Comme la neige en été, et la pluie pendant la moisson, Ainsi la gloire ne convient pas à un insensé. Comme l'oiseau s'échappe, comme l'hirondelle s'envole, Ainsi la malédiction sans cause n'a point d'effet. Le fouet est pour le cheval, le mors pour l'âne, Et la verge pour le dos des insensés.

Je déposais le livre un instant, fouillant dans mes placards pour retrouver ma casserole et ma passoire. Il s'agissait de la bible de Sacy, le chapitre 26 dont je réfléchissais souvent aux mots. La première fois, je ne les avais pas compris, à la première lecture, j'avais simplement repris depuis le début, de manière à pouvoir saisir ce que voulait dire Segond - ou plutôt, les hébreux dont il a traduit le texte. De ces premières lignes, je comprenais d'abord que chaque chose avait sa place et que tout ce qui n'est pas en rang ne saurait survivre. La neige en été, la pluie pendant la moisson, ce qui n'a pas son dessein dans son milieu n'est pas censé être, sous peine de désastreuses conséquences. Mais également que ce qui n'est pas digne d'être humain, n'est pas digne de juste traitement.

Déposant le récipient d'aluminium dans l'évier, je laisse couler le robinet à eau froide, un instant. J'en profite pour reprendre au verset suivant.

Ne réponds pas à l'insensé selon sa folie, de peur que tu ne lui ressembles toi-même. Réponds à l'insensé selon sa folie, afin qu'il ne se regarde pas comme sage. Il se coupe les pieds, il boit l'injustice, celui qui donne des messages à un insensé. Comme les jambes du boiteux sont faibles, ainsi est une sentence dans la bouche des insensés.

Ma situation actuelle se rapportait bien avec ce que décrivait le livre. La plupart du temps, avec les résidents de l'institut, je me contente de jouer la discrétion, ou simplement de parler leur langage. Répondre selon leur folie, ou ne pas répondre du tout, en l'occurrence, il s'agirait plus de naïveté que d'insanité. Quoique certains sont de sacrés cas ... comme le dit le texte, ils se nourrissent de ce que je leur donne, ils nourrissent en eux l'image que j'essaye de renvoyer. Mes premières semaines furent difficiles, mais je crois avoir enfin rattrapé le rythme.

Je me souvenais encore de cette légende indienne, sur les deux loups, l'un blanc, l'autre noir, l'un béni de nobles sentiments, l'autre enragé et aveuglé par de sombres pulsions, l'un est joie, amour, paix et sérénité, l'autre est envie, tristesse, jalousie, colère. L'un est le Bien, l'autre est le Mal. Selon l'histoire, les deux loups se battent constamment, à l'intérieur de chaque individu, et il est dit que le seul gagnant de ce conflit n'est autre que le loup que nous nourrissons nous-mêmes. En m'écartant de la naïveté de Terrae, en me protégeant de cette innocence soporifique, je suis certaine d'élever la bonne bête, je suis certaine de m'élever vers ce qu'est le Bien véritable.

Reprenant la casserole pour la reposer sur le poêle, je l'allume et je reprends le livre, retournant m'asseoir sur le lit qui borde le plan de travail. J'avais l'air assez négligée comme j'étais habillée, short en haut des cuisses, haut clairement trop ample. De toute manière c'était le soir, après le repas, la chose à faire serait de finir les lignes de transactions pour les dernières ventes réalisées, histoire de pouvoir les enregistrer au journal, après. Quelle plaie ... avec un soupir je repris ma ligne.

C'est attacher une pierre à la fronde, Que d'accorder des honneurs à un insensé.

... de toutes les phrases, c'était la meilleure qui pouvait sortir. Bien sûr, je savais qu'elle venait, mais j'aime jouer la surprise. Je sentais bien que le livre me balançait cette phrase à la gueule pour une raison, pendant que j'irai dormir, j'aurai qu'à me poser la question de quel honneur et quel insensé il s'agit. La nuit porte conseil il paraît, mais elle ne remplit pas l'estomac ... mais elle peut rendre le temps d'attente plus court, pour faire bouillir l'eau.

