La remarque de Mme Zhang – ma belle-mère – manque de me faire m'empourprer et j'incline légèrement la tête pour acquiescer, même si je n'ose pas vraiment répondre.

—En effet, je commence en mandarin, avant de reprendre en anglais. Je débute dans mon apprentissage du mandarin, cependant...

Oui, je débute même vraiment beaucoup, on ne peut pas dire que je maîtrise plus que les bases. Et le coup de stress que me met le fait de parler à la mère d'Huo m'empêche de m'exprimer comme je le souhaiterais. Au moins, je comprends parfaitement ce qu'elle me dit grâce à ma puce, ce qui est un avantage certain. Ca évitera les incompréhensions, au moins de mon côté. Et si problème il y a, Huo m’aidera à rattraper mes bourdes. Je lui fais confiance pour ça…

Huo nous sert le thé et je souris faiblement à ses mots, le remerciant doucement. Je n'ai pas l'impression d'en faire tant que ça, au contraire ; gros bêta.

—C'est vrai, j'acquiesce avec un rire contenu. Son japonais est bien meilleur que mon anglais.

Et j'exagère à peine. J'ai bien progressé, mais c'est aussi à force de travailler sur le terrain avec des gens qui ne comprennent pas le japonais. Autant pour les comprendre eux, pas de problème ; pour me faire comprendre moi, bonjour l'enfer.

Je sens que la conversation va pas être super facile vu leurs niveaux respectifs. Heureusement que Aoi a sa puce. Au pire je ferai la traduction pour ma mère. Je ne sais pas bien où est son niveau d'anglais mais elle se débrouillait pas trop mal.

— J'ai plus d'occasions de pratiquer aussi, avec tous les japonais à l'institut. Et puis ton anglais est pas si mal.

Je sirote doucement mon thé. Finalement j'angoissais pour rien. Ma mère a l'air de se détendre lentement au fur et à mesure de la conversation.

— Le père d'Huo a toujours tenu à ce que je puisse me débrouiller en anglais. J'étais secrétaire quand j'étais jeune.

Sa prononciation est beaucoup plus accentuée que la mienne mais c'est surtout l'allusion à mon père qui me fait me crisper. J'aurais vraiment préféré éviter de parler de lui. Même si c'est pour un truc aussi banal que mon aisance en langues.

Mon anglais pas si mal... J'ai vu ton regard un peu inquiet quand on a commencé à parler, chéri, hmpf. Je retiens un sourire en coin à sa remarque et acquiesce vaguement. Pas sûre que sa mère apprécie que je réplique face à son fils comme ça alors qu'ils viennent de se retrouver ; j'ai cru comprendre que ses parents étaient assez traditionnels dans le genre. Et sa stature et son port droit m'empêche clairement d'être détendue.

Alors lentement, j'acquiesce.

—Vous étiez secrétaire ? Dans quel domaine, si ce n'est pas indiscret ? je lui renvoie avec un sourire, cherchant à m'intéresser à elle.

À côté, Huo semble un peu tendu. Compréhensible. Peut-être qu'en faisant la discussion, ça ira tout seul ?

Dire qu'il aura fallu une conversation avec ma mère pour qu'elle évite de se déprécier... Le monde à l'envers vraiment. Même si je vois très bien qu'elle en pense pas moins. Puis c'est vrai qu'elle se débrouille pas si mal, en plus. Elle sera jamais bilingue mais c'est pas le but. Tant qu'on peut communiquer correctement, c'est déjà bien.

— Oh, pour une entreprise dans le domaine du numérique de l'époque. Enfin à ce moment, c'était loin de ce qu'on fabrique aujourd'hui. J'ai arrêté après la naissance d'Huo. C'était plus simple.

Par pitié, ne dis rien, Maman, pitié, ne-

— Et vous, d'ailleurs ? Vous avez prévu d'en avoir quand ?
— Maman !

Je le savais. Ça pouvait pas durer, elle allait forcément en parler. Arg. Sauvez moi de cet enfer. Non, je suis pas rouge ! C'est mon teint naturel !

Un demi sourire à la mention de son travail de l'époque. J'acquiesce lentement, même si je me retiens de dire que c'est dommage de ne pas avoir continué malgré tout. Au Japon aussi, on attend encore des femmes d'être des personnes dévouées pour leur foyer, et donc femmes au foyer. Rien que dans le domaine de la médecine, les femmes sont moins bien notées afin de favoriser les hommes, qui n'auront pas à partir en congé maternité. C'est intolérable... Mais c'est malheureusement notre monde.

