Je ne fais pas le moindre commentaire sur la façon qu'a Senri de jouer les super-héros de bouquins (après en avoir bousillé quelques uns de lui-même suite à ses blagues savonneuses) et continue ma mission tranquillement, bien décidé à écourter rapidement cette colle qui commence à durer beaucoup trop longtemps à mon goût. Sauf que ces bouquins n'ont pas l'air de vouloir se montrer très coopératifs. Et comme si ça ne suffisait pas, il faut que le gamin en rajoute une couche. Si je ne risquais pas pire, je lui aurait fait bouffer son livre pour gosse...

- "Tu devrais plutôt t'occuper de ton charriot au lieu d'te la raconter parce que t'as enfin réussi à avoir un niveau équivalent à celui de sales morveux."

Quelques mots sifflés entre les dents, je me détourne bien vite de cette tête à claques, synonyme de tentation suprême à la violence (qui serait très mal vue en ce lieu), pour tenter un rangement approximatif. Si on part du principe que dans une côte, les mêmes lettres se retrouvent à côté, seules les dernières changeant, on devrait pouvoir en déduire que les mêmes symboles du début doivent se retrouver proches... Mouais, cette explication me convainc bien. Concentration maximale pour essayer de reconnaitre ces différents symboles (je ne vais quand même pas me fier aux explications d'un chauve !) je le laisse se barrer sans rien ajouter.

Sauf que j'avais oublié la deuxième casse couille en chef. Qui m'envoie relou number one en émissaire. Aller dans son bureau... Bon, avec un peu de chance c'est pour me dire que c'est bon, j'ai enfin le droit de me barrer ? Je n'y crois pas des masses, mais dans le doute, je tire un sourire vainqueur à la face de moine avant de repartir direction la blonde sur roulettes, sans oublier d'amener mon propre charriot avec moi. On ne sait jamais ce qui peut passer dans l'esprit d'un crâne dégarni.

Sauf que pour la victoire, c'est plutôt raté... Des lignes à écrire ?! Ahah, c'est une blague... ? Un haussement de sourcils aussi interrogateurs que blasés, j'ai un peu de mal à croire qu'elle puisse vraiment me demander ça.

- "Ouais, bah c'est tout aussi relou d'avoir à le supporter. Sauf que je ne suis pas du genre à ignorer sagement ses provocs, alors bien sûr que je ne vais pas rester sans répondre."

Nan mais c'est vrai, rien qu'à le voir j'ai envie de lui filer des baffes, alors quand en plus il se permet de croire qu'il peut se payer le luxe d'avoir ce genre de comportement et de bien s'en sortir, forcément que je ne vais pas continuer à ranger mes livres bien sagement. Il faut bien qu'il y en ait qui se dévoue pour lui faire comprendre que ses sales manières ne peuvent pas toujours être sans conséquences !

- "Mais nous faire bosser "ensemble" aussi, c'est pas franchement une idée de génie. Tu voudrais pas m'laisser partir ? J'peux revenir demain filer un coup de main si t'y tiens, mais s'teuplait, ne m'le colle plus dans les pattes."

Parce que je fais déjà de gros efforts pour ne pas l'encastrer dans une étagère.

- "Et... On oublie cette histoire de lignes ?"

Nan mais sérieux, des lignes...

Le visage de Senri passa par plusieurs stades. D'abord, il adressa un sourire et un regard très poli à Ipiu, ravi de lui rendre service. Il attrapa par ailleurs l'une des feuilles plastifiées avec les alphabets latins avant de sortir. Ce fut ensuite un sourire plein de fierté qui décora son visage quand il annonça à Tiago que la bibliothécaire l'attendait. Mais en voyant le sourire victorieux et suffisant de Tiago, Senri ne put s'empêcher de ressentir une colère noire qui tordit les traits de son visage et vint pousser ses dents à charcuter ses lèvres.


- Tch, j'espère qu'elle va l'défoncer, c'gros tocard d'merde.


Il avait grommelé ses mots suffisamment fort pour que l'hispanique puisse les entendre. Néanmoins, il se retrouva rapidement seul face à son chariot. Poussant un profond soupir, il commença à faire rouler ce dernier et à ranger les ouvrages écrit en japonais. Il y avait quelques symboles chinois qu'il assimilait plus ou moins et au pire, il s'aidait de son téléphone.


Une fois que ce fut fait, il attrapa une des feuilles plastifié et essaya de déchiffrer les alphabets de ceux qui écrivaient avec des lettres. On n'avait pas idée d'utiliser des lettres. Il y avait tellement de combinaisons, qui changeaient entre les langues. Il poussa un profond soupir et tenta de repérer les similitudes entre les cotes de ses livres et celles des allées. Puis, lentement, mais sûrement, il commença à ranger les livres.