Je m'allonge donc un instant, dans huit minutes à peu près, ce sera bon. J'ai envie de faire un truc bien ce soir, j'ai acheté de quoi faire, alors autant en profiter. Et ce ne sont pas des pâtes banales que j'ai prises, celles-là viennent de chez moi. Voilà pourquoi je vais les faire al dente. Ce sera parfait. Parfait ...

... zzz

... *pschit*

Je réprime un sursaut alors que je sens une goutte me brûler la peau. Je l'essuie en vitesse avant de me relever ... je me suis endormie et maintenant ma casserole débordait. Je diminue la chaleur et mets les pâtes. J'attends, en goûte une ... pas encore, trop croquante. J'attends encore un peu et réessaye. Parfait. Evidemment. C'était moi qui l'avait surveillé. Sortant l'eau par ma passoire, je mets les pâtes dans un saladier. Comme toujours j'en ai trop fait, mais ça tiendra plusieurs jours. Pendant que les malignes bouillaient, j'avais coupé la pancetta en lamelles et je l'avais laissé dorer dans une casserole, avec de l'huile de l'olive. Une fois la viande rajoutée aux lamelles d'ail que j'avais préalablement laissé chauffer, je casse des oeufs dans un bol auquel je rajoute du parmesan et de la crème fraîche ... bien que normalement, on ne rajoute pas de cette dernière. Mais moi aussi, j'ai mes faiblesses. J'assemble le tout dans un plat et mon repas de ce soir et terminé. De ce soir, et certainement de demain midi et soir aussi.

Une douche avant ça, et le manger sera à portée de main. Je me retourne pour trébucher sur l'un de mes livres ... celui d'Isaïe, dont j'aime particulièrement le verset 14:14. Il me résume bien. Je lève le regard pour voir les posters ridicules que j'ai accrochés pour avoir l'air d'une fille sympa et ouverte ... je n'ai aucune idée de ce que sont ces trucs, en vérité et le machin rose tout rond me met un peu mal à l'aise. Et tous ces posts-it sur lesquels j'ai recopiés des trucs à la hâte en japonais ... je sais pas ce qu'un seul d'entre eux signifie. Bref, je fonce dans la salle de bain, je commence à avoir faim de toute manière. L'odeur n'est pas pour m'aider, c'est vraiment terrible d'être victime de sa propre habileté.

- "Flemme..."

Ouais, c'est au moins la troisième fois que je répète ce simple mot. Mais il faut dire que mes journées à l'hosto sont hyper éprouvantes avec ce foutu pouvoir. Toujours à devoir me concentrer pour bloquer ma télépathie que le contact physique avec mes patients a tendance à vouloir stimuler un peu trop. Mais la dernière soirée où j'ai fini à l'envers commence à remonter (à y a trois jours, ouais, mais c'est beaucoup pour moi). Je termine donc de me préparer, un simple t-shirt ajusté avec un veste légère ouverte par dessus et ça fera l'affaire. Deo, parfum, j'attrape l'indispensable (clopes, téléphone, portefeuille) et je suis prêt à sortir.

Mais l'odeur qui me parvient alors que je passe devant une chambre que je connais me fait immédiatement changer de plans. En plus, il y a l'air d'y avoir de l'activité là-dedans. Intéressant. Mais comme je suis quand même super bien élevé (moi !) je fais finalement demi-tour jusqu'à ma chambre, pour récupérer une bouteille de rhum avant de revenir jusqu'à la chambre de Mira.

Je toque quelques coups avec bien assez d'énergie pour être sûr d'être entendu avant d'entrer sans grand complexe. Nan mais ça va, quand on arrive avec une bouteille on a le droit de s'inviter !

- "Ouah, mais c'est qu'il y a une super ambiance dans cette chambre ! Salut blondinette. T'es toujours là pour les bons plans à c'que j'vois. Intéressant."

