On se lève tranquillement et je vais au comptoir payer la note. Aoi me suis et je souris doucement à sa remarque en japonais. Je retiens un petit rire et prend sa main dans la mienne pour embrasser sa paume.

— Pressée ? Je la taquine en japonais.

J'aime l'idée d'avoir un peu ce langage pour nous ici même si je maitrise encore mal, c'est déjà suffisant pour des petits échanges.

— Merci d'être aussi patiente Princesse, j'ajoute. Je sais qu'elle n'est pas facile à aborder comme ça.

Le serveur me rend ma carte et nous rejoignons ma mère à l'entrée. Je soupire doucement en retrouvant le soleil avant de remettre ma casquette.

— Merci pour le thé.
— Il faut bien que je te prouve que je travaille maintenant, je taquine ma mère.

Elle a un sourire amusé mais ne relève pas. Je me tourne vers Aoi.

— Tu préfères marcher ? On peut prendre un bus ou un métro sinon.

Effectivement, je suis un peu pressée, monsieur Zhang. Cela étant, tu pourrais le comprendre, étant donné que ta discussion avec ta mère est particulièrement tendue, peu agréable et assez désolante à voir~ Hm, non, je ne lui dirai pas ça, il le prendrait mal. (Et je comprendrais.)

Haussement de sourcil de ma part, je le dévisage quelques secondes et remets une mèche de ses cheveux derrière son oreille.

—Toujours, je m'amuse. Pourquoi patiente ? Je ne fais rien à part boire du thé depuis tout à l'heure, elle n'est pas désagréable avec moi.

Cette fois, j'ai une demi moue. Est-ce que je lui dis ce que j'ai sur le coeur maintenant, ou est-ce que j'attends plus tard ? Je pense que c'est mieux d'en parler lorsque sa mère sera partie. On ne sait jamais, des fois qu'elle comprenne finalement le japonais et qu'elle surprenne notre conversation...

Nous retournons vers l'entrée du café et je souris à nouveau à Bao-Zi, quelque peu gênée de me retrouver à nouveau en sa présence. Ils me font rire, tous les deux, finalement. Se lever a du bon, l'ambiance est moins lourde.

—Tout me va. Et vous, Mme. Zhang ? Qu'est-ce qui vous plairait le mieux ? je demande poliment.

Je souris doucement au petit geste d'affection. On notera qu'aujourd'hui j'ai fait l'effort de me coiffer différemment. Genre j'ai laissé mes cheveux lachés normaux sans gel. Je sais qu'elle aime bien ça.

Elle aime moins ma mère par contre mais c'était à prévoir. Elle est un peu sèche en public aussi et le contact est un peu difficile. Je garde sa main dans la mienne et caresse le dos du pouce lentement.

— On en parlera tout à l'heure, je compromets gentiment.

Je ne veux pas qu'on s'engage là dedans maintenant mais j'ai conscience que la discussion est tendue. J'ai envie de renouer le contact et elle aussi mais il y a des incompréhensions. J'ai grandis, je suis adulte et j'ai changé et elle… Je ne sais pas de quelle façon elle me voit maintenant.

— Ce n'est pas si loin. Allons-y à pied.

J'acquiesce et je guide notre trio en prenant Aoi par la main.

— J'ai envie de te montrer le port, c'est très beau tu verras.
— La mer, ajoute maman avec un sourire. Vous avez ça pas trop loin au Japon ? Je sais que tu as toujours aimé avoir la mer pas loin.

Oui, tout à l'heure, cela semble un peu plus adéquat. Sa main dans la mienne, il ouvre la marche pour nous guider jusqu'au port. Pas très loin à pied, alors. Autant en profiter ; ça m'arrange un peu, à vrai dire. Marcher — ou bouger en règle générale — m'aide à me détendre. Un sourire s'étire sur mes lèvres alors que le vent nous amène l'odeur de la mer. Ca fait un petit moment, à nouveau. Tous les ans, c'est une joie de redécouvrir ces sons, ces odeurs, ces sensations uniques que nous offrent la mer pour nous guider jusqu'à elle.

