__-C’est donc ça, ma vie.
__-Un boulot. Des rentrées d’argent – légales. Des fringues qui ne me font pas passer pour une clocharde. Bien vivre son infirmité. Ne plus fumer de la beuh comme un pompier. Un appartement avec un vrai lit, une cuisine et salle de bain toutes équipées. J’ai pas masse d’affaires, du coup l’emménagement s’est fait passez vite, mais ça reste à signaler.
__-Et surtout, j’ai une petite sœur. Pricie, qui est quand-même bien adorable comme il faut.
__-Je me mets à prononcer des phrases comme « Salut ma grande, bien dormi ? », « Tu peux me passer le beurre steup ? », « Amuse-toi bien en cours, à tout de suite », « Je t’ai glissé des thunes pour aller à la cafèt avec tes potes, sinon tu peux passer à midi manger avec moi au bar, comme tu veux. », « Coucou je suis rentrée ! », « Alors, c’était bien tes cours ? », « Tu veux bien mettre la table pendant que je cuisine s’il te plaît ? », « Ça te dit on se mate un film pendant qu’on mange ? », « Ne te couche pas trop tard, y’a école demain. »
__-J’apprends d’elle autant voire plus qu’elle apprend de moi. On partage ses cours de japonais, je lui fais découvrir mes nombreuses références pop culture. Pricie a une figure fraterno-maternelle et à travers elle, je découvre tous les jours ce que ça veut dire être une adulte fonctionnelle et responsable.
__-J’avais pas mal de projets d’avenir étant jeune, pas beaucoup consistaient en devenir une membre de la classe moyenne et avoir une famille, le tout au Japon.
__-Est-ce que ça me plaît ? Ah bah carrément. Ça fait un bail que je n’ai pas été anxieuse, ma consommation de drogue est passée sous un niveau acceptable pour que ça reste strictement récréatif, j’ai perfectionné la création et l’utilisation de cristaux pour contrôler mon bras végétal. J’ai encore du mal à me faire aider au bar, il faudrait sérieusement que je trouve un employé pour m’aider, mais si j’en suis à me soucier principalement de ça, c’est que tout va bien.
__-Et puis, ce matin, Pricie et moi avons fini d’emménager sa chambre et défait le dernier carton. Elle peut vivre chez moi à titre permanent.
__-’faut qu’on fête ça.

__-Déjà, j’ai commandé des sushis. Ça va être… la première fois que j’en mange, en fait. Pour quelqu’un qui vit depuis un an au Japon, c’est fort. Mais comprenez, avant j’étais pauvre et autonome pour la majeure partie de mon alimentation, alors je n’avais pas vraiment d’occasions ou de besoin de commander des plats locaux. Puis des restaurants japonais, ça court pas les rues de Manaus, en tout cas pas la partie que j’avais l’habitude de fréquenter. Après, entre nous, quand un plat de fête c’est de l’alligator et des fruits de la passion, passer au saumon et à l’avocat, ça fait fadasse. Il y a le gingembre et le wasabi, ça compense. Et puis, les sushis, ça fait fête, quoi. ’faudra pas compter sur moi pour cuisiner typiquement amazonien de toutes façons. Déjà parce qu’importer des poissons du Rio Negro à Terrae bonjour, ensuite parce, oh, vous m’avez regardé ? Je sais cuisiner mais pas à ce point là.
__-Ça, et on va se faire un film. Peut-être un de mes films préférés. Enfin, un de mes films préférés qui n’incluent pas des gros plans sur des tas de flingues. Le Voyage de Chihiro. La base. Le truc, je suis sûr que ça marche, ça fait ton sur ton et c’est plus accessible à un public jeune que ce que je me suis matée à son âge, à savoir les Star Trek. En dépit de tout l’amour que j’ai pour Terre Inconnue, le dernier avec Leonard Nimoy où on sentait qu’il aimait encore faire ce qu’il faisait, vu que cette série a pris un méchant coup de vieux elle est à ranger dans la catégorie « à tester un soir normal où c’est pas grave si ça ne lui plaît pas ».
__-Après avoir passé commande, je prépare le film, diffusé depuis un site parfaitement légal mais auquel j’accède avec un VPN parce qu’on ne sait jamais. Je me suis payé un grand écran – mais pas de télé, je diffuse depuis mon téléphone après avoir acheté un adaptateur micro-USB à USB, un autre USB à HDMI et enfin un HDMI à DVI. Mon prochain achat, ce sera une unité centrale que je brancherai sur la télé.
__-Dès que les sushis arrivent, je les dispose sur un plat, sors nos plateaux, des assiettes, des baguettes, sort une bière, un verre avec du sirop de fraise et mets tout ça sur la table basse.
__-Il fait pas froid ici, je vais ouvrir la fenêtre.
__-Puis je vais jusqu’à sa chambre et toque.
__-« C’est prêt ! »