J'ai encore oublié son nom. Pourtant ce n'est pas la première fois que je la croise. Sûrement parce que je ne l'ai toujours pas draguée. Faudrait que je pense à arranger ça d'ailleurs, elle est toujours aussi mignonne.

- "Eh, t'es là aussi catwoman !"

Un clin d’œil en direction de la miss au serre-tête (nan mais ça va, j'lui en veux pas hein), je m'avance un peu plus pour arriver à hauteur de la maîtresse des lieux.

- "J'espère que c'est pas une soirée entre filles. Parce que ça a l'air beaucoup trop sympa pour que je parte maintenant ! Je t'amène de quoi boire. Y a moyen de vérifier si les italiens sont à la hauteur de leur réputation ?!"

Je m'approche de Mira pour lui montrer la bouteille que j'ai en main, prêt à servir les quelques affamées de la pièce si la cuisinière ne me recale pas trop violemment. Bah, en attendant que ce soit prêt, on peut bien passer par l'apéro !

Je sors de la douche, comme toute personne normale, je ne me lave pas habillée, j'enroule une serviette autour de mes cheveux, autour du buste, bref, la routine habituelle d'une simple jeune femme qui sort de sa toilette. Mes cheveux avaient à peine commencés à sécher que j'entends une voix retentir dans le couloir qui mène à l'entrée ... je ne comprends pas tout, mais je crois que ça parle d'odeur, ou de je ne sais quoi, ce que je saisis, en revanche, c'est que c'est moi que l'on appelle. Sauf que là, maintenant, je suis tout sauf présentable et j'aimerais bien éviter d'ouvrir la porte à moitié nue. Bon remarque ... la serviette cache tout ce qu'il y a à voir.

Je prends cependant le temps pour sortir, après tout, si quelqu'un m'appelle c'est que ce sont eux, qui ont besoin de moi et pas l'inverse. Par conséquent, s'ils ont besoin de moi, ils n'auront aucun souci à patienter quelques instants que madame Delacorte se fasse belle pour eux, hm ? Bon, je n'allais quand même pas refaire mon eyeliner juste pour leurs beaux yeux, ils devront se contenter de la Mira naturelle qui est d'ailleurs, et en toute modestie, tout autant appréciable. Ce regard enchanteur n'a besoin d'artifices que pour en renforcer l'appel, après tout.

Et donc, je sors de ma salle de bain, habillée de la blancheur d'une serviette, mais les cheveux libres de l'emprise de la précédente, tout ça pour quoi ? Pour constater qu'apparemment, des gens étaient entrés dans ma chambre. Une inconnue et demie pour être précise, je me souvenais modérément de l'autre petite blonde, celle de la bibliothèque ... je ne savais pas que sur Terrae la liberté de circulation concernait également mon espace personnel. Je les regarde avec un temps d'arrêt, assez confuse, mais aucunement gênée de mon aspect actuel, quelle différence avec une jupe et un haut plutôt courts après tout ?

Je n'ai même pas le temps de poser la moindre question que je vois la chevelure blanche de Blanchette, ainsi nommé pour la précédente raison. Il s'avance vers moi, avec une bouteille  de rhum à la main et il me la donne ... bien trop normalement. Passons ... autant essayer de ne pas avoir l'air d'une connasse dès maintenant, j'ai déjà bien trop renforcé cette image par le passé. Ils ont l'air de jouer à un jeu à s'inviter comme ça chez moi, ceux-là, j'imagine que suivre le courant ne saurait pas faire de mal. Alors, je vais me contenter d'un simple :

- Merci ...

Et je la pose sur le comptoir à côté de l'évier ... ça annonce autant de bonnes que de mauvaises nouvelles, ça. Dire que je sortais tout juste de mon entretien avec Hideko, ça sentait presque la soirée improvisée, ça. Me retournant vers eux, je pointe mon armoire à côté de mon lit du doigt.

