Ça va, je sais parfaitement de quoi j'ai l'air, affalé dans cette ruelle puante, le regard aussi vide que la bouteille que j'ai en main. Un jean naturellement troué, délavé, un t.shirt qui a épongé les quelques débordements de nombreux verres qui me sont passés en main jusque là, il n'y a rien de très attrayant qui se dégage de moi actuellement. Et ça tombe bien, parce que j'ai pas la moindre envie qu'on vienne me faire chier. Non, j'veux juste continuer à broyer du noir.

Le problème, c'est que l'alcool n'est pas la seule substance qui vient affecter mes capacités physiques et cognitives qui coule actuellement dans mes veines. De quoi avoir seulement l'air d'un zombie. Mais tant que je suis dans cet état amorphe où j'ai juste envie de rien, toutes les merdes qui m'occupent l'esprit en ce moment restent bien loin. Pas d'histoire de cartel. Pas de famille. Ni même de fusillade. Rien que le vide, ce qui est largement préférable.

Je n'ai pas la moindre idée du temps que je reste comme ça avant d'entendre une voix beaucoup trop proche. Suffisamment longtemps pour que ma clope se soit consumée seule, en intégralité, ne me laissant qu'un mégot encore fumant au bout des doigts.

- "Va t'faire foutre."

Ah... Mes mots ont été plus rapides à sortir que ma tête à se relever jusqu'au niveau de mon interlocuteur, de sorte à ce que mes yeux captent l'image d'Akkiko. Évidemment, il essaie de me bouger.

- "S'cuse, j'pensais pas que..."

J'arrive même pas à finir ma phrase. Je relâche finalement la bouteille, écrase ce mégot à même le sol, puis me passe une main (crasseuse) sur le visage, comme si ça pouvait évacuer toute cette immense flemme qui ne me lâche pas.

- "Mec, même avec une bombe de l'espace je s'rai pas en état de baiser là, ça sert à rien."

J'ai pris beaucoup trop de merdes pour pouvoir me rendre compte que Akkiko essaie seulement de me sortir de la merde dans laquelle je me trouve. Mes sens sont totalement floutés et mon cerveau n'est clairement pas capable de fonctionner normalement. Je ne réagis que par habitude.

- "A moins que tu cherches quelqu'un pour sortir ce soir et essayer d'aller pécho !"

Évidemment que je raconte de la merde, mais ça me donne au moins l'impression de détourner le sujet de mon état pitoyable. État qui me rattrape bien vite alors que j'essaie lamentablement de me remettre sur mes jambes. Obligé de m'aider du mur pour ne pas me retrouver à bouffer le bitume, ce n'est que grâce à cette putain de fierté que j'arrive à me tenir droit sur mes jambes. Heureusement que je ne calcule absolument pas la distance qu'il y a entre cet endroit et l'institut.

Donc le programme, c'est de sortir pour mater ? Et, éventuellement plus si jamais il devait y avoir possibilité ? Ok, c'est bien joué, parce que ça, je réagis assez facilement par automatisme. Pas besoin de réfléchir, je sais que je pourrais laisser le contrôle à mon corps sans trop en demander à ma tête. Exactement ce qu'il me faut. Le problème c'est que mon corps est un peu réfractaire là...

Jusqu'à ce que Akkiko propose de me porter... Et puis quoi encore ?!

- "Va falloir que t'attende que je sois complètement inconscient avant de pouvoir me mettre dans une putain de chaise roulante ! Bien sûr que j'vais m'en sortir ! Faut juste que je retrouve un peu mon équilibre, mais ça va venir."

Ouais, ça a pas l'air gagné d'avance vu comme tout tourne autour de moi. Je suis incapable de savoir si mon pied repose bien sur du bitume ou s'il est encore dans le vide. Ce qui n'est pas très pratique et contribue à me donner cette démarche si caractéristique... Ouais, celle qui crie à qui pose les yeux sur moi que je suis totalement défoncé. Mais c'est pas grave, j'assume. Enfin, seulement parce que je n'arrive pas à me rendre compte à quel point j'ai l'air minable en ce moment, sinon c'est clair que je resterais bien sagement planqué dans cette ruelle avec pour seule compagnie les poubelles.

Mais ce n'est pas le cas, alors je reviens comme je peux à la hauteur de Akkiko. Eh beh, vu la vitesse à laquelle j'avance, on n'est pas prêts d'arriver à destination. Mais ça non plus, je ne m'en rend absolument pas compte. J'en profite même pour sortir une nouvelle clope de ce paquet qui comporte désormais plus de weed que tabac simple. Mais je reste sur du parfaitement légal pour le moment. J'arrive encore à savoir que je risque de me le faire retirer des mains avant de l'avoir allumé (et je galère tellement à sortir une pauvre flammèche que ce ne serait pas bien compliqué) si j'avais le malheur de sortir un joint un peu chargé maintenant.

