Peut-être qu’il les remplit de trop de choses sans importance ? se dit-elle sans se départir de son sourire doux. Une journée n’est jamais trop courte, elle en est persuadée. Elle n’apporte que ce que l’on peut gérer, et savoir dire non au surplus est un art dans lequel la jeune femme est passée maîtresse. Elle a l’impression de ne faire que des choses dont elle a envie ces derniers temps. Même aller au travail, elle le fait parce qu’elle en a envie… D’une certaine manière tout du moins. Elle sait que l’argent qu’elle envoie à sa mère et à sa sœur leur est profitable, et elle a envie qu’elles ne manquent de rien. Travailler permet de combler cette envie. Ce besoin ? Elle n’est pas certaine. Qu’importe ?

Elle mord dans sa part de quiche, elle est un peu froide à l’intérieur mais trop chaude à l’extérieur. Elle ne lui en dira rien, c’est déjà un bel effort qu’il a fait.

« Bien sûr, regarde, j’ai même de la compagnie ce soir ! » dit-elle avec douceur.

Elle a l’impression qu’il ne comprend pas. Elle n’est pas… Très à l’aise avec les gens ? C’est le cas de le dire, timide, plus qu’il ne le faudrait pour son propre bien. Elle s’est même mise à fumer pour avoir des raisons d’aborder les gens. Elle n’y arrive pas sans cela, à moins bien entendu d’avoir d’autres raisons de le faire. Elle sourit.

« Je ne suis pas très sociable tu sais ? J’ai quelques amis, mais je ne suis pas certaine d’être capable de m’en faire de nouveaux même si je le voulais. »

Le visage d’Arash passe dans ses pensées, cela avait été un véritable fiasco. Enfin, c’est étrange d’être détesté par quelqu’un. Enfin, qu’importe. Ce n’est pas le souci. Elle a du mal avec les gens. Il n’en est qu’un exemple parmi tant d’autres.

« Enfin, c’est pas bien grave. Tu veux quelque-chose à boire ? » elle se lève pour aller chercher des verres, elle n’aura pas cette discussion gênante pour elle comme pour lui où elle lui demande ce que ça lui a apporté d’être tout le temps avec du monde.

Hum, oui, en effet, cette réponse est plutôt adéquate, même si ce n'est pas vraiment ce que j'avais en tête. Je ris pourtant doucement en l'entendant, parce que c'est bien joué. Je ferais plus attention à mes prochaines questions si je veux absolument une réponse qui ne soit pas une vulgaire touche !

Mais finalement, Afya apporte quelques informations complémentaires. Pas très sociable... Ahah, on en parle du problème de se faire des amis ? Ok, elle est peut-être trop timide pour ça et moi j'dois trop avoir un caractère de merde, alors je ne risque pas de pouvoir dire quoi que ce soit sur point. Heureusement qu'elle propose à boire ! Ah ouais, c'est vrai, pas d'alcool.

- "Ouais, j'veux bien ! File moi c'que tu veux, j'te fais confiance !"

Je ne suis pas vraiment difficile, que ce soit sur la bouffe ou sur la boisson, tant qu'on ne me sert pas de vodka, généralement ça passe bien. D'ailleurs, ce qui était dans mon assiette ne fait pas long feu. J'ai toujours eu tendance à manger vite, ouais.

Bon du coup... Je sens bien qu'il ne vaut mieux pas insister dans cette direction. Ce serait pourtant facile, mais l'objectif ce soir n'est sûrement pas de la mettre mal à l'aise ! Alors s'il faut changer de sujet pour tenter de voir un peu plus de joie dans son regard, passons à autre chose !

- "Tu me dirais ce qui te faisais rêver quand t'étais gamine ? T'es contente de ta vie aujourd'hui et c'est le principal, mais comment t'imaginais ta vie d'adulte quand t'étais enfant ?"

Avec une transition absolument ratée. Enfin, sans aucune transition en fait. Bah, on s'en fout un peu non ? Je ne vais pas non plus me faire chier à trouver comment introduire la première chose qui me passe par la tête. Après tout, les rêves de gosse ça doit être safe comme sujet non ?

« Pourquoi ? »

Questions absurde. Question sournoise. Il lui fait confiance. Pourquoi ? C’est un choix de mots peu réfléchi, cela ne veut sans doute rien dire. Les mots ont un sens. Elle demande pourquoi il a employé ceux-là. D’autres lui semblaient plus appropriés « Fais comme tu veux. » ou « Peu importe. » mais il ne les avait pas utilisés. Il avait choisi ceux-là, et pour une personne manquant cruellement de confiance en elle ils étaient diablement importants.

