Il a neigé à Terrae. Une petite épaisseur tout de même, qui fond lentement à ceuse du froid ambiant. Mais j'ai vu qu'il allait faire soleil dans les prochains jours ; les températures vont s'adoucir... Je regarde par la fenêtre avant de baisser la tête vers Roda, couchée dans son panier. Ça fait quelques jours qu'elle a du mal à en sortir, même si c'est pour se promener... Je lui demande, "On va se balader ?" et là où elle me faisait la fête en sautillant partout l'année dernière, aujourd'hui elle remue la queue, sans pour autant se lever de son panier. Elle est si douce ma Roda. Elle m'accompagne dans ma vie et ses changements, reste fidèle et aimante. C'est ma constante quand tout va mal, quand les autres s'en vont, elle est là. Alors c'est à mon tour d'être là et de prendre soin d'elle. Je prends les chaussons pour ses pattes et les chaussettes que j'ai tricoté moi-même pour protéger ses articulations du froid. Son pelage d'hiver ne la couvre plus aussi bien à cet endroit... Elle se laisse sagement faire alors elle a droit à des grattouilles et à un bisou. J'ai le temps de me couvrir chaudement le temps qu'elle marche mollement jusqu'à la porte.

On part en vadrouille dans la neige, je souris en l'observant tomber du ciel. J'adore l'hiver, il a une certaine mélancolie qui m'est nostalgique. Le froid me fait inspirer profondément et je m'avance... Roda me suit. Ça fait quelques temps qu'elle ne marche plus devant. Elle vieillit ma Roda, le froid ne lui est plus aussi plaisant, amusant... Alors je m'arrête souvent pour voir si elle fait ses besoins, si elle me suit toujours... Roda me suit toujours bien sûr, elle s'assoit simplement pour se reposer un peu. J'en profite pour regarder Terrae et ses rues, la nuit tombe vite alors les lampadaires sont déjà allumés et même dans la pénombre la neige blanche semble luire intensément. Je suis un peu comme l'hiver, je me dis. Parce que je m'améliore avec mes pouvoirs certes, mais en prenant mon temps. J'avance lentement mais toujours inéluctable. C'est dans mes nuits les plus noires que l'on repère mieux les petites étincelles vivantes et joyeuses des membres de sa famille. C'est après avoir traversé ma neige la plus froide qu'on redécouvre avec bonheur la chaleur de son foyer. J'ai plus de famille, de foyer, je suis l'hiver pour les autres. Mais j'ai Roda. Mon éternelle amie. Même plus faible, plus lente. Je me tourne vers elle avec un sourire apaisé.

Elle est allongée, là, à quelques pas de moi comme si elle avait voulu me rejoindre avant de s'effondrer, le museau dans la poudreuse, immobile. Je ne comprends pas tout de suite. Je l'appelle, elle ne réagit pas. Alors je cours, je regarde ses yeux à demi-éteint. Je l'appelle encore la voix tremblante. :

-Ça va aller ma belle, tu as juste froid, laisse-moi juste...

Au fond de moi je connais ces yeux-là, je les ai vu tellement de fois. ...mais je ne peux pas abandonner mon amie éternelle. J'enlève mon manteau pour la couvrir. Tant pis si j'ai froid, tant pis si je tombe malade. Roda a besoin de chaleur vous savez ? Pour ses articulations. Parce qu'elle vieillit ma Roda. Ses paupières sont lourdes, j'entends un faible gémissement qui me fait trembler toute entière alors... Je la prends dans mes bras et j'essaie de la soulever... Elle est trop lourde. Elle est trop grande pour moi ma Roda. Je panique, à genoux dans la neige, mes collants opaques noirs imbibés d'eau froide... J'essaie d'appeler Alice... Elle ne répond pas. Je laisse un message en essayant de rester calme, j'ai une boule dans la gorge et les larmes aux yeux mais je fais un effort pour que ma soeur de coeur puisse comprendre ce que je dis. :

-Alice... Roda est par terre, elle n'arrive pas à se lever... J'ai du mal à la porter mais... je vais aller jusqu'à l'animalerie. T-tu peux v'nir... s'il-te-plaît ?...

J'ai pas réussi à tenir jusqu'au bout... je me suis sentie si misérable que je n'ai pas réussi à dire ne serait-ce que l'ombre d'un "au revoir" ou "à tout de suite". Je caresse la tête de Roda emmitouflée, elle bat des paupières... Je tremble de froid et de peur... ...J'envoie un sms à Chiri ne sachant pas quoi faire. Et j'attends... J'attends... Le temps paraît long quand on a peur, saisit par cette sensation affreuse d'être inutile quand les secondes cruelles s'égrainent... J'ai pris Roda dans mes bras et j'ai réessayé de la soulever, n'y tenant plus. Si seulement j'étais Étoile ! J'aurais pu mieux la soulever ! J'ai mal au bras, j'ai mal au dos, mais rien n'a d'importance : je suis partie en direction de l'animalerie en espérant qu'un soigneur pourra l'aider là-bas, abandonnant mon téléphone derrière moi, dans la neige. Je suis affreusement lente, j'ai l'impression que le vent glacé me gifle le corps, je serre Roda pour mieux la protéger. Elle a besoin d'un câlin... et je dois l'amener au chaud.

