Les jours qui passent lui semble pareils à ceux à venir. Entre présent, passé et futur la jeune eau a parfois du mal à savoir où elle se situe. Ses visions se font plus nombreuses et avec la fatigue de ces derniers temps elle avait eu du mal à les contrôler, mais comme ses arthralgies les visions s’étaient calmées avec le beau temps et elle avait même réussi à recommencer à écrire. A dire vrai, elle avait eu besoin de recommencer à écrire. Ce n’étaient pourtant plus des contes ou des histoires mais ses pensées qu’elle épanchait sur le papier.

Un dimanche matin elle avait cependant souffert d’une grande infamie se rendant compte qu’elle avait fini le dernier de ses bics. Elle s’était haïe, elle et sa récente lubie de finir ses bics avant de se permettre de racheter des cartouches d’encre pour son stylo-plume histoire de se débarrasser de ces stylos jetables et actuellement très encombrants. Pas un critérium pour venir la dépanner, en temps normal elle aurait toqué à la porte d’Ariana mais elle savait que cette dernière avait passé la soirée avec Allen… Avait-elle envie de voir Allen ? Non. Depuis leur sortie à la faculté elle ressentait un sentiment de gène en sa présence. Elle s’était donc résolue à toquer à la porte de l’un des rares eaux qu’elle connaissait un peu, Angelo.

Oh, elle ne le connaissait réellement qu’un tout petit peu, ayant échangé avec lui quelques banalités en se croisant dans les couloirs ou en salle d’entrainement. Elle n’avait il est vrai pas fait très attention à ces changements récents, mais pour Afya les gens étaient souvent plus comme elle les imaginait que comme ils étaient réellement. Elle avait toqué à sa porte et il lui avait ouvert sans trop la faire attendre, quand elle lui avait demandé s’il n’avait pas un stylo à lui prêter après qu’elle lui ait expliqué la situation il était rerentré dans sa chambre et était revenu avec toute sa trousse en lui disant de choisir. Il avait juste été adorable.

Hier elle avait été acheter des cartouches d’encre et un nouveau style bien qu’il lui ait dit que c’était inutile. Il l’avait dépanné alors elle devait lui rendre sa gentillesse. Elle avait attendu une heure décente pour toquer à sa porte et ne pas le surprendre, mais contrairement à la fois précédente ce n’était pas lui qui lui avait répondu mais des sanglots étouffés. Elle était face à un dilemme, elle ne connaissait pas vraiment le jeune garçon, alors ce n’était sans doute pas son problème… Mais en même temps elle lui était redevable. Elle se décida en un instant à appuyer sur la poignée et entrouvrit la porte.

« Angelo, c’est Afya… J’entre ? »

Bient qu’à l’interrogative c’était une affirmation car elle poussa la porte et s’engagea dans la chambre. Elle se dirigea dans la salle de bain sans prendre en compte le fait qu’il aurait pu s’y trouver nu. Dans l’action elle n’avait même pas eu le réflexe d’essayer de regarder son futur proche pour le prévoir au mieux. Elle entre donc dans la pièce sans aucune précaution et le trouvant agenouillé sur le carrelage. Elle s’accroupit à ses côtés mais ne le touche pas ne voulant pas le blesser encore plus s’il souffre.

« Qu’est-ce qu’il se passe ? Tu as mal quelque part ? »

Pour bien des choses l’ivoirienne n’est pas bâtie, elle ne sait que rarement réagir aux pleurs des autres… Les siens sont tellement étouffés qu’elle ne les entend plus couler depuis longtemps, alors elle ne peut que passer doucement ses bras dans le dos de l’adolescent pour tenter de le consoler. Elle ne sait pas trop quoi dire surtout qu’elle ne comprend pas vraiment de quoi il parle, il est morphe à n’en pas douter, mais elle ne l’a pas trouvé différent d’un autre jour ? Elle aurait peut-être dû faire attention. Avait-il changé quelque-chose sans qu’elle ne l’ait remarqué ? Peut-être bien, il ne lui semblait pas.
Elle caresse ses épaules pour le réconforter mais ne trouve pas grand-chose à dire pour calmer ses sanglots. Elle n’est même pas certaine d’avoir compris le problème, et sans le savoir elle passe à côté de l’essentiel. Elle pense que le jeune homme s’est transformé par mégarde.

« Ne t’inquiète pas, les transformations s’arrêtent d’elles même au bout d’un moment Je ne suis pas morphe, je ne suis pas sûre de pouvoir t’aider, mais tu veux je peux aller chercher mon amie Ariana elle saura comment t’aider à te détransformer. »

Elle ne saurait être plus éloignée des préoccupations du jeune homme. Elle passe tellement à côté de l’essentiel, pourtant d’instinct elle essaie de le calmer. Elle avait l’habitude avant de réconforter Adjambo, alors d’instinct elle ralentit sa respiration pour que le jeune homme par mimétisme calme la sienne et retrouve le contrôle de lui-même. Elle essaie de ne pas être gênée par le fait qu’il se soit littéralement jeté dans ses bras, et il est vrai que ses larmes excusent pour elle ce comportement en partie. Elle passe amicalement son bras entre ses omoplates pour le réconforter autant qu’elle le peut… Pourtant en cet instant elle se sent bien incompétente.