- "D'ailleurs, vu qu'on est lancé sur le sujet, t'en es où toi avec les meufs ? Y en a pas une qui te plait dans le coin ? Ou alors t'es déjà casé et tu m'en as pas parlé ? Non, sinon tu proposerais pas ce genre de plan..."

C'est vrai que je ne suis pas au courant de grand chose concernant ses histoires de cœur ! Et vu comme il se comporte en mec bien sous tout rapport depuis le début, je suis à peu près sûr qu'il n'est pas du genre à chercher des plans cul.

C'est pas évident de marcher... Encore moins de monter les marches. Mais ça va, je commence à prendre le coup, c'est donc par miracle qu'on arrive jusqu'à ma piaule sans que je ne me sois cassé la gueule une seule fois.

- "Tu peux attendre à l'intérieur hein."

Ouais bon, il y a beaucoup de choses qui risquent de ne pas lui plaire à l'intérieur. Comme ces plants de beuh qui ne sont pas vraiment super bien camouflés (mais il leur faut un minimum de lumière aussi !), les bouteilles vides qui trainent un peu partout au milieu de beaucoup trop de boites de medocs. Sans parler du reste du bordel ambiant mais ça, il avait déjà pu en avoir un avant goût le temps qu'on partage le même dortoir lorsqu'on est arrivés à Terrae.

Bon, j'vais pas l'y obliger non plus. J'ai déjà largement assez à faire avec ma mission actuelle. Réussir à me désaper pour commencer. Je galère. J'ai l'impression que ma tête reste bloquée trois plombes à l'intérieur de ce t.shirt. Merde mais il doit bien y avoir une sortie !! Ah, voilà ! Putain, j'étais à deux doigts d'étouffer. Enlever mon jean... Connard de bouton ! Et je ne parle même pas des chaussettes. Les fesses posées par terre, c'est plus sûr, je me traine finalement jusqu'à la douche. Trop chaud. Trop froid.

- "Azy là, fait pas chier, met toi à la bonne température trouduc !"

Oui, je preste contre le pommeau de douche, mais s'il y mettait un peu de bonne volonté aussi !! Savon. Je frotte comme je peux avec mon manque de précision. Aïe. Je m'en fous évidemment plein les yeux, ce qui n'arrange pas mon état. Je ne sais pas combien de temps je galère là dessous, mais j'arrive finalement à sortir. Un peu de mousse encore dans les cheveux que j'ai visiblement mal rincés, mais là c'est le dernier de mes soucis.

- "T'es sûr que tu veux bouger mec ?! On est bien là aussi non ? J'ai de quoi boire tranquille et on peut mettre de la zic !"

Je gueule un peu, histoire d'être sûr que Akkiko m'entende. Ouais mais là j'ai juste envie de m'écrouler. Parce que qui dit sortir, dit refaire le chemin en sens inverse. Trop trop trop la flemme. Même pour des filles ouais, c'est dire !

Ah, forcément j'ai oublié de prendre des fringues propres, alors je sors de la salle d'eau totalement à poil. Déjà parce que je ne suis pas en état d'en avoir quoi que ce soit à foutre, ensuite parce qu'enrouler une serviette autour de ma taille est une tâche bien trop complexe. Ouais, direction l'armoire où je fouille à la recherche d'un boxer que j'enfile non sans mal, me tenant à une main contre le mur pour éviter de me retrouver par terre. Eh, j'ai quand même un minimum de dignité encore !!

J'enfile difficilement mes fringues (propres), manque de me casser la gueule à plus d'une reprise et j'abandonne carrément l'idée d'enfiler des chaussettes. Non non, ça c'est mort. La douche m'a permis de remettre un peu d'ordre dans mes idées, mais mon sens de l'équilibre en revanche a décidé de rester en vacances. Bah, avec c'que j'ai pris, jen ne pense pas le revoir avec les prochaines vingt-quatre heures.

Du coup, je finis par me trainer jusqu'à la fenêtre que j'ouvre, avant de retourner m'étaler sur le matelas en allumant une clope. Oui je sais, c'est mal et en plus Akkiko ne fume pas, je ne devrais pas, tout ça, le problème c'est que là j'ai besoin de beaucoup plus que de la nicotine, alors je commence par essayer de tromper mon cerveau avec cette substance. Je sais bien que ce n'est pas ce qui va empêcher mes mains de trembler. Difficile de maîtriser une flammèche dans ces conditions, mais après un effort de concentration maximal, j'arrive à l'allumer. Et la première bouffée me fait un bien fou.