Elle choisit, ce sera du coca. Elle en a envie, alors pourquoi pas. Elle lui sert un verre. Elle sourit quant à sa question. Amusée un peu. Ses rêves d’enfants étaient bien loin de ses idéaux ou de sa réalité d’adulte.

« Je voulais être heureuse, et je croyais que pour y parvenir il me faudrait fonder une famille. J’espérais avoir vite des enfants pour pouvoir leur raconter des histoires, je voulais qu’on vive dans des maisons à côté avec ma sœur et qu’on ne se quitte jamais. »

Elle sourit. A qui ? A lui ou à elle-même ? A elle du passé ? Elle sourit voilà tout. La voilà qui tend son verre au jeune homme. Du silence nait une question.

« Et toi Tiago, qui voudrais-tu être quand tu seras grand ? »

Elle pose ses yeux clairs dans ceux du jeune homme. Il lui a posé une question importante à elle d’en poser une autre mais contrairement à l’homme elle ne se tourne pas vers le passé mais l’avenir. Est-ce l’apanage des voyantes ? Peut-être pas. Elle ne le voit pas comme un adulte, a-t-elle déjà vu quelqu’un comme un adulte ? Maman/. Les autres sont des enfants, car ils ne sont pas ce qu’ils seront demain et déjà plus ce qu’ils étaient hier. Tout le monde change. Elle la première. Parfois elle ne se reconnait plus.

Elle se rassoit et croque à nouveau dans sa pizza. En réalité elle a peur qu’il manque un peu et à deux parts de plus dans un autre tupperware. Elle sait qu’elle-même aura du mal à le finir, mais elle a peur qu’il manque.

Pourquoi quoi... ? Ouais, j'avoue que cette question me prend un peu de court. J'veux juste bien un truc à boire et comme je n'ai aucune idée de ce qu'elle a, ni de ce dont je peux avoir envie, je préfère lui laisser le choix. Mais évidemment, j'ai une réponse un chouia différente.

- "Bah, je ne crois pas que tu aies de raison de chercher à m'empoisonner, alors je pense pouvoir te confier le choix de la boisson."

Ce qui n'est pas totalement faux pour autant, même si à Terrae je sais être relativement tranquille de ce côté là. D'ailleurs je fais bien de lui faire confiance, puisque le coca, c'est parfait !! Et visiblement, le changement de sujet est bien accueilli. Même si la réponse qu'elle m'apporte a de quoi me surprendre. Alors que ça ne devrait peut-être pas.

- "C'est un beau projet. Et, il y a plein de façon d'être heureuse."

C'est normal d'aspirer au bonheur après tout. Pourtant, l'emploi du passé me parait étrange. Certes, tous ceux qui arrivent ici n'ont pas eu une vie pleine de bonheur, mais beaucoup ont réussi à surmonter ces nombreux problèmes d'après ce que je sais. Mais je vais éviter d'insister là-dessus, ou pas tout de suite en tout cas.

- "Quand je serais grand ? Après le papi je passe au stade de gamin maintenant ? Je ne sais pas trop c'que je préfère." Et après on dit que c'est moi qui formule mes phrases bizarrement... Enfin, j'vais faire avec ! Tout en esquissant un léger sourire. "Eh bien, je crois que quand je serais grand..." J'ai beau réfléchir quelques secondes, rien ne me vient. "Nan, en fait j'suis désolé Afya, mais je n'y ai jamais vraiment réfléchi."

La vérité, c'est que je n'ai jamais pensé vivre suffisamment vieux pour pouvoir faire de réels projets d'avenir. Je n'ai pas la moindre idée de ce que je voudrais faire plus tard. Ma vie actuelle me convient très bien. Ou, peut-être pas en fait. J'en sais rien. C'est difficile de réfléchir à ça. Parce que pour le moment, j'ai encore du mal à virer mes envies de vengeance de mon esprit. Rester bien sagement à Terrae est déjà plutôt pas mal comme projet à mon stade. Mais évidemment, je ne risque pas de pouvoir lui dire un truc pareil.

- "Mais, pour le moment, je vais déjà essayer de décrocher mon diplôme, ce qui devrait me permettre de bosser mieux, et plus. Ensuite, j'aviserai à ce moment là. Je ne suis pas très doué pour visualiser mon futur."

Peut-être qu'avec ça, je pourrais envisager un futur un peu plus... Classique ? Sans avoir à mener ce double emploi. Est-ce que c'est ce que je veux ? Est-ce que je le fais uniquement pour le fric ? Pff, j'vais pas me mettre à réfléchir à ce genre de conneries quand il n'y a pas de whisky dans mon coca. Encore moins quand j'ai des projets bien plus importants pour le futur très proche.