Elle n’est ni télépathe ni même sensitive alors elle ne se rend pas compte du fait qu’il a bugué. Elle pense qu’il a juste besoin de temps pour traiter l’information… Elle penserait la même chose d’un ordinateur qui lui afficherait un écran bleu cela étant… Elle n’est pas très douée en informatique des pensées. Elle ne sait donc pas quoi répondre à son ‘’quoi ?’’ restant muette et perplexe, elle attend qu’il lui donne une indication même infime de ce qui se passe dans son esprit tout en cherchant quoi dire pour qu’il s’en ouvre à elle si cela bloque trop longuement.

Les informations finissent par être formulées de manière à ce qu’elle les comprenne. C’est simple et déroutant, elle comprend que le jeune homme est justement en train de devenir un jeune homme. Ce qui est normal, et peut-être déroutant ? Elle a du mal à le concevoir, mais c’est parce qu’elle ne s’est pas vue grandir. Elle ne passait pas des heures à se mirer devant la glace, elle n’en avait ni le temps ni l’envie… Mais elle avait grandi en observant sa sœur jumelle et les changements chez cette dernière s’étaient fait progressivement, tant et si bien qu’elle ne les avait jamais vu qu’en faisant une rétrospective. Elle ne sait pas trop quoi dire en fait. Elle ne trouve pas de conte sur le fait de grandir, alors elle cherche juste une petite phrase douce et pas trop bateau. Le genre de truc qu’on dit aux personnes dans ces situations, mais elle n’a pas assez l’habitude du jeu social pour en connaitre de toutes faites.

« Tu es toujours toi je crois : tu aimes les mêmes choses, tu détestes les mêmes choses, tu as les mêmes souvenirs qu’avant non ? Alors, tu es peut-être différent mais tu restes le même non ? »

Ou comment essayer de faire accepter ce que l’on ne peut changer à un enfant… C’est pas très propre tout ça ?

« Tu étais comment avant ? »

Elle ne sait pas vraiment ce qu’il entend par devenir adulte, car elle n’a jamais saisi la différence qui opposait enfant et adultes. Les adultes s’occupaient des enfants jusqu’à ce que les enfants s’occupent des adultes. Cela faisait-il d’eux des adultes à leur tour ? Elle n’en était pas certaine, combien avait-elle croisée d’homme qui agissaient comme des enfants et d’enfant qui devaient se comporter en adulte. N’était-ce qu’une question de taille. Elle ne pouvait pas être si catégorique. Elle ne sait pas trouver les mots justes car elle ne comprend pas ce qu’il traverse n’ayant jamais eu de telles préoccupations.

Il s’accroche à nouveau à elle, et elle recommence à lui passer doucement sa main dans le dos pour le rassurer à défaut de savoir quoi lui répondre. Elle ne sait pas ce qu’il voudrait entendre, mais au-delà, elle ne sait pas quoi lui dire. Elle n’avait jamais vécu aussi durement les choses, ne s’était jamais posée tant de question.

« Je ne me suis jamais battue contre ce que je ne pouvais changer. »

C’était peut-être un peu défaitiste sans doute mal formulé. Elle avait longtemps vécu au jour le jour, les changements ne se voyaient que lorsqu’on avait la chance de se retourner. Elle ne le faisait pas, c’était trop douloureux.

« Je ne comprends pas ce qui te fait peur, les choses changent en permanence, tu changes depuis que tu es né. Il n’y a pas tellement de différence entre un enfant et un adulte, beaucoup d’enfants sont plus matures que leurs parents, beaucoup de parents sont encore des enfants. Ce n’est pas ton apparence qui définit qui tu es mais ce que tu fais. »

Bon, elle est meilleure quand elle écrit des histoires que pour faire des discours. Elle a l’impression de broder sur du vide, ne sachant ni quoi faire ni comment faire pour le rassurer. Elle n’est pas de ces gens qui paniquent-impro bien. Bon, elle ne panique pas. Pas pour si peu. Si elle paniquait ce serait pire pour lui.

Il ne répond pas à sa question, du moins pas oralement, ne lui donnant nulles prises pour essayer de démêler le nœud qu’il s’était fait. Elle devait donc s’en passer tenter de l’apaiser par sa présence et le passage lent de sa main dans son dos. Elle le sent peu à peu se décrisper. Il la serre moins, son étreinte se fait moins désespérée. Elle en déduit qu’il commence à se calmer un peu. Elle ne le rejette pas pour autant, c’est à lui de sortir de son étreinte quand il se sentira prêt.

C’est étrange de découvrir combien elle peut être douce parfois, elle qui serait plutôt rigide dans sa manière de penser habituellement elle lui laisse beaucoup de mou. Elle semble savoir quand il faut se montrer ferme et quand il faut laisser couler. C’est la première fois que j’me dis qu’elle ferait une bonne maman cela dit et c’est totalement hors contexte.

