L’ivoirienne venait de finir son travail lorsque quelqu’un déboula dans le couloir, elle s’était pressée en sentant venir cette intrusion de faire regagner le seau à toute l’eau qu’elle avait étendue sur le sol pour le nettoyer. Cela s’était joué de peu, mais les roues de la nouvelle arrivante n’avait pas souillé le sol propre.

« Pas de soucis. » avait dit l’ivoirienne sans que la question ne soit formulée. « Tu devrais arrêter de faire ça, c’est flippant ! » avait répondu la master, ce à quoi Afya s’était contentée de sourire en réponse. Ainsi elle avait accepté de s’occuper d’accueillir un nouvel arrivant, elle ne savait pas son nom ni son prénom, mais son heure d’arrivée lui était connue. Ces derniers temps on lui avait demandé d’accueillir pas mal de nouveaux en tant que préfère, elle ne voyait pas de raison de refuser.

Elle attendait donc emmitouflé dans son immense polaire multicolore sous l’auvent de la maisonnette du gardien. Elle avait rentré ses mains profondément dans ses poches pour les tenir au chaud mais le vent n’était pas des plus cléments et s’infiltrer jusqu’à lui glacer les os. Pourquoi n’avait-elle pas prévu la météo plutôt que de voir qu’on allait marcher sur son sol propre déjà ? Pourquoi n’arrivait-elle pas à la dernière minute vu qu’elle savait l’heure exact de ce rendez-vous avec un inconnu ? Tout simplement car elle avait vu qu’en appliquant cette stratégie elle serait interrompue trop de fois pour être à l’heure et elle aurait du mal à le retrouver, aussi elle préférait braver l’hiver tokyoïte… Elle n’avait juste pas prévu qu’il serait si froid, voir qu’il ferait froid et le sentir n’était décidément pas la même chose.

Lorsqu’elle vit l’homme elle hésita à lui faire un signe de mains pour attirer son attention, mais la fraicheur m’en dissuade, alors je m’avance rapidement pour me retrouver face à lui quand Chris le laisse entrer.

« Salut, je suis Afya, je suis là pour te faire visiter les lieux. »

Quelques heures d'avion pour rejoindre le Japon et sa capitale, où Lloyd n'a encore jamais mis les pieds avant que tout ne soit chamboulé, une nuit trop courte dans un hôtel inconfortable, et deux changements de bus pour arriver à la première heure devant l'Institut dont on ne lui avait confié que l'adresse. Il voulait se présenter le plus tôt possible, avant même son rendez-vous, pour se laisser le temps de digérer cette histoire si toutefois elle s'avère vraie, et c'est un véritable miracle qu'il ne se soit pas perdu en route. Mais maintenant qu'il est dans la bonne rue, le haut bâtiment en vue et le portail à une cinquantaine de mètres à peine, il n'est pas sûr de vouloir combler la distance. On lui a bien dit lors de la Rencontre qu'une fois rentré, il ne ressortirait pas avant un moment pour sa propre sécurité. Un discours tenu par tous les geôliers de l'histoire, sans aucun doute.

L'autre alternative serait de laisser tomber, rebrousser chemin et profiter du voyage pour s'instruire au pays qui a vu naître le jeu vidéo. Il rentrerait en Australie avec d'innombrables anecdotes qu'il n'aurait pas l'occasion de raconter pendant les pauses café réservées au travail et reprendrait son train-train, encore plus apathique qu'avant son départ et sans plus d'espoir de retrouver une forme olympique. Malgré tout, cette option semble séduisante comparée à celle de se jeter tête la première dans l'inconnu alors Lloyd ne bouge pas d'un pouce, comme s'il attendait un signe du destin pour lui montrer la voie à suivre. Les minutes passent, entre regards anxieux vers la grille et vérification permanente de son téléphone, au cas où une notification sauvage lui fasse gagner de précieuses secondes loin du dilemme qui le travaille.

Une demie heure a passé quand il se décide enfin à soulever ses chaussures, sans doute poussé à faire un choix par le froid mordant. Après un dernier coup d'oeil à son smartphone, il réalise qu'il est pile à l'heure au moment de s'annoncer à l'entrée. Un peu plus loin de l'autre côté, il remarque une femme qui semble attendre quelqu'un et lui adresse un sourire mal à l'aise qui ne doit même pas se remarquer de cette distance. La grille coulisse, et le nouvel arrivant fait ses premiers pas à Terrae... On s'attend toujours à ressentir quelque chose dans ces moments-là, mais Lloyd doit seulement retenir une remontée gastrique, il a un peu abusé sur les plats épicés la veille. Tiens, voilà que celle qui attendait vient à sa rencontre et lui annonce qu'elle sera sa guide pour faire le tour du propriétaire.