__-Et ouais, c’est la fête.
__-On notera que Pricie arrive sans trop forcer à être mieux sapée que moi. Remarquez, c’est pas dur. Mais quand-même, ça me fait plaisir de la voir comme ça. Enfin je dis ça, ça me fait plaisir de la voir tout court, mais là disons qu’il y a un truc en plus.
__-Et en plus, en entrant dans le salon, elle a tout ce qu’il faut d’étoiles dans les yeux pour me faire craquer. Je ne lui ai pas trop posé de questions sur son passé – si elle a envie d’en parler, je préfère que ce soit elle qui commence, quand elle sera à l’aise – mais de ce que j’ai pu en comprendre, ce genre de cadre était assez rare. Un foyer – pas juste un toit je veux dire –, tout ça. Notez, pour moi c’était pareil. Enfin, je m’entendais relativement bien avec mes parents, mais j’ai toujours plus ou moins vécu dehors.
__-« Ah ben attend, t’es officiellement installée, ‘faut marquer le coup. »
__-Ah, elle devient rouge.
__-Oh.
__-Je prends le sachet. L’ouvre.
__-Oh. C’est…
__-« Adorable. Il est magnifique. »
__-Je prend le pendentif dans ma main gauche, le fait tourner. Every little thing is gonna be allright. T’as bien raison, Bob. T’as bien raison.
__-Je le mets autour de mon cou. Hé, maintenant que j’y pense… c’est mon premier bijou, en fait. Ça ajoute une nouveauté supplémentaire à la liste, qui est pas mal longue – comme le bras, ahah –, de trucs inédits dans ma vie qui déboulent grâce à Pricie.
__-Je m’assieds sur le canap’.
__-« Allez je t’écou— oh, attend. »
__-Je retire ma puce de traduction. Si elle a bossé la prononciation, il ne faut pas que ça se perde.
__-« Tu pouvoir y aller ! » En japonais dans le texte. Il est encore un peu hésitant mais on va dire que c’était compréhensible.

Je ne veux pas que tu maigrisses du cœur, en suivant des régimes de peur, attrape pas froid aux yeux, garde ton audace, attrape pas froid en Dieu, s'il te menace

Il y a parfois des moments que l’on croit merveilleux. Des instants où tout semble possible, où on se sent si heureux que rien ne nous semble moins important que cette joie qui nous envahit. Ce fut un de ses instants que vivait Pricie alors qu’elle commençait à chanter.

« Yondeiru mune no dokoka okude
Itsumo kokoro odoru yume wo mitai
Kanashimi wa kazoekirenai keredo
Sono mukô de kitto anata ni aeru »

Elle m'appelle, cette voix, tout au fond de mon cœur
Je voudrais ne rêver que de rêves qui m'exaltent
J'ai traversé des océans de tristesse
Mais je sais que sur l'autre rive, je te rencontrerai sûrement

Pricie s’appliquait toute concentrée sur ce qu’elle chantait ce qui était assez mignon cet air à la fois attentif au maximum et heureuse sur son minois. En entamant le deuxième couplet, le regard de la jeune adolescente s’arrêta sur le cou de Luna, Le collier y était, Grande-sœur Luna a aimé son cadeau, cela suffit à donner encore plus d’enthousiasme et d’application à chanter à la jeune Pricie.

« Kurikaesu ayamachi no sono tabi hito wa
Tada aoi sora no aosa wo shiru
Hateshinaku michi wa tsuzuite mieru keredo
Kono ryôte wa hikari wo idakeru »

Je suis ce voyageur qui répète les mêmes erreurs
Mais qui connaît le bleu du ciel pour l'avoir exploré à chaque chute
Le chemin semble long et interminable, mais je peux, de ces deux mains, étreindre la lumière.

Alors que Pricie prononçait :

« Sayonara no toki no shizuka na mune »

La sonnerie de la porte retentit. Etrange vu l’heure tardive pensa Pricie. Mais elle indiqua à Grande-sœur Luna en un sourire : « Reste assise, je vais voir puis je continue la chanson ! » La petite rougit un peu : « J’espère que c’était pas trop mal pour le moment grande-sœur ! »

La fillette de quatorze années fonça à la porte, l’ouvrit et un malaise l’emplit face à ce qu’elle vit : Une plante desséchée et agonisante avec un mot dactylographié : «  Voilà ce qui arrive quand on est avec toi fille de terroriste ! On crève ! Éloigne toi de Luna ou elle finira cramée comme ton père ! » C’était sûrement quelqu’un qui a eu un proche blessé dans l’attentat se dit Pricie.

La tête lui tournait, elle avait la nausée, elle tenta de respirer doucement pour calmer l’angoisse.

Tout allait bien.

Le visage de son père fondant sous les flammes lui revint en mémoire.

Tu as une nouvelle vie maintenant, il ne va plus rien arriver de mal.

La jeune adolescente regarda la plante mourante.

Ce ne sont que des menaces, plus personne ne sera blessée, ni Grande-sœur Luna ni toi !
Pricie prit la plante délicatement en ses mains si jeunes s’accrochant à cette idée et ferma la porte.

« Grande-soeur pardon d’avoir été longue, je donne à boire à une plante et je reviens ! »

Luna n’avait pas besoin d’en savoir plus, Pricie ne voulait pas l’inquiéter. Elle arrosa la pauvre plante et retourna au salon.

Grande-sœur Luna n’était pas dans son état normal. Ses yeux étaient entièrement marron comme des feux de signalisation, un marron opaque les emplissant entièrement. Pricie courut vers Luna se rappelant le mot de menace, était-ce lié ? Non mais pour Pricie oui, il n’y avait pas de doute, pourtant elle pensait refaire sa vie et être heureuse, former une famille avec Grande-sœur Luna ! Ys, le master qui s’en était pris à elle quelques mois auparavant avait-il raison ? Son passé l’isolerait à jamais ? Etait-elle aussi dangereuse et monstrueuse qu’il lui avait dit ?

Pris de panique Pricie secoua Luna : «  Grande-sœur pardon ! S’il te plaît ! Grande-sœur reviens en ton état habituel ! Je ferai attention ! Pardon ! S’il te plaît pardon ! »

La petite adolescente avait les joues humides de larmes qu’elles ne pouvait plus retenir.