Je m'arrête à peine dans l'animalerie, mue par ma détermination mêlée à ma frayeur et c'est le vétérinaire qui me guide jusqu'à la table d'auscultation où je la dépose tendrement... Je m'éloigne pas, juste de quoi laisser le professionnel prendre soin d'elle mais je continue de caresser sa tête en lui parlant. Des mots d'amour que je lui dis tout le temps, qu'elle est belle et courageuse, qu'on va s'en sortir, qu'on va se serrer les coudes... que j’achèterai des aiguillettes de poulet, rien que pour elle. On restera au chaud à regarder un film avec Aylan ou un animé avec Senri. On dessinera calmement avec Alice. On restera au chaud et au calme, on ira pas se promener trop loin pour ses besoins. Je faisais pleins de promesses pour demain pour le rendre certain, au lieu de vivre au jour le jour : j'avais planifié un lendemain comme pour le graver, la rassurer,... me rassurer. Le vétérinaire fait ses vérifications et je le vois à peine prendre sa température, observer ses muqueuses, examiner sa respiration, son rythme cardiaque... jusqu'à ce qu'il baisse lentement les bras. Je me suis tournée vers lui et encore une fois... J'ai déjà vu ce regard... :

-Vous pouvez me rappeler son âge ?

-...Non. Soignez-la s'il-vous-plaît.

-Mademoiselle...

-Très bien je vais le faire moi-même.

J'ai remis mon manteau sur elle pour la couvrir correctement, j'ai retiré ses chaussons et ses chaussettes mouillées et je frottais ses pattes entre mes mains pour réchauffer ses coussinets, concentrant mes pouvoirs de Guérisseuse. :

-Mademoiselle... répète le vétérinaire.

-C'est bon, je vais me débrouiller toute seule. Comme d'habitude... Vous pouvez sortir.

Je perçois sa petite énergie qui faiblit petit à petit, mais elle est là. J'essaie de me concentrer pour sauver ma meilleure amie... mais le vétérinaire pose sa main sur mon épaule... Je perçois mieux son énergie, son corps... Son système immunitaire est fragile, il devrait manger plus de vitamines. Je le sais. Je sens ses carences mieux que je comprends le fonctionnement de Roda. Je commence à pleurer en silence... Pourquoi faut-il toujours que je sois incapable de sauver ceux qui comptent dans ma vie ?... :

-Je sais que l'euthanasie est un choix difficile, mais compte-tenu de son âge c'est sans espoir... Je vous conseille d'abréger ses souffrances.

Monsieur Lag Suede est plongé dans le coma, certes, mais il y a peu de chances qu'il se réveille au vu des dommages cérébraux qu'il a subi lors de ce deuxième accident... et si par malheur cela arrive, il va souffrir le martyr en étant incapable de bouger autre chose que les yeux. C'est pour cela, que nous préconisons, d'arrêter les machines qui le maintiennent en vie... pour abréger ses souffrances.

-...Sortez.

-Pardon ?

-Je t'ai dit de DÉGAGER !!!

Une bourrasque le repoussa jusqu'à la porte qu'une autre fit claquer. La tornade dans la pièce fit s'envoler des papiers, renversa la plupart des objets au sol, brisant tout ce qui est en verre, libérant mes cheveux de ma queue de cheval faites à la va-vite. Et pendant que le chaos naissait dans la pièce, tous mes sens étaient dirigés vers Roda dont je sentais l'étincelle s'éteindre petit à petit. Je suis montée sur la table de métal froid pour mettre le haut de son corps de plus en plus lourd à l'abris, sur mes genoux, et j'ai continué de la caresser, de l'encourager. Accroche-toi ma belle, je vais arriver à te sauver. Toi, je ne t'abandonnerai pas... Je te promets. Au diable les faits, je sais que tu es une battante, on a survécu à des tas de trucs toutes les deux... On a traversé la moitié de la planète pour venir à Terrae ! Je t'en supplie ne me laisse pas... ...Je n'ai plus que toi. Je ne veux pas que tu sois mon dernier souvenir de là-bas... S'il-te-plaît...

Un bout de langue rose sort d'entre ses babines, vient lécher mes joues couvertes de larmes. Elle veut toujours me rassurer, même dans cet état, elle s'occupe de moi. Ce n'est pas juste... Ce n'est pas juste Roda. Tu n'as pas mérité ça ma brave, j'aurais dû réussir à te protéger, j'aurais dû me dépêcher d'en apprendre plus sur mes pouvoirs pour enfin servir à quelque chose dans cette putain de vie de merde. J'aurais dû passer plus de temps encore avec toi. Je la serre contre moi, j'ai le nez dans son pelage blanc secoué par les vents... Son petit cœur s'est encore ralenti... Je l'entends presque plus à cause du vétérinaire qui tambourine la porte et se fait repousser à chaque fois qu'il tente d'entrer. :

-Roda ?

Un soupir, comme si elle avait essayé de me répondre... et puis elle est partie.

J'attrape ses poils entre mes doigts... Elle est encore chaude, c'est qu'elle va bien, n'est-ce pas ? Mais mes pouvoirs de Guérisseuse le savent, eux. Il n'y a plus rien à guérir, parce qu'il n'y a plus rien. Je me suis redressée lentement, les vents soudain plus calmes... J'ai découvert un peu le manteau encore posé sur elle comme pour mieux la voir, mieux intégrer ce qu'il venait de se passer. Roda est morte.

... Roda est morte.

La tempête reprit, plus forte, plus douloureuse. D'un seul coup du rien au tout, du mesuré à l'extrême, de la bise légère à la rafale destructrice qui ploie le verre de la vitrine, le craquant de partout, déplaçant les meubles jusqu'à les coller aux murs, tout faire tomber et s'élever avant de retomber à nouveau dans un fracas qui ne couvrit pas mon hurlement. ...J'hurlais. Les mains sur mon amie dont le corps devenait de plus en plus froid, j'hurlais. Je savais bien qu'elle était morte mais j'hurlais encore. A pleins poumons, les vidant à m'en faire mal, reprendre ma respiration et hurler toujours.

J'essaie encore de ramener Roda même si je sais qu'elle n'est plus là, à m'en briser de l'intérieur.

