avec l'une des deux femmes de sa vie.

J'ai fait des biscuits ce week-end, des « digestifs ». C'est typiquement anglais. Je ne sais pas si tu connais. On peut en manger avec le jus de pêche, si tu le souhaites.

Avant de venir à Terrae, son père lui avait appris à préparer les fameux « digestive biscuits ». Bien qu'on puisse en trouver en magasin, Nathanaël préférait le goût du fait-maison, une saveur qui lui manquait parfois.

J’aime le calme de Nath, j’devrais vraiment penser à venir vivre avec lui un jour, ou du moins dans la chambre d’à côté, son tempérament est exactement ce qu’il faut pour une sensitive sur les nerfs. Apaisant. Je sais bien que ce n’est pas possible, mais ce serait chouette, même si je le saoulerais rapidement je pense. Je lui souris et j’entre dans sa chambre. Il était en train de travailler, quelle surprise… Il est tellement studieux, je ne sais pas comment il fait, moi j’ai toujours appris au rythme de mes envies, j’avais envie de lire tel type d’articles je lisais, j’voulais lire des mangas, j’lisais pareil… Vous seriez étonnés du nombre de concepts qui sont mieux expliqués dans des mangas que dans des articles scientifiques… Bref. BREF.

« Ca va aujourd’hui… »

Mais demain ça va être la grosse merde. La grosse MARADE.

« Et toi tu croules pas trop sous le travail ? »

Je tâtes le terrain, si faut il bosse tellement que demain il se rendra même pas compte que je suis en train de me faire défoncer par Muchu. Je lui dirais quand même, hein ? Mais faut avouer que ce serait tentant de le mettre devant le fait accompli en mode « TADAAAM ! » Tadam quoi ? Tadamtagueule ? Hm.

« Très bonne idée ! Tu te souviens la première fois qu’on s’est rencontrés, c’était moi qui t’avais cuisiné un truc à peu près mangeable… Si j’avais su à l’époque que tu cuisinais mieux que moi j’aurais eu honte. »

C’est un fait, moi je respecte des temps de cuissons et des doses, lui il soupoudre d’amour et de nostalgie. Ce qu’il cuisine n’a pas la même saveur.

« J’ai une grande nouvelle à t’annoncer… »

Pas une bonne nouvelle… J’ai failli dire mauvaise, mais je me suis retenue. C’est pas si mauvais que ça hein ? Roulement de tambour. Je suis tellement tenter de continuer par un truc du genre « je suis enceinte » juste parce que même si j’ai couché avec personne depuis des années ça le semble plus crédible que ce qu’il m’arrive. Sérieusement. Quelle plaie.

« TADAM ! » je sors ma pièce de la poche de ma jupe.

« Ce connard d’Aaron m’a recommandée, il a cédé face à Hideko j’suis sûre. »

Traitre.

Nathanaël s'inquiéta un peu de la réponse de son amie. Pourquoi avait-elle précisé le « aujourd'hui » ? Est-ce que cela n'allait pas la veille ? Ou avait-elle quelque chose de pénible prévu le lendemain ? Mais elle enchaîna en lui retournant la question, en quelque sorte. Il hésita. Devait-il insister ou attendre ? Il se passa la main dans les cheveux, puis se décida à répondre.

Non, le semestre vient de recommencer. J'essaie de prendre un peu d'avance.

L'Anglais lui sourit, avant de lui proposer les biscuits qu'il avait préparés. La Tonnerre accepta, lui remémorant leur deuxième rencontre, avant son Étoilisation.

Oui, je me souviens de tes œufs brouillés. J'en garde un très bon souvenir, quoi que tu en dises, mais merci pour le compliment. Et... si je me souviens bien, je t'avais proposée des cours de cuisine. L'offre est toujours d'actualité, si tu le souhaites.

Sa voix avait encore gagné en douceur, si cela était possible. C'était ce soir-là, pour la première fois, il avait ressenti quelque chose pour Ipiu. Ce n'était pas encore de l'amour à l'époque, mais c'était là, que tout avait commencé. Le Titan considérait cette soirée comme un bon souvenir, même s'il s'était blessé et que les deux amis avaient dû par la suite traverser de nombreuses difficultés et qu'Ipiu n'était alors pas complètement elle-même.

L'Anglais se leva pour aller chercher la boîte à biscuits rangée dans un des tiroirs de son bureau et revint s'asseoir. Son sourire disparut cependant pour faire place à un air sérieux et son regard trahit sa curiosité, lorsque la jeune femme recommença à parler. Il espérait que la nouvelle soit bonne, mais il semblait déceler quelque chose chez la Sensitive qui lui faisait penser le contraire. Était-ce lié à sa réponse de tout à l'heure ? Avait-elle une mauvaise nouvelle à lui annoncer et c'était pour cela qu'elle allait bien « aujourd'hui » ? Le Terre cessa ses conjectures et attendit patiemment. Il ouvrit la bouche de surprise lorsque la femme qu'il aimait sortit une pièce de la poche de sa jupe avec un « tadam » magistrale !

Nathanaël devrait être heureux pour Ipiu, alors pourquoi cette nouvelle lui avait-elle coupé le souffle ? Pourquoi une vague d'angoisse lui tordait-elle le ventre ? Il ferma ses lèvres et se secoua intérieurement. Il se força même à sourire. La Tonnerre était forte, pleine de ressources, capable et talentueuse. Il ne devait pas se faire du soucis. Elle méritait cette recommandation, il en était persuadé, et elle allait briller.

Alors pourquoi... pourquoi avait-il peur pour elle ?

Ipiu...

Ce ne fut qu'un murmure. Était-il choqué ? Il fallait qu'il se secoue, qu'il trouve les mots pour exprimer ce qu'il ressentait. Pourquoi était-ce toujours aussi difficile ? Pourquoi avait-il toujours besoin de temps pour s'analyser, se comprendre, avant de pouvoir en parler ?

Ipiu allait devenir Master, mais surtout, Ipiu allait devoir se battre dans l'arène.

Voilà le problème. Nathanaël savait, il en était convaincu, que son amie réussirait, remporterait son défi haut la main, mais ce genre de combat ne finissait jamais bien, ce genre de combat se terminait toujours par un séjour à l'hôpital. Ipiu allait encore souffrir. Elle allait à nouveau se retrouver aux urgences, blessée, et il avait de la peine à l'accepter. Il prit l'une de ses mains dans les siennes.

Même si tu n'as pas l'air d'être enchantée par la situation, je sais que tu le mérites, je sais que tu vas réussir le défi que le Master que tu auras choisi va te proposer et je sais que tu seras une très bonne Master à ton tour.