- "Mais, puisque t'es voyante, j'imagine que ma réponse n'a pas grand intérêt. Après tout, tu as sûrement une bien meilleure idée que moi de ce que je ferais effectivement quand je serais grand."

Ce n'est pas dit méchamment. Loin de là. C'est plus une manière indirecte d'en savoir un peu plus sur ce qu'elle est effectivement en capacité de savoir.

Elle sourit, rit. Elle ne considère pas que cela soit un beau projet. Elle le critique maintenant, tant de par son innocence que de par son irréalisme. Elle n’a pas le droit de fonder une famille et elle le sait.

« C’était le projet d’une enfant, il ne me satisferait plus aujourd’hui. »

Il n’est plus envisageable, ni réalisable. La vie l’a changée, et plutôt que de chercher à réaliser des rêves passés hors de portée, elle s’en ait trouvés de nouveaux. Sans doute plus accessibles. Elle aimerait suivre des études universitaires, par correspondance cela va sans dire… L’idée même de retourner à la faculté de Tokyo la met mal à l’aise.

Elle n’est pas la seule à envisager son futur par le biais d’études. Il lui avoue ne pas voir à long terme, et elle sourit quand il la questionne même indirectement sur son futur. Il est des avenirs dans lesquels elle ne fouille pas.

« Je ne me spoile jamais la fin d’une histoire, je préfère la lire page après page. »

Elle est heureuse qu’Ariana lui ait appris le sens du mots spoiler, elle ne le connaissait pas avant que la rousse débarque un jour dans sa chambre en lui disant qu’on lui avait spoilé la fin d’une série. Ou peut-être d’un livre ? Elle n’en était pas certaine… Elle pourrait le vérifier mais elle n’en a pas envie, certains souvenirs bien que flous gardent leur saveur.

« Puis tu as le temps de grandir à ton rythme, tu me diras le jour où tu sauras… »

Elle ne répondait que rarement aux questions des gens, et encore plus rarement à celles qui n’étaient pas posées. Elle finit son assiette et regarde Tiago :

« Tu en veux encore ? Il me reste une part de chaque. »

Un regard sur l’obscurité naissant à la fenêtre lui appris qu’il serait bientôt l’heure.

Lire page après page ? Ça n'a rien d'étonnant après ce que m'a dit la demoiselle sur sa passion pour la lecture. Et malgré mon absence totale d'intérêt pour la littérature, je dois admettre que c'est une belle métaphore. Qui a quelque chose de rassurant. Bah, c'est quand même désagréable de savoir que les voyants pourraient mieux connaitre mon avenir que moi-même. Et vu le peu de lumière qui doit s'y trouver, j'aime autant qu'Afya n'y mette le nez à vrai dire.

- "Je n'aime pas non plus savoir ce genre de chose à l'avance. Je préfère garder toutes les possibilités ouvertes. Faire mes choix sans connaître leurs conséquences exactes. La vie est quand même plus belle quand on avance au gré de nos envies."

Oh, je sais très bien que les miens sont déjà largement contraints par mon passé, mon éducation, et très probablement par mon caractère merdique. Mais j'aime me dire que je suis encore libre. J'ai déjà assez de mal à accepter d'être enfermé dans cet endroit à l'autre bout du monde sans pouvoir me déplacer selon mon bon vouloir, alors j'ai bien l'intention de continuer à faire ce que je veux, quand je veux. Sans me soucier du lendemain. C'est sûrement pour ça que je continue mes petites affaires pas très légales. Bien sûr que si on me montrait les implications dans plusieurs mois ou années, je serais obligé de reconnaitre que c'est une bien mauvaise idée. Je préfère seulement voir le fric que ça me ramène à court terme, plutôt que les emmerdes à long terme.

- "Nan merci, ça va aller ! Comment j'vais faire pour plaire aux filles après si j'grossis ?!"

Un sourire amusé, bien sûr que j'ai conscience que ce n'est pas une simple part de pizza supplémentaire que risque d'avoir une incidence sur mes capacités à séduire en soirée. C'est juste la première réponse qui me vient. Et puis ce n'était pas un dîner en tête à tête qui était prévu hein, bien sûr que j'ai hâte de découvrir la suite du programme !

- "Je devrais avoir largement assez d'énergie pour en apprendre davantage sur tes passes temps ! Sauf si tu m'dis que tu t'entraines pour courir un marathon, là j'jte suivrais peut-être pas..."

Parce que je me rends bien compte que je ne connais effectivement presque rien de la jeune femme. Alors je ne compte pas m'arrêter en si bon chemin ! Ouais, ce n'est pas totalement désintéressé ok, mais venant de moi ça l'est rarement !