- Je ... je vais m'habiller, si vous le voulez bien.

J'ouvre en grand la porte du dressing, histoire d'avoir un paravent pour me cacher un peu. J'observe mes fringues, je lâche un soupir silencieux tout en fermant mes yeux d'un air consterné. Si je ne disais pas non, ça sentait la soirée improvisée et je ne peux pas dire non, j'aurais l'air de quoi ? D'une connasse, exactement. Autant jouer le jeu et en profiter du mieux que je le puisse. Je sors culotte et brassière noires, collants tout aussi sombres et ... hm ... la robe rouge fera très bien l'affaire.


- Pour "l'apéro", je dois avoir des gâteaux et des chips dans l'étagère au-dessus du four, pour qui veut se sentir utile. Les shooters sont dans le placard à droite.

Il faudra vraiment que je coupe mes cheveux aussi, ils commencent à devenir bien trop longs. Même dans le miroir, mes pointes commencent à se chamailler. J'irai négocier un aller chez le coiffeur un de ces quatre, quitte à risquer une coupe bien plus différente que ce que je fais d'ordinaire.

Bref, je sors enfin de mon abri anti-regards pour retourner avec mes ... "invités". Déjà je fais la bise à Tiago, puisque lui je le connais et pour des raisons évidentes, je ne l'ai pas faite lorsque j'étais en serviette. Pendant le geste, je commente.

- Je ne savais pas que j'allais héberger une soirée dans ma chambre, ce soir. j'en profite pour lancer un regard de faux reproches au latino. Je n'ai rien rangé, tous mes livres traînent ...

Puis je me retourne vers les deux petites dames que je connais bien moins que l'autre nigaud. D'abord la bise à la blonde.

- Hey Amy.

Surprise, oui je me souviens de ton prénom, j'ai une mémoire qui est incroyable là-dessus ... j'ai une mémoire qui est incroyable tout court, c'est ça d'être une génie. A force de retenir les versets de la Bible, aussi, on finit par se faire les méninges. J'en profite pour balancer un petit regard de biais sur son accoutrement. Amusant.

- Mignonne, la licorne.

Je sais bien que mon ton était un peu suffisant et que j'avais l'air de juger, mais c'était une remarque dénuée de sarcasme. Niveau sympathie, c'était le plus agréable que je pouvais faire, à prendre ou à laisser, pardonnez-moi si je ne m'exulte pas comme une cruche devant Twilight. Film à la con.

Enfin, je me tourne vers la petite brune au serre-tête en dépliant d'abord une paume vers elle, puis un index.

- Toi je ne te connais pas, en revanche. Ce n'était pas une raison pour ne pas lui faire la bise, la politesse avant tout. Mira. Enchantée.

Maintenant que j'ai fait le tour, je retourne sur le comptoir où j'avais posé les pattes et ouvre deux trois placards sous l'évier, là où se trouvent mes réserves d'alcool. Du Martini, du Martini et oh ! Du Martini. Blague à part, j'avais aussi de la manzana, de la vodka pour jouer sur terrain classique, du whisky pour que l'on me traite de connasse de snob et un peu de mon propre vin, mais je ne saurais le sortir pour des raisons aussi futiles. Alors je sors les trois autres.

- Et donc ? Que me vaut l'honneur de votre visite à vous trois ? Enfin ... Blanchette, le motif de ta visite est très explicite. Merci pour le rhum, encore.

Non, sérieusement, pourquoi est-ce qu'il y avait autant de monde dans ma chambre, d'un coup ? Heureusement que j'ai le sens de l'hospitalité.

Bah quoi ? Je ne vois ce qu'il y a de gênant à entrer chez une amie... Pote... Plus si affinité ? J'sais pas trop comment définir notre relation, mais je ne suis pas particulièrement à faire des manières quand il n'y a pas de raisons d'en faire ! Et comme je disais, avec une bouteille à la main, j'ai le droit ! Ce que Amy (oui, zut, démasqué !) ne semble pas totalement assimiler.