Huo me parlait souvent du port. C'est l'un des plus beaux souvenirs qu'il a par ici, d'après ce qu'il m'en dit. Je sais que sa mère en fait aussi partie, mais il ne l'admettra pas forcément non plus. Les mauvais côtés ont tendance à prendre le pas sur les bons.

—Oui, tout à fait, je souris. Il faut prendre la voiture pour y aller, mais nous ne sommes pas si loin, à Tokyo. On se fait quelques sorties, de temps en temps. Huo aime bien prendre des photos.

J'aurais pu dire qu'on peut aussi y aller en volant, mais elle n'aurait sans doute pas compris… De mon côté, je me gorge des couleurs, de l'architecture, de l'agencement des lieux. Il y a beaucoup de monde, mais ça ne me gêne pas vraiment.

Reprendre le chemin du port m'emplis d'une sérénité presque conditionnée à ce stade. Les odeurs du vent salé et les bruits des vagues ont un effet apaisant et je me détends beaucoup plus que je l'étais jusqu'ici.

— Des photos ? Tu en fais encore ?
— Oui, bien sûr. Je t'en enverrai, si tu veux.
— Oui. J'aimerais bien.

J'acquiesce avec un sourire doux. Je vais même faire mieux que ça et lui envoyer un album, je pense. J'ai pris tellement de photos depuis mon arrivée à Terrae. Je pense que ça l'intéressera de voir les gens que j'ai croisé, le village… Sans y mettre de photos de pouvoirs pour le moment mais c'est aussi une manière de raconter.

— Je ne pensais pas que tu continuerais.

Je secoue la tête doucement.

— C'est toi qui m'a offert mon premier appareil.

Un petit numérique bas de gamme, à l'époque. Un de ceux qui prenaient des photos à retardement. Je dois l'avoir encore quelque part surement. A moins que je l'ai laissé à l'appart du gang quand j'en suis parti. Je ne me souviens plus.

Pendant qu'ils discutent, je me mets à compter les points avec une pointe d'amusement. Les noeuds se délient. Nul besoin d'être télépathe pour constater qu'ils sont plus à l'aise à présent. L'environnement doit jouer ; c'est bien.

Je songe un instant à la réaction de ma mère face à cette dame si... pudique ? Digne ? Le terme est difficile à trouver, en tout cas. Et la rencontre, encore plus difficile à imaginer !

Ils discutent tous deux durant un moment, avant que l'on ne discute de notre travail respectif. J'évoque mes études de médecine, terminées au printemps prochain, ainsi que mes quelques voyages. Ceux d'Huo. On n'entre pas trop dans les détails de la politique étrangère, mais cette évocation semble la faire se gonfler de fierté. J'aimerais pouvoir lui dire qu'elle a loupé tellement de choses, bonnes comme mauvaises. Parfois, connaître les mauvaises nous permet de nous rendre compte, de nous pardonner, et d'aller de l'avant. Ce serait bien, en tout cas.

Nous arrivons bientôt au port. Le soleil brille sur la mer et les bateaux tanguent sur les vagues. J'ai un grand sourire en lâchant la main d'Huo et en m'avançant, un peu comme une enfant, vers les balustrades pour pouvoir m'y appuyer. Quelques poissons nagent dans le fond. Être ici, là où a grandi Huo, même si c'est une ville qui l'a aussi beaucoup fait souffrir... je ne sais pas. Je me sens bien. C'est dommage de ne pas y être venu plus tôt...

La discussion avance tranquillement, je nous sens plus à l'aise. On parle un peu de nos vies avec Aoi, maman a l'air un peu fière de moi et j'essaye de ne pas me sentir bête.

Je n'ai rien fait dans cette optique mais savoir qu'elle approuve un peu me fait sentir léger. Elle me parle un peu de sa vie aussi, de ce qu'elle fait de ses journées. Je regrette juste un peu de ne pas lui parler de tout mais je n'ai pas envie de la brusquer.

On arrive enfin vers le port et je viens m'appuyer aux balustrades à côté d'Aoi. Je regarde les bateaux et les habitations de l'autre côté de l'eau. Maman nous regarde avec un sourire en coin et je me retiens d'éclater de rire, heureux. J'avais oublié qu'on avait le même sourire.