"Bonjour...Lloyd, en chantier. Enchanté. J'avoue qu'une introduction en douceur ne serait pas de trop."

Le rouquin frissonne légèrement, déjà prêt à emboîter le pas à sa guide. Entre son teint de cachet d'aspirine et ses poils criards, et elle dont la peau a été gorgée de soleil sous une chevelure de jais, la visite commence par un sacré contraste. Une chose est sûre, ils recrutent à l'internationale ici, ce qui le rassure quelque peu. Un clan mystique voué à l'adoration de la princesse Zelda ne se serait pas donné tant de mal pour trouver des membres, surtout dans ce pays. Quand même, ça a l'air trop beau pour être vrai, cet endroit.

Une introduction en douceur, ce c’était plus évident maintenant que lorsque la jeune femme avait elle-même franchi les portes de Terrae pour la première fois. En effet à cette époque-là personne n’avait entendu parler de ces néo-humains avec des super-pouvoirs bien véner. En ces temps-là, les nouveaux avaient le choix entre la fuite et le facepalm. Certains bas de plafond choisissaient de se réjouir de ces nouveaux dons avant même de comprendre leur dangerosité. Afya avait, pour sa part, été parmi ceux qui avaient favorisé la fuite.

Elle regarda le blond. Non, le roux. Il semblait quand même vachement blond. Elle soupira intérieurement et mis fin à ce débat en le nommant : le barbu. Elle lui sourit, il avait demandé de la douceur, et il l’avait fait à la bonne personne.

“Que sais-tu déjà ?” demanda-t-elle pour ne pas le brusquer, il est toujours plus simple de ne pas brusquer les gens en ne leur annonçant pas de but en blanc “alors les feux pourraient faire cramer tout Terrae et les terres font pousser du cannabis.” C’était parfois un peu violent dit comme ça, et pourtant ce genre de réalités devaient être acceptées et non craintes;

“Mais si ça ne te dérange pas, on pourrait aller parler au chaud ?”

Elle frissonnait, même si son immense polaire le dissimulait très bien. C’était l’un des nombreux avantages qu’elle trouvait aux vêtements amples, ils masquaient ce genre de petits détails qui la faisaient paraître fragile, de même que son aspect de cure-dents. Cependant, malgré sa chaleur et sa douceur, la polaire ne protégeait pas du vent glacial; Malheureusement.

Février en Australie, c'est la saison chaude. Il fait même des températures à crever, et tout le monde a ses petites astuces pour se tenir au frais. Lloyd n'avait pas particulièrement prévu que les saisons seraient inversées quand il a fait le voyage, et c'est donc dans son costard habituel qu'il a débarqué. Aussi quand Afya lui propose d'aller se réfugier à l'intérieur pour discuter, toutes les parcelles de son corps le supplient d'accepter, et rapidement.

"Je te suis, je meurs de froid."

Ils ne mettent pas longtemps à atteindre l'entrée et s'y engouffrent dans un dernier courant d'air gelé, ce qui a laissé tout le temps au rouquin de réfléchir à la seconde question qu'on lui a posé, ce qu'il sait. Il sait qu'il pensait être heureux il n'y encore pas si longtemps, que sa vie est un sacré foutoir depuis quelques mois et que l'arrivée d'un étranger mystérieux dans vie pour lui annoncer qu'il est spécial n'a absolument rien arrangé. Voilà le topo, à prendre ou à laisser. Mais il comprend bien que ce n'est pas le genre de réponse attendue.

"Terrae... j'ai arrêté de suivre l'actualité il y a des années, mais j'en ai évidemment entendu parler. Quant à croire ce qu'on en dit, c'est une autre histoire, même pour une personne ouverte d'esprit. On m'a parlé du Vide, on m'a dit que je ne suis pas seul et que les gens comme moi viennent ici. Et j'ai bien compris le concept d'emprisonnement, même enrobé des habituelles promesses de liberté. Je suis venu quand même, alors je ne vais pas m'en plaindre. Et il y a les pouvoirs..."