Je souhaite donc répondre lorsqu'elle pose la question la plus incongrue du monde. Je cligne des yeux, un peu surprise et mal à l'aise.

—D'avoir quoi...? Du... travail ?

Non parce que je travaille déjà ! Enfin, je n'ai pas fini mes études, certes, donc c'est vrai qu'il faudra attendre l'année prochaine, et... Et... Il y a un petit blanc qui me perturbe, là.

Quoi. Quoi. Qu'est-ce que j'ai encore dit. Je regarde Huo qui se facepalm presque, il a changé quatre fois de teinte de visage. Sa maman. Qui perd quelque peu son expression mi-affable, pour me répondre sur un ton doux mais qui me fait clairement passer pour une abrutie :

—Non, des enfants.

Ah.
AH.
Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhhhhhhhhlors.
Je regarde à nouveau Huo. Sa maman. Huo. Ma tasse. Je bois bois mon thé, alors que mon visage passe au cramoisi.

MAIS SERIEUX. MAIS SERIEUX. VOUS ETES LÀ DEPUIS CINQ MINUTES MADAME. VOUS ABUSEZ UN PEU MADAME.
Je repose ma tasse maladroitement (j'ai failli m'étouffer en buvant, coucou). J'ai l'impression que je vais mourir, au secours. Je suis pas venue ici pour ça ok.

—Hm, euh, comment dire. Peut-être.

Est-ce qu'on peut vraiment répondre par oui, non ou peut-être à cette question, en fait ? Non ? NON. ON NE PEUT PAS. MAIS JE L'AI FAIT.
J'ai besoin d'un saké. J'ai vraiment besoin d'un saké.

C'est presque drôle de voir à quel point Aoi est pas du tout dans la même réflexion quand même. Non, parce que- Comment dire que je l'ai senti arriver gros comme une maison mais qu'elle a rien vu venir. C'est dire à quel point elle est pas vraiment dans cette optique.

Puis sérieux ?! C'est quoi ce ton, là Maman ? On dirait que tu t'adresses à une gamine de 10 ans. Vous la sentez ma facepalm ? Non parce que je peux la faire aussi. Pourquoi moi ?! Bouddha, qu'est-ce que je t'ai fait ? Vous me direz maintenant Aoi et moi on est assortis niveau couleur de visage. Faut voir le positif. Arg.

— Maman, ça te regarde pas, je réponds un peu sèchement en essayant de me reprendre.
— Comment ça ? C'est de mes futurs petits enfants qu'il s'agit quand même.

Je serre les dents et soupire lourdement. Elle a l'air presque indignée et je me souviens que non même ma mère est pas si progressiste malgré son envie de me revoir.

— C'est quand même pas tes affaires. Qu'on veuille des enfants ou pas, c'est notre problème.

Je prends doucement la main d'Aoi dans la mienne sous la table.

— Je voulais te présenter ma fiancée, pas subir un interrogatoire sur notre vie de couple. S'il te plait.

Je la vois qui soupire doucement et reprend un peu de thé.

— Très bien. Excusez moi.

Joie... Maintenant elle est vexée, il manquait plus que ça.

Cette ambiance est horrible. Et Huo est tout de suite un peu agressif avec sa mère, ça me met un peu mal à l'aise. Je sais qu'il ne voulait pas qu'elle évoque de sujet compliqué, et j'admets que j'aurais préféré que ça vienne pas sur le tapis là, maintenant, tout de suite, lors de la première rencontre ; mais. Quand même. On vient d'arriver madame-...

Inspiration maladroite, je serre doucement la main d'Huo dans la mienne. Faut vraiment qu'il se calme un peu, il est en train de la vexer. Elle aussi doit être un peu déçue de le voir réagir comme ça. Quelque part, je la comprends...

—Ce n'est pas contre vous, on n'en a juste... Pas... Discuté...

Echange de regard avec Huo. Je le fuis immédiatement. Je n'ai vraiment pas envie de parler de ça, actuellement. Essayer de trouver un autre sujet, un autre sujet... Ce silence est effrayant, au secours.

—Est-ce que ça vous dirait d'aller faire un petit tour après ? je demande, en essayant de retrouver un semblant de calme. Je ne suis jamais venue à Hong-Kong... Est-ce qu'il y a des endroits que vous nous conseilleriez de voir ?