- "Aaaah ouais, excuse, mais c'est qu'il y a toujours masse de monde quand on se croise alors les noms, c'est pas évident. Mais peut-être que ce soir j'aurais un peu plus l'occasion de m'occuper de toi."

Un sourire et un regard qui ne laissent que peu de place au doute concernant le sous-entendu pas du tout dissimulé qu'il peut y avoir dans mes paroles, je laisse Mira gérer la suite des opérations depuis sa.... Serviette. Intéressant. Elle est toujours sexy mais là, c'est carrément le niveau au dessus ! Bon ok, quand elle ressort dans sa robe rouge, j'ai un peu de mal à tenir mes yeux correctement et il se peut qu'ils se soient perdus quelques instants bien en dessous de la ligne de son regard. Heureusement, lorsqu'il est question de shooters, je me reprends assez rapidement.

- "Ok, je m'occupe de l'alcool !"

Bah ouais. Je ne vois pas à quoi d'autre je pourrais être utile. J'attrape donc quatre shooters pendant que les filles commencent à expliquer la raison de leur venue. Eh, c'est un peu facile de m'accuser non ?!

- "Bah, les seuls italiens que j'ai connu n'étaient pas du genre à cuisiner des pâtes alors, forcément, je m'interroge !"

Par contre, Leona qui fait remarquer qu'elle peut partir si sa présence est de trop... Je tourne la tête dans sa direction, ne sachant pas trop quoi penser de cette réflexion. Elle est passée où la miss bornée et indisciplinée que j'ai rencontré ? Bien sûr que je ne reconnais pas ce que j'ai cru capté d'elle il y a quelques jours. Et bien sûr, c'est mort, je n'ai pas l'intention de la laisse s'échapper si facilement !

- "Tu crois pas qu'il est un peu trop tard pour se rétracter ?! Une fois que t'es entrée, t'as plus qu'à assurer le reste de la soirée ! Enfin, j'imagine que c'est à Mira de décider. En attendant, tu bois quoi ?!"

Question que je pose également aux deux autres femmes présentes dans la pièce pour remplir les verres avec l'alcool adapté. Ah ouais, mais parce que pour les jus de fruits et autres sodas, chacun se démerde par contre ! Parce que maintenant qu'on a parlé d'apéro, je suis chaud !!

Je re-regarde l'habit de la blonde ... un panda vraiment ? J'étais sûre d'avoir vue une corne derrière cette capuche, merde. Comme quoi même huit minutes de sieste peuvent embrouiller l'esprit. Ou alors, c'était la douche. C'était certainement la douche. Et du coup, ce n'était pas un coup fourré mais simplement une question d'odeur ? Je savais que j'aurais dû faire cuire la panceta après. Tant pis, ce qui était fait était fait. J'en avais préparé tout juste pour trois jours ... j'imagine qu'avec quelques apéritifs, le repas passerait pour quatre personnes ? J'essaye de passer la remarque sur les jeux vidéos et les citations, c'est une pente glissante pour moi. En revanche, ce Tiago ....

- C'est parce qu'il est latino, il ne peut pas s'empêcher de jouer à "qui a la plus grosse" avec les véritables latins. Je lui balance un petit clin d'oeil en vitesse. Merci de l'avoir surveillé, Blondine.

Je lui passe une main redevable sur le bras, et oui, je sais, je suis tactile, mais je me fous pas mal de ce que l'on pense de ma gestuelle. On pourra invoquer le cliché du rital qui joue un peu trop avec ses bras, mais moi, j'aime juste bien avoir un contact physique avec les personnes auxquelles je m'adresse. J'ai l'impression que mes propos passent mieux comme ça.

Et donc ... "catwoman" comme l'appelle Tiago essaie maintenant de se défiler ? Jusqu'à ce que tout le monde ne vienne, j'étais censée être la seule invitée de la soirée. Mais bon, ce contretemps ne me dérange pas plus que ça, après réflexion. Blanchette appuie plus ou moins le fond de ma pensée, avant de commencer à sortir l'alcool de leurs bouteilles. Il perd pas de temps, celui-là.