C’est étrange combien cex deux jeunes gens pouvaient avoir des opinions si semblables maalgré leur trajets de vie différents. Elle lui sourit. Il avait le temps de voir venir, c’était certain… Mais peut-être que leur ressemblance s’ancrait plus loin en eux que leur différences. En ce Vide commun et pourtant si différent, qui les rassemblait sans les rendre égos. Dans ce vide se retrouvait une peur du lendemain, seraient-ils encore-là demain ? Certes, mais pour combien de lendemains. Leurs raisons différaient, mais leurs peurs convergeaient. Aujourd’hui était mieux que demain.

« Il te restera ton charme et ta gentillesse. Ce sont des qualités bien plus attirantes que ton visage. »

Avec elle il avait toujours était sympathique aussi elle ne se doutait pas qu’il pouvait être un tel con. Elle lui sourit et ajouta :

« Surtout quand on te croise le matin. »

Elle se saisit de leurs assiettes et des tuperwares vides, fit apparaître une sphère d’eau qu’elle fait tournoyer autour des plats jusqu’à en décrocher la moindre once de saleté avant de la faire voler vers l’évier de la salle de bain et de ranger la vaisselle.

« Il faudrait savoir ! Tu veux rester fin comme un gardon sans te dépenser ? C’est un peu idéaliste non ? »

Elle se moquait gentiment de lui, mais elle se radoucit et ajouta :

« Je ne pense pas que l’activité te fatiguera… Tu es prêt ? »

Attrapant elle-même un gilet qu’elle porta sur son bras elle prit la tête de leur expédition vers le parc. Les nuits se rafraichissaient et elle savait qu’elle aurait froid avant le moment de rentrer.

« Asseyons nous ici ! » dit-elle en désignant une pelouse ou elle avait l’habitude de s’installer.

Elle ne lui dit pas pourquoi, elle aimait surprendre les gens. Bientôt quelques-un des plus jeunes enfants de l’institut vinrent s’installer en arc de cercles devant eux. Elle ne disait toujours rien attendant qu’ils soient assez nombreux.

Mon charme et ma gentillesse ? Je ne peux m'empêcher de sourire à cette remarque. Je crois que c'est pour ça que je l'apprécie cette fille. Elle réussi toujours à me sortir des remarques auxquelles je ne m'attendrais absolument pas. Et qu'elle est bien la seule à pouvoir faire. Parce que je ne suis franchement pas sûr qu'il y ai beaucoup de personnes qui soient d'accord avec son point de vue. Mais sur ce coup, ça m'arrange bien, alors je ne vais sûrement pas la contredire ! Enfin, sauf quand elle en vient à se servir de ce qui semblait à la base être un compliment pour finalement me clasher.

- "Oh, c'est pour ça que t'étais pressée de me voir retourner dans ma chambre ce matin ? Ok, je ferais gaffe à l'heure la prochaine fois que je viendrais te parler !"

Un sourire amusé, ce n'est évidemment pas le genre de remarque qui risque de me faire péter les plombs. Surtout quand c'est balancé avec cette désinvolture. Ouais, peut-être que venant de quelqu'un d'autre, ça aurait pu m'agacer, mais ce n'est pas le cas, alors tout va bien ! En plus de ça, je dois admettre que le petit spectacle de vaisselle version comte de fée est assez impressionnant.

- "Bien sûr que j'suis prêt ! Vas y, j'te suis !"

Parce que je n'ai toujours pas la moindre idée de la façon dont elle peut s'occuper quand elle ne lit pas simplement dans sa chambre ou à la bibliothèque. Ou lorsqu'elle n'a pas quelque chose d'important à écrire dans son journal intime. Bien sûr que ça m'intrigue ! Sans compter qu'en fonction de ce qu'elle me montrera, il faudra bien que je réussisse à m'adapter pour la suite du programme que j'ai en tête !

Alors comme convenu, je suis la demoiselle, sans avoir la moindre idée de l'endroit où elle compte nous emmener. Ah, on s'arrête là ? Par terre ? Bon, je ne vais pas faire le difficile hein, alors je m'assois à côté d'Afya qui est devenue bien silencieuse. Je ne savais pas qu'elle avait un tel sens du suspens ! C'est à cause de lire trop de bouquins ça j'suis sûr ! Mais je ne suis pas au bout de mes surprises, puisque très rapidement, des gamins commencent à se ramener, visiblement très sûrs d'eux et parfaitement habitués à ce petit rituel. Bon, si je voulais bien jouer le jeu de la surprise jusque là, toute cette scène m'empêche de garder le silence. Je me penche donc un peu plus vers Afya pour lui murmurer mes interrogations.

- "Hum, tu serais pas en train d'essayer de me faire comprendre qu'en plus de ton taff du matin, tu fais la baby sitter le soir pour toute une tribu de gosses ? Parce que ça, c'est au moins aussi épuisant qu'un marathon !"