Il se força à sourire, encore. Il se concentrait sur ce qu'il était facile d'exprimer, ce que sa raison lui dictait.

Et ne pense pas que tu as besoin de changer pour te fondre dans le moule. Tu ne seras pas une Master comme les autres, mais c'est ce qui fera ta force. Je n'ai aucun doute là-dessus. Tu apporteras beaucoup à l'institut, Ipiu.

Ses doigts se serrèrent un peu plus fort. Son cœur battait trop vite dans sa poitrine. Peut-être aurait-il dû poser une question essentielle avant de lui dire tout cela.

Ipiu, pourquoi ne souhaites-tu pas être Master ? Parce que c'est cela le problème, n'est-ce pas ?

Comment Nathanaël pouvait-il paraître aussi calme à l'extérieur, alors qu'une tempête se déchaînait à l'intérieur ?

Il est choqué. Voilà une réaction normale putain. Celle que tout le monde devrait avoir quand on parle de me passer master moi. D’envisager de me passer master. Sérieux, tout le monde le pense, moi la première. Moi master c’est du gros n’importe quoi putain. Moi montrer l’exemple ? Certes, mais pas le bon. C’est évident que c’est une erreur, même pour Nathou. Ça se voit sur sa tête que l’idée le choque plus que moi encore. Bon, j’aurais préféré qu’il rigole, parce que moi master ça sonne quand même comme une grosse blague… Mais il est juste choqué… Je le pince pour le débeuguer ou pas ?
Euh, tu nous fais quoi là Nath ? Tu me fais quoi ? Non mais prends pas cet air sérieux, d’accord ? Et puis dis pas des choses comme ça, je mérite rien, et j’risque de me faire défoncer par Ys. Pourquoi j’ai choisi Ys déjà ? Ah, oui j’me souviens, parce qu’il va trouver un truc de ouf pour nous donner du spectacle. Un truc bien bourrin, et sans doute fun. Si Bito était pas parti, et si il avait été master, deux choses improbables, j’aurais tout misé sur lui… A défaut de me faire plaisir, au moins ça sera spectaculaire.
J’sais même pas encore si je vais tenter de réussir l’épreuve. Et si j’foire, il se passe quoi ? On me fout la paix jusqu’à la prochaine ? Ou alors la seule façon de rater c’est de passer l’arme à gauche ? Je le verrais demain, en fonction de ce que proposera Muchu. Ce qu’il faudrait que je décide avant c’est : vais-je réellement tenter de relever ce défis… Ou vais-je le laisser gagner ? J’en sais trop rien.

« J’essaierais même pas de me fondre dans le moule, et c’est là le problème. Je suis une fouteuse de merde, Nath, tu m’apaises juste trop pour t’en rendre compte. »

Quand j’suis avec toi, j’calle mon rythme sur le tien, et ça m’fait du bien tu vois, d’être quelqu’un de calme, de raisonné. Seulement quand j’suis seule, j’fais connerie sur connerie. Le pire c’est que j’les fais en sachant pertinemment que ce sont des conneries, genre convaincre tout les nouveaux que leurs pouvoirs venait de l’adoration qu’ils avaient de Blobby, c’était une connerie de ouf… Mais j’l’ai fait parce que c’était drôle.

« Je ferais pas un bon exemple, mais j’aurais encore plus de potentiel pour foutre la merde… Et j’ai pas envie de voir à quel point. »

On en parle de mon pétage de câble sur Tjay il y a deux ans ? Non ? Parce qu’on va pas se mentir, c’était violent… Et j’étais qu’étoile, j’ai encore un sceau qui me protège et qui protège les autres.

Nathanaël regarda son amie, perplexe. Il savait qu'elle avait parfois des idées un peu... étranges ou folles peut-être ? Il repensa à cette rumeur qu'elle avait lancée sur l'origine des pouvoirs ou la course en fauteuil roulant dont il avait entendu parlée récemment. Était-ce de cela qu'elle voulait parler ? Était-ce grave ? Il se trouva soudain bien démuni. Ce qu'elle lui disait, c'était qu'il ne la connaissait pas, qu'elle n'était pas elle-même avec lui ? Le Titan se redressa, lâchant la main d'Ipiu. Il ne comprenait pas pourquoi elle doutait, pourquoi elle ne voyait pas ce que lui voyait... à moins que ce qu'il voyait n'était pas la réalité ? Non, elle ne le ferait pas douter.

Écoute, je ne suis pas Master, je ne sais donc pas les discussions qu'il y a pu avoir concernant ta recommandation, mais si Aaron l'a faite et qu'Hideko l'a acceptée, c'est qu'ils croient en toi, comme moi je crois en toi, et j'ai confiance en leur jugement.

Il marqua une courte pause.

Ipiu, les Masters ne sont pas des robots. Chacun a son caractère et sa personnalité propres. Certains sont plus calmes, d'autres plus actifs. Certains sont discrets et d'autres restent constamment au centre de l'attention. Il y a des Masters dont j'entends le nom tous les jours quand je marche dans les couloirs et d'autres dont je ne connais même pas encore l'existence. Tu as ta place parmi eux, tu es unique et tu apporteras, toi aussi, quelque chose de positif, à ta manière. À toi de la découvrir.

Le Terre s'arrêta à nouveau, passant sa main dans ses cheveux. Il aurait aimé pouvoir parler en son nom, mais ce qu'elle lui avait dit le chiffonnait toujours.

Ipiu... je...

Il baissa les yeux un instant tout en refermant la bouche, mais les releva rapidement. La peur de ce qui allait se produire demain était toujours là, mais la Sensitive avait réussi à suffisamment détourner son attention pour qu'il y pense moins.

Je ne sais pas, manifestement, ce dont tu es capable... mais je crois que tu te fais trop de soucis. Il y a de multiples manières d'être un bon exemple. On ne peut pas être un bon exemple dans tout. Trouve ce qui te correspond, ce que tu veux mettre en avant. Tu n'es peut-être pas un bon exemple pour suivre les règles ? C'est peut-être embêtant pour l'image des Masters en général, mais tu peux être un bon exemple pour autre chose. Tu aimes ne pas trop te prendre au sérieux, tu aimes faire des choses drôles ? Utilise cela pour te rapprocher des gens, créer la communication qui nous a manquée l'année passée, par exemple. Je ne sais pas, Ipiu. Je te lance des pistes, je te montre des chemins, mais c'est à toi d'en choisir un et de l'arpenter. Il n'empêche que je suis convaincu qu'un de ces chemins est fait pour toi, je suis convaincu que tu as ta place parmi les Masters. Tu es une personne extraordinaire avec un immense potentiel et je suis certain qu'Aaron et Hideko l'ont vu.