C'était une drôle de journée. Senri s'était cuisiné un petit-déjeuner riche en protéine pour aller s'entraîner. Il allait commencer par un footing, puis enchaîner sur une routine de musculation qui lui ferait travailler tout le bas de corps. Il finirait la journée à s'entraîner à tisser son armure électrique. Depuis sa balade avec Chou dans le champ de fleurs, il avait étudié la formation des toiles et de la soie des araignées pour reprendre ce principe et l'appliquer à son électricité.

Mais un message chamboula l'organisation du programme d'entraînement.

Il allait finalement commencer par une course. Visiblement, Roda avait des problèmes. Chou indiquait dans son message qu'elle s'était rendu à l'animalerie. L’adolescent dégaina son nouveau téléphone, offert par sa sœur. Il ouvrit son application de localisation, attrapa un sac, et sortit de sa chambre. L'avantage d'avoir une porte que ne ferme jamais vraiment, c'est que sortir est vraiment rapide.

Il dévala les escaliers et sortit de l'institut en lançant l'itinéraire. Il fut sur place assez rapidement et put voir... Une fenêtre littéralement explosé. Le super-cerveau de Senri dopé à l'adrénaline, lui permit de changer subitement de direction pour courir vers la fenêtre et sauter à l'intérieur.

Et quand il fut à l'intérieur... Il ne toucha jamais le sol, il fut propulsé et emporté dans une tornade qui le fit ressortir de la pièce. Entre temps, il avait pu voir plusieurs éléments du mobilier tournoyer dans les airs, et au centre, une silhouette. Elle en était certaine, c'était Elle. Il roula contre la neige en grognant, ses doigts plongèrent dans la neige pour ralentir sa roulade et se redresser.

Il fit le tour pour rentrer dans l'animalerie. Faisant courir quelques éclairs pour cautériser les plaies mineures que sa sortie avait engendrées. Les gens se tournèrent vers lui.

- Monsieur, c'est dangereux. Nous avons un problème avec...
- Donnez-moi un truc pour m'attacher. Je vais la chercher.

Senri avait lâché cette phrase rapidement, en se dirigeant vers une commode des plus massive. Avec ça, il pourrait progresser dans la tornade. Sûrement.

Alice avait bientôt terminée la première année de sa formation, il lui resterait maintenant 3 ans. Devenir éduc' spé, ce n'est pas une partie de plaisir tous les jours. Alice y mettait tout son coeur, tout en continuant d'aider régulièrement Tomoe avec les enfants, et en proposant toujours de nouvelles activités pour les plus motivés des Terraens. Et aujourd'hui, elle avait demandé à Norah si elle pouvait l'aider un peu pour travailler certains aspects de ses cours de psychologie. Rien de bien méchant, mais tant qu'à avoir quelqu'un pour l'aider, Alice était preneuse. Et puis, elle faisait aussi ça pour aider les services d'accueil et de psychologie de l'hopital, alors autant allier à un peu d'exemples pratiques. En ressortant de l'hopital, elle souffle un grand coup. La soirée s'annonce bien, elle ira s'entraîner un peu avec Elwynn, puis elle rejoindra probablement Adé à la bibliothèque avant d'aller manger. Une après-midi des plus classiques.

Elle réactive son téléphone en vibreur, et aperçoit un message vocal de Chrys. Elle fronce les sourcils. Elle se met à marcher vers l'Institut tout en portant le téléphone à ses oreilles. Son sang se fige lorsqu'elle entend le message, et la voix paniquée de Chrys. Elle glisse son portable dans sa poche et se met à courir direction l'animalerie. Il ne lui faut pas longtemps pour comprendre que ça ne va pas du tout en tournant au coin de la rue : l'animalerie pourrait sembler complètement vandalisée. Il est arrivé quelque chose, et Chrys ne maîtrise plus ses pouvoirs. Est-ce qu'elle est en train de perdre le contrôle. Elle accélère, en essayant de voir à travers les bouts de verres brisés encore en place sur les portants des fenêtres. Ses cheveux lui fouettent le visage, elle vient les attacher d'un geste rapide tout en entrant dans l'animalerie. Elle tend toutes ses pensées vers celles de Chrys. Elle hurle, elle ne va pas bien du tout. Elle voit Roda, Roda Roda Roda RODA le corps de Roda le corps de Lag le médecin qu'elle connait si bien le médecin le vétérinaire le médecin RODA RODA RODA RODA RODA. Des larmes dégoulinent partout sur ses joues sans qu'elle puisse le contrôler. Roda est morte.

Malgré ses larmes, Alice continue et tombe sur les médecins quelque peu paniqué, et Senri qui entoure un meuble avec une corde. Elle sait combien ils comptent l'un pour l'autre, elle fait confiance à Senri, mais elle ne peut pas oublier, dans une situation si violente pour elle, la place qu'il avait face à Houston dans un moment aussi tendu. Elle serre les dents au milieu de ses larmes.

« Reste près de moi, j'y vais aussi. »

Ses pieds se recouvrent de terre et s'encre dans le sol en fissurant quelque peu le carrelage. Elle ne marche pas, c'est la terre qui la fait avancer pour éviter de s'arracher du sol. Elle recouvre son visage et ses mains d'une couche d'argile pour se protéger des projectiles, et tend ses pensées vers Chrys le plus fort qu'elle puisse.

« CHRYS, JE RENTE. »

Je suis là, je suis avec toi Chrys. Tu n'es pas seule, je ne te laisserai pas seule. Je suis là.

Elle la supplie de la laisser venir l'aider. Les yeux anormalement bruns, elle tend sa main vers Senri et les lient avec de la terre de nouveau pour ne pas le lâcher. Elle lui jette un regard déterminé.

Tu n'as pas intérêt à la laisser tomber. Ne fais pas d'erreur.

Alice ouvre la porte, prête à récupérer sa petite soeur. Comme le jour de la mort de Lag.