Sayonara no toki no shizuka na mune 
Mon cœur cesse de battre quand je te dis adieu

__-Je ne comprends pas tout, mais c’est pas ça qui est important. Je porte plus d’attention à Pricie elle-même et au bonheur qu’elle rayonne qu’aux paroles.
__-Vous savez quoi ? Pour une fois, j’ai plus rien à dire. Pas de commentaire à faire. Pas de pensée parasite, d’ironie auto-dépréciative, de commentaire méta, de long dialogue intérieur, de digressions inutiles ou toutes ces conneries de narration à la première personne (enfin si du coup un peu, mais ça reste dans la limite du tolérable, vous allez pas me dire).
__-J’imagine que ça doit être contre-intuitif pour une Terre, mais depuis qu’elle a commencé à chanter, j’ai eu l’impression de m’envoler. Enfin, pas exactement. Vous voyez, le land speeder de Luke dans le IV ? Il flotte légèrement au-dessus du sol et du coup, il ne sent pas les cahots sur la route. Ben voilà, c’est à peu près ça l’idée. À un détail près : c’est que je ne suis pas en train de penser. Pour peut-être la première fois, j’ai la tête vide. Enfin non complètement pas la première fois vu que c’est exactement pareil quand je suis défoncée. Mais quand je me mets la misère, ça ne disparaît jamais tout à fait et j’ai en plus ce vague sentiment de culpabilité diffus. Donc en fait, c’est infiniment mieux que d’être défoncée.
__-À deux détails près : je ne suis pas en train de penser tout ça, j’ai au contraire l’esprit très vide. Mais il faut bien que quelqu’un dise quelque chose.
__-Ça y est, tout va bien. À partir de là, tout ne peut qu’aller bien.
__-N’est-ce pas ?
__-Ah, on sonne. J’attendais personne et il me semble que Pricie non plus. Je me lève mais elle m’arrête.
__-« Ça marche. C’était parfait jusqu’ici, j’ai hâte d’entendre la suite ! »
__-Du coup je l’attends en prenant une gorgée de ma bière. J’entends le clic de la porte qui s’ouvre et… rien ? C’est encore un Feu qui fait le con ?
__-Donner à boire à une plante ? Ah, si ça ce trouve c’est quelqu’un qui a paniqué parce que son yucca fait la gueule et qui est allé voir un Terre pour arranger ça. Ce serait pas la première fois, notez. Et je n’ai pas pu vivre avec Pricie sans lui apprendre au moins deux-trois trucs en jardinage. Si elle pense qu’elle peut s’en charger toute seule…
__-Ah ben tiens la revoilà. Houlà, pas besoin d’être télépathe pour savoir qu’il y a un truc qui la tracasse… voire carrément qui l’inquiète. Si ce n’est qui la terrifie. Et j’ai l’impression que c’est moi.
__-C’est quoi ce bordel.
__-Pourquoi tu demandes pardon ? Mon état habituel ? Qu’est-ce que tu racontes ?
__-Je veux la prendre dans mes bras pour la rassurer, mais… mon bras droit est bloqué. Je réfléchis pas, tire un coup sec et… crac ?
__-Okay qu’est-ce qui se passe ici. Je regarde à ma droite.
__-C’est quoi. Ce bordel.
__-Mon bras. Pourquoi mon bras s’est cru dans Akira ? Les plantes qui le composent se sont mises à croître comme pas possible et sont rentrées dans l’accoudoir, se sont mêlées au tissu, ont pénétré son bois. Et ça n’arrête pas. Je ne contrôle plus rien. Et ce crac, c’est quand j’ai voulu le soulever. L’accoudoir est parti avec moi.
__-Pricie me touche. Attend une minute, toi.
__-Si j’ai perdu le contrôle de mes plantes. Et pété un canap’ d’un geste. Je suis Titanide. J’ai perdu contrôle de ma force. Je sais pas ce qui est le pire des deux.
__-« Okay, euh. »
__-Ça ne peut pas déconner ce soir. Pourquoi ça doit déconner ce soir ? Ça ne peut pas déconner ce soir. N’importe quel autre si vous voulez, juste, pas ce soir. On réfléchit. On réfléchit. Vite. Que faire. Mettre en sécurité. Elle. Putain c’est chaud, je commence à peine à lui redonner confiance en Terrae et ses pouvoirs et voilà que les miens font ça. Okay, deux objectifs : ne pas la toucher, ne pas rester sinon je sais pas ce que mes plantes vont faire, et me soustraire à sa vue juste ce qu’il faut de temps pour lutter contre moi-même, parce que ça va pas être jojo et j’ai moyennement envie qu’elle assiste à ça.
__-« Bouge pas, je reviens. »
__-Je concentre tous mes efforts pour la repousser aussi délicatement que je ne peux.
__-« Bouge pas. »
__-Du tranchant de ma main gauche, je sectionne mon bras droit végétal. Mais ce connard est plus rapide encore. Les plantes se lient à ma main et mon avant-bras. Okay, tu veux qu’on se la donne, y’a pas de problème c’est prévu, mais pas ici. Je l’attrape, le presse avec un atroce bruit de métal qui se plisse, sort du canapé avec un bout qui pendouille à mon bras…
__-La fenêtre.
__-« Bouge pas. »
__-Je m’assieds à son rebord.
__-« Je reviens. »
__-Et je bascule en arrière.

« Bouge pas, je reviens. »

Les mains de Pricie lâchèrent  les épaules de grande-sœur Luna.  