Sa voix avait d'abord un peu perdu de sa douceur, avant de la retrouver tout entière. Cependant, l'épreuve du lendemain s'imposa à nouveau à son esprit.

Est-ce que... est-ce que tu étais en train de me dire que, demain, tu ne vas même pas essayer ?

Si son amie refusait de relever le défi, qu'allait-il se passer ? Nathanaël essaya de ne pas y penser, tandis qu'une boule se reformait dans son ventre.

Ouai et bien moi j’ai le droit de douter de leur jugement ? Aaron, j’vais même pas expliquer à quel point son jugement est bisounoursquesque, il a adopté des gamins à la pelle cette année, juste comme ça parce que les animaux de compagnie lui suffisaient plus. Hideko, on en parle d’elle ? Elle a pensé que Terrae tournerait bien sans elle, elle est partie sans prendre de directives, sans petit mot avec le mode d’emploi ou un simple « Hey sorry, j’ai des trucs à régler j’reviens quand c’est fait, soyez sages mes loulous. » Le genre de truc qui rassure qu’à moitié mais qui empêche les choses de déraper… Son jugement est bisounousquesque lui aussi. Ils pensent réellement que tout va bien se passer et que j’vais faire le taf…
Le problème c’est que Nathou semble le penser aussi. Ce serait vraiment petit et bas de lui dire un truc du genre « mais toi ça compte pas parce que tu m’aimes hein ? » Déjà parce qu’il compte, sinon je serais pas ici, et ensuite parce que même s’il est aveugle à bien de mes défauts, il a toujours eu un regard avisé et juste sur les problèmes que je lui soumettait. Il a toujours agi en ami, et ça j’peux pas le lui enlever.
Je sais qu’il a raison du reste, bien sûr que les masters ne sont pas des robots. Regardaient Muchu, tout l’monde disait qu’il avait couché pour réussir, mais au final depuis la forêt il est vachement plus respecté. Même si ça reste un blaireau hein ? Je lui pardonne pas le coup des antivols de vélo. Je sais que tout le monde ne se ressemble pas, et que chacun peut de se fait compléter les autres… Mais moi ? Moi, si tôt que j’arrête de réfléchir, sitôt que j’arrête de me brider, j’file tout droit dans les ennuis. Demandez aux gens ce qu’ils pensent de moi, et tous ou presque pourront vous raconter une des anecdotes qui ont jalonné ma carrière à Terrae. Tous vous dirons que je ne suis pas quelqu’un de sérieux, du vol de sous-vêtements d’Hideko à ma façon d’envoyer se faire foutre les règles quand je les trouve infondées. Tout ça c’est moi, et j’suis plus ou moins certaine que je changerais pas. Je soupire.

« Je sais pas Nathou, je sais pas si j’ai envie de donner tout ce que j’ai dans un combat pour devenir ce que les autres attendent de moi. Je sais pas ce que je veux moi, je sais juste que je trouve le raisonnement qui pousse les autres à vouloir que je sois master boiteux. Je saurais me rendre utile même sans pouvoirs cheatés, alors pourquoi prendre le risque de m’en donner plus ? »

J’imagine qu’Hideko espère que je me calmerais, que je rentrerais dans le rang. Je sais que c’est impossible.

« Tu m’en voudrais si je perdais volontairement ? »

Nathanaël secoua la tête et se pencha à nouveau vers son amie, reprenant ses deux mains dans les siennes, cette fois, avec douceur et tendresse.

Ipiu, bien sûr que non, bien sûr que je ne t'en voudrais pas... mais j'ai... j'ai peur pour toi. Tu comprends ? Les combats dans l'arène ne se termine jamais bien, jamais. Et la dernière fois, j'ai vu ce qui s'est passé lorsque le futur Master ne voulait pas se battre, j'ai vu comment Aaron l'a attaqué et j'ai vu comment cela a fini.

Ses mains se mirent à trembler légèrement.

Je dois t'avouer que te revoir à l'hôpital ne m'enchante pas...

L'Anglais estimait que la jeune femme avait assez souffert. Il savait à quel point elle détestait les hôpitaux et il aurait aimé pouvoir l'aider, mais se sentait bien impuissant.

Ipiu, j'ai toujours voulu que tu sois libre, alors si tu ne veux pas être Master, tu as le droit de refuser, de ne pas aller à l'arène, de ne pas combattre. Ils ne peuvent pas te forcer. Et je suis désolé si tout ce que je t'ai dit jusqu'à maintenant t'a laissé penser le contraire.

Il sourit doucement à la femme qu'il aimait.

Mais, Ipiu, si tu décides de refuser, de ne pas devenir Master, il faut que ce soit pour les bonnes raisons, pas par peur.

Le Terre observa son amie un instant. Elle avait utilisé le mot « risque » en parlant de lui donner plus de pouvoir et il n'était pas certain de comprendre ce qui l'effrayait.

De quoi as-tu peur ?

Il ne souriait plus et affichait un visage sans doute trop sérieux, mais son regard demeurait doux, tout comme le contact de ses mains tenant celles de la Tonnerre.

Est-ce que tu as peur d'être un danger pour Terrae ?

L'Anglais se souvenait de leur rencontre après qu'elle est faite son Étoilisation. Il se souvenait de sa réaction, de ses arguments pour le repousser, de son obstination patiente pour rester auprès d'elle et ne pas l'abandonner. À l'époque, la Sensitive lui avait dit être un danger pour lui, qu'elle allait le faire souffrir. Est-ce que c'était la même chose aujourd'hui ? Elle avait pourtant parcouru un long chemin depuis cette époque et il pensait qu'elle était passé par-dessus cela, mais la formulation qu'elle avait employé l'en faisait douter.

Ou est-ce que tu as peur qu'Ils viennent te chercher si tu développes le plein potentiel de tes pouvoirs ? Et si c'est le cas, ne penses-tu pas être plus à même de te défendre et de défendre Terrae si tu en obtiens la pleine maîtrise ?

C’est à moi de réconforter Nathanaël. Ses mains tremblent autour des miennes. Je m’en empare à mon tour, lui caressant du pouce le creux de la paume. C’est une sensation qui détend en général. C’est vrai que vu de l’extérieur, le combat Aaron-Ys avait eu des airs d’acharnement… Mais pour les sensitifs, ça avait été autre-chose. Aaron avait été extrêmement, mais d’une autre manière. D’une manière bien sournoise.