- "T'es sérieux ? Pas d'alcool ? C'est un peu raté pour moi aujourd'hui t'sé, je me rattraperai demain !"

Bah oui, parce que ça marche par journées... Je me lève donc, toujours aussi instable sur mes jambes. Heureusement qu'il n'y a que trois pas à faire pour arriver dans le mini coin cuisine. A savoir le petit frigo en fait, que j'ouvre.

- "On a qu'à dire bières ? Comme ça c'est pas trop fort mais ça évite le coca qui ne doit plus avoir de bulles !"

Dans ma tête c'est hyper logique ! Par contre... Je préfère apporter les deux bouteilles à Akkiko avec le décapsuleur, parce que là, je suis à peu près sûr que si je m'en charge, une partie du contenu fini au sol... Et je m'écroule de nouveau sur le lit, chopant du bout des doigts un cendrier qui traine au sol (ça aussi il y en a un peu partout...). En plus, il accepte même d'aborder le sujet "filles".

- "Bah, c'est juste que c'est beaucoup plus facile de trouver une nana pour la nuit que d'aller jusqu'à sortir avec !"

Mais je ne pense pas me tromper en disant que Akkiko ne parait pas du genre à enchainer les coups d'un soir sans se soucier du lendemain. Quoi que, c'est aussi ce que je pensais de Charlie-Ange et il m'a affirmé le contraire. Enfin, c'est pas comme si je le connaissais vraiment l'autre casse-couille !

- "Et puis, si tu te bouges pas, à seulement dire qu'il y a des meufs séduisantes, tu ne sauras jamais si t'as du succès ou pas ! T'as essayé d'en aborder certaines ? J'veux dire, sans t'auto foutre direct dans la friendzone ?"

Ça me fait du bien de penser à autre chose c'est vrai. Je ne vais pas dire que j'arrive à dire ça avec le sourire, mais j'ai l'impression de commencer à sortir de cette foutue zone noire qui m'embrouille le cerveau depuis je ne sais combien d'heures.

Je ne peux retenir une grimace lorsque Akkiko parle de Hideko. Déjà parce que je ne l'aime pas, mais surtout parce que je me rappelle un peu trop bien cette histoire. Franchement pas glorieux. Mais je préfère éviter d'embrayer sur ce sujet. En plus, j'ai pas envie de penser à cette directrice beaucoup trop relou !! Encore moins dans mon état... Ouais, la bière c'est beaucoup mieux !!

- "Même pas dit vos prénoms ? Sérieux mec, si elle te plait va falloir songer à passer à la vitesse supérieure ! A ce rythme tu risques pas d'avoir un rencard avant noël ! Parce que apprécier sa compagnie... Azy, avec moi pas la peine de faire genre il n'y a que les discussions que vous avez qui t'intéressent !"

Je sais que j'ai tendance à bâcler la phase de présentation pour aller direct à l'essentiel (si c'est pas clair dans ta tête c'est de toute façon que t'es trop jeune !) mais il y a quand même un juste milieu !

- "Tu sais, en général les meufs aiment quand les mecs sont capables de prendre les choses en main, alors évite de trop trainer ! Et puis ce serait con que quelqu'un te passe devant ! D'ailleurs, faudra quand même que t'arrives à me dire de qui il s'agit un jour !"

Eh, j'ai beau être considéré comme un connard par beaucoup de gens lorsqu'il s'agit de filles, je n'en suis pas non plus au stade d'aller chercher sur le terrain des potes ! Même pas en étant complètement défoncé !! Plus ou moins étalé sur le lit, bière à la main (ouais c'est un peu dangereux dans mon état mais je ne m'en rends absolument pas compte !) je me retrouve à tirer une gueule mega étonnée en voyant Akkiko donner un petit coup de peps à mes plantations. Ah bah ça, clairement je ne m'y attendais pas !

- "Ouah, sérieux ? 'Fin j'veux dire, je sais que tu bosses dans les jardins et tout mais... Je savais pas que tu t'occupais aussi de ce genre de plantes ! Tu t'y connais un peu ? Ou alors, si jamais t'as besoin d'un peu de fric tu m'dis j'suis sûr qu'on peut s'arranger !"

Je parle un peu trop et surtout de façon beaucoup trop décomplexée en raison du manque total d'inhibition. Je sais pourtant bien que Akkiko est du genre hyper droit dans ses bottes mais sur le coup, j'en reviens à penser qu'un accord avec un Terre est décidément la meilleure option possible pour ce type de commerce. Un Terre qui ne soit pas télépathe, parce que ceux-là, c'est impossible de leur faire confiance !