- Whisky pour moi, s'il te plaît. Je regarde la plus jeune. Comme l'a dit Blanchetête, une fois que t'es entrée, tu ne ressors qu'avec ce que tu as voulu. Vois ça comme ... la Pièce des Secrets de Harry Potter, ou la lampe du génie ...

J'ai oublié le nom de ce Disney là, par contre. On ne m'a pas vraiment élevée avec les dessins animés, dans la famille, mais plus à grands coups de western spaghettis et ironiquement ... de Parrains.

- La cantine n'a pas de pâtes comme les miennes et je déteste que mes invités se fassent empoisonner.

Mais c'était chou de se sentir gênée. Je prends mon verre après qu'il y ait mis le whisky. Hors de question de couper un alcool pareil, il se suffit en lui-même au vu de la qualité. Après, si les autres veulent jouer au sacrilège, grand bien leur en fasse. Je demeure un peu sceptique en revanche ... les deux filles avec nous n'ont pas vraiment l'air ... adultes. En tout cas j'ai déjà vu plus matures comme visages. Bon, après tout, est-ce que je me soucie vraiment de savoir si elles sont majeures ? Non. Absolument pas.

Je me penche vers un énième placard pour sortir quatre assiettes que je pose sur le comptoir.

- Servez-vous comme vous voulez, je n'ai pas de table, donc ... va falloir vous contenter du lit, du comptoir ou des chaises. Le sol si vous êtes courageux mais je tue la première personne qui renverse de la sauce dessus !

Non, parce que ma chambre avait beau être mal rangée, elle était tout de même extrêmement propre. Hors de question que ça change.

Comme si j'avais besoin d'être surveillé... Mais j'ai bien la dalle maintenant et l'idée de picoler en bonne compagnie n'est pas non plus pour me déplaire, alors je me contente de lever les yeux au ciel (comme si je pouvais réellement en être touché). Alors pendant que Mira confirme à Leona qu'elle est désormais captive (c'est un peu flippant comme vision non ?), je commence à servir à chacune un verre avec l'alcool demandé. Jusqu'à ce que la lycéenne du groupe me demande ce qu'elle peut boire. Genre, elle me demande ça à moi ? Eh bah, je pourrais presque me sentir flatté par une telle marque de confiance ! Nan, j'déconne hein !

- 'J'me serais plutôt attendu à c'que t'ais déjà l'habitude de l'alcool ! Mais si c'est pas l'cas, fais quand même gaffe à ne pas boire ça trop vite ! C'est pas pour les faibles !"

Je lui tends un verre rempli de rhum arrangé, plutôt léger. Enfin, léger quand on connait un minimum ce genre de boisson, mais ça reste du rhum. Ce serait dommage de finir par rendre tout ce plat à cause de l'alcool ! Mais Mira me ramène bien vite au sujet principal de la soirée : la propreté. What ? Elle est sérieuse là ? Nan mais une meuf comme elle qui dit buter le premier qui oserait faire une tâche, moi j'me pose la question hein !

Ouais, je vais quand même faire un minimum gaffe ! De toute façon, quand il y a autant de bouteilles à disposition, j'ai personnellement un attrait plus fort pour la boisson que pour la bouffe. Je laisse donc les filles se servir, décidant que je pourrais bien prendre de ces pâtes un peu plus tard s'il en reste. En attendant, je pars seulement m'installer sur un bout de lit, mon verre toujours à la main (au pire, ça pourra toujours me faire une excuse pour m'incruster une prochaine fois....).

Mais si la soirée semblait partir de façon plutôt cool et sans pression, l'arrivée d'Erika jette comme un froid. Enfin, non. Le regard qu'elle me lance en passant la tête par la porte me donne l'impression d'avoir quitté l'Italie pour l'Antarctique. Ce que me confirme très vite Amy.