« Ce n’est pas qu’Ys n’avait pas envie de se battre, Aaron l’a empêché d’en ressentir l’envie. C’est un peu différent… »

Et ça montre qu’Ys a pas mal de volonté, ce qui me compliquera la tâche quoi que je décide. Ce sera lui et personne d’autre. Qu’il le veuille, ou non d’ailleurs. C’est lui qui a le moins à perdre et le plus à gagner en ce moment… Et puis avec lui il y aura du spectacle j’en suis certaine.

« Je compte choisir Ys, il n’est pas sensitif, quoi que je décide ce sera ma décision et pas la sienne. C’est peut-être un fier idiot, mais j’pense pas qu’il s’acharne sur quelqu’un qui ne se défend pas. J’ai le sentiment qu’il est plus droit que ça. »

Par contre derrière c’est la colère d’Hideko qui sera pas sympathique à gérer. Je sais pas ce qu’il se passera, c’est ça la grande inconnue. A ma connaissance personne n’a jamais refusé, personne n’a jamais perdu… Sans doute parce que les masters ne posent pas des défis surréalistes, mais des défis qui poussent les étoiles à se dépasser et à donner le meilleur d’elles-mêmes.

J’avais oublié qu’il me connaissait si bien. Je lui souris, est-ce que j’ai peur d’être un danger ? Est-ce que j’ai encore peur de blesser des gens ? Bien entendu, j’aurais toujours peur de cela. J’ai blessé trop de monde, j’ai tué trop de monde. Même si j’essaye de ne pas y penser, je n’ai rien oublié, je n’oublie jamais rien.

« Je suis imprévisible, et c’est de cela que j’ai peur. J’ai manqué de tuer Tjay parce que je manquais de recul, avoir plus de pouvoir dans une tête de troll comme la mienne n’est pas spécialement sécurisant… »

De toute manière moi j’dis qu’on devrait interdire aux tonnerres de devenir master, ça finit jamais bien. Jamais.

« S’Ils venaient me chercher, aujourd’hui comme demain, ils n’arriveraient pas à me prendre vivante, et ils y perdraient pas mal de bons agents. Je ne les suivrais plus… que de mon plein gré. »

Sauf. Sauf qu’ils ont encore de l’emprise sur moi. Sauf qu’ils ont de quoi me faire chanter. De quoi me blesser. Sauf que j’ai trop changé depuis que je suis à Terrae pour ne plus en avoir rien à faire. J’ai voulu oublier, je n’y suis pas arrivée. Je souris. Non, me donner des pouvoirs en plus n’apporterait rien de plus… Car s’il me faut choisir un jour, je pourrais être égoïste. Je regarde dans le vague, ça fait mal d’être sérieuse hein ? ça fait mal d’arrêter de fuir. Je sais que je n’ai nullement le droit de me prétendre mère, je n’ai été qu’une couveuse pour un enfant que je n’ai jamais tenu entre mes bras… Pourtant pendant neuf mois je l’ai senti prendre vie en moi. Je ne sais même pas s’il est vivant. Ils l’ont peut-être tué… Ce serait mieux. Mieux qu’il n’ait pas convenu à leurs attentes, mieux qu’il soit… Je sais que c’est horrible, mais s’il est vivant je sais ce qu’ils lui ont fait subir, je l’ai subit aussi… Je sais que je n’ai pas le droit de faire comme si ça m’importait, je suis à Terrae depuis longtemps maintenant, j’aurais pu cherché à savoir… chercher à le rencontrer, si j’avais parlé de lui à Aaron ou Huo, je sais qu’ils m’auraient aidé… Mais Nathanaël a raison. J’ai peur. Je suis terrorisée. Et si… Je ne sais pas ce que je crains le plus, qu’il ait survécu ou qu’il soit mort… Je suis une idiote.

« J’ai peut-être un fils, je pense qu’il est mort mais… Je… Ils… Lui. Je ne suis pas certaine de choisir Terrae si il pèse dans la balance… »

Voilà c’est dit. C’est violent hein ? Ahaha. Je suis une conne. J’aurais mieux fait de me taire. J’pensais que je n’en parlerais jamais à personne. J’ai un sourire triste. Je ne serais jamais une bonne personne, jamais un exemple. Les masters s’ils offrent une diversité d’exemples à suivre, ont au moins tous un point commun : leur fidélité à Terrae. Je ne suis pas certaine de pouvoir offrir cela, voilà la vérité.

« Pardon. »

Je ressens le besoin de m’excuser, parce que ce que je lui ai dit est trop violent. Trop dur. Nath est fort, mais c’est mon poids. Le poids de mes erreurs, et je ne veux pas qu’il se sente le devoir de le partager. Je n’aurais pas du lui en parler.

Lorsqu'Ipiu lui expliqua ce qui s'était réellement produit lors du dernier combat et ce qu'elle comptait faire le lendemain si elle décidait de se battre, Nathanaël comprit que la situation et se détendit un peu. L'action de la jeune femme sur ses mains l'y aidait aussi. Il se contenta donc de hocher la tête.

Il écouta la réponse de son amie. L'Anglais ne savait pas s'il devait être content ou non de ce qu'elle lui disait. Il préférerait évidemment qu'Ils ne viennent jamais, plutôt que de mettre en danger la vie de celle qu'il aimait. La fin de son discours l'avait cependant troublé. Pourquoi envisageait-elle le fait de les suivre de son plein gré ? Un silence s'installa, un silence qu'il ne voulut pas interrompre, car il sentait que la Tonnerre réfléchissait, hésitait peut-être. Alors il attendait, lui laissait le temps, observait son sourire, puis son regard se perdre dans le vague.

Mais Nathanaël ne pouvait pas s'attendre à une telle annonce.

Il resta d'abord immobile, accusant le choc, laissant à son cerveau le temps d'analyser et intégrer l'information qu'on venait de lui communiquer. Ipiu avait un fils, dont elle ne savait rien...

L'Anglais libéra ses mains et vint doucement prendre la femme qu'il aimait dans ses bras. Il n'avait pas les mots, alors il espérait que lui offrir toute la tendresse et la douceur qu'il pouvait serait suffisant. Que voulez-vous dire dans une situation pareille, de toute manière ? « Je comprends » ? Non, ce serait ridicule. Personne sauf Ipiu ne pouvait comprendre ce qu'elle ressentait. Le Titan savait qu'elle avait vécu l'enfer, mais là... c'était au-delà de tout ce qu'il avait pu imaginer. D'une main, il vint caresser les cheveux de la Tonnerre. Il ressentait une peine immense pour son amie. En plus de la tristesse, il ressentait aussi un certain sentiment de révolte face à tout ce qu'elle avait dû subir. Il aurait aimé pouvoir faire quelque chose, changer ce monde cruel dans lequel la Sensitive avait vécu et que lui n'avait même pas imaginé exister.