C'est sorti tout seul, mais rester assis dans le café, c'est très très malaisant, en fait. Et je me vois mal parler cuisine avec elle, elle serait capable de dire que je suis pas une bonne femme si je sais pas cuisiner pour mon futur mari et mes futurs très nombreux enfants, tsk.

Il faut que je me calme un peu. Ca sert à rien de partir dans une attitude agressive comme ça. Je sais pourquoi elle demande ce genre de chose et ça part d'une bonne intention. C'est juste- Pourquoi elle était obligée d'amener ça sur la table ? C'est déjà un sujet sensible entre nous et j'ai pas très envie qu'on parte là dessus pour en discuter. Bref. Mauvais plan.

— Se promener dans Kow Loon est toujours agréable. Il y a une très jolie promenade au bord de l'eau.

Je retient une quinte de toux gênée. Non ? Genre. Non c'est pas une bonne idée maman.

— On pourrait aller à Sheung Wan sinon. C'est le quartier plus traditionnel. Il y a des temples aussi. Il faut prendre une navette ou un pont comme c'est sur l'île principale.

Puis j'ai un peu moins de risque de me faire reconnaitre là bas. Avec les lunettes et la casquette, ça passe. J'aurais vraiment du me faire une teinture temporaire avant de partir.

— Oui, c'est très joli, ils ont de belles boutiques là bas. Huo vous a déjà fait essayé un peu la cuisine chinoise ?

Bien, Huo se calme tout doucement. La tension baisse quelque peu, mais ne disparaît pas totalement ; c'est un peu gênant, là... Je soupire néanmoins, rassurée d'avoir réussi à mettre un autre sujet sur le tapis sans aggraver les choses. Bon, jusqu'au moment où sa maman parle de Kow Loon. Ouiii, on va éviter quand même, hein, il est peut-être encore recherché, là-bas... C'est pas comme s'il avait un peu tué son ancien boss et qu'il était dans le viseur d'une partie de la mafia Hong-Kongaise, non plus, non non. Il se rattrape bien, cela étant. J'acquiesce vivement à la mention du quartier traditionnel ; je lui ai montré celui de Kyoto lorsque nous sommes allés voir ma mère, il y a quelques années. C'est drôle comme certaines choses font écho. Je souris.

—Oh, ça me paraît être une excellente idée ! (Même sa mère approuve, yes. Bon point !) Oui, tout à fait. Il m'apprend aussi à la cuisiner !

Ce que je ne dis pas, c'est qu'il m'apprend à cuisiner tout court, grumblr. Au moins, je m'en sors mieux maintenant. Et sans brûler la cuisine, s'il vous plaît ! Grande avancée.

—Mais je suis sûre qu'il a encore beaucoup de choses à m'apprendre, je souris encore, lui jetant un regard doux.

J'espère vraiment très fort que le fait d'être venu par téléportation diminue mes chances de me faire reconnaitre. Enfin, depuis la dernière fois que je suis venue - ahem - ça fait plusieurs années. Je doute qu'il y ait grand monde qui se souvienne bien de moi. Je suis quand même très heureux que mes parents n'aient jamais su pour mes activités vraiment louches. Avant que je parte de la maison, j'en était pas à plus que de la délinquance juvénile. Après ça... Je doute qu'ils l'auraient su.

— Tu te débrouilles déjà très bien en cuisine, je la taquine.

Oui, bon, je cherche un peu la petite bête. Mais en même temps, je sais qu'elle y a pensé. Un jour, j'vais rentrer d'une mission et on aura une nouvelle gazinière et je devrai essayer de ne pas le remarquer. Elle en serait capable.

— Il faudra vous faire goûter les spécialités locales alors. Hong Kong est un très bon endroit pour manger des fruits de mer.
— Ce soir peut-être. Si on a le temps avant de repartir, on pourrait aller manger au restaurant.

Maman acquiesce avant de terminer son thé.

— Je suis contente de pouvoir vous rencontrer en tout cas, Aoi. Huo m'a parlé de vous dans ses lettres et ça me fait plaisir de savoir que vous êtes là pour lui.

Maman… Je suis là, pitié ne parle pas de ça comme si j'étais encore un délinquant des rues. Je roule des yeux doucement. Franchement, je suis content qu'elle s'habitue à Aoi mais là elle en fait peut-être un peu trop.

Me débrouiller très bien en cuisine ? On en reparle quand j'arriverai à ne pas faire brûler ce que je prépare minimum une fois par mois. Il y a du progrès comparé à une époque, mais ce n'est clairement pas suffisant ! (Ce n'est pas de ma faute, je m'endors régulièrement en attendant que la viande cuise ; elle finit carbonisée... Je suis une personne fatiguée !) Je retiens un rougissement et lui mets un coup de pied discret sous la table, sans retenir un léger rire.