On arrive Chrys.

Ça va aller Roda. Je suis avec toi, je vais te ramener, je vais te protéger. Je passe mes doigts dans sa fourrure, j'essaie de ramener la chaleur dans son corps. Entre deux cris, je murmure que ça va, que je vais la sauver, je l'embrasse... J'ai l'impression que mes mains brûlent, que mes yeux brûlent, que mon corps entier chauffe pendant que je perds, seconde par seconde, ma Roda. Ma meilleure amie est glacée. Et j'entends...

Alice est là.

Non. Je ne veux pas qu'elle soit témoin de ça. Je ne suis plus une petite fille... Je ne sais pas si je suis embarrassée ou en colère, tellement mon chagrin dévaste tout en moi. Mais je ne devrais pas être gênée parce qu'après toutes ces années, je suis encore incapable de protéger les miens... Mais je ne devrais pas être en colère parce qu'encore une fois, elle est là. C'est injuste de lui en vouloir pour ça, après tout ce temps, mais je ne veux pas qu'elle s'approche de nous. C'est injuste...

Je ne veux pas penser comme ça, parce que ce serait admettre que Roda est déjà morte. Et je vais la ramener. Je me tourne vers les énergies qui tentent de s'approcher de moi, à travers la tempête j'arrive à voir Alice... et Senri. Mon cœur enfle dans la soudaine panique, je soulève le corps de Roda et je la serre contre moi... Elle est tellement lourde que je tremble. :

-NON !

Un fouet d'Air fend l'espace à toute vitesse, éclate la commode derrière ils sont cachés en plein milieu. Je veux les repousser mais ils sont toujours là, ancrés à la terre... Des éclats de bois viennent blesser mes bras, ma joue, mais mes pouvoirs de Guérison ont l'air de déborder de moi, me soignent presque aussitôt, sans faire tomber une seule goutte de sang. Je protège Roda, gardant sa truffe au creux de moi. :

-Je vais la sauver. Je vais la sauver ! Je peux la sauver !

Je répète comme si je pouvais transformer mes mots en vérité absolue, en quelque chose que même le chaos ne pourrait pas détruire... Tant que je la tiens, elle va vivre, j'en suis persuadée à ce moment. :

-Je peux y arriver, je vous le promets... Je laisserai pas- Personne n'aura plus jamais mal ok ? Je vais tout réparer. Vous n'allez jamais souffrir...

Je ne sais plus ce que je raconte, j'essaie tant bien que mal de sourire à travers mes larmes. Faire semblant que tout va bien, comme d'habitude. Parce que tout va bien n'est-ce pas ? Je gère parfaitement la situation. Toujours. Que ce soit quand je perds mes parents dans cet accident de voiture ; regardez Chrys, si jeune et il ne pleure même pas. Quel brave petit... Que ce soit ce moment où on m'annonce que je dois tuer mon frère ; si jeune et responsable, il arrive à prendre des décisions si difficiles... De familles d'accueil en familles d'accueil ; un enfant calme, discret, parfait... Et j'avais si peur d'être moi-même, d'être différente... Et je le suis. Je veux au moins réussir ça. Je suis un échec. Je suis une raté. Je dois, au minimum, pouvoir faire ça... C'est ma responsabilité.

Je leur tourne le dos, penchée vers le visage de Roda. Elle a les yeux fermées, elle se repose. Oui... ...ça va aller Roda.

La demande de Senri n'avait pas vraiment poussé les gens à l'aider, alors il avait lui-même trouvé son meuble et ses liens. Il se harnacha sous l'œil mi-paniqué, mi-circonspect du personnel de l'animalerie. Lorsqu'il releva la tête, déterminé à y aller, il tomba nez à nez avec Alice, avec des larmes lui coulant sur les joues. Il eut un court moment d'absence avant d'être ramené à la réalité par ses paroles. Il acquiesça et la suivit. En traînant son armoire.

Juste avant, elle sembla parler dans son esprit. Il se contenta seulement d'acquiescer, les sourcils froncés.

- Je te suis.

Une fois à l'intérieur, Senri put pleinement réaliser le déchaînement élémentaire qui émanait de Chou. Quand il était rentré la première fois, il n'avait pas pu se rendre compte d'à quel point les bourrasques était puissante. La terre d'Alice s'avéra plus efficace que l'armoire. Senri tenta tant bien que mal de la placer de sorte à couper les courant d'air, mais en entendant leur arrivée, les bourrasques se firent plus fortes. Le meuble vola en éclats.

Senri voulut se jeter sur la trajectoire des projectiles pour protéger Alice et Chou. Mais Chou était trop loin, Alice avait une armure d'argile, et surtout, il ne pouvait pas bouger d'un pouce. Les échardes vinrent écorcher sa peau, mais il ne le remarqua qu'à peine. Chou ne les écoutait pas. Il songea, l'espace d'un instant à utiliser son pouvoir de sensitif, mais il n'était pas calmé de calmer quelqu'un, et cette situation ne devait surtout pas être résolu à l'aide d'une suppression d'émotion. Il ne pouvait pas la priver de cette tristesse.

Il lança un regard à Alice. Il était tout bonnement impuissant. Au-delà de l'aspect technique d'être cloué au sol avec des pouvoirs, il n'avait aucune idée de ce qu'il pourrait dire à Chou. Comment lui dire qu'elle ne pouvait porter la souffrance d'autrui sur ses épaules ? Comment lui dire que des choses échappaient aux capacités merveilleuses des Terraen ? Il ne se voyait pas lui dire que le temps lui ferait accepter l'absence de Roda.

Et peut-être que cet immobilisme venait aussi du fait, qu'au fond de lui, il la croyait quand elle disait qu'elle allait ramener Roda.