Nathanaël finit par se reculer, reprenant les mains de la jeune femme dans les siennes, posant son regard sur le sien. Il ne put s'empêcher de penser qu'elle était belle, magnifique et que la vie avait été bien injuste avec elle.

Ipiu, tu n'as pas à t'excuser, d'accord ?

Il lui sourit avec douceur et tendresse. Si son fils était toujours en vie et qu'Ils lui lançaient un ultimatum, la vie de l'enfant contre son retour ou des informations sur Terrae, par exemple, qui oserait la juger ? Pas lui, en tous les cas. Il ne pouvait pas comprendre réellement, mais il pouvait essayer.

Je ne vais pas te faire l'affront de te dire que je comprends ce que tu ressens, mais j'appréhende ton hésitation ou celle que tu pourrais avoir le cas échéant. Même si je n'y suis pour rien, je suis sincèrement navrée et j'ai beaucoup de peine pour toi. Ce que tu as vécu est vraiment horrible. Non, c'est bien pire. Il n'y a pas de mot pour exprimer cela...

Le Titan marqua une courte pause.

As-tu déjà essayé de savoir ? Savoir s'il était encore en vie ou pas ? Et si ce n'est pas le cas, le souhaiterais-tu ?

Il n'était pas certain qu'elle souhaite en parler, mais rien ne l'avait obligé à lui faire cette révélation. À présent que le premier choc était passé, il était d'ailleurs ému qu'Ipiu ait abordé ce sujet difficile avec lui, car cela démontrait une confiance énorme. Bien sûr, Nathanaël savait qu'elle lui faisait confiance, vraiment confiance, mais il ne s'était pas rendu compte à quel point jusqu'à ce jour. Il lui en était reconnaissant.

« Si Nath j’ai à m’excuser, encore une fois je laisse peser mes erreurs sur toi. Je ne dis pas que tu n’es pas assez fort pour cela, je… Tu ne devrais juste pas avoir à le faire. C’est injuste pour toi. »

Mon visage n’est pas tant usé que mon âme. J’ai l’impression d’avoir trop vécu dans une existence trop courte. Je ne plains pas de ma vie, je n’accuse personne, je ne pense même pas avoir été victime d’une injustice. J’accepte tout, parce que lutter prendrait trop de temps et d’énergie. Fuir est moins couteux. Pourtant en cet instant tout l’humour et la mauvaise foi dont je m’entoure habituellement se sont envolés. Je me sens juste fatiguée, fatiguée et terne. Coupable aussi.
Coupable de bien trop de choses pour toutes les citer exhaustivement, coupable de ne pas avoir été une mère, coupable de ne pas avoir cherché à en être une.

« Tu n’as pas à avoir de la peine pour moi. J’étais quelqu’un d’horrible. Avoir un enfant était une mission parmi tant d’autres que j’avais exécuté avec brio. Je n’aurais même pas connu le sexe de l’embryon si je n’avais pas dû exécuter d’autres missions sous couverture simultanément. Je ne m’y serais pas intéressée. »

C’est fou, on me disait « porte un enfant » et je ne trouvais même pas l’idée de demander pourquoi, de réagir simplement, non j’avais accepté comme tout le reste. J’étais coupable de ça aussi.

Coupable de profiter une fois de plus de son amour. Au fond, j’aimerais pouvoir le lui retourner. J’aimerais pouvoir lui rendre tout ce qu’il est pour moi… Et je me dis que mon amitié n’est pas suffisante… Mais je ne saurais même pas comment lui offrir plus. Ses bras m’ont enlacée pour me transmettre du réconfort. Ca non plus ce n’est pas juste. J’ai toujours cette impression de passer mon temps à le blesser avec ma vie. C’est désagréable, et seul le silence saurait le préserver.

Je baisse les yeux, j’ai honte de ce que je vais dire par avance. Je sais que personne ne devrait tenir de telles paroles.

« Il vaudrait mieux qu’il soit mort… Ce serait moins cruel. »

Moins cruel que l’entrainement, j’étais âgée quand je suis arrivée au Centre, j’avais cinq ans… J’avais connu une famille aimante et pourtant ils m’avaient détruite, pan par pan. Lui n’avait jamais eu ce souvenir de famille heureuse auquel se raccrocher. Comment faisait-il quand il se couchait la faim au ventre ? Ou quand on le battait pour l’endurcir ? Comment avait-il pu garder l’espoir ? Même lorsqu’il était en moi je ne suis pas certaine de l’avoir aimé. Je suis vraiment la pire.

« Je suis terrorisée par l’idée de savoir… Je ne sais pas si je crains plus qu’il soit vivant ou mort. Je suis vraiment une personne horrible. »

Nathanaël secoua la tête. En était-elle vraiment encore là ? Il retint un soupir. Combien de fois avaient-ils eu cette discussion ? Pourquoi n'arrivait-elle pas à accepter ? Pourtant, aucune nuance d’agacement ou d'énervement dans le ton de sa voix, juste une extrême douceur.

Ipiu, tu sais que je ne suis pas d'accord avec toi. Les amis sont là pour cela, pour écouter et soutenir, être présent, quand cela va bien et quand cela va mal. Alors, il n'y a rien d'injuste. J'ai choisi d'être à tes côtés. Je... je me suis battu pour toi et je ne compte pas t'abandonner, surtout pas quand cela ne va pas bien.

Il avait hésité un bref instant avant de continuer sa phrase, mais les mots étaient finalement sorti. Il n'était cependant pas certain qu'utiliser le verbe "se battre" ait été très judicieux. Tant pis, il l'avait dit et ne pouvait revenir en arrière.

Je suis content et touché que tu te confies à moi, même si je dois avouer que je préférerais que tu n'en aies pas besoin, que tu sois heureuse et en paix, qu'il n'y ait aucun problème. Mais la vie, ce n'est pas ainsi. Alors, je suis présent, toujours, et j'aimerais que tu l'acceptes sans culpabiliser, sans ressentir le besoin de t'excuser.