Parce qu'on dirait qu'ils arrivent en flot continue !! J'ai déjà dit que je n'aime pas particulièrement les mioches ? Bah voilà, pour ceux qui ne le savent pas encore, tous ces chiards ont tendance à me foutre les nerfs en pelote. Et l'effet n'en est qu’exponentiel quand ils se retrouvent en bande de la sorte !!

- "Même si je dois reconnaitre que ceux là ont l'air particulièrement calmes... Il y a un truc dans l'air c'est ça ?"

Pourtant non, Afya est Eau... Bon, j'imagine que j'aurais mes réponses rapidement non ? On ne va quand même pas se retrouver avec l'intégralité des enfants de l'Institut ? Si ?

Elle lui sourit avec douceur… Il pouvait venir lui parler à n’importe quelle heure, cela ne l’ennuyait pas… Le savait-il ? Bien sûr que non. En refermant la porte derrière elle, elle lui dit.

« Peu importe l’heure, si tu as besoin de parler il n’y a pas de souci. Tu sais où je vis. »

Elle l’appréciait, mais concrètement il était nouveau à Terrae. Elle savait que la solitude gagnait souvent les nouveaux arrivants, souvent moins qu’elle n’avait eu d’emprise sur la timide qu’elle était. Elle s’amusa à imaginer qui elle serait si elle avait été feu, mais n’y arriva pas même en s’aidant de son pouvoir. Elle n’aurait jamais pu rejoindre cette affinité… Si ? Elle sentit un instant de flottement alors qu’elle s’asseyait dans la pelouse.

L’homme lui fit part de ses inquiétude, et elle ne put retenir un petit rire. Il avait l’air tellement perdu ! Le rire se tut mais ses orbes continuèrent à sourire.

« Et si tu attendais encore une minute ou deux pour le découvrir ? »

Son regard fit le tour des têtes blondes, souvent brunes ou rousses d’ailleurs. Elle ne connaissait pas le nom de tous, mais elle connaissait chacun de leurs visages. Elle les avait fait rire souvent, émus parfois, rêver toujours. Elle savait qui manquait à l’appel, et elle attendit un peu plus qu’un petit garçon brun aux boucles épaisses s’assoit en retrait. Ils étaient tous là. Quand à elle ce n’était pas la première fois qu’elle ramenait un ami… Parfois elle était venue avec Asbjorn. Quand les yeux furent tant ouvert que les oreilles elle commença son récit non sans un sourire en coin pour Tiago qui se retrouvait propulsé dans son univers. Elle se racla la gorge et le silence se fit.

« Il n’y pas si longtemps, dans un pays pas si lointain vivait un pirate. Chaque matin il se levait, sortait de sa cabine et avec sa grande vue regardait l’horizon. C’était un pirate un peu particulier… Car il ne voguait pas sur l’océan mais sur un lac immense. Il n’avait pas d’équipage et aimait pêcher… Certains d’entre vous pourraient croire qu’il n’était pas un pirate, mais sa jambe de bois et son trésor clamaient le contraire, je vais vous raconter comment un jour il visita la lune... »

Elle narra ainsi l’histoire de ce petit pirate qui partait explorer l’espace. Les mots étaient simples, accessibles aux enfants, les rebondissements multiples… Mais très sincèrement ? qu’importe l’histoire, c’était le moment qui était magique, au dessus de la jeune femme des petits personnages vaporeux s’élevaient et jouaient l’histoire qu’elle racontait. Elle s’était améliorée depuis la truite de cet été… Puis l’histoire prit fin et la voix de la jeune fille se tût assez longtemps pour que les enfants savourent ses derniers mots. Elle était moins fatiguée que lors de ses premières représentations, mais elle se sentait plus lourde que lorsqu’elle s’était assise.

C'est vrai, maintenant je sais où elle vit. Le  problème, c'est que je ne suis pas le genre de personne qui "vient parler" sans une avoir une idée derrière la tête. Et encore moins lorsque le sujet de discussion doit se centrer sur moi et mes éventuels problèmes. Alors je me contente d'un sourire en hochant la tête. Ça ne sert à rien que je lui promette quelque chose qui n'arrivera probablement jamais.

En tout cas pour la suite, on peut dire qu'elle a l'air de savoir ce qu'elle fait. Ce n'est plus la Afya dans la lune et qui manque d'assurrance que j'ai face à moi, mais une jeune femme posée bien décidée à poursuivre son idée jusqu'au bout. Eh bien, s'il ne me reste plus qu'à patienter... On ne peut pas dire que ce soit mon point fort mais ok, voyons voir pourquoi est-ce que des mioches continuent à se pointer comme si elle s'apprêtait à leur distribuer des bonbons.