Le cri de Chrys déchire le coeur de la Terre, sa langue claque en rythme avec l'air, la commode explose derrière Senri et Alice. Elle n'a pas le temps de pleurer, pas le temps d'assimiler et de laisser couler ses larmes, elle se tourne vers le Tonnerre et l'enveloppe aussi vite qu'elle peut de la même protection qu'elle s'est construite, mais Senri est déjà blessé. Alice s'en veut de ne pas avoir réagi assez vite. Elle garde sa main serrée autour de celle du garçon, le tenant bien prêt d'elle, et continue d'avancer doucement vers Chrys. Leurs pensées la heurte, l'une se noyant dans la tristesse et la culpabilité, l'autre dans le sentiment d'impuissance.

Roda est morte, s'il y a bien quelque chose qu'Alice sait, c'est que les morts ne reviennent pas. Chrys ne veut pas que les autres souffrent, à en oublier sa douleur, à ne plus la supporter. Elle se ressemblent, elles ont vécus des épreuves qui se ressemblent, mais Alice n'était pas aussi jeune, ce n'était pas sa famille entière. Elle tend sa main couverte de terre vers la jeune femme en l'air.

« Chrys... »

Je t'aime Chrys. Tu n'es pas toute seule. Ce n'est pas ta faute, tu sais, ça ne le sera jamais. Tu es une des personnes les plus fortes que je connaisse. Ce n'est pas ta faute.

Les larmes coulent sur ses joues, sans plus s'arrêter, les sanglots commencent à secouer sa poitrine, mais elle doit tenir. Sa petite soeur a besoin d'elle. Mais entre elles, le corps de Roda ne lui devient que de plus en plus évident. Elle ne doit pas céder, parce que c'est toujours Chrys qui tient. Toujours elle qui prend les décisions d'adultes, toujours elle qui avance, qui supporte. Elle ne peut pas la laisser.

Je n'ai pas besoin que tu répares, mon papillon, j'ai simplement besoin de toi. Tu es déjà formidable. Reviens s'il te plaît. Je ne te laisserai pas seule, jamais jamais jamais.

Elle laisse ses pensées l'atteindre comme quelqu'un qui parlerait, se contrôle pour ne pas l'envahir et prendre le pas sur ses pensées. Elle serre fort la main de Senri, sans lui faire mal, elle sait que ça ne doit pas être facile pour lui, elle essaie d'abord de faire revenir Chrys pour qu'il puisse lui parler lui aussi. Elle ne le connait pas bien, mais elle ose espérer qu'il aidera Chrys. Mieux qu'elle peut-être même.

Chiri a l'air inquiet, alors c'est Alice qui tend sa main vers moi. Mon premier réflexe est de m'en éloigner, rapprocher un peu plus le corps inanimé de ma meilleure amie contre moi, mais ses pensées me frôlent avec cette douceur familière qui calme légèrement la tempête qui nous entoure. Oui, ce n'est pas ma faute... et je ne suis pas vraiment seule, aujourd'hui, c'est vrai... mais je ne suis pas forte. Pas forte du tout. J'avais si peur de perdre Chiri quand on s'est disputé, mais j'avais peur aussi d'être blessée. Le jour où je l'ai avoué, l'air de rien je m'en suis voulu, parce que je tenais tellement à notre amitié... Ça m'a perdu. Je suis perdue. Je ne me connais même pas, comment je pourrais être cette personne qu'Alice pense voir.

Mais je la vois pleurer... Alice qui pleure à chaudes larmes, la main tendue vers moi. J'ai envie de l'aider. Je regarde Roda qui dort encore, puis ma sœur de cœur. Je suis perdue. Mais il faut que je fasse quelque chose... Alors ma main approche doucement la sienne, quand j'entends... Elle n'a pas besoin que je répare. Ma main s'immobilise.

Elle n'a pas besoin que je répare... mais... c'est tout ce que j'ai... Si je n'ai plus ça, je redeviens ce que j'étais avant. Un simple gardien d'une mémoire oubliée. Le dernier Suede, petit enfant parfait et discret qui est pointé du doigt dès qu'on le trouve bizarre. Si je ne répare plus, même pas moi-même, qu'est-ce que je fais ? Qu'est-ce que je suis ? A quoi je sers si je ne suis que le réceptacle des souvenirs des morts ? Parce qu'elle sait que je ne peux pas sauver Roda ? PARCE QUE JE NE SUIS PAS ASSEZ FORTE ? :

-Je ne suis pas... assez...

...

La tempête reprend. Sans pouvoir décaler Senri et Alice grâce au solide pouvoir de cette dernière, Chrys arrive à les plier, comme des joncs dans le vent. Elle a lâché Roda, mais la protège tout de même de son corps ; maintenant à genoux sur la table, les mains tendues, l'explosion de pouvoirs est certes toujours anarchique mais concentré. Chrys doit être plus forte. Elle le sent. Elle en est persuadée maintenant. Si elle arrive à aller au-delà de son sceau, alors elle pourra soigner Roda. Les sauver, tous. Les protéger et changer elle-même... ou plutôt, être enfin qui elle est vraiment.

La tempête s'intensifia de plus belle, et ce malgré l'intervention d'Alice. Senri avait deviné que la Terre usait de sa télépathie, mais Chou se refermait de plus en plus sur elle-même. Senri décida alors d'abaisser ses propres barrières, pour capter tout le tumulte émotif de son amie. Mais, il érigea néanmoins une limite, il ne devait pas se laisser emporter lui-même par toutes les émotions de l'Air. Mais, il put les ressentir.

La douleur de voir Chou pleurer était déjà grande, celle qu'elle ressentait était inimaginable, même en la ressentant, il avait du mal à y croire. Prenant son courage à deux mains, il tourna la tête vers Alice.

- Je vais avancer.