Mouais, bien sûr que je me doutais qu'il n'allait pas être super emballé par ma proposition, mais ça aurait quand même été bien pratique. Genre, meilleur rendement, augmentation de la production, rentabilité maximale ! En même temps, je devrais éviter de penser à tout ça maintenant, ça me ramène un peu trop à des sujets auxquels il n'est pas bon que je pense actuellement. Je dois avoir l'air bien assez pitoyable comme ça, hors de question d'en rajouter ! Autant essayer de garder le peu de dignité qu'il me reste. Même si c'est mal barré.

- "Hum, suivant combien tu vends ça, ça peut toujours être intéressant. Les clopes coûtent une blinde ici !"

Et vu ma consommation quotidienne de ce poison une alternative ne serait peut-être pas mal venue.  Même si en vrai, j'en ai rien à battre de ce que je peux faire subir à mon organisme. C'est pas comme si j'avais jamais eu dans l'idée de vivre vieux. Une courte vie mais où je me serais éclaté à faire ce que je veux quand je veux vaut bien mieux qu'une vie bien rangée, emmerdante et beaucoup trop longue ! Enfin, c'est comme ça que je pensais avant en tout cas.

- "Dis." Cinq secondes d'essai de réflexion nécessaires. "T'as déjà eut l'impression que... Tu devais faire quelque chose, mais genre, quelque chose de vraiment important tu vois, et pourtant, d'être incapable d'agir ? D'avoir tous les plans en tête, de savoir que c'est faisable, mais de rester dans l'indécision. Dans l'hésitation. Pour finalement rester à ne rien faire ?"

Et flipper. Merde, je sens cette nouvelle vague de bad qui revient à la charge. M'enfonçant encore un peu plus dans toutes ces pensées sordides qui me font naturellement fouiller dans mes poches, à la recherche d'un paquet de clopes dont le contenu a été remplacé par d'autres types de cônes, de ceux capables de chasser sporadiquement ce malêtre. De façon de moins en moins efficace à chaque nouveau recours.

Pour la première fois, je me dis que j'ai peut-être des choses à perdre en suivant seulement mon instinct sans prendre en compte les conséquences d'un tel acte. Que quitter Terrae pour faire ce que j'aurais dû faire longtemps signifie quitter tout ce que j'ai trouvé ici. Oh, je ne suis sûrement pas le type le plus populaire et beaucoup seraient contents de ne plus me voir, mais cette stabilité, cette sécurité et les quelques rares amis que j'ai réussi à me faire m'ont sacrément ramollit. Je savais bien pourtant qu'il ne faut pas suivre de mec aussi louche, surtout quand il vous propose une solution miracle. Parce que ça n'existe pas.

Ça faisait longtemps que je n'avais pas subit ces changements émotionnels beaucoup trop intenses et rapides sans avoir le moindre contrôle dessus. Et là, c'est de nouveau la chute dans les profondeurs de la dépression. Enfin non, faut pas déconner, j'suis pas si faible que ça hein, mais les pensées déplaisantes recommencent à m'assaillir sans vouloir me laisser la moindre seconde de répit. Heureusement, cette fois Akkiko est là et bizarrement, ça me fait du bien de lui parler. De lui parler de trucs qui en temps normal seraient restés bien sagement au plus profond de moi sans jamais remonter de la sorte.

- "J'comprends. Et, j'crois qu'il va falloir que je me bouge parce que ça fait trop longtemps que ça m'fait chier."

Étalé sur le dos, jouant avec ma bière encore bien pleine (non je ne suis pas en état de me rendre compte que le débordement est imminent), j'attrape un joint que j'allume en le portant à mes lèvres. Sans même demander à Akkiko si ça le dérange parce que la probabilité qu'il me réponde que si est trop importante. Et que j'en ai besoin.

- "Tu sais, me retrouver à Terrae déjà, c'est pas évident à accepter. De là où j'viens, c'est un peu considéré comme... Une fuite. Et, c'est le genre de truc... Qui fait déjà qu'on n'a plus trop le droit de se regarder dans un miroir."

Ouais, ça m'fait du bien de parler mais jusqu'à un certain point, parce que là je me sens juste un peu con. En même temps j'ai aucun contrôle sur ce que je raconte, alors je me contente d'une grimace en m'en rendant compte, avant de faire un signe de main maladroit comme pour oublier tout ça, renversant une partie de ma bière au passage sur le matelas (ce qui ne me fait ni chaud ni froid).

- "Mais, on s'en fout hein, azy oublie c'est relou. T'es pas obligé de me supporter, si tu veux profiter de ta soirée tu peux y aller, moi j'crois que j'vais pas bouger avant un moment."