Lloyd s'arrête, il n'a aucune idée de comment développer cet aspect là du problème, il ne sait toujours pas quoi en penser. Il hésite à demander à sa guide ce qu'elle, elle a de spécial, comme si cela pourrait l'aider à décider s'il a envie d'y croire ou non. Mais il se tait, prend le temps de regarder autour de lui et change complètement de sujet.

"Par contre, je ne sais rien de la vie ici. Et pour quelqu'un qui avait trouvé ses habitudes dans le monde extérieur, j'ai peur que le choc ne soit un peu violent."

« Je ne sais pas si l’on peut parler d’emprisonnement dans la mesure où tu pourras repartir quand tu le désireras. Si tu restes ici c’est que tu y consentiras et y trouvera ton compte. On te demandera une première fois si tu veux rester ou partir d’ici une quinzaine de jours, et si tu préfères partir tu en seras libre, si tu décides de rester et de recevoir des pouvoirs tu pourras encore partir à tout moment en y renonçant. »

Il lui semblait important de clarifier ce point. Terrae n’était pas une prison, tout au plus un engagement… Mais pour elle il s’agissait surtout d’un choix. On choisissait Terrae pour ce qu’elle apportait plus qu’elle choisissait ses membres pour ce qu’ils pouvaient lui apporter. Elle sortit ses mains de ses poches et les frotta l’une contre l’autre pour les réchauffer un peu, car malgré qu’elles fussent restées dans ses poches, elle semblaient avoir souffert du mauvais temps. Elle reprit :

« Pour le reste ici ce n’est pas si différent de dehors, si tu veux de l’argent tu te trouves un travail, tu as un panneau d’affichage ici où tu peux trouver les offres d’emploi ou déposer un mot en disant que tu en cherches un et donner tes compétences. »

Elle désigna un panneau en liège accroché sur un des murs de l’entrée. Quelques demandes y trainaient, mais les CV disparaissaient toujours rapidement, il n’y en avait aucun.

« Contrairement à dehors, tu es nourris-blanchi quoi qu’il arrive. Actuellement tu es novice, cela signifie que tu n’as pas encore reçu tes pouvoirs, tu dormiras dans le dortoir des garçons par là et si tu continues ce couloir là tu trouveras la cantine. Quand tu auras reçu tes pouvoirs et que tu connaitras ton affinité tu auras une chambre personnelle dans les dortoirs de cette dernières au 2e, 3e ou 4e étage. »

Elle se tait pour attendre ses prochaines questions.

Le couplet prison/pas prison, Lloyd l'avait déjà eu en sortant du métro, le même à quelques nuances près. Il n'empêche que s'il adhère au programme il ne pourra pas sortir quand bon lui semble, ce qui constitue la base de la liberté. Il pourrait répondre mais à quoi bon se lancer dans un débat stérile alors qu'il vient tout juste d'arriver, mieux vaut faire profil bas et suivre les règles docilement dans un premier temps. Et puis le panneau d'affichage avec les offres d'emploi l'intéresse déjà plus, parce qu'il faudra bien qu'il passe ses journées à quelque chose. Il n'a pas prévu d'aller se retaper Pythagore et tout le tremblement avec les mouflets, il a fait assez d'études pour le reste de sa vie.

"Je n'ai pas spécialement besoin d'argent, je me débrouillais plutôt bien jusqu'ici, mais j'ai définitivement besoin d'un passe-temps. Merci pour l'info. Par contre j'espère quand même que ce n'est pas exactement pareil ici que dehors, parce que la vie à l'extérieur... c'est franchement pas bandant."

Faut être honnête, à moins d'être Jeff Bezos ou la dernière Youtubeuse à la mode, on passe quand même une grande partie de son temps dans les emmerdes ou pire, l'ennui. Même en prenant en compte sa morosité actuelle, Lloyd n'a jamais eu un regard très optimiste sur son environnement, ce qui n'empêche absolument pas d'en tirer le maximum. C'est sur ce point qu'il a du mal à suivre dernièrement. En tout cas, le pitch de la guide continue avec des questions purement matérielles.

"Ah non non, non... un dortoir commun, sérieusement ? J'ai une tête à faire des bonshommes en pâte à modeler avec mes petits camarades ? Promis, je sais déjà faire mes lacets et popo tout seul, y a pas moyen de payer pour un logement normal ?"