« Il n’y a pas de mal, tu es prêt à te lever ? »

Il faut quand même le pousser un peu pour donner de l’inertie. Elle ne lui dit pas de le faire mais de s’y préparer. Elle a plus ou moins compris qu’il avait eu besoin de péter un cable, mais elle ne pouvait pas le laisser ainsi pleurnicher. Elle lui laissait le temps, elle se dit qu’elle pourrait peut être regarder dans l’avenir pour se rassurer sur le fait qu’il finisse pas accepter le changement. Elle ne le fit pas, il était des choses qu’elle préférait découvrir… Et si une fois devenue étoile le jeune homme préférait prendre constamment sa forme d’enfant, qu’aurait-elle à redire ?

« Il y a moyen d’aller échanger tes vêtements qui ne sont plus à ta taille contre des nouveaux, tu peux le faire avec ton uniforme déjà, ensuite en discutant à la friperie je suis certaine qu’on pourra s’arranger si tu veux. »

Autant dire que vous n’avez jamais vu une ivoirienne négocier…

Il est prêt à se relever lui qui l’instant d’avant cherchait du courage dans les bras de son ainée. Finalement il est peut-être plus adulte qu’il ne voudrait bien le croire… Enfin, là n’est pas le propos de l’instant. Il s’éloigne d’elle et trouve la force de se relever, mais peut-être est-ce seulement la force d’Afya qui lui a été transmise ? Rien n’est moins sûr.

« De ta faute si tu grandis ? »

Un rire nait sur les lèvres de l’ivoirienne qui vient de se redresser. Elle l’a regardé jeter un regard presque horrifié au sol jonché d’affaires. Elle l’aidera à ranger, elle n’est pas de celles qui fuient le gros œuvre. Son rire n’a pas duré, et son sérieux n’est jamais réellement parti.

« Ce n’est pas de ta faute, c’est dans l’ordre du monde. Personne ne saurait te le reprocher autre que toi-même. Je t’aiderais à négocier bien que je pense qu’il y ait pas gros à faire, la friperie a pour but principal que tous soient vêtus à Terrae, du coup je les vois mal refuser des échanges tant que les vêtements sont en bon état. »

Elle se baisse et se saisit du premier vêtement qu’elle trouve au sol, le plie soigneusement et sourit à Angelo avec douceur.

« Est-ce qu’il y a encore des vêtements qui te vont, il faudra commencer par les trier, je vais chercher un sac… Je dois avoir une ou deux chemises qui pourront t’aller si tu veux mais pas de pantalons… »

Elle a toujours aimé les chemisiers amples, ceux qui dissimulent ses formes et floutent les contours de son être, pourtant elle préfère les pantalons qui l’enserrent de près. D’ailleurs si elle préfère les pulls colorés aux chemises colorées. Elle a un style que l’on pourrait qualifier d’étrange.

Elle décide de ne pas rebondir sur sa remarque, de ne pas même en tenir compte ne sachant pas tellement quoi en faire. Elle n’y voit pas là un commentaire déplacé, peut-être que dans d’autres circonstances cela eut été le cas. Seulement il ne l’a pas été dérangeant et elle n’a pas senti dans son ton ou ses expressions que ses mots puissent avoir un autre sens. Elle fait simplement non de la tête.

« Ne t’excuses pas, tu n’as rien fais de mal. C’est normal d’avoir peur du changement, je suis heureuse que tu te sentes mieux. »

Elle l’aide ensuite à plier proprement ses affaires bien qu’elle ne soit pas douée pour cela, elle n’avait pas assez de vêtements par le passé pour en laisser des non portés, ses habits sitôt secs étaient de nouveau portés si bien qu’ils ne passaient jamais par la case pliés et rangés. D’ailleurs même si cela eut été le cas elle ne portait quasiment que des pagnes.

« Prêtes moi encore un stylo quand je te le demanderais ? »

C’est sa manière à elle de dire qu’il n’a pas besoin de la remercier. S’entre-aider est naturel, elle l’avait presque oublié ces derniers temps. Elle s’est tellement renfermée sur elle-même ces derniers jours… Et puis ici personne ne semble manquer de rien, alors elle oublie que cela peut-être le cas. Elle récupère le tee-shirt lapin dont il parlait.

« A la réflexion, tu veux bien me le laisser ? »

Elle pourrait le porter en le déformant un peu et en acceptant de dévoiler sa chute de reins, mais ce n’est pas à cela qu’elle pense. Elle se dit que si elle demande de l’aide à Ariana cette dernière pourra l’aider à découper le motif pour le réimplanter sur un tee-shirt plus ample et qu’il pourra sans doute le reporter. Il ne faut pas s’arrêter à l’épreuve, il faut la dépasser.

« Je reviens ! » dit-elle en se faufilant hors de la chambre pour aller chercher le cabas qui lui sert maintenant de sac pour porter son linge propre. Elle toque à nouveau à la porte mais se donne le droit d’entrer d’elle-même.

« Voilà ! On n’a plus qu’à y aller ! »