« Bouge pas. »

Pricie poussée tomba lourdement sur le sol. Choquée, elle ne put plus bouger quelques secondes. Le canapé se tordit en un bruit crissant. Tout en Pricie se réveilla la peur autant que la vivacité, les deux mêlées dans un cocktail explosif.

« Bouge pas. »  

Grande-sœur s’assit à la fenêtre ouverte et dans un : « Je reviens. » elle bascula en arrière.

Pricie saisit une racine de sa main qui ne cessait pas de pousser et fut entraînée avec Grande-sœur Luna dans le vide, le choc fut rude mais probablement moins  que si les plantes n’avaient pas été là.

Pricie ne lâcha pas.

Peut-être que Grande-sœur Luna voulut la faire lâcher, peut-être pas, mais Pricie tint bon.

«  JE NE TE LAISSERAI PAS ! JE NE TE LÂCHERAI PAS ! » hurla soudain la jeune adolescente.

Pricie avait mal à la tête, elle devait faire un effort énorme pour s’agripper et parler, elle le faisait car :

«  Papa a FONDU, Le feu il a fondu le visage de Papa devant moi, il m’avait mis en sécurité en me poussant, j’ai tenté mais je n’ai pas sauvé papa, JE l’ai laissé mourir et pas moi, plus personne que j’aime ne mourra seul tant que je pourrai vivre ! »

Une racine probablement sans contrôle gifla le visage de la jeune Pricie qui avait déjà tant vécu, une grosse marque rouge s’y imprima, elle se mit à trembler encore plus fort.

« Grande-sœur tu me fais peur, tu me fais très peur mais je ne te lâcherai pas ! »

La voix de Pricie grelottait de larmes et même si ça tanguait elle tenait bon.

«  Je sais que je porte malheur et que tu vas mal à cause de moi, comme le mot à la porte disait, mais j’empêcherai ça, je ne veux pas...plus être un monstre pour les Terraens et surtout pas pour toi ! »

Une nouvelle claque des racines indomptables sur le nez cette fois, nez de Pricie qui se mit à saigner, mais l’enfant garda prise.

«  Grande-sœur Luna...rentrons  faire la fête et puis je n’ai pas fini ma chanson. »

Les sanglots ne se retenaient plus et entre ses larmes la môme supplia :

«  Grande-sœur Luna je t’aime fort...Rentrons...Je changerai tout ça...je...ne serai plus le malheur….rentrons ensemble à la maison ! »

A bout de force Pricie allait lâcher alors que ses yeux humides croisaient ceux entièrement marron de Luna :
« Je t’aime fort Grande-sœur Luna ! Rentrons ensemble à la maison d’accord ? »

__-Une minute, qu’est-ce qu’elle fout là elle ? Je veux dire, en train de tomber avec moi ? Je peux survivre à une chute, après tout je contrôle suffisamment d’éléments pour ça, mais il se trouve que la partie « contrôle » est super aléatoire en ce moment. Je peux garantir ma sécurité, pas la sienne. Pourtant il va falloir faire les deux.
__-Attendez, est-ce que je suis en train de vivre une métaphore de ma vie là ?
__-Je m’effondre trois étages plus bas, ma chute à peine freinée par les feuillages ; ceux des buissons en contrebas et les miens. Et juste après, Pricie me tombe dessus. J’arrive à la réceptionner, mais on est tous les deux bons pour vider la trousse de secours.
__-En fait, je devrais pas rire. J’ai mal partout. Elle aussi. Je comprends pas tout ce qu’elle raconte. Ça se trémousse à ma droite. Je me suis peut-être pété le gauche mais y’en a un qui est en pleine forme.
__-« On va rentrer mais d’abord, si tu veux bien. »
__-Je roule sur le côté pour la déposer dos sur la terre. Qui se trémousse pas mal, sûrement du fait de mes pouvoirs. Ah, je suis pas mécontente d’avoir beaucoup moins bossé le contrôle de la terre que celle des végétaux ou de ma force, là j’aurais pas pu gérer en plus le sol qui part en vrille.
__-« Ferme tes yeux, Pricie. »
__-Je déteste faire ce que je vais faire. Et je préférerais qu’elle ne le voie pas.
__-« T’auras droit à une explication quand on sera rentrées, t’inquiètes pas. »
__-Ce ne serait clairement pas de trop. Il va falloir lui expliquer que c’est pas de sa faute mais de celle des pouvoirs et en même temps que c’est pas si terrifiant que ça les pouvoirs, qu’il n’y a aucune raison d’avoir peur et encore moins de se sentir coupable de quoi que ce soit… En vrai, à force, je sais pas qui aurait le plus besoin d’un suivi psychologique, entre moi et elle.
__-Puis je vais tâcher d’un peu mieux gérer la chose quand ça lui arrivera à son tour, aussi. J’ai été conne de pas me rendre compte tout de suite de ce qui m’arrivait. Je peux plus réagir en faisant n’importe quoi, maintenant. Quand ça n’impliquait que moi encore, pas grave, je suis une adulte je peux assumer ma propre stupidité. Mais là, il faut éviter qu’elle en paye le prix.
__-J’attrape mon bras droit. Les tiges et racines qui s’en échappent se racornissent, se raidissent, se dessèchent. Les feuilles jaunissent et tombent. Mon pouvoir de donner la vie a augmenté, mais celui de la prendre aussi.
__-Et… j’ai un peu déconné. Et buté toute la plate-bande. J’vais encore me faire engueuler par les jardiniers, moi.