Parce que passer du quatre-vingt mètres carrés tout équipé à un lit de camp dans une ambiance emo-goth, ça risque pas de lui faire oublier sa déprime, ça c'est sûr. Il va falloir un moyen d'échapper à la torture auditive, et vite. Enfin bon, la pauvre, elle y est pour rien, elle ne fait que lui expliquer et on ne tue pas le messager.

"Bref, je verrais ça plus tard. Au fait, c'est quoi toi, ton... truc ?"

Pas qu'il veuille rentrer dans la caricature, mais il n'a pas pu s'empêcher d'accompagner le dernier mot en gigotant les mains devant lui comme un magicien.

Afya ne pouvait dire si Terrae était très différente du monde où vivait Lloyd. Elle ne le connaissait pas, et ne se permit pas d’aller fouiller son passé pour trouver la réponse. Terrae était bien entendu différente du monde extérieur en cela que chacun ici avait des pouvoirs, et c’est peut-être ce qui la faisait le plus ressembler à l’extérieur pour l’ivoirienne. Si un seul d’entre eux avait eu des pouvoirs, cela aurait été un dieu ou un monstre, le fait qu’ils en aient tous les rendait presque communs. Elle avait toujours cru en la magie, elle n’avait pas eu besoin d’attendre de voir celle des habitants de Terrae.

Il essaya de lui transmettre sa frustration quand à son nouveau lieu de vie. Elle ne sut pas trop quoi lui répondre. Le dortoir commun n’était pas inconfortable, et majoritairement vide ce qui permettait à ceux qui le désiraient de se tenir à l’écart. Elle n’avait jamais essayé de déménager, mais elle savait que certains initiés et étoiles sous-louaient leurs chambres pour se faire quelques sous.

« Certains initiés et étoiles louent leurs chambres, je peux essayer de me renseigner. »

Elle savait que Baxter reviendrait bientôt, et qu’il avait un accord avec Ramiel. Les deux vivant en colocation pour louer l’une de leurs chambres. Elle se rendit rapidement compte qu’elle avait cessé de l’écouter pour se projeter dans le futur proche de Baxter quand elle avait pensé à lui. Elle revint donc au présent.

« Mon truc ? »

A dire la vérité elle ne sait pas vraiment ce qu’il cherche à savoir. Elle a beaucoup de trucs. Elle aime raconter des histoires. Elle aime écrire des histoires.

« Mon truc c’est les contes. »

Ce n’était sans doute pas ce à quoi il s’attendait comme réponse, mais vous connaissez l’adage : à question conne réponse à côté de la plaque.

En voilà une bonne nouvelle, des gens qui louent. Lloyd est prêt à faire chauffer le compte en banque si ça peut lui éviter de se coltiner l'acné juvénile et les soirées pyjama, avec l'âge on a tendance à donner de plus en plus d'importance à un sommeil tranquille.

"Ce serait pas de refus, j'avoue que la colocation ne m'enchante pas des masses."

Il la regarde en disant ça, et ne peut pas s'empêcher de penser qu'elle a l'air un peu perchée. Complètement même, sauf qu'il ne saurait pas dire si c'est son état de base ou si elle est sous l'emprise d'une quelconque substance. On pourrait la poser devant un camion de son en fin de festival avec tous les zombies abreuvés de musique psyché qu'elle ne ferait pas tâche dans le décor. Mais là voilà qui ressurgit de ses songes et lui répond quelque chose qui n'a aucun sens.

Les contes ? Elle a un pouvoir en rapport avec ça ? Elle peut les retenir par cœur et les ressortir même en condition de stress extrême ? Pas très utile pour résoudre un conflit mondial, mais pourquoi pas. L'hypothèse la plus probable cependant, c'est qu'elle n'ait rien compris à la question. Elle avait pourtant l'air assez futée pour déduire qu'un truc dans cet endroit, surtout pour un nouveau, ça ne peut être qu'un pouvoir. L'option drogue gagne en crédibilité, ces choses peuvent faire des ravages.

"Je parlais de ton pouvoir, en fait. Vu qu'on se trouve dans un institut dédié à ça... Mais si j'ai besoin qu'on me dessine un mouton je viendrais te voir, pas de souci."

Il lui sourit, sans trop savoir si elle prendra ça comme une pique ou comme de l'humour. Son ton dénué de soleil n'aide pas vraiment à faire la distinction, mais pour le moment il fait ce qu'il peut.

"Sinon, il y a quoi d'autre à voir ?"