Et je dois reconnaitre être plutôt étonné. Ce ne sont pas des bonbons qu'elle distribue, mais des histoires. Des histoires animées en plus de ça. Ah ouais, alors je ne m'y attendais pas du tout ! Même si je dois reconnaitre que ça colle plutôt bien à ce que je sais de la demoiselle. Alors comme promis, je me contente du rôle de spectateur, ne voulant pas la gêner dans cette représentation. Je dois reconnaitre qu'elle est plutôt douée pour capter l'attention de tous ces gosses. Intéressant. Parce que ça la rend encore plus innocente. Et donc encore plus idéale pour assurer la transition de certaines marchandises.

Je n'écoute peut-être pas avec attention l'intégralité de son histoire, réfléchissant plutôt à la meilleure façon d'aborder ce qui m'intéresse. Bah, j'ai passé l'âge des histoires avant d'aller me coucher. Pourtant, quand la conclusion de l'histoire arrive, je ne prend pas immédiatement la parole, laissant le silence se prolonger, tous ces enfants encore visiblement emportés par la magie de l'instant. Ce n'est qu'après plusieurs secondes que je finis par étirer mes jambes jusqu'alors recourbées en tailleur, tout en me laissant retomber en arrière, en appui sur les coudes.

- "Ok, je dois reconnaitre que je ne m'attendais pas à ça. Tu es vraiment douée pour les histoires. Ça fait longtemps que tu proposes ce genre de... Spectacle ? D'ailleurs, j'imagine que ça ne fait pas partie des tâches pour lesquelles l'Institut te rémunère ?"

Et ce ne sont sûrement pas ces petits ingrats qui doivent avoir de quoi payer ! Regardez les profiter de ce qui leur est offert, avec leurs grands yeux émerveillés, sans même se rendre compte de l'implication que ça demande à celle qui leur accorde cette faveur !

Lorsqu’il parle c’est comme si le signal avait été donné, les rumeurs naissent à nouveau. Certains enfants parlent de l’histoire entre eux, d’autres se lèvent juste pour aller se coucher. Le charme est rompu, et le temps reprend sa course. Afya redevient une jeune femme timide, fini l’avant de la scène, quelque-chose dans son attitude change, se ternit, se ferme. Elle sourit pourtant au feu, sans doute un peu étonnée de sa question. Elle offrait des histoires, elles n’avaient pas de valeur pécuniaire.

« J’ai du recommencer à conter il y a un peu plus d’un an, mais je n’arrivais pas alors systématiquement à utiliser des personnages vaporeux. »

Elle ne répondit pas à la question sur sa rémunération tant la réponse était évidente. Elle se frotta les yeux pour en chasser les quelques poussières de fatigues qui y régnaient et se donner un peu de vigueur. Ce n’était pas chose facile car si Tiago ne l’avait pas suivie, elle avait presque l’impression d’avoir couru un marathon.

« Voilà tu sais tout de mes occupations. »

Elle travaillait, écrivait, allait au club de lecture et parfois à celui d’écriture, sortait avec ses amis et racontaient des contes. Elle avait une vie simple, et bien rangée à des lieux de celles qu’elle prêtait au jeune homme qui rentrait chaque matin à l’aube. Elle ne le jugeait pas, enfin pas trop, elle se demandait simplement comment il pouvait tenir et si c’était au final très viable comme rythme.

« Enfin… Pas tout à fait ! » elle sourit et se força à se lever.

La pose nonchalante du jeune homme n’avait pas sur elle les mêmes effets que sur ses proies habituelles. Elle n’en était pas le moins émoustillée, ce qui ne faciliterait pas les choses au feu dans ces négociations. Elle se releva et s’étira, chassant définitivement les prémices de la fatigue qui l’emporteraient dans les bras de Morphée. Elle lui tendit la main pour l’aider à se relever.

« Tuas encore un peu d'énergie ? »

Je hoche simplement la tête quand Afya m'explique avoir repris cette activité relativement récemment. Donc, elle racontait déjà des histoires aux enfants bien avant. Et a trouvé un moyen d'agrémenté ses paroles à l'aide de son pouvoir d'eau. Tout ce que je peux apprendre sur la demoiselle converge vers la même conclusion. C'est seulement une gentille fille et l'argent ne parait pas être un sujet qui la fait particulièrement réagir. Il va donc falloir que j'aborde la question sous un autre angle.

Mais Afya enchaine vite en me disant qu'il y a finalement quelque chose la concernant qu'elle pourrait me révéler. Un regard interrogateur à l'attention de la jeune femme, bien sûr que ça m'intéresse ! Même si ça signifie probablement encore bouger. Ouais, ce serait vachement plus simple de seulement rester étalé ainsi, suffisamment proche de la demoiselle pour tenter une approche "business", mais on dirait bien que les choses vont être encore plus complexes que ce que je n'avais déjà envisagé. Heureusement que j'aime les challenges.