__-Huh.
__-Quelle fin anticlimatique.

__-J’attrape les bouts de métal qui composaient mon bras et les fous dans mes poches. De la poussière et des herbes sèches s’en échappent.
__-« Okay. Bon ben. Ça c’est fait. »
__-Sans déconner, ça me détruit. Je sors mon téléphone de ma poche. Mes yeux ont arrêté de briller aussi fort qu’avant. Ça reste vert, mais je peux plus faire se planter un automobiliste.
__-« Ah merde… »
__-Mon téléphone. Je ne remarque que maintenant que la chute l’a fait se plier en deux. Mitsuki va me tuer… À croire qu’elle peut pas me faire cadeau d’un truc sans qu’il finisse en miettes.
__-Je sais bien que j’ai pas de chance, mais là c’est juste ridicule.
__-« Euh. On rentre ? »
__-Ou on va à l’hôpital. On est toutes les deux couvertes de petites coupures et je me suis probablement cassé une côte ou deux. Euah. Que je n’aie pas le droit à de la tranquillité je veux bien, mais ce serait envisageable de pas avoir des dénouements qui retombent comme des soufflés pour les grands moments de ma vie ?

Peur...

Pricie était terrifiée.

Douleur…

La cheville de Pricie avait doublé de volume et brûlait fort trop fort.

Vertige…

Tout tournait autour de la jeune adolescente, elle n’y voyait plus bien, dans le flou elle commençait à voir un mal de tête qui pulsait en son crane.

Recherche…

Elle entendait le son de la voix de grande-sœur Luna mais ne percevait pas le sens de ses mots pourtant il fallait l’aider, grande-sœur Luna était tombée de la fenêtre, il fallait…

Sol…

La tête de Pricie tomba sur le sol, la môme était épuisée mais elle ne pouvait pas s’évanouir, elle devait, elle devait…

Flou…

Peu à peu tout se mélangeait dans sa tête et elle sombra dans l’inconscience:


* Il y avait des corbeaux sur chacun des piliers de la salle.

« Approche petite ! »

Du haut de ses neuf ans, Pricie avait peur mais elle avança tremblante sous le regard des hommes masqués, Papa était parmi eux, elle ne voulait pas lui faire honte.

« Terrae est un endroit dangereux et contre-nature quelle est la devise des Karasu ? »

Petite Pricie déglutit et balbutia : « Rendre la nature à la nature pour châtier ceux qui ont sali le Divin ! » La petite voix tremblait et était murmure, un corbeau s’envola et vint lui griffer la joue de ses serres.

La fillette sentit des larmes monter et un des costumés avait bougé brusquement avant de se raviser. Papa...Ne devait pas s’inquiéter... Tous les enfants des Karasus passait par là. Tout ira bien.

Petite Pricie ravala ses larmes et dit plus fort : « Rendre la nature à la nature pour châtier ceux qui ont sali le Divin ! »

Mais sa voix hésitait emplie de peur, un autre corbeau vint lui pincer la main, cette fois elle ne put pas retenir un sanglot. Elle devait le dire avec conviction et assurance si elle voulait être des Karasus. Sinon elle ne serait rien. Papa le savait, Papa ne pouvait pas se rebeller pour la sauver, on ne lui pardonnerait pas si cette fois il tentait. Alors l’enfant essuya son visage boursoufflé de larmes, prit une grande inspiration et dit avec détermination et force courageusement : « Rendre la nature à la nature pour châtier ceux qui ont sali le Divin ! »

Tous les costumés applaudirent, des murmures fiers s’élevaient sous les masques de corbeaux, un seul ne parlait pas bien qu’applaudissant, Pricie ne comprit pas pourquoi.

« Il y a quelque chose de pourrie en ce monde, cela doit être la faute des Terraens. » finit par s’élever de sous le masque silencieux.

C’était la voix de son Papa. *

Pricie 14 ans était sur un lit d’hôpital, sa cheville attelée à cause d’une vilaine entorse et sous anti-douleur et médicaments contre la fièvre, elle pleurait en répétant «  Papa » sans cesse. Tant et si bien que l’infirmier avec qui elle ne cessait d’entrer en conflit s’inquiéta et s’assit sur son lit en répétant murmurant : « Chut Pricie, tu es à l’infirmerie, tout va bien, tout va bien tu es en sécurité ici. »

Quand l’adolescente finit par se calmer et ouvrit avec peine les yeux l’infirmier trop fier pour reconnaître qu’il l’aimait bien cette gamine avait filé, Pricie tourna la tête, aperçut sa grande-sœur dans le lit à coté qui dormait, c’était flou un peu encore mais la peur était restée, peur qui s’amenuise face à Luna qui était en sureté.

« Grande-sœur Luna. » sourit la petite ado avec tendresse avant de se rendormir encore faible.