C’était donc de cela qu’il voulait parler quand il cherchait à savoir ce que c’était ‘son truc’. C’était évident, comment avait-elle pu passer à côté ! Elle s’était amplement laissé distraire. Elle soupira intérieurement.

« Je suis eau solaire, cela signifie que je maitrise l’eau et que je peux voir le présent, mais aussi le passé et le futur. »

Le passé étant plus fixe que le présent, elle y avait plus ses aises, et ne parlons pas du futur. A moins de savoir exactement ce qu’elle y cherchait il pouvait être incompréhensible. Elle avait la chance de s’être rendue compte très tôt que plusieurs futurs coexistaient et que si certains paraissaient plus clairs que d’autres car ils étaient plus probables.

« Tu es ici à l’institut Terrae. Comme tu l’as compris c’est ici qu’on loge pour la plupart d’entre nous. C’est aussi ici qu’ont lieu les cours pour les enfants et les adolescents. Si cela te convient on va aller poser tes bagages dans le dortoir commun pour l’instant et je te ferais visiter les lieux qui pourront t’être utiles ou t’intéresser je pense. »

Bien entendu elle se doutait que les salles de classe ne l’intéresseraient pas particulièrement et pourtant, certains trouvaient en celle d’arts plastiques ou de musique des lieux conviviaux qui une fois la journée de cours passée devenaient leurs repères favoris. Il lui semblait important aussi de lui montrer la salle d’entrainement, la salle commune et la salle des masters. Il aurait sans doute besoin de l’une ou de l’autre à un moment. De même il lui faudrait lui montrer comment on se rendait en ville. Quand elle faisait visiter les lieux, elle veillait toujours à présenter toutes les choses qu’elle aurait aimé savoir lors de son arrivée.

Première nouvelle, les pouvoirs sont apparemment rangés dans des petites cases. Et lui, il peut avoir un aperçu de s'il sera plutôt paprika nocturne ou bigorneau printanier ? Juste pour savoir si ça vaut le coup de rester, parce que s'il finit à maîtriser la pâte à crêpes les perspectives d'avenir risquent d'être limitées. Plus sérieusement, le naturel avec lequel elle lui a sorti son affinité lui fait comprendre que tout cela est bien réel, il n'est pas en train de participer à une vaste blague et parmi les mille questions qui lui viennent, celle de savoir ce que lui sera capable de faire est tout en haut de la liste.

"Et hum... il y a moyen de savoir à l'avance dans quelle catégorie on sera, ou c'est la loterie ? Vu que ça risque un tout petit peu de changer ma vie..."

C'est vrai qu'obtenir une habilité pareille du jour au lendemain, même mal maîtrisée, ça peut vous transformer quelqu'un. Il n'y a qu'à regarder Afya, maintenant que Lloyd sait ce qu'elle peut faire, ça ne l'étonne pas une seconde qu'elle ait l'air de planer à des kilomètres. Etre capable d'apprécier le futur quand on sait à quoi ressemble le présent, ça ne doit pas donner envie de faire la fête tous les jours, plutôt de s'échapper et ne jamais revenir.

Le rouquin aurait bien disserté intérieurement plus longtemps, mais la remarque sur ses bagages le fait revenir au réel. Il est presque gêné au moment de répondre, comme un gosse pris la main dans le sac.

"Je dois faire livrer mes affaires ici, elles sont encore à l'hôtel. Je... j'étais pas sûr de ce que je ferais, alors je voulais pas les trimballer pour rien."

Il ne doit pas être le premier à douter, mais tout de même. Au moins, ils ne perdront pas de temps avec ça, ce qui l'intéresse c'est surtout de voir ce que l'Institut a à offrir, sans pourtant avoir d'attente particulière.

"Du coup... on continue la visite ? "

"Je peux te dire quelle sera ton affinité si tu le veux, mais ne préfèrerais-tu pas apprendre à connaitre Terrae avant ? Je veux dire, si d'un prime abord ton affinité ne te plait pas, peut-être décideras-tu de partir quand tu aurais voulu rester pour la découvrir, et si ton affinité te plait trop, alors ce pourrait être l'inverse. Je sais que connaitre l'avenir est tentant, mais ça peut être très démotivant."