Et la Tonnerre aurait beau continuer à lui faire ce genre de réflexion, il continuerait inlassablement, patiemment, à lui répéter ce même discours, parce qu'il était sincère et qu'il y croyait. La suite déplut tout autant au Terre, mais à nouveau, il resta calme et doux, parce qu'il savait qu'elle avait tort, en partie du moins, il savait qu'elle souffrait et il savait que sa douceur pouvait l'aider. C'était un peu fou, mais il avait l'impression d'être revenu à l'hôpital, la toute première fois. Beaucoup de choses avaient changé depuis... et pourtant si peu. Il se laissa un instant de réflexion pour savoir si ses idées, sa manière de voir les choses avaient évolué, mais cela ne semblait pas le cas, ou si peu.

Ipiu, à nouveau, je ne suis pas d'accord avec toi, pas tout à fait. J'aimerais nuancer tes propos. Je suis d'accord avec le fait que tu as fait des choses horribles par le passé. Tu m'en as parlé un peu, suffisamment je pense, quoi que je sois prêt à t'écouter si tu ressens le besoin d'en discuter davantage, mais je ne considère pas cela une raison valable pour ne pas ressentir de la peine pour toi aujourd'hui. Tu as changé, évolué. Tu es loin d'être la personne que tu étais à cette époque. Observe le chemin que tu as parcouru jusqu'à aujourd'hui. Ce n'est pas rien. Je sais que tu as de la peine à l'accepter, mais pour moi, ce qui compte, c'est qui tu es aujourd'hui et rien que le fait que tu te poses toutes ces questions, cela prouve que tu es différente. Lorsqu'on t'a donné l'occasion d'ouvrir ton regard, tu as pris la voie de la remise en question et c'est essentiel, à mon sens. Alors oui, j'ai de la peine pour toi, parce que tu n'as pas mérité tout cela, que ton enfance t'a été volée et qu'on t'a fait subir des choses effroyables.

Ipiu baissa les yeux avant d'assener la réflexion suivante. L'Anglais ne répondit pas tout de suite, car elle enchaîna. Ses propos étaient effectivement délicats. Pouvait-on souhaiter la mort de quelqu'un de la sorte ? L'une de ses mains quitta temporairement celles de son ami pour venir parcourir ses cheveux. C'était un tic chez lui, de s'y passer la main lorsqu'il réfléchissait. Pourtant, elle revint bien vite rejoindre sa position initiale.

Tu n'es pas une personne horrible, Ipiu. Tu sais exactement ce que cet enfant vit au quotidien s'il est toujours vivant. Tu as utilisé le mot « cruel ». C'est un terme fort. Je m'avance peut-être un peu, mais j'ai envie de comparer cette situation à une personne mourante qui n'a aucune chance de rémission et qui souffre tous les jours. Je peux appréhender que ses proches souhaitent sa mort, non pas pour s'en débarrasser, ce serait immoral et cruel, mais pour la soulager de ses souffrances. La question est complexe, le débat très émotionnel, mais l'idée ne me choque pas outre mesure.

Un sourire gêné s'afficha sur le visage du Terre.

Désolé, je divague un peu.

Il reprit son air sérieux.

Comme toujours, tu es libre, tu as le choix, mais ne penses-tu pas que savoir t'apporterait quelque chose de positif ? Parce que tu te poses des questions, si je ne me trompe pas. Or, si tu découvres la réalité, même si elle est difficile, tu auras l'opportunité d'agir. J'imagine que s'il est mort, tu pourrais commencer à faire ton deuil et s'il est en vie... tu auras un nouveau choix : faire quelque chose ou ne rien faire. Je conçois que tout cela t'effraie, même si je ne peux pas me mettre à ta place. Je pense que tu connais la fameuse citation de Mandela : Le courage n'est pas l'absence de peur, mais la capacité de la vaincre. Ipiu, tu es une personne courageuse.

Le Titan s'arrêta un bref instant. Il avait l'impression d'aller trop loin, de dépasser les limites. Le sujet était tellement délicat. Il ne souhaitait pas faire souffrir son amie davantage. Pourtant, il avait envie de lui partager son avis, de l'encourager vers la voie qui lui semblait la plus adéquat... et de ce fait, il lui enlevait une partie de sa liberté.

Je suis désolé. Je te dis que tu es libre et l'instant d'après je te tiens un discours qui vise à t'influencer, même presque à te faire culpabiliser, au détriment de cette liberté que je te souhaite avoir.

Il se tut un instant.

Tu n'es pas seule, Ipiu... et quoi que tu décides, peu importe le choix que tu fais, je te soutiendrai.

Toujours.

Je ne comprends pas ce qu’il entend par « se battre pour moi ». Peut-être que je ne veux pas comprendre ? J’en sais trop rien, ce choix de mot m’intrigue, mais je ne trouve pas le cœur de l’arrêter. J’aime Nath quand il est comme ça, c’est bien le seul qui se permet de me sermonner de la sorte. C’est bien le seul à qui je laisse le droit de le faire aussi. Cherchez pas, tentez même pas le coup, j’défoncerais quiconque tentera de me tenir le même discourt. Je baisse les yeux, j’ai honte, je sais qu’il n’aime pas ça. Je sais qu’il voudrait que je sois plus forte que ça, que j’ai plus confiance en lui pour ne pas ressentir le besoin de m’excuser peut-être ?
Je ne m’excuse pas car je ne le crois pas capable d’encaisser. Je m’excuse parce que je suis un monstre ? Non, je sais que ce n’est pas vrai. Parce que j’ai un passif ? Ce n’est pas ça. Je crois que je m’excuse parce que j’aimerais être plus digne de sa gentillesse. On ne peut pas changer son passé, il finit toujours par nous rattraper. Il a raison, avant j’avais au moins une excuse pour être une horrible personne. Maintenant. Maintenant je continue par peur.

Je suis la meuf qui se prend et ne te prend jamais au sérieux. Je fais tout ce qui me passe par la tête dans la mesure où j’estime que ça ne blessera personne. J’suis aussi celle qui peut passer des heures à s’oublier dans n’importe quelle lecture, celle qui peut rester concentrée sur un travail et oublier le monde à côté. J’passe ma vie à me fuir. Avant j’avais une excuse, maintenant j’ai quoi ?