Sans vraiment se préoccuper de si elle le faisait ou pas, Senri tenta de lever le pied. C'était dur, mais il contracta tous ses muscles, se ramassa sur lui-même pour continuer d'avancer. Un pas après l'autre. Plusieurs fois, il eut l'impression qu'il allait perdre l'équilibre et se faire jeter à travers la pièce. Mais il tint bon, se penchant encore plus, il tendit ses mains pour agripper le sol, et d'avancer.

Lorsqu'il arriva au niveau de la table, il tendit la main pour en attraper le bois, et s'en servit d'appui, il se hissa difficilement. Les muscles de ses jambes étaient tellement contractés qu'il lui semblait qu'il était sur le point de se rompre. Dans un ultime effort, il tendit ses bras vers Chou. Ses doigts se refermèrent sur ceux de son amie alors qu'il avançait. Sa tête ploya pour que son front se pose contre la nuque de Chou.

- Tu n'es pas seule. Tu n'es pas seule pour... affronter ça.

Il commençait à manquer de souffle. Alors qu'il s'était concentré sur avancer et seulement avancer, il se rendait maintenant compte que les courants d'air n'épargnaient pas son visage non plus. Parler était compliqué. Presque insurmontable. Il avait tellement de chose à lui dire qu'il devait condenser en une petite phrase.

- Je t'aime, Chou.

Malgré la situation, il ne put s'empêcher d'un peu rougir. Et peut-être, de se faire emporter par une bourrasque. Mais, il se réceptionna en enserrant ses jambes autour d'un pied de table. Il avait dû lâcher l'une des main de Chou avant de pivoter sur le côté. Mais, maintenant, il pouvait la voir. Il plongea son regard dans le sien. Incapable de faire le moindre mouvement.

La main de Chrys ne vint jamais toucher la sienne. Un coup de plus à encaisser pour la petite Terre, en plus de la détresse qui la touche de plein fouet. Mais sa soeur fait tout son possible aussi pour tenir, et c'était à elle de la supporter. Alice n'avait pas choisi les bons mots. Se refusait à la brusquer par un contact avec Roda qu'elle semblait redouter. Elle échoue pourtant. Chrys n'est pas assez.

Chrys était tout, elle n'avait jamais eu besoin de réparer, de faire quoique ce soit pour les autres pour exister mais s'était toujours définie par ça. Elle avait pourtant tant de créativité, de joie et de débrouillardise, elle n'avait pas besoin de se définir en réparant. La tempête s'intensifie, Alice se plie en avant pour résister et garde Senri, jusqu'à ce qu'il décide à avancer.

D'accord. Je vais t'aider.

Alice déploie toute son énergie de précision. La terre se répand sur le corps de Senri pour le couvrir, le protéger des débris, l'aider à résister à la prise du vent. Elle stabillise ses pieds, puis ses mains dans le sol pour pouvoir se concentrer sur Senri. Elle n'y voit plus grand chose mais elle tient bon, elle sent sa connexion à la terre qui entour le Tonnerre. Par conscience pour les personnes qui restent à l'extérieur, elle érige des murs en calcaire devant la portes et les fenêtres, protège le dehors, offre de l'intimité au dedans. Elle gémit d'effort pour lutter contre ce déchaînement, elle n'était pas Master mais souhaitait offrir autant de stabilité que possible. En relevant la tête, elle aperçoit le Tonnerre à la limite de se faire emporter. Elle serre les dents et fait naître derrière lui comme un immense coussin sorti du sol : de la pierre, de la terre, et un coussin de mousse pour accueillir son dos, l'empêcher de partir loin, lui permettre de lui parler, d'être là pour Chrys. Ses yeux se posent sur le corps inerte de Roda qui flotte encore. Elle bloque ses propres pensées. Elle ne doit pas y penser maintenant. Elle doit tenir le coup pour Chrys qui a besoin pour une fois de ne pas être le support.

Elle est tellement loin, son regard blanc fixant le pelage de Roda, absente... Et dans son cœur, le chaos semble éternel. Plus ses pouvoirs s'acharnent sur le corps inerte, plus sa souffrance enfle et enfle... Les tornades dans la pièce essaient d'aller plus vite, plus fort. Les vents hurlent à la place de Chrys, mais rien ne se passe. Son énergie commence à se faire de plus en plus faible et elle lutte mentalement, ses yeux  désespérément accrochés à Roda qu'elle caresse d'une main, lentement.

Et puis quelqu'un s'empara de cette main, puis de l'autre... Chrys panique un bref instant de perdre le contact avec Roda, de peur de ne pouvoir la soigner... mais quelque chose se colle à elle dans son dos. Une chaleur qu'elle n'avait pas senti depuis longtemps, depuis qu'elle avait porté Roda jusqu'ici. Une chaleur plus intense que celle fuyante de son amie. Quelqu'un de bien vivant qui lui dit aussi qu'elle n'est pas seule. Pendant que la pièce se transforme en véritable cocon avec les pouvoirs d'Alice, Chrys regarde Roda sur la table, puis les doigts abîmés entres les siens.

...

Je reconnais ces mains... Je les ai déjà soignées, je les tiens souvent. Quand on marche tous les deux, je l'attrape toujours sans comprendre pourquoi... J'avais pas réalisé à quel point je me sentais bien, en sécurité, dans ses mains. J'ai envie d'être encore plus petite, tenir dans le creux de ses paumes larges. Mais j'ai tellement mal... Ceux que j'aimais le plus sont tous morts... Un à un, et je sais, je sais bien ! On doit tous mourir un jour mais juste pour cette fois j'aurais voulu... Je ne sais même pas ce que j'aurais voulu. Je suppose que j'en ai marre de souffrir autant pour quelque chose d'aussi inévitable.