Le paradoxe c'était que nombre d'avenirs coexistaient, certains semblaient inéluctables, d'autres étaient soumis à des choix qui n'étaient pas pris, mais quand elle révélait un avenir il devait souvent unique. Les gens avaient confiance en ses visions, et cela les aidait à les concrétiser. Parfois elle n'avait pas besoin d'avoir de visions, elle disait juste aux gens que ça allait bien se passer s'ils donnaient le meilleur d'eux-mêmes, et c'était ce qu'il se passait. Les mots d'une voyante étaient emprunts de pouvoirs même quand elle n'en utilisait pas.

"Oui, suis-moi. Du coup là t'as les douches des garçons et si tu continues ce couloir-là comme tu as la cantine, tu veux manger quelque-chose ? Il est encore tôt, il n'y aura pas de queue."

Il lui semblait opportun de proposer quelque-chose à manger à l'homme avant d'entamer la visite. Si lui avait douté de sa venue, elle ne l'avait pas fait.

"Et ne t'inquiètes pas, je crois qu'on a tous douté lors de nos premiers jours ici. Rester est juste devenu une évidence avec le temps, mais peut-être ne la partageras-tu pas."

Si il la partagerait, et elle n'était pas étonnée de son affinité à venir, il était assez impatient pour que ça colle.

En écoutant le petit laïus d'Afya sur les affinités, Lloyd ne peut s'empêcher de grimacer. Il ne s'est pas posé la question de savoir si son futur pouvoir lui plairait, il est seulement impatient de découvrir ce qu'il sera capable de faire. D'autres avaient sans doute eu l'impression d'avoir été lésés, ou au contraire de se voir confier un trop lourd fardeau, mais le rouquin a vite compris qu'il ne pourrait pas choisir et qu'il devrait tout simplement faire avec. Son raisonnement se poursuit à voix haute, alors qu'il continue de suivre sa guide à travers le hall.

"Je ne crois pas qu'il y ait à apprécier son affinité ou non... ce sera une partie de moi, comme la couleur de mes cheveux, alors à quoi bon pester contre ce qui est déjà défini depuis toujours. Les conséquences d'obtenir un pouvoir pourraient m'effrayer au point de partir, mais certainement pas sa nature. Je vais quand même garder la surprise pour le moment venu, c'est plus intéressant."

Toute cette histoire est encore à l'état de brouillon dans son esprit, pas étonnant que son discours le soit également. Afya aura certainement compris l'idée générale, c'est tout ce qui compte et en passant devant les diverses salles du rez-de-chaussée, un autre sujet inquiète l'australien de plus en plus. Devoir passer ses nuits dans un dortoir avec d'autres étudiants ne l'enchantait déjà pas beaucoup, mais rajouter par dessus les douches communes et la cantine est un nouveau coup porté à son moral déjà en berne. Cette histoire de sous-location d'appartement est à faire passer avant tout le reste pour survivre à cet endroit.

"Je ne suis pas contre manger quelque chose, si on a encore beaucoup d'endroits à voir. A moins que tu sois pressée, je ne voudrais pas te mettre en retard. La bouffe est bonne, j'espère ?"

Une considération qui pourrait paraître très secondaire comparée à d'autres quand on devient pensionnaire à Terrae, mais Lloyd a toujours aimé se nourrir correctement et il ne compte pas s'arrêter. Sans compter que s'accrocher à ce genre de détails a quelque chose de rassurant, quand tout le reste baigne dans l'étrange.

Son discours est plutôt perturbé, elle pense jusqu’à la dernière phrase qu’il veut savoir, mais finalement à la dernière épingle il fait volte-face. Elle ne dit rien, car c’est ce qu’il lui demande mais est de plus en plus persuadé qu’il sera tonnerre. C’est diffus, discret, et pourtant évident pour quiconque est habitué à Terrae et ses affinités.

« Ce n’est pas bien grand Terrae, mais si tu désires une visite un peu exhaustive ça nous prendra plusieurs heures. Après je comprendrais que tu veuilles découvrir par toi-même. Je peux te montrer seulement les lieux que tu veux connaitre, par exemple, je ne sais pas, si pour toi il est important de connaitre un lieu où on peut jouer du piano je peux te montrer la salle de musique. »

Autant se simplifier la vie tant qu’à faire, et il fallait avouer qu’ils savaient y faire.