__-Ouh, j’ai fait un petit somme, moi. Et je suis dans un lit. Qui n’est pas le mien. Et ce plafond non plus. Il me dit un truc… Ah mais oui, l’hôpital. Qu’est-ce que je fous là, déjà, moi ?
__-Ah si ça y est je viens de m’en souvenir. C’était pas compliqué ; il m’a suffi de bouger un peu et sentir mes côtes me faire mal. Je passe ma main sur mon visage et… Et attendez. Elle est où ma main ? Qu’est-ce qu’elle fout ailleurs qu’au bout de ce qui me reste de bras ? Non mais attend, je suis conne. Je l’enlève pour dormir (mes pouvoirs ont tendance à s’activer quand je dors, garder un tas de plantes contre mon corps c’est un peu une idée de merde), ceux qui se sont occupés de moi ont dû avoir la même idée. Je regarde à droite à gauche… Et ah tiens. Salut toi.
__-Elle pionce, et pas du sommeil de plus apaisé. Je peux bouger ? Moyen mais on va dire que ça passe. Je suis couverte de pansements et ‘faut pas trop que je bouge le torse sinon je vais me faire mal, mais ça passe.
__-Ouais non vous savez quoi, je vais rester là où je suis. J’ai essayé vite fait de me redresser mais mon torse m’a bien fait comprendre que c’était pas une bonne idée. T’façons elle se réveille. Je lui fais coucou – pas avec ce bras andouille, lève l’autre.
__-« Salut, ça va ? »
__-Si t’as des questions plus stupides surtout hésite pas.
__-« Bien dormi ? »
__-Oui non mais c’était pas une incitation en fait.
__-« Euh… »
__-‘faudra aborder le moment où tes pouvoirs ont totalement échappé à ton contrôle et où t’es passée par la fenêtre, hein. Moi j’dis, c’est comme les pansements : tire un grand coup tout de suite et on en reparle plus.
__-« Euh, ouais, alors… ça c’était ce qu’on appelle l’étoilisation. J’ai eu mes pouvoirs depuis assez longtemps et du coup ils sont arrivés à maturité, en quelque sorte. Et là si tu veux… c’était leur crise d’ado. C’est tout à fait normal, je te rassure. À partir de là, je vais pouvoir les contrôler encore mieux qu’avant. Et euh… Je suis désolée de pas avoir géré ça comme il fallait. J’aurais dû comprendre ce qui se passait tout de suite. On gérera ça mieux quand ça t’arrivera. »
__-Super rassurant, mais on va dire que ça passe.

Luna a ouvert les yeux et elle demande si l’adolescente a bien dormi. Pricie rit sans moquerie, Grande-sœur Luna a toujours le don de ne pas s’étaler sur un drame et même si c’est par maladresse apparente c’est une grande qualité selon Pricie.

« Euh, ouais, alors… ça c’était ce qu’on appelle l’étoilisation. J’ai eu mes pouvoirs depuis assez longtemps et du coup ils sont arrivés à maturité, en quelque sorte. Et là si tu veux… c’était leur crise d’ado. C’est tout à fait normal, je te rassure. À partir de là, je vais pouvoir les contrôler encore mieux qu’avant. Et euh… Je suis désolée de pas avoir géré ça comme il fallait. J’aurais dû comprendre ce qui se passait tout de suite. On gérera ça mieux quand ça t’arrivera. »

Pricie fronça les sourcils à l'explication et aux excuses de Luna.

« J’ai eu peur, très peur de te perdre, les pouvoirs je crois que ce n’est pas mon truc ! » bougonna la petite.

« Cependant je suis prête à accepter mes pouvoirs, leur évolution et ceux des autres ici si tu es à mes cotés . » sourit doucement la très jeune fille en regardant ses paumes.

«  Le contrariant c’est qu’on n'a pas regardé de film et que je suis un peu secouée pour le japonais mais je peux te chanter mon autre cadeau chanté, je l’ai écrite en anglais sur la musique de 'Annie' "Maybe" en adaptant à nous, on aura moins mal si on chante ! »

Tout sourire l’adolescente dit à sa grande-sœur : « Alors tu peux chanter avec moi si tu veux ! » avant de rougir : « En inventant ma version je voulais te dire tout ce que je ressens pour toi grande-sœur ! »

Doucement Pricie chantonna en anglais de sa mignonne voix encore si jeune :

« Maybe far away
Or maybe real nearby
She may be able to see what I am really am,
And love me as a sister as I come,
Maybe in a home
Where we will be together
She's sitting listening Bob Marley
She's taking care of the plants

Betcha She is nice
Betcha She is magic
Bet she collects wonderfull flowers
Like a sister who is here for me
Betcha she is wonderfull too

So maybe now it's time
To say her beautifull name
Luna, my big sister Luna,
She is there calling me "young sister"
And I am very happy,
Luna and Pricie,
It’s not just a Maybe »


Peut-être lointaine
Ou peut-être toute proche
Elle pourrait voir ce que je suis vraiment
Et m’aimer telle une sœur comme je viens
Peut-être dans un foyer
Où nous serons ensemble
Elle est assise écoutant Bob Marley
Elle prend soin de ses plantes

Probablement elle est gentille
Probablement elle est magique
Probable qu’elle collectionne de merveilleuses fleurs
Comme une sœur qui est là pour moi
Probablement est t’elle merveilleuse aussi

Il est peut-être temps
De dire son beau nom
Luna, ma grande sœur Luna
Elle m’appelle « petite sœur »
Et je suis vraiment heureuse,
Luna and Pricie,
Ce n’est pas seulement un peut-être


La chambre d’hôpital semblait soudain moins austère avec toute la tendresse de ces mots en mélodie de la jeune Pricie pour sa grande-sœur Luna.