On se balade un peu dans Sheung Wa, maman essaye de faire un peu la conversation avec Aoi en lui parlant des boutiques et de ce qu'on y trouve. Je lui achète un petit bouddha à un temple et un carnet de mantras pour ma mère. Le soir commence à arriver doucement.

Le mélange traditionnel et contemporain sonne étrange à mes yeux ; pourtant, ce n’est pas désagréable, au contraire. La visite de Sheung Wan se fait au milieu d’une foule bondée. Les petites rues sont très animées, comme s’il y avait toujours un endroit où les habitants et commerçants souhaitent se déplacer.

Petite prière au temple ; le bouddha que m’offre Huo est vraiment très mignon. Il est attentionné envers sa mère aussi, comme s’il souhaitait rattraper ces années perdues ; avec un brin de maladresse cependant. Elle ne semble pas s’en formaliser ; au final, la visite nous fait du bien, je crois.

Vient bientôt le soir. Mme Zhang semble vouloir ne pas trop tarder — son mari doit certainement finir bientôt le travail. Je me tiens un peu à l’écart pendant qu’ils se saluent, m’inclinant respectueusement devant elle lorsque vient le moment de lui dire au revoir.

—J’ai passé une excellente après-midi Mme Zhang, ça a été un vrai plaisir, je souris, relevant les yeux vers elle.

Maman finit par annoncer qu'elle doit repartir et j'acquiesce doucement. Je suis content de l'après-midi et elle aussi je crois. Mon père va surement bientôt rentrer, il vaut mieux qu'elle soit à la maison quand il arrivera.

Je souris en coin quand Aoi la salue et qu'elle lui rend sa petite inclination du buste. Elle a les yeux bien plus chaleureux qu'au début.

— J'ai aussi été très heureuse de vous rencontrer. Et la prochaine fois, vous pourrez m'appeler Bao-Zi.

Je retiens un petit rire parce que je sens qu'elle dit ça surtout pour la taquiner. Je lui fais un petit signe de la main alors qu'elle s'éloigne avant de me rapprocher d'Aoi pour lui prendre la main.

— On a le temps d'aller voir quelque chose avant de manger ?

Rougissement instantané, j’acquiesce maladroitement et essaie d’éviter de me confondre en excuses devant elle. Bientôt, elle s’en va ; je reste un peu comme une idiote à la regarder partir, et ne retouche terre que lorsque Huo me prend la main. Je lui lance un petit regard plein d’incompréhension, le temps de reconnecter mes neurones. C’est la retombée du stress ; elle vient vraiment de me demander de l’appeler par son prénom ? Ca se fait ? C’est pas trop bizarre ? Au secours ?

—Ouaiiis… je souffle, avant de m’éclaircir la gorge et esquisser un sourire grimacé. C’était pas si terrible, mais. Franchement.

Franchement, si c’était à refaire, je le referais pas, omg. Rencontrer sa belle-mère, c’est horrible.

—Par où tu voulais qu’on aille ?

Je suis en mode automatique, pas sûr que j’arrive à faire des phrases cohérentes pendant encore quelques minutes, c’est rien.

Je ris doucement et embrasse sa main avec un sourire. J'suis content que ça se soit pas si mal passé mais je vois bien que le courant passe pas si bien entre elles. Mais bon, je vais pas en demander trop. Au moins, le stress retombe et on va pouvoir passer à des choses plus plaisantes.

— Elle est pas toujours facile à vivre, oui.

J'hésite à la taquiner sur Kumiko mais bon… Venant de ma part ce serait un peu hypocrite, j'ai quand même la part belle niveau belle famille.

— Si t'es d'accord… Enfin, j'aimerais bien te montrer les coins où je trainais avant ?

Je me mordille l'intérieur de la joue, incertain. J'sais qu'elle a pas toujours forcément envie de se rappeler cette part de moi mais en même temps… Je sais pas j'ai aussi envie de lui montrer mon Hong Kong. Puis on est tous les deux, je doute qu'il nous arrive quoi que ce soit.