- "Ahah, bien sûr que j'ai encore de l'énergie ! C'est pas moi qui vient de passer une heure à animer des personnages à la seule aide de la magie !"

Bien sûr que j'imagine facilement la concentration nécessaire pour parvenir à faire ce qu'elle vient de faire. Et il n'est pas question que je passe pour un faible ! De toute façon, je suis habitué à des soirées bien plus épuisantes, alors quoi qu'elle ait en tête, je ne compte pas rester à l'arrière ! Je me redresse donc, attrapant la main tendue par Afya plus par politesse que pour réellement m'en aider pour me relever, puis époussette mes fringues au passage pour les débarrasser des brins d'herbe qui auraient pu venir s'y coller.

- "Tu as dis que tu as recommencé à conter des histoires récemment, ça veut dire que tu faisais déjà ça avant ? C'est déplacé si je te demande d'où ça te vient cette... Passion ? Parce que c'est la première fois que je te voyais aussi à l'aise ! S'il y avait un pouvoir qui permettait d'échanger de corps, j'aurais presque pu croire que ce n'était pas la Afya que je connais qui captivait ainsi tous ces enfants !"

Il faut reconnaitre qu'elle est très surprenante ce soir ! Et donc bien plus intéressante que celle que je pensais qu'elle était. En revanche, toujours pas le moindre signe de vice à l'horizon. Je n'ai pas vraiment l'habitude des gens aussi innocents.

En effet ce n’est pas lui qui vient de conter une histoire aux enfants de Terrae, mais ce n’est pas grave. Bien qu’un peu lasse Afya a l’habitude maintenant. Les premières fois elle était complètement épuisée, Asbjorn avait du l’aider à retourner se coucher. Ce qui n’avait pas été de tout repos, mais avait scellé une amitié et une confiance entre les deux jeunes gens. Une fois relevée elle regarde Tiago se désherber avec plus de vigueur qu’elle ne l’a fait elle-même, elle sait qu’elle retrouvera des brins d’herbes sur ses vêtements quoi qu’elle fasse, bien que ce soit plus certainement des petites boules crochues qui se seront attachés au textile de ses vêtements pour qu’elle les porte un peu plus loin où elles pourraient germer en paix.

« Ma sœur jumelle a toujours été très timide, elle avait peur de tout, alors j’ai commencé à conter le monde pour qu’il lui soit plus acceptable. Puis avec le temps j’ai pris de plus en plus de plaisir à le faire, j’adore voir les regard captivés des petits, alors je m’applique... »

Elle se tait, un instant celui d’une pensée, d’une réflexion que le silence porte à ses lèvres.

« Tu penses vraiment que je suis différente quand je raconte ? »

Elle n’avait personnellement pas cette sensation. Elle se sentait certes toujours un peu plus proche de celle qu’elle voulait être lorsque elle contait une histoire. Un peu plus ouverte aux autres qu’elle ne réussissait à l’être au quotidien. C’était sans doute plus facile en cela qu’elle maitrisait tout ce qu’il se passait alors.

Elle entraîna le blandinet à l’extérieur des jardins de Terrae. Bientôt ils longèrent la forêt. Elle lui jeta un regard taquin :

« J’espère que tu n’as pas peur du noir ! » dit-elle avant de s’y enfoncer. Elle voulait arriver à la cloture cerclant Terrae, il y avait un endroit où une rue entre deux maisons dévoilait une vue sur les grattes-ciel tokyoïtes. De jour la vue était banale, mais de nuit elle était appréciable avec toutes les lumières qui les illuminaient.

Honnêtement ? Ça me fait plaisir que Afya me livre ce genre de détail sur sa vie. Une sœur jumelle donc ? Ce n'est pas commun. Et, d'après les rumeurs, la relation qui uni ces deux personnes est toute particulière et impossible à imaginer pour toute personne née seule. Et jusqu'à preuve du contraire, je n'ai jamais croisé de seconde Afya à Terrae. A moins que je ne me sois fait avoir par une ressemblance physique prononcée ? Pourtant, vu la façon dont elle en parle, on dirait bien que les sœurs ne sont pas réunies. Ce passé employé pour en parler ne m'incite d'ailleurs pas à poser davantage de question à ce sujet.

Je me contente donc de hocher la tête, un léger sourire en accompagnement, lorsque la demoiselle me fait part de son scepticisme quant à un potentiel changement avec son rôle de conteuse.