__-« Évidemment que je serai à tes côtés. Je ne vais nulle part. »
__-Ça a l’air de rien hein. Mais dire ça, pour moi c’est l’équivalent de marcher sur la Lune. (Le premier qui fait une blague sur mon prénom je le retrouve et je lui pète la tête et je suis titanide, donc quand je dis ça c’est pas à moitié.) Je veux dire, jusqu’à pas si longtemps que ça, j’étais probablement la nana la moins stable et la plus infoutue de se projeter dans l’avenir de toute Manaus. Voire de tout le Brésil, si ce n’est au-delà. Le futur, c’était demain. S’engager, c’était impensable. Un trou dans mon vocabulaire. Auprès des autres certes, mais aussi auprès de moi-même. Et là, en une ligne, je viens de faire les deux. Mais en même temps. Rien ne saurait être aussi vrai que ça. Ta grande sœur est là. Rien ne peut t’arriver.
__-C’est une belle chanson. (Je n’ai pas une idée très précise de ce qu’est « Annie » par contre, ni même une idée floue, ni même une idée tout court, mais c’est pas ça qui est important.)
__-She’s taking care of the plants. Mais c’est vrai ça. Maintenant que je suis Étoile, la qualité de la beuh que je vais pouvoir faire pousser, rohlàlà.
__-Bet she collects wonderfull flowers. Et je vais aussi pouvoir faire tenir des orchidées en vie plus longtemps. Peut-être même sur d’autres personnes. Si Pricie voudra comme moi en mettre dans ses cheveux, elle aura qu’à demander.
__-Je ne peux pas la prendre dans mes bras – déjà parce que le pluriel les concernant fait un peu défaut – mais l’envie est là. On va juste. Profiter du moment. Comme un peu plus tôt avant que ça ne parte en grosse couille. Pricie produit ça. En même temps, elle est l’incarnation de ce qui caractérise à présent ma vie : la stabilité. Elle me, force à l’être et me donne la meilleure motivation du monde pour le devenir.
__-Par contre il faut pas s’attendre à ce que je puisse lui répondre avec quelque chose d’aussi poétique. Savoir en apprécier et savoir en produire, ce sont deux choses différentes.
__-« Hé. Si tu veux. On pourra se dégager du temps pour faire un peu d’entraînement. Pour pas avoir peur de ses pouvoirs, le mieux c’est de les maîtriser. »
__-Elle est Eau voyante. Pour ce qui est de l’eau, je vois assez comment on peut faire ça. C’est considérablement plus fluide que la terre, mais je peux voir quelques rapprochements. Pour ce qui est de la voyance, j’ai vu la prélogie et la trilogie originale de Star Wars suffisamment de fois pour les connaître presque par cœur, alors la prescience Jedi, vous pensez bien que je dois avoir une petite idée de comment tester ça. Et au pire, je connais bien assez d’Eaux pour leur demander des conseils.

« Évidemment que je serai à tes côtés. Je ne vais nulle part. »

Silence...

« Hé. Si tu veux. On pourra se dégager du temps pour faire un peu d’entraînement. Pour pas avoir peur de ses pouvoirs, le mieux c’est de les maîtriser. »

Pricie a peur. Pricie a envie de pleurer. Elle finit par bredouiller : « Tu sais grande-sœur Luna normalement normalement si j'étais une bonne fidèle je je.. »

Les mots s'écrasent dans sa gorge ça blesse ça coupe ça fait mal ça étouffe.

«  Je les ai trahis et un traitre  doit se tuer ou être tué, je ne me tuerai pas car je suis trop heureuse ici avec vous tous avec toi ! »

Les mots se crachent les mots se heurtent mais les mots sortent.

« Je vais devenir plus forte grande-sœur comme cela ils ne nous feront pas de mal ni à moi ni même à ceux que j'aime ! »

Car pour le moment Pricie du haut de tes quatorze ans tu es dans la tête encore si enfant, une enfant terrifié mais qui veut avancer malgré la peur, une enfant qui se tient debout et défie ses propres peurs, les Karasus ou quiconque voudraient faire mal, une enfant qui ne veut plus avoir mal mais surtout ne veut plus qu'on fasse de mal à ceux qu'elle a dans le cœur.

« Alors on va s'entraîner et je deviendrai plus puissante assez pour pouvoir vivre et construire et veiller ! »

Pricie regarda ses mains quelques instants en silence.

« Tout ça. » finit-elle par dire.

Nouveau silence.

« Je viens d'un endroit où on doit mourir pour Dieu, où les Terraens sont maudits, où il est normal de fondre sous les flammes ou de blesser des enfants pour les faire obéir si ça peut satisfaire Dieu. »

Silence.

« A 5 ans on m'a trempée dans du lait glacé et ils ont fait une ronde avec leurs masques de corbeaux  autour de moi pour purifier mes origines ma tante avait été à Terrae, avant, A 7 ans on m'a mis un émetteur dans la tête, beaucoup d'enfants sont morts de l'opération, pas moi, à 9 ans des corbeaux m'ont attaquée à sang jusqu'à ce que je récite  de manière sûre la devise des Karasus, tous les enfants de là bas passent par là et toutes ces leçons hors école pour nous apprendre à nous les enfants des Karasus tous leurs préceptes morbides. »

Nouveau silence encore plus pesant.

« A 12 ans et demi je n'avais pas mes règles et mon parcours faisait de moi la clef, l'élue... Une élue censée donner la mort, à  13 ans j'aurais dû porter la bombe qui a explosé en feu la voiture de Papa et l'a fait fondre devant moi. Une bombe qui était destinée à tuer tes amis de Terrae . »

Les larmes perlent les larmes pleuvent de peur mais aussi de tant de douleur, et si Ys avait raison et si à présent qu'elle savait tout ça grande-soeur Luna laissait Pricie seule?

« Alors maintenant que tu sais je ne te dégoutte pas ? Maintenant que tu sais tu veux bien rester ma grande-sœur Luna ? »

S'il te plaît...