Je suis d’accord avec toi Nath, je ne l’ai pas mérité, mais ça n’enlève pas le fait que ce soit arrivé. A moi, pas à une autre. C’est un débat sans fin et sur lequel nous ne tomberons jamais d’accord. A ta place, aurais-je tenu les mêmes propos ? Aurais tenté de réconforter une amie si méprisable ? Bien sûr que oui. Vouloir aider ceux que l’on aime est dans notre nature. C’est parfois un tort, ne vouloir voir que ce qui est beau chez les autres, nier le reste. Le prendre comme s’il s’agissait de faits externes. Refuser d’accepter la participation de l’autre en ces faits pour en faire une victime. C’est plus facile. Il ne me verra jamais comme une mauvaise personne car il croit en moi. Je suis moins forte qu’il ne le pense. Moins noble.

J’étais une erreur pour le Centre, j’ai réussi à me libérer de leur emprise. S’il est encore en vie… Peut¬-on pour autant dire qu’il est vivant ? Quand ses choix ne lui appartiennent pas, quand obéir est sa seule liberté. Est-on vivant ? La douleur vous forme, mais une fois l’asservissement appris… Il n’y a plus besoin de douleur. Mes lèvres se crispent dans un sourire tendu. Sourire pour vivre. Je ne souhaite pas sa mort car il souffre en ce moment ou parce qu’il a souffert. Je préfèrerais qu’il soit mort car je sais qu’il n’aura jamais accès au bonheur. Moi j’étais une erreur, j’ai fait des recherches ici… Je n’ai trouvé aucune autre ne serait-ce que rumeur au sujet de quelqu’un qui les aurait quitté… Alors j’pense que c’est impossible. S’il n’y avait pas eu Terrae, si je n’avais pas été sensitive… Obéir serait encore ma seule pensée.

Je ne dis pas un mot, ne trouvant pas le cœur de lui dire combien il se trompe. Je ne suis pas courageuse. Je passe ma vie à essayer d’oublier mes problèmes. Ses mots sont doux et m’apaisent pourtant, Nath est vraiment trop gentil avec moi et je suis vraiment la pire amie qu’il ait pu trouver. Même si citer Mandela c’est pas fairplay, c’est comme utiliser un argument d’autorité. Ça se fait pas. HEIN ? non, voilà quand même fallait le dire.

« Si tu m’influences c’est que je le veux bien. C’est le privilège des amis. »

Je ne réponds pas à sa question car je n’ai pas de réponse. Savoir c’est pouvoir. Pourtant dans cette situation savoir pourrait justement me priver d’actions. Faire mon deuil. Je n’en ai pas le droit. Faire le deuil de quelqu’un qu’on a abandonné, ce n’est pas… acceptable ? Il a réussi à me calmer. Je voudrais le réconforter, lui dire que tout va bien qu’il ne faut pas qu’il s’inquiète pour moi. Je tire sur sa main doucement. Je l’attire sur mes genoux et je le prends dans mes bras.

« T’es vraiment quelqu’un de bien Nath. Si jamais t’en doute, dis-le moi et j’te le réexpliquerais jusqu’à ce que ça entre. »

Tu ferais vraiment en meilleur master que moi. J’en toucherais deux mots à Ronron, juste comme ça. Réfléchir à qui est capable d’aider les autres ou pas AVANT de les recommander. Non juste comme ça.

« Quand on sait on ne peut pas revenir en arrière. Je ne suis pas assez courageuse pour vouloir savoir… Pourtant, j’ai conscience que quoi qu’il se passe demain, il faudra que je sache. »

Pas un instant, Ipiu ne l'interrompit, semblant écouter avec attention ce que Nathanaël lui disait, baissant les yeux par moment, souriant parfois. Il ne pouvait donc pas savoir vraiment ce qu'elle pensait de ses mots, qu'elle ne les aurait pas acceptés venant d'une autre personne. Oh, il se doutait bien que son amie se serait insurgée que n'importe qui lui tienne ces propos, mais il ne pensait pas être le seul à avoir ce privilège.

La Tonnerre finit cependant par prendre la parole, une fois son long discours terminé. L'Anglais se contenta de lui sourire, un peu soulagé qu'elle ne soit pas fâchée, parce qu'il avait eu l'impression d'aller trop loin et avait craint qu'elle ne réagisse négativement à ses propos.

Le Terre fut un peu surpris lorsque la Sensitive l'attira vers elle. Ses joues rosirent légèrement et il fut heureux qu'elle ne puisse pas le voir, puisqu'il était plus grand qu'elle. C'était la première fois qu'il se retrouvait sur ses genoux et la situation le troubla un bref instant, mais il était suffisamment maître de lui-même pour se reprendre... et puis, leur discussion était trop importante pour gâcher cet instant. À son tour, il passa ses bras autour de son amie, posant sa tête contre la sienne, appréciant simplement l'instant, écoutant la Tonnerre sans bouger. Elle le complimenta et son sourire doux réapparut sur son visage lorsque la femme qu'il aimait lui dit qu'elle lui répéterait les choses le nombre de fois qu'il faudrait. Il fallait croire que c'était la mission d'un ami et que tous deux étaient prêts à la mener à bien.

Merci, Ipiu.

Ce ne fut qu'un murmure, parce qu'il était ému. Il aurait aimé pouvoir lui faire comprendre à quel point elle aussi était quelqu'un de bien. Il aurait aimé trouver les mots pour l'en convaincre. Il aurait aimé être plus fort pour elle, mais le Titan connaissait ses limites. Il était patient, persévérant. Il espérait qu'un jour, il atteindrait cet objectif et qu'Ipiu se pardonnerait son passé, parce qu'il sentait, au fond de lui, que même si elle avait déjà parcouru un long chemin, son passé continuait de la hanter. Il espérait que sa douceur, sa tendresse et sa patience l'aideraient à continuer d'avancer. Il ne l'abandonnerait pas.

Et je serai là pour t'aider et te soutenir, quoi qu'il arrive.

Nathanaël s'était mis à caresser les cheveux de la femme qu'il aimait d'une manière presque machinale, mais toujours douce. Elle avait pris sa décision, malgré la peur, et il était fier d'elle. Il se doutait de la difficulté, de l'angoisse qu'elle ressentait, même s'il ne pouvait évidemment pas complètement l'appréhender. Elle démontrait une nouvelle fois son courage.

Le Terre aurait aimé que cet instant soit éternel, que le temps s'arrête et que le lendemain n'arrive jamais. Il aurait aimé pouvoir créer une sorte de cocon protecteur autour d'eux pour les protéger de toutes les épreuves, de toutes les souffrances que la vie leur apporterait, mais ce n'était évidemment pas possible et, tout bien réfléchi, ce ne serait pas vivre. Alors, il finit par s'éloigner de la femme qu'il aimait. Il avait une idée qu'il mûrissait depuis longtemps à présent et il s'était entraîné, beaucoup. Il était sans doute un peu tôt, pourtant, le jeune homme pensait que c'était le moment idéal. Le Titan revint s'asseoir sur son lit. Ce qu'il s'apprêtait à faire demandait énormément d'énergie et il voulait être certain de ne pas risquer s'évanouir sur son amie s'il allait trop loin.