Ouai clairement les faire taffer ensemble c’était pas le meilleur des bails de ma vie ? J’pensais pouvoir les gérer, les faire être moins cons. C’était pas possible. Faut croire que je ne suis pas bonne enseignante. J’ai envie d’en prendre un pour frapper sur l’autre, mais je ne suis pas vraiment pas taillée pour être prof. N’en déplaise à la gamine qui est arrivée il y a 6 ans à Terrae.

« Et ça te convient d’être comme ça Tiago ? Vraiment ? Enfin, c’est toi qui vit avec toi. »

C’est hyper décevant, mais au fond tant pis. C’est pas mon soucis.

« Tu feras tes lignes comme un môme, mais non tu ne reviendras plus en même temps que Senri. J’abandonne, je croyais que tu serais le plus mature des deux, j’me suis plantée. Je vais dire à Senri de rentrer et de revenir la semaine prochaine. »

En cet instant j’me dis que je comprends Hideko, et que je détesterais être à sa place. Bon, et que j’ai envie de les frapper et que finalement la torture n’est peut-être pas une si mauvaise pratique… Mais si on va par là, ça va vraiment être le bordel. Pourtant dieu que j’en ai envie. Je soupire. Et je sors à sa suite chercher le chauve.

Non parce qu’il me l’aurait pas demandé, sans doute que j’l’aurais renvoyé lui. Seulement il l’aa fait donc, j’peux pas. C’est relou. RELOU.

« Tu peux rentrer chez toi, reviens la semaine prochaine Senri. »

C'est quoi cette question stupide ? Et puis qu'est ce que ça peut bien lui foutre de savoir si ça m'va ou non d'être comme je suis ? Au pire, c'est mon problème. C'est mort, je ne risque pas de répondre. En plus, je n'ai absolument pas envie d'y réfléchir actuellement. Toutes ces conneries m'ont déjà bien assez flingué le moral.

Par contre, quand Ipiu affirme qu'il va bien falloir que je me farcisse ses lignes comme un simple gosse qui aurait bavardé en classe, je ne peux pas rester sagement sans rien dire.

- "Putain, sérieux t'abuses. Parce que ces lignes ne changeront rien au fait que t'avais sûrement de trop grandes attentes. J'risque pas de changer quoi que soit dans ma façon de faire."

En tout cas pour ce qui est des attentes, il semblerait que j'ai également visé trop haut... Parce qu'avec tout ça, c'est moi qui me retrouve avec la charge des heures sup pendant que l'autre idiot va super bien s'en sortir... Rah ça commence à m'chauffer sévère cette histoire de punition à la con là !! Mais il n'est pas question que je laisse paraitre le moindre signe de défaite ! Encore moins maintenant que Ipiu arrive à hauteur du mioche pour lui annoncer sa victoire.... Rien que d'imaginer la gueule qu'il peut tirer ça m'file la gerbe.

Je préfère donc largement me détourner très rapidement de cette scène écœurante pour me diriger vers le fond de la bibliothèque, sans même prendre la peine d'embarquer mon fidèle charriot. Tant pis, je viendrais le récupérer plus tard. Je suis sur les nerfs et j'ai besoin de faire quelques pas pour redescendre en pression. Voir la gueule de l'autre abrutit maintenant me ferait sûrement réagir de sorte à écoper de bien pire que quelques lignes. J'ai qu'à faire semblant de récupérer les bouquins abandonnés sur place par les usagers de bibliothèque qui ne sont pas foutus de remettre correctement ce qu'ils ont pourtant été parfaitement capables d'aller chercher. Ouais, super technique.

Tout en rangeant autant de livres qu'il pouvait, l'adolescent avait les yeux rivés sur la porte du bureau d'Ipiu. S'il était convaincu que Tiago allait se faire enguirlander (il avait pensé ce mot), le fait de le voir parader avec un grand sourire sur le visage n'avait pas rassuré Senri. Ça l'avait même plutôt mis en colère.

Ainsi, il fut assez désappointé de voir la tignasse blonde de la bibliothécaire sortir en première et venir vers lui. Qu'est-ce que Tiago lui avait dit ? Le garçon psychota durant tout le temps que la Master mit à le rejoindre — pas très longtemps donc, car il rôdait autour du bureau — jusqu'à ce que son visage s'illumine en entendant la teneur des propos d'Ipiu.

— AHAH. Je savais que j'gagnerais ! Je serais là sans faute m'dame !

Et c'est tout joyeux et pimpant que Senri gambada vers la sortie. Il s'arrêta néanmoins près de Tiago pour s'en moquer.

— amuse-toi bien, tocard !

Et triomphant il quitta la bibliothèque.