- "Mouais c'est vrai... Par chance, il se trouve que j'n'ai strictement rien à foutre de c'que les autres peuvent bien penser de moi."

Mon ton se fait beaucoup moins léger que précédemment, reflétant sans difficulté le désagrément que je retire de la situation. Mais ouais, bien sûr que ça m'fait chier en vrai ce regard ! Je sais, je n'me suis toujours pas excusé depuis le concert, j'aurais peut-être dû. Mais, elle m'en veut vraiment pour ça... ? Pourtant, elle a au moins pu prouver ses capacités de leader grâce à moi ! Ok, je garde mes remarques pour moi. Ce que ne semble pas capable de faire Leona. Je lui jette un regard légèrement interrogateur. A quoi est-ce qu'elle joue ? Mais bon, puisque tout le monde semble partant pour inclure la nouvelle arrivante, je n'y vois aucun inconvénient hein !

- "J'pourrais lui faire une place à côté ouais mais... Comme c'est toi Erika, tu peux aussi juste venir sur mes genoux, ça n'me posera aucun problème !"

Je retrouve finalement assez vite mon ton provocant habituel, reposant mon regard sur la principale intéressée. Je sais qu'elle m'en veut et même si ce n'était pas le cas, je suis à peu près sûr qu'elle aurait refusé cette si généreuse offre. Mais j'y peux rien, c'était beaucoup trop tentant. Parce que moi, je n'ai aucune raison de lui en vouloir pour quoi que ce soit. Ouais, alors en fait, je décide juste qu'il n'y a pas de quoi changer de comportement ! Cette soirée s'annonce sympa, pas question de tout foutre en l'air aussi facilement !

Ah ça me brise le coeur de gaspiller mon vin ... ce n'était pas une boisson de soirée, mais en même temps, même les plus grandes exploitations ont leurs bas de gamme. Heureusement que j'avais demandé à Ortensia d'amener une dose "consistante" pour reprendre mes termes. Alors je sors une bouteille abordable pour des jeunes adultes et le tire bouchon qui va avec.

- Avec les compliments de la maison.

Par contre, ils se débrouillent pour l'ouvrir, j'ai les mains encore un peu mouillées. Les oreilles aussi certainement, car j'ai cru entendre quelqu'un d'autre frapper à la porte. Surprise, je n'ai pas encore d'acouphènes, Dieu merci, juste une incroyable propension à attirer des inconnus simplement avec une odeur de pâtes.

Allons bon, le trio n'était toujours pas assez ? On ne disait pas jamais deux sans trois, normalement ? La Providence avait-elle décidé de réformer ses lois ? Apparemment c'était désormais un quatuor que j'accueillais ce soir. Je ne suis pas assez stupide pour jeter quiconque dehors, même si j'aurais l'art et la manière de le faire, pourvu que je le veuille. Seulement, voilà, encore et toujours ces enjeux d'image et de réputation. Tout ça a le don de me blaser, mais la mer ne sait pas lorsque le poisson pleure, alors peu importe. De toute manière ça ne me change pas énormément.

Je reconnais, après avoir reconstitué les morceaux brouillés de cette soirée-ci, la chanteuse du groupe au nom ridicule, qui jouait avec Amy et mon agent de ravitaillement vestimentaire. Voidkiller. "Void"/"Killer", "tueur de vide", sans rire, vous avez déjà vu plus mort que le vide, à la base ? A quoi bon le tuer, hm ? Mais bon, j'ai compris le truc avec l'ambiance, le fait que quand le groupe arrive, il n'est plus de place pour l'ennui, etc ... ce genre d'histoires à en dormir debout. On dirait le travail des écrivains, soit écrire des mots qui sont censés donner un sens à la vie, alors que vraiment ... on a déjà la Bible. Livre peu ignoré, souvent oublié, toujours mal interprété.

- Merci du compliment ...