Je sais que ton anniversaire n'est que dans quelques mois, mais j'ai envie de t'offrir ton cadeau en avance cette année.

Il lui sourit, puis posa ses deux mains sur ses genoux, l'une contre l'autre, comme s'il tenait un objet qu'il désirait cacher, enfui entre le creux de ses paumes. Puis, Nathanaël ferma les yeux et se concentra. Il dirigea tout son pouvoir de Terre dans ses mains, créant d'énergie pure. Le processus n'était pas très long et il sentit rapidement la fatigue, mais il ne s'arrêta pas tout de suite. Il connaissait ses limites pour avoir tenté l'expérience de nombreuses fois. Et à cet instant, il y mettait tout son coeur. Sous ses paupières closes, ses yeux prirent la couleur caractéristique de son affinité, usant toute la puissance qu'il avait pu développer de son potentiel d'Étoile.

Lorsque l'Anglais sentit qu'il atteignait dangereusement la limite à ne pas franchir, il stoppa le processus. Il resta encore un moment sans bouger, calmant les battements de son cœur et sa respiration haletante. L'énergie dépensée lui donnait l'impression d'avoir couru un marathon à une vitesse folle, en plus de n'avoir pas dormi pendant une bonne semaine et d'avoir étudié comme un fou pendant plusieurs jours. Il avait tout donné, ou presque. Le Titan finit par ouvrir ses yeux redevenus normaux, mais où la fatigue pouvait clairement se lire. Puis ses mains légèrement tremblantes se séparèrent pour dévoiler sa création. Il tendit alors celle qui contenait le petit cristal de la taille d'une bille vers son amie, sans rien dire. L'objet avait pris la forme très détaillée et précise d'une fleur d'anthurium. Il n'était pas certain qu'elle comprendrait, mais cette plante avait une signification particulière pour lui. En effet, Ipiu lui avait offert ce végétal après son Étoilisation. Elle était venue le voir à l'hôpital et ils avaient discuté, ils avaient mis les choses à plat, définitivement. Pour Nathanaël, celle plante symbolisait l'acceptation de ses sentiments pour elle, de leur amitié plus forte que jamais et de la promesse de se soutenir quoi qu'il puisse arriver.

En d’autres circonstance j’crois que j’aurais ragé, quand je tenais encore sur mes deux guiboles Nath me dépassait que d’une dizaine de centimètres mais maintenant il m’engloutit complètement. Quand a-t-il trouvé le temps de devenir si grand ? J’aime pas le changement, quand je crois avoir trouvé un équilibre il se brise. J’imagine qu’il y a des changements contre lesquels je ne peux pas luter.
Je cherche une blague à sortir, un petit quelque-chose qui rendrait ce que je viens de faire moins gênant. J’ai pas vraiment réfléchi quand je l’ai attiré dans mes bras. C’est bizarre ou c’est pas bizarre ? Il m’en veut ou pas. Je sens sa main dans mon dos qui caresse mes cheveux, c’est agréable. Je n’ai pas envie de bouger, malgré tout ce que je lui ai dit, là maintenant je me sens bien. Je suis encore égoïste hein ? Il finit par s’éloigner et je ne le retiens pas. J’vois dans son regard qu’il s’apprête à faire quelque-chose de dangereux, quelque-chose de difficile. Je prends peur, je le regarde avec inquiétude… Surtout quand il parle de cadeau j’me mets à froncer les sourcils, qu’est-ce qu’il a dans la.. OH NON. NON. NON. NON.
Les cristaux c’est violent, surtout quand on n’est pas habitués à en faire. Perso ça fait longtemps que je m’y entraine, depuis cette fois où j’ai dépassé mes limites et où j’me suis retrouvée à sec. Depuis ce temps-là dès que j’me sens en forme j’essaie d’épargner un peu de pouvoirs… J’ai une petite bouteille de parfum dans ma chambre remplie de cristaux de tonnerre de la taille de grains de sable. Pour les coups-durs… Elle doit faire 5 millilitres à tout péter, mais j’me dis que c’est toujours mieux que rien. Depuis un an j’arrive à faire des cristaux un peu plus gros, mais j’les file à la collecte. Ça permet à Terrae d’entretenir des liens de bonne entente avec la ville de Tokyo. (Ouai j’ai changé mes cristaux de contenant après la soirée où on a trouvé Blobby. J’ai compris qu’un pot en verre c’était risqué… Surtout quand on le range dans sa cuisine… Hm. Bref, osef cette parenthèse est trop longue de toute manière.)

JE TE PROMETS QUE SI TU TOMBES DANS LES POMMES JE TE FRAPE. SI TU FAIS DU MAL A MON NATH JE TE GRBLGR ! (Euh comment-çà « mon » ?) J’le regarde et je m’efforce de me calmer. De lui faire confiance. C’est pas évident, voyez-vous quand il risque de lui arriver quelque-chose ça me stresse. Beaucoup. Trop. S’il était pas là… J’ai même pas envie d’y penser, ça me terrifie. Je recueille la petite fleur d’anthurium dans ma main. Je souris, refermant ma main sur la sienne.

« C’est en prévision de mon séjour à l’hosto ? » je lui demande avec un sourire.

J’ai besoin de cet humour, j’ai besoin de cette distance, j’ai eu peur d’accord. J’ai eu peur qu’il se fasse mal. Alors j’ai besoin d’en rire.

« Merci. Elle est magnifique. »

C’est par ça que j’aurais dû commencer… Je le sais. J’suis désolée hein ? J’arrive jamais à faire les choses dans le bon ordre. J’avance à nouveau ma main, vers la sienne me penchant dangereusement hors de mon fauteuil.

« Allonges toi, je vais utiliser mes pouvoirs de sensitive sur toi, juste un peu promis… Je ne modifierais rien à ce que tu ressens, je vais t’apporter autre-chose… »

Je préfère le prévenir, je n’utiliserais jamais mes pouvoirs sur lui s’il me le refusait. Je veux juste lui transmettre un sentiment d’apaisement et de repos. Les sentiments doux sont ceux que j’ai le plus appris à maitriser, ceux sur lesquels j’ai le plus buté. Ils me sont longtemps restés inconnus. Pourtant c’est ceux qui me semblent avoir le plus de potentiel.