« Et oui, c’est plutôt bon ce qu’on mange à la cantine, on y veille. Une majorité des fruits et légumes que l’on mange sont cultivés par les terres pas très loin, donc ils sont de qualité et on essaie de ne pas gâcher. Il y a des menus qui changent relativement souvent et qui viennent de tous les coins du monde, mais si tu as un doute, les frites sont toujours bonnes ! »

Et elle en savait quelque-chose, car depuis qu’elle travaillait en cuisine, elle en avait épluché et taillé des pommes de terre. Elle savait aussi qu’elles avaient leur petit succès et qu’il y en avait à chaque repas. Heureusement maintenant cela faisait partie des taches qu’elle pouvait faire par magie, un peu de glace coupante et la peau des légumes s’envolait et ils se trouvaient découpés correctement en julienne.

Un peu rassuré par la qualité de la nourriture qu'il devra ingérer au quotidien, même s'il y a bien longtemps que la présence de frites au menu n'est plus un argument décisif de son régime alimentaire, Lloyd emboîte le pas à sa guide dans le réfectoire pour constater que la salle est quasiment déserte. Il en est plutôt soulagé, il n'était pas sûr de vouloir être inspecté comme une bête curieuse par une masse d'inconnus une demi-heure à peine après avoir posé ses valises. Qui ne sont pas encore là.

Tout en se dirigeant vers les présentoirs où restent encore quelques viennoiseries survivantes du petit déjeuner, le rouquin réfléchit aux lieux qu'il aimerait visiter dès maintenant. Difficile d'imaginer ce qu'il pourrait bien faire de ses journées ici, d'autant qu'il ne sait absolument pas quel genre d'activités sont proposées... le plus simple, c'est de commencer par ses centres d'intérêts, il pourra toujours satisfaire une éventuelle curiosité plus tard.

"Il serait préférable pour tout le monde ici que je me contente d'écouter de la musique plutôt que d'en faire, je crois. Le seul clavier que je connaisse, c'est celui de mon ordinateur et ça me va très bien comme ça. Par contre, je faisais pas mal de sport avant et je pense que j'aurais le temps de m'y remettre, on peut peut-être commencer par là. Et puis il y a l'informatique, je bossais dans les jeux vidéo... je sais pas s'il y a des endroits en rapport avec ça, c'est juste une idée en l'air."

L'avantage d'être presque seuls dans la cantine, c'est que ça ne se bouscule pas pour se servir. Lloyd a remarqué du coin de l'oeil quelques sandwichs en bout de rayon, sans doute destinés aux étudiants ou travailleurs qui n'auront pas le temps de repasser par ici à midi, et il mangerait bien quelque chose d'un peu plus consistant qu'un bol de céréales. Même s'il n'a pas prévu de tenir la jambe à Afya pendant des heures, il compte bien se balader dans l'Institut un moment pour prendre ses marques quand la visite de courtoisie sera terminée alors autant prendre des forces.

"Ça te dérange pas si je mange pendant qu'on marche ? C'est autorisé ? J'avoue que maintenant que je suis là, j'ai pas franchement envie de rester en place."

La jeune femme commence à ordonner ses pensées, le sport donc ? Elle lui montrera le gymnase et les jardins, chacun fait du sport comme il peut. Elle, par exemple en a tenté plusieurs de sports, profitant des nombreux clubs, elle n’a finalement poursuivi que la course à pied et… Le volleyball, cette pensée la peine car elle la renvoie à Senri. Elle contracte les mâchoires, elle ne veut pas y penser. Elle a plus important à faire. Elle force un sourire et une idée.

“Tu pourrais proposer tes services à la bibliothèque, on est pas mal à galérer avec les ordinateurs… Tu serais d’un prompt renfort.”

C’est une idée comme une autre, elle se souvient de la galère des recherches pour tenter une université.

“Enfin, on m’a déjà fait comprendre qu’informatique c’était hyper vaste, peut-être que je dis des sottises.”

On change de sujet, alors elle suit.

“Non c'est interdit, après ça donne beaucoup trop de travail aux employés de ménage !" dit-elle en essayant d'être sérieuse, ce qu'il faut l'avouer est plutôt facile pour la jeune femme. "Je rigole, c'est moi qui m'occupe des étages demain, ça ne posera pas de problèmes... mais je crois que ce n’est pas très bon pour la santé, tu veux qu’on trouve un coin plus sympa pour s’arrêter ?”

Si l’idée d’un pique-nique s’impose initialement à son esprit, elle se rappelle le vent glacial qui battait ses tempes alors qu’elle attendait le roux. Elle se dit que ce n’est pas la meilleure de ses idées, mais un petit détour par la salle commune et ses fauteuils pourrait s'avérer payant.