Pendant quelques secondes, je reste là, le cœur brisé mais baignant dans sa chaleur, quand il me dit soudain qu'il m'aime. Je ferme les yeux, souffle... J'entends d'un coup la tempête qui nous entoure, revenant d'un coup sur terre. Un vent plus fort que les autres, comme un claquement de fouet, me fait sursauter et Senri apparaît soudain face à moi après avoir glissé sur le côté, sa chute amortie par un coussin de mousses. Je regarde Alice pas loin, luttant dans la tornade, le corps de Roda à mes côtés et de nouveau Senri. J'ai toujours atrocement mal, mais dans mon cœur s'est ranimé la place que j'accorde aux vivants.

Une main toujours dans celle de Senri, j'approche l'autre de son visage. Mes doigts glacés chargés par mon énergie de Guérisseuse perçoivent bien mieux que je ne vois ses blessures... Il a des coupures, des traces de coups,... Ses muscles et articulations usés par le sport constant qu'il s'impose,... Il m'aime ? Son cœur bat si fort... Son sang afflue à ses joues... J'y fait glisser mes doigts pâles en me penchant pour le regarder dans les yeux. Il ne me demande rien, ne dit rien d'autre... et ça suffit parfois. ...Le but c'est de toujours réussir à surprendre l'autre, c'est ça ?... Je me penche encore et cette fois, je ne recule pas, je n'hésite plus...

J'ai toujours mal... J'aurais toujours mal. J'ai tellement perdu, et je continuerai de perdre... Mais ça va aller. Parce que sur ma route je croise toujours plus de gens formidables, que je veux protéger, que j'aimerais garder le temps que la vie me le permettra. Je dépose doucement mes lèvres sur celles de Senri que je soigne d'un coup sans vraiment m'en rendre compte et soudain, la tempête semble souffler, une dernière fois, gonflant autour de nous avant de tomber. Tout s'immobilise, même si je continue de pleurer doucement... Quand je recule, je garde mes yeux fermés... J'ai peur d'avoir mal compris, de voir son visage et celui d'Alice... :

-Je suis désolée...

A l'aveuglette, je vais m'accrocher au t-shirt de Senri, je me glisse contre lui... Je suis fatiguée. Je peux me reposer ? Hein ?... Oui. Je crois oui, j'ai le droit un peu... J'entrouvre les yeux... Roda est morte... depuis plusieurs minutes maintenant... et j'aurais rien pu faire... mais j'ai été avec elle jusqu'au bout. Ma main libre lui donne une dernière caresse, faible, tremblante, mais douce. Farewell best friend... Je referme les yeux. :

-Je suis vraiment désolée...

Lorsque Chou et Chiri s'embrassèrent, tout sembla s'arrêter. Un calme impromptu, comme dans les shojos. C'est ce que Senri put percevoir et interpréter. Le calme, en particulier du point de vue du spectre émotionnelle, est compliqué à appréhender pour un sensitif — même aussi peu habile que Senri — puisqu'il est rare de ne jamais rien sentir ou capter.

Mais, ça n'avait rien à voir le blocage que Senri combattait depuis son étoilisation. C'est comme si, durant le court instant de ce baiser, pour une fois il était un adolescent normal. Sans pouvoir a gérer.

Il se redressa doucement, comme s'il anticipait la suite des événements. Quand leurs lèvres se séparèrent, il ne rouvrit pas les yeux tout de suite. Et ne chercha pas non plus à chercher ceux de Chou. Il la laissa s'accrocher à son tee-shirt et passa ses bras autour d'elle.

— Laisse-toi aller, je suis là et je vais tout prendre pour toi.

C'est à ce moment précis, en sortant cette phrase tout droit sortit d'un sjojo, avec les joues plus rouges que jamais, que son pouvoir de sensitif ressurgit pour lui faire capter toutes les émotions. Il les tria mentalement une par une, se concentrant au maximum pour ne pas simplement mourir. Puisque rappelons-le, il avait ; avoué ses sentiments à Chou, qui l'avait ensuite embrassé puis enlacé et il venait de sortir une phrase qui trahissait sa surconsommation de Shojo. Le tout, devant les yeux d'Alice. Il lui était néanmoins reconnaissant d'avoir dressé des murs devant les portes et fenêtres.

Après avoir, isolé chaque émotion, il se concentra pour diffuser une vague de calme. Pas trop puissante pour ne pas l'imposer a quiconque mais assez pour calmer les esprits.

Il releva enfin le regard vers Alice, rouge comme une pivoine.

— Euh... Je... Tu veux peut-être, lui tenir la main ?

[#Malaise]

Tout se calme, Alice n'a plus besoin de surveiller ses monceaux de terre pour qu'ils tiennent, pour qu'ils résistent au choc. Elle relâche la pression, retire la terre de ses pieds et ses mains, bras balants entre ses jambes, à genoux, elle reprend son souffle, essaie de reprendre ses esprits avec. Elle relève la tête, percevant que les pensées de Chrys se calment alors que celles de Senri s'embrouillent. Une vague de calme vient la toucher, mais elle sait que ce n'est pas le sien. Elle l'accepte tout de même, mais le chagrin revient bien trop vite.

Elle lève les yeux vers le cocon qu'elle a créé, et finit par entendre Senri qui lui propose de venir tenir la main de Chrys. Elle se retient de ne pas s'effrondrer, elle n'aura pas la force de se lever, encore moins d'accompagner Chrys à l'hopital ou l'infirmerie si besoin, elle ne pourrait même pas se lever pour vérifier s'ils vont bien, pour la prendre dans ses bras. Elle ne pourrait pas se lever pour venir voir Roda, la prendre dans ses bras une dernière fois.