- "Eh bien, je ne te connais sûrement pas encore très bien, mais ce qui est sûr, c'est que tu étais bien différente de la jeune fille que j'ai rencontré il y a quelques mois. Et, ça te va bien aussi, d'être comme ça."

En tout cas, elle semble avoir de la suite dans les idées et n'a pas l'intention d'en rester là. La voilà qui en plus se permet d'insinuer que je puisse avoir une peur aussi ridicule que celle du noir ! Non, je ne risque pas de m'énerver pour si peu. Enfin, pas en venant d'Afya en tout cas. Ça me fait seulement sourire de la voir si à l'aise.

- "Je ne passerais pas mes nuits dehors si c'était le cas. Et j'crois que je méfierais plus des bestioles qui doivent vivre là dedans que de l'absence de lumière au beau milieu de tous ces arbres."

Bah, j'suis un mec des villes moi ok ? C'est vrai que le tout terrain ce n'est pas franchement mon lieu de prédilection. Mais j'ai bien assez confiance en mes compétences pour savoir qu'au moindre contact d'origine inconnue, je suis parfaitement capable de passer en mode man vs wild ! Bah, j'ai beau avoir toujours préféré les plages de sable fin, j'ai aussi pratiqué la forêt amazonienne.

- "Et fait gaffe où tu mets les pieds. Y a vachement de racines dans le coin. Et ça me ferait chier que tu t'blesses."

Ouais, je sais, Afya paraitrait sûrement plus à l'aise que moi ici s'il y avait un peu plus d'éclairage pour nous voir progresser. Et, peut-être que je prononce cette recommandation exactement au moment où je manque de trébucher à cause d'un énième piège qui se dresse sur ma route ! Histoire de faire comme si je maîtrisais. Putain, je vais vraiment finir par m'étaler à ce rythme. Je ralentis très légèrement, levant bien les pieds tout en m'assurant de l'endroit où je les pose à chaque nouveau pas.

Évidemment, je pourrais seulement utiliser la fonction lampe torche de mon téléphone. Mais le rendu serait probablement différent. Et puis j'ai bien dit ne pas avoir peur du noir, alors bien sûr que je vais continuer à avancer dans les conditions que la miss a l'habitude de pratiquer ! Ce qui ne m'empêche pas d'étouffer un juron quand ma main droite s'agrippe dans un amas de tiges épineuses que je n'avais pas anticipée, mon élan laissant quelques bouts de peau sur place alors que des picotements commencent à me signifier que cette forêt n'a pas l'intention de me laisser m'en sortir parfaitement indemne.

- "Donc, parcourir les sous bois de nuit, ça fait aussi partie de tes passes temps... ?"

Légèrement sceptique, je dois bien reconnaitre ne pas réussir à voir exactement où est-ce que tout ça nous mène.

Bien évidemment qu’elle était différente quand elle racontait. Elle n’était plus Afya, elle était la conteuse. La conteuse n’avait pas d’existence, elle était un navire portant son récit. Peu importait quelles avaient été les escales précédentes tant qu’elle arrivait à bon port avec sa cargaison. On ne regardait pas vraiment ses voiles, son mat quelque peu abîmé. Quand elle voguait sous la bise on ne lisait que sa trajectoire, seules ses voiles attiraient le regard. Elle pouvait être autre, elle pouvait être plus.

« Merci. »

Pour le compliment que n’était certes pas le fond de la phrase mais qui venait avec. Elle lui offrit un sourire apaisant.

« Tu sais on est au milieu de la ville malgré les apparences, la seule chose que l’on peut croiser d’impressionnant ce sont des morphes un peu alcoolisés, mais il y en a plus dans le dortoir des eaux. » nouveau sourire, avalé par la nuit.

Elle l’entend manquer de tomber après ses réflexions, si elle lui proposait son bras peut-être qu’il le refurait. Non, il le refuserait elle vient de le voir. Les hommes sont bien trop compliqués, elle soupire.

« Tu as raison, tu me retiens si je tombe ? »

Et le contraire serait tout aussi vrai il faut l’avouer. C’est la meilleure façon de faire. Elle cherche la main du garçon dans le noir. Rien de sensuel, bien que le quiproquo plane peut-être. Il faut avouer qu’elle aime bien Tiago, mais qu’elle n’envisage pas un instant qu’il se passe quoi que ce soit entre eux. Elle ne prend même pas le temps de vérifier, certaines choses n’arrivent pas. C’est tout.

« Oui, enfin, j’aime bien l’été c’est agréable comme lieux il y fait frais. On est presque arrivés. Fermes les yeux j’te guide. »

Elle l’entraine sur quelques pas, quand le dernier arbre s’efface la vue se libère et enfin les lumières de Tokyo par delà du grillage.

« Tadam ! » dit elle en lâchant sa main quand il fut stable sur ses jambes.