J'acquiesce à la proposition de sa mère ; ça me ferait plaisir de passer un peu plus de temps ici. D'autant qu'on n'a rien de prévu pour ce soir, autant rentabiliser le voyage jusqu'ici. Même si on se déplace par cristal de téléportation, ce serait dommage de ne pas en profiter. Passer la nuit ici est dangereux, mais une après midi et une soirée, ça me semble relativement intéressant.

—Bonne idée, je souris.

Pour le coup, je ne propose pas à sa mère de manger avec nous ; je ne pense pas qu'Huo le vivrait bien. Déjà, ils communiquent approximativement, c'est pas mal...

Alors je retourne à mon thé, je manque de m'étouffer à nouveau avec. Bon rattrapage, ça passe totalement inaperçu.

—Oh, merci... Moi de même, Madame Zhang. Ça compte pour lui, alors ça compte pour moi aussi. Je suis contente de vous rencontrer aussi. (J'ai une moue gênée qui devrait à peu près ressembler à un sourire.) Vous savez, lui aussi a été très présent pour moi, malgré mes études prenantes. C'est important de se soutenir mutuellement.

On a mis du temps à le comprendre, lui et moi. Maintenant, ça va mieux. On a mis les choses au clair, on se parle, on s'exprime. Même si parler de mes émotions avec sa mère est compliqué, je sais que c'est aussi à cause de son attitude si rigide. Je comprends qu'il ait du mal à lui parler... mais il a le droit de communiquer avec, hein ? Je ne vais pas faire la conversation toute seule !! Mon regard rejoint celui d'Huo en coin. Allez, lis dans ma tête, parle à ta maman, espèce d'enfant.

L'idée d'aller faire un tour avec Aoi pour manger du crabe ou une soupe à Sheung Wan me séduit beaucoup, je dois avouer. Je risque moins de croiser d'anciennes connaissances là bas et j'ai aussi envie de lui faire visiter la ville. C'est un joli quartier, il y a quelques temples et même si c'est un peu touristique les bâtiments plus traditionnels dans l'esprit sont jolis à voir.

Je retiens un roulement d'yeux quand Maman y va de sa petite remarque. C'est pas super subtil mais j'suis content de voir qu'elle fait un effort. Et Aoi a l'air d'accord. Et je vois très bien le message pas du tout caché. Je suis bien dans mon déni de non communication familiale ma chérie, laisse moi.

— Je suis contente que vous soyez aussi unis alors.

Je souris doucement et je sens qu'elle se détend un peu. J'acquiesce et le coin de ses lèvres se relève.

— Ça n'a pas été facile tous les jours, j'admets. Mais on s'aime tous les deux. Ça vaut largement tous les efforts qu'on y met.

Je rougis un peu, embarrassé. J'ai pas pour habitude de parler de ça avec elle mais je vois bien qu'elle a aussi envie d'en savoir plus. Je soupire doucement.

— Je sais que je-

Je me mordille la lèvre, gêné, avant de continuer plus bas en mandarin.

— J'ai pas été un enfant facile. Mais tu m'as bien éduqué. C'est aussi grâce à ça que je suis comme je suis aujourd'hui.

Elle hoche la tête doucement, les yeux un peu brillants avant de finir sa tasse de thé.

— Tant que tu es heureux, je suis contente, Huo. Merci de me l'avoir dit.

Parfois je regrette un peu la culture chinoise de mes parents, cette retenue et cette droiture qui fait qu'ils ne m'ont jamais trop dit les choses clairement. Pas maintenant.

Parfois, je me dis que voir le comportement des parents de quelqu'un explique beaucoup l'évolution que cette personne a pu avoir. Lui s'est retrouvé étouffé, enfermé ; et je ne peux que le comprendre, face à cette femme qui l'aime sincèrement, mais qui n'exprime rien, et ne sait peut-être même pas comment l'exprimer. Ce sont des choses qui s'apprennent, qui se vivent ; et cela ne s'apprend pas tout seul. Il nous faut quelqu'un pour nous montrer : et quand toute ta société est aussi renfermée et pudique, ça ne facilite clairement pas les échanges.