— On peut rester dans des endroits un peu safe mais c'est- Enfin si tu as envie ?

Haussement d’épaule discret. Je ne la critique pas, nous n’avons simplement pas eu la même éducation. Vu le caractère expansif de maman, j’admets que les parents qui s’expriment peu ont tendance à me foutre la frousse. Et ce n’est pas parce que je suis moi-même pudique que je ne m’exprime pas !... Enfin… ! Je crois ? Après tout, être parent, c’est assez différent d’être avec ses amis… Mais même avec eux, je m’exprime. Je le fais simplement différemment, maintenant. Hé, je rappelle que j’étais incapable de parler à quelqu’un sans bégayer en arrivant à Terrae, s’il vous plaît ! C’est de la réserve, pas de la rigidité !

—Elle a l’air gentille quand même. Même si elle ne s’exprime pas trop. Ca a l’air dur, la communication, avec elle.

Une façon détournée de dire "du coup, vous avez un peu parlé, mais ça va ?". Peut-être trop détournée, d’accord…

Je cligne des yeux à sa question, cela étant.

—Bien sûr, montre-moi, je l’encourage avec un sourire.

Mon cœur a eu un raté, et même si je ressens une pointe d’angoisse à l’idée de le faire se confronter à ces endroits qui le hantaient peut-être, je n’ai pas vraiment peur. Il a l’air hésitant, mais il a surtout l’air de ne pas avoir compris que j’avais accepté cette partie de lui depuis longtemps. Il n’y a que lui qui la rejette encore.

Je hausse une épaule. C'est pas tant la communication le problème ici, je crois. Même si ça fait partie du problème en quelque sorte.

— C'est plus le fait de reconnecter ? Enfin… Elle a jamais été très démonstrative, ça je connais. Mais j'ai beaucoup changé, ça la rend un peu hésitante et elle teste aussi ce qui est ok, je crois.

Au moins elle essaye de respecter ce que je lui dis, c'est déjà un gros progrès par rapport à ce que je me rappelle.

Au moins, l'idée d'aller faire un tour vers mes anciennes planques n'a pas l'air de la déranger. Je sais que j'angoisse surement plus qu'elle à propos de ça. Mais là le but est plus d'aller vers les endroits où je passais du temps avec le gang que de se balader chez la Triade.

— J'passais pas mal de temps à Kow Loon quand j'étais avec ma bande à l'époque. On est pas très loin des parcs où je trainais avec Jun aussi.

Je garde sa main dans la mienne en l'entrainant avec moi. Je suis presque content à l'idée de retourner là bas. Je pense vraiment qu'on y croisera qui que ce soit de toute façon.

Lentement, j'acquiesce. Je comprends un peu l'idée. C'est vrai que ça fait très longtemps qu'ils ne se sont pas vus ; forcément, ça crée des problèmes lorsqu'ils se revoient. C'est toujours un peu étrange. Et plus le temps passe, plus le retour à une relation normale est difficile. Surtout avec la famille, je pense. Avec les amis, c'est facile de se perdre de vue. La famille, c'est qu'il faut un peu le vouloir, j'imagine.

—Ça t'a fait du bien ?

Puis j'acquiesce et souris pour l'encourager. On va plutôt aller se balader un peu. Ça nous détendra.

—Il faudra que tu me racontes un peu tout ça~

J'acquiesce doucement à sa question, serre sa main dans la mienne un instant. j'aurai surement besoin d'un peu plus de temps et de quelques lettres pour décoder tout ce qu'il s'est passé honnêtement mais je suis content.

— Oui, je crois. J'ai pu faire un peu le point, c'est positif.

Ça m'aide aussi à me rappeler les côtés d'elle que j'avais oublié. Les bons comme les mauvais.

— Je peux te raconter plein de choses, je ris doucement. Sur quoi tu voudrais que je parle ?

J'avais Jun à l'époque. J'avais les garçon, j'avais la mer et le sang après. C'était une époque où je vivais tout un peu intensément, les coups de sang comme les éclats de rire.