__-D’accord.
__-Bah okay.
__-Je me passe la main sur le visage. Qu’est-ce que je peux avoir envie d’une taffe là, vous pouvez pas savoir.
__-« Quand j’étais à Manaus… »
__-Je me laisse un petit moment pour réfléchir à la suite. Non parce que je savais que je devais commencer par là, mais pas quoi dire après. Heh.
__-« … j’avais un pistolet. Un Taurus 85. Un petit machin, tu le planques dans une poche. Je ne sais pas où il est, je l’ai évidemment rendu en arrivant à Terrae… ’faudrait demander à Hideko ce qu’elle en a fait, mais ce n’est pas important. J’ai jamais descendu quelqu’un avec, mais ça m’est arrivé de coller une prune dans la cuisse de quelqu’un. Pour des histoires de pognon et de drogue. »
__-Et des bastos j’en ai foutu dans d’autres endroits, mais je ne vais pas trop m’appesantir là-dessus.
__-« Ma moto… – ah mais en fait t’as jamais vu ma moto, ’faudra que je te la montre –, elle a un compartiment, à l’intérieur je planquais de la cocaïne. J’ai vu des gens tomber dedans. Des proches à moi. C’est pas jojo, rien à voir avec la salade épicée que je fais pousser dans la salle de bain, t’sais. Puis, ma moto… Je la lave donc ça se voit plus, mais sur le pare-boue avant… ah quoique si ça doit se voir, la carrosserie est un peu enfoncée à cet endroit. Ben à cet endroit, lors d’une de mes courses, y’avait une petite vieille… Il faisait nuit. Je sais pas quelle partie d’elle j’ai touché. J’ai pas eu le temps de voir. »
__-Je m’en souviens comme si c’était hier, pourtant. Je regarde derrière, pour voir si le connard que j’ai passé tout le début du parcours à essayer de doubler est bien derrière moi. Puis d’un coup je me retrouve en l’air, puis au sol. Je vois passer une autre moto devant moi. Je relève la mienne et à ce moment là je n’ai qu’une seule chose en tête : combler l’écart, oublier la douleur de ma peau râpée sur le goudron, de l’entorse que je viens de me faire, de la bosse sur mon crâne. Et surtout, oublier la personne que j’ai percuté et que je n’entends pas hurler de douleur – ce qui est rarement bon signe. Je pars. Juste, je pars. Sans même un regard dans un rétro. Et tout ça pour avoir fini quatrième et de très loin, donc pas de récompense. Je me serais arrêtée et j’aurais regardé si elle allait bien, ça n’aurait rien changé. Je n’ai jamais su qui c’était. Les gens meurent, dans les favelas. Parfois tu n’en sais pas plus.
__-« Puis… Ça c’était mon quotidien. T’sais… J’crois que j’aurais jamais que deux trucs à te dire. Déjà que, si on est coupables de quoi que ce soit, puis toi clairement plus que moi, on a déjà servi notre peine. Je vais pas te dire de laisser tout ça derrière toi et de l’oublier parce que… ça ne voudra pas être oublié et plus t’essaies plus ça résiste. ’faut vivre avec qui on est.
__-» Et l’autre truc… ne cherche pas à être plus forte. Enfin sauf si ça te fait vraiment kiffer, mais je veux dire, t’es à Terrae. Tes profs sont genre, des super-héros de comics en mieux. N’imagine pas que tu dois faire ta part. C’est pas l’armée. Personne te le demande. Pas moi. Pas les masters. Personne. La seule chose qu’on veut, c’est que tu sois heureuse. Et c’est tout. Alors après je dis pas si t’en as vraiment envie, bien sûr que je vais te soutenir. Mais tu vois la différence ? Envie ? Obligation ? Heh, là tu peux choisir. Et tu peux choisir plus tard. Quand tu voudras. Revenir sur ta décision. Plusieurs fois. Rien à foutre en fait. Tant que t’es heureuse. Le reste n’a aucune importance. »

Tant que tu es heureuse... Grande-sœur Luna dit ça comme si c'était facile et pourtant... Elle a raconté ce passé difficile où elle a renversé cette dame. Pricie fait silence la petite jeune fille sait mais elle demande quand même : « La dame vieille elle est morte c'est ça ? »

« Quand j'étais petite sept ans peut-être j'ai vu quelqu'un mourir. » Pricie se tait avant de reprendre : « C'était un ami de mon père qui avait trahi les Karasus en tentant de couper les ponts avec, il allait déménager mais avant il voulait dire au-revoir à papa et là je l'ai vu dans le jardin. » Un frisson parcourait tout le corps de Pricie. «  Il murmurait des pardons puis il n'a plus murmuré du tout. Je crois qu'on lui a donné du poison ou un truc du genre, son visage avait changé de couleur et il était si froid quand je l'ai touchée à la main. »

Pricie se tait pour reprendre son souffle elle poursuit : « Papa m'a dit de rentrer et de m'enfermer dans ma chambre, de ne pas regarder. Mais moi de ma fenêtre de chambre à l'étage j'ai bien vu qu'il enterrait son ami dans le jardin. » La voix de Pricie se fait plus forte en colère : « C'était son ami et il n'a rien fait pour changer les choses, il l'a juste enterré dans le jardin ! » Dans sa révolte adolescente Pricie reprit : « Et je dois me contenter d'être heureuse ? Je ne suis pas obligée de rester en vie et pourtant je veux le rester ! Qu'importe si je brûle en enfer une fois morte. Qu'importe si devenir une Teraenne fait de moi un être maudit ! Moi je ne veux plus laisser mes amis mourir ! »

La voix de Pricie tremble mais avec courage elle ravale ses pleurs et dit : « Car c'est trop dur car je suis égoïste, car je veux qu'ils soient heureux, je veux aussi que