Ca me rend un peu triste. Pour autant, on voit qu'elle tente de faire des efforts. Déjà, elle est ici ; elle le revoit après des années, et elle ne lui a encore fait aucun reproche sur son comportement passé. Alors les voir communiquer un peu, même si je sers beaucoup d'intermédiaire, ça compte aussi. J'espère juste que cela s'améliorera avec le temps, ça me rendrait trop triste qu'ils continuent à agir en parfaits étranger alors qu'il s'agit de sa propre mère...

Pendant qu'ils parlent, je bois encore un peu de thé. C'est fou comme boire du thé est une occupation intéressante !

D'un regard en coin, ainsi qu'un petit hochement de tête, je l'encourage lorsqu'il commence à s'exprimer. Allez, chéri. Tu peux le faire. Je suis là. Elle ne te mangera pas. Et si tu ne fais pas l'effort, elle ne le fera pas elle non plus. Est-ce que tu as envie que la discussion reste politiquement correcte jusqu'à la fin de l'entrevue, avec l'impression d'avoir passé un entretien d'embauche ? Parce que moi, non, pas vraiment.

Alors je ne dis rien, je leur laisse avoir ce moment pour eux. Lentement, je repose ma tasse. Je ne me lèverai pas pour les laisser seuls tout de suite. Pour le moment, je reste présente. Je crois qu'il en a besoin. S'ils veulent parler seul à seule, je les laisserai durant la visite. Ca me permettra d'explorer un peu !

Ça me fait sentir un soulagement intense. Je ne pensais pas que réussir à exprimer ce genre de choses pouvait me faire autant de bien. J'ai le cœur bien plus léger et la gorge un peu serrée mais c'est comme une libération.

Je suis lucide et je sais qu'on a pas tout réglé et il y a des choses dont on parlera peut-être jamais. Pourtant ça me suffit aussi de me dire qu'on réussit à communiquer même un peu sur nos sentiments. J'ai beaucoup d'amour pour ma mère même si ça s'est teinté de ressentiment et d'amertume avec le temps.

— J'aimerais qu'on se voit plus souvent ? Je peux pas revenir à Hong Kong trop souvent, c'est dangereux pour moi mais… Enfin, peut-être que tu pourrais venir à Tokyo une fois ?

Je la vois qui pince les lèvres.

— Huo, tu as encore des problèmes ? Je pensais que c'était fini tout ça.
— Ça l'est, je soupire. Mais certaines personnes ont la rancune tenace et je- Un jour je t'expliquerai.

Elle acquiesce lentement. Elle ne comprend pas vraiment de quoi je parle. Elle n'a jamais voulu trop entendre parler de mes conneries d'ado. Je peux la comprendre, elle n'a pas envie de savoir si j'étais vraiment une ordure pareille. Elle a raison.

— On devrait aller se promener. Il fait beau et ce sera plus agréable pour parler.

Le regard que je pose sur mon fiancé est doux. J'ai cette sensation de chaleur dans la poitrine, alors que je le vois se démener pour s'exprimer, pour que ça aille avec sa mère. Alors je l'encourage, sans rien dire, tout en espérant ne pas être de trop dans cette situation. Enfin, ce n'est pas moi qui le met le plus mal à l'aise, actuellement. Mais sa mère, sans doute que oui.

Aïe. Je pensais pas qu'elle réagirait comme ça après ce qu'il vient de lui dire. Il a fait des efforts, elle aurait pu ne pas- Calme-toi, ok. C'est pas le moment de monter au créneau, même si j'ai eu un léger mouvement vers l'avant pour le défendre. Mais il le fait très bien lui-même ; alors je respire simplement, et j'essaie de rester à ma place, sans trop pincer les lèvres. Mais clairement, cette remarque m'a énervée. Elle ne sait rien. Et pourtant, elle juge beaucoup. Ca m'agace un peu. Mais j'oublie que tout le monde n'est pas un être humain lambda, qui ne veut pas être mêlé à des histoires de mafiosi.

—Excellente idée ! je réponds presque immédiatement.

D'autant que notre théière est vide, à présent (à force de se jeter dessus pour faire genre "ohlala je veux pas parler", c'est sûr que ça aide à la finir rapidement). Et puis, clairement, j'ai besoin de me bouger les jambes, je ne tiens plus assise à cause du stress et de la colère accumulées.

Sa mère acquiesce, et nous ne tardons pas à nous lever. Silence un peu gêné alors qu'Huo paie l'addition au comptoir ; j'offre un sourire à Madame Zhang en attendant. On ne va pas dire que je la déteste, mais j'ai du mal à l'apprécier, je crois.

—On peut y aller ? je demande à Huo en japonais, par réflexe.