Elle relève la tête vers Senri, devenu tout rouge. Le décalage de ce qu'il peut ressentir à cet instant, cette gêne, cette joie, en comparaison avec son chagrin et son inquiétude, la déstabilise d'autant plus. Elle secoue simplement la tête pour dire non. Elle n'en a pas la force, elle ne pourra pas se lever tout de suite. Elle baisse de nouveau la tête, c'est à Senri de s'ocupper d'elle, c'est de lui dont elle a besoin maintenant.

Pour tout sensitif, il y a une différence entre ressentir les émotions et les comprendre. Ce n'est qu'à ce moment, que Senri ressentit toute l'étendue du chagrin et de la peine d'Alice. Le malaise provoqué par la collision. Soudainement, l'adrénaline retombant, l'urgence de la situation passa et Senri se rendit compte, qu'il fallait qu'il se charge de ce qu'il allait se passait après.

Senri fit alors taire toutes ses émotions. Dressa des barrières mentales pour protéger Alice de ses pensées, qui à cause de l'apathie simulée par son pouvoir devenait presque mécanique.

L'adolescent prit Chou dans ses bras et s'approcha de la sortie.

— Je l'emmène à l'infirmerie. Je vais dire à quelqu'un de venir pour toi aussi... Je vais m'occuper de tout.

Il passa la porte, pour se diriger vers la sortie. Il interpella l'un des vétérinaires pour lui demander d'aider Alice et qu'il allait revenir pour s'occuper des dégâts mais aussi, de Roda.

Une fois que ce fut fait, il sortit et se hâta jusqu'à l'infirmerie. Traversant l'institut comme un bulldozer, montant les escaliers quatre par quatre. Il fit néanmoins tout son possible pour ne pas trop secouer Chou. Il arriva finalement jusqu'à l'infirmerie et confia la nouvelle Étoile à ses collègues. Il leur expliqua la situation, en leur disant qu'Alice aussi avait besoin d'aide. Et immédiatement, il repartit en direction de l'animalerie. Il devait se dépêcher pour être là au réveil de Chou.

Je suis allongée sur ses genoux, il me regarde en caressant mes cheveux. Je reconnais son sourire et j'ai envie de m'y accrocher... mais mes bras sont trop lourds. Il souffle et il sourit un peu plus, content de me voir mais peiné tout à la fois. J'ai l'impression de me voir, quand je tenais Roda et qu'elle était encore vivante... :

-Est-ce que je meurs ?

-Nan. Nan idiote. Tu renais.

Je regarde son visage... Quand j'étais petite, je voulais tellement lui ressembler, et c'est vrai, on se ressemble... Mais je suis aussi tellement moi. Tellement seule. :

-Lag... est-ce que c'est de ma faute ?... si les gens meurent ?

-Non petite sœur. Non. il passe des doigts dans mes cheveux, les glissant derrière mes oreilles. Tu le sais en plus qu'est-ce que tu racontes ?

-J'ai peur... de blesser les gens... de perdre Alice... et Chiri.

Le fantôme de mon frère perd en substance avant de se pencher, déposer ses lèvres sur mon front. Je sens que je pleure dans mon sommeil. :

-Chrys... Tu n'as jamais fait de mal à personne... Même ceux qui te détestaient... Parce que tu vois du beau dans tout le monde. Ne perds pas ça... tu ne perdras personne, parce que t'iras les chercher... Par la peau du cul.

Je ris doucement, lui aussi. Il me manque... Mon grand frère me manque tellement...

***

Quand j'arrive enfin à lever mes bras, je suis réveillée. Je ne sais même plus ce que je cherche à atteindre, j'ai juste tellement mal. Pas physiquement, je suis triste. Je réalise à quel point à ce moment... C'est comme si toutes mes pertes étaient soudain trop tangibles. Mes mains cherchent mais je n'ai absolument rien devant moi, alors j'appuie sur mes paupières, pour empêcher mes larmes de couler. Roda n'est plus là... Je n'ai plus rien. :

-Pardon...

Comment je peux penser ça quand Alice a voulu m'aider de toute son âme ? Quand j'ai dû lui faire tellement de mal en ayant peur de sa main ? Quand Chiri est venu nous aider ? Même si je pense qu'il était surtout là pour Roda, pas moi ? Quand je l'ai embrassé et qu'il est resté pour nous soutenir ? Qu'est-ce que j'ai fait ?... Que des bêtises... pourtant j'ai encore lancé ma main en avant, espérant qu'on ne m'abandonne pas... Je suis désolée... Je suis désolée.

Senri n'avait pas pu quitter l'infirmerie. Se résoudre à quitter Chou maintenant lui était beaucoup plus difficile que ce qu'il pensait. Il voulait au moins s'assurer qu'elle ne soit pas seule au moment de son réveil. Elle ne serait évidement pas seule, il y avait le personnel de l'infirmerie. Mais, ça ne suffisait pas. Alice ou lui devaient être présent. Et puisqu'Alice n'était pas encore arrivé, il restait.

C'était en réalité, une matérialisation d'un désir égoïste. Il voulait être là, il voulait la voir se réveiller. S'il partait maintenant, il avait l'impression de l'abandonner. Juste la voir battre des paupières lui suffirait. Il avait, bien-sûr, sentit le cœur de Chou battre. Sa poitrine s'élevait à un rythme régulier, également, indiquant une respiration normale. Mais, Senri voulait la voir ouvrir les yeux. Il n'y avait que de cette façon qu'il pourrait se sentir rassuré à propos de l'état de celle dont il était amoureux.

Il avait cessé de s'attarder sur le temps qu'il passait ici. Il attendait juste le réveil de Chou, perdu dans ses pensées.

Lorsque la main de Chou s'éleva dans les airs, les doigts calleux et massif de Senri épousèrent avec douceur la main de Chou. Des ses deux mains, il attrapa et tint la main de la nouvelle Étoile.

- Je suis là. Tu ne seras pas seule, Chou.

c'est quand même un peu un lover ce garçon