La vaisselle est rapidement terminée, mais Misao prend son temps. Il sent au ton qu'emploie Hideko, et surtout du silence qui s'ensuit, qu'elle repart dans ses pensées, rarement positives. Elle n'en parle pas beaucoup, mais il a fini par comprendre qu'elle culpabilisait de la manière dont les choses se sont passées, même si ce n'était pas de sa faute. Et reprendre contact est difficile, Misao en sait quelque chose. Il ne peut pas le lui reprocher, simplement le lui rappeler. Lui ne mettrait pas ses parents de côté pour lui faire plaisir, et il ne l'occulterait pas non plus des discussions qu'il a avec eux. Il a bien fallu trouver un terrain d'entente et, tout doucement, la pousser à reprendre le contact. À les rassurer. Leur permettre d'avoir des vidéos de leurs petits enfants, de les voir un peu, entendre leurs voix.

Evidemment qu'ils lui en veulent. Evidemment que lui aussi aurait aimé avoir des nouvelles. Mais les reproches incessants ne la font pas revenir, et les uns comme les autres l'ont compris. C'est plus difficile pour leurs parents, bien sûr. Mais ils font un effort, parce qu'ils savent que sinon, elle risque de disparaître à nouveau de leur vie, à tout jamais. Simplement pour une maladresse, parce qu'elle ne se sera pas sentie en droit d'être auprès d'eux.

Lorsque la directrice de l'établissement reprend la parole, Misao se retourne vers elle et la fixe quelques secondes sans rien dire.

—Je sais, répond-il simplement, un peu las de ces excuses qui n'ont aujourd'hui plus vraiment de sens, si ce n'est soulager la peine d'Hideko ; elle qui s'est déjà excusée tant de fois. Mais c'est pas le moment de s'apitoyer, tu crois pas ?

Il passe à côté d'elle et lui pince doucement le bras, lui offrant un sourire en coin.

—Eux non plus ne voudront pas d'excuses, ils voudront juste des nouvelles. Donc appelle, et ce sera bon.

Puis alors qu'il se dirige vers la sortie, il se retourne et reprend, à voix beaucoup plus basse et pointant du pouce la direction approximative des chambres :

—Maiiis si tu veux t'excuser d'un truc, excuse-toi plutôt de ton mec qui est vraiment un sale con, hein.

Puis il lui lance un grand sourire, s'écartant pour ne pas qu'elle lui mette un high kick en pleine face (elle serait capable, c'est une sauvage !).

Haussement de sourcils. "Comme d'habitude" ? Eh bien, elle ne va vraiment pas bien, si elle en est au point de lâcher ça. Habituellement, non, il n'a pas vraiment raison. Il juge beaucoup, il parle des choses de manière pragmatique, comme il les perçoit et les analyse de son point de vue. Mais celle qui se plie toujours en quatre, celle qui a souvent raison, selon lui, c'est elle. A propos de leurs parents, ce n'est simplement pas pareil. Alors il sourit, hausse une épaule, s'apprête à partir… Et Hideko reprend, à propos de Ryu. Misao fronce les sourcils, détourne les yeux, un peu agacé. Oh, oui. Désolée pour ce soir, désolée pour les soirs précédents, désolée pour son comportement de merde. Ryu, lui, n'est pas désolé. Il s'en fout. Donc laisse tomber, Hideko.

—Pas sûr que ça serve à quelque chose. T'en fais pas.

Il lui offre un sourire malgré tout.

—J'fais ce que je peux. Tu t'en serais sortie autrement, sinon. Mais on se voit demain, oui, promis.

Il lui dépose un bisou sur la joue et lui fait un signe.

—Allez, bonne nuit. Vous prenez pas le chou ce soir, vous aurez du boulot à abattre demain.

Et cette fois, il passe la porte pour sortir, un peu crevé. Levant les yeux vers le ciel, il plante ses mains dans ses poches, soupire… Le début d'une nouvelle ère, peut-être ?