Le ton bas de mes sourcils est assez subtil pour que je ne le garde que pour moi, lorsque j'eus tourné la tête vers le reste du groupe, j'avais retrouvé mon inertie ordinaire. L'impolitesse m'horripile et je ne crois pas l'avoir entendue formuler la moindre demande de si elle pouvait rentrer ou non dans cette chambre qui est la mienne. Passons. L'électricité qui grille entre Erika et Tiago me fait bien vite oublier l'offense. J'avais déjà cru voir quelques regards de travers au concert, mais voilà qui confirme la suspicion. Encore une autre qui ne le supporte pas ... plus ça va et plus il me fait de la peine, cet idiot. Des types comme ça, ils refoulent leur besoin d'estime et font leurs énergumènes pour obtenir la sensation la plus proche : de l'attention, indépendamment sa nature.

Amy en profita pour ajouter le sel sur la plaie et je me surpris à baisser les yeux pour cacher l'expression sévère que je venais de prendre. Je les relève un instant, lorsque Blanchette leur répond avec le ton et le mensonge auxquels je m'attendais. Le sentimentalisme, je le laisse aux fillettes, d'ordinaire, mais ce latino là a le don de me faire sentir mal pour lui. Enfin, jusqu'à ce qu'il dise à l'autre cruche qu'il peut la faire s'asseoir sur ses genoux. Je n'avais jamais vu un flagellant mettre autant d'épines à son fouet.

Mes pensées sont balayées par la sensation d'une pression sur mon épaule et le visage, que je considérerai toujours aussi enfantin, de la blonde qu'elle venait de poser sur moi. C'était normal ce genre de contact ? Pardon Amy, mais jusqu'à preuve du contraire, ma peau reste ma propriété privée et je tire à vue sur ceux qui outrepassent mes barrières ... mais comme je n'allais quand même pas lui mettre une mandale juste pour ça :

- Je suis pas très sucre ... mais je suis pas non plus assez vache pour te prendre la boîte et te dire de foutre le camp.

Si. Je le suis. Largement. Je le ferais sans aucun remords. Remplacez les sucreries par un rosé de qualité et croyez-moi qu'elle s'envole en-dehors de ma chambre sans autre préavis, la Rika. Après tout, si ton cadeau est vraiment sincère, alors tu n'attends rien en retour et encore moins à ce qu'on le partage avec toi, puisque tu l'as offert. C'est ça la bonté d'âme et c'est pour ça que je préfère rester une connasse, c'est beaucoup plus rentable !

Et sinon tu veux bien retirer ta tête de mon épaule, Boucle d'or ? J'ai une patience très limitée sur ces choses-là et en plus, je fais un peu la gueule à cause de la réaction de Tiago. Non, pas celle qui consistait à proposer ses genoux à Erika, celle qui était un véritable cri de l'âme pour un peu d'affection. Non, je ne ressens pas ces choses-là. Si, je sais que c'est vrai. Est-ce que ça veut dire que je suis empathique ? Peut-être. Mais est-ce que ça fait de moi une fragile ? Absolument pas. C'est de la logique pure et dure combinée à de la psychologie humaine, parce que que ça vous plaise ou non, le cerveau humain, c'est aussi franc et bête qu'un latino bourré. Alors, du coup, je vais m'asseoir à côté de Titi avec mon verre de vin, histoire de lui passer une main réconfortante dans le dos.

- Tu peux te servir en pâtes, Erika. Et en alcool. Je jette un regard à la plus jeune, la petite brune. Tu bois de l'alcool, Leo ?

Non, ça ne me gêne pas, mais une ado reste une ado, et les ados quand on les contrôle pas, ça fait de sacrées conneries. Je ne veux pas d'une gamine vomissant dans mon appartement, six heures après que j'ai promis à la directrice que je resterais sage. De toute manière, je suis assez sûre que Tiago a amené de la fumette ... mais avec une ado, encore une fois ... moi aussi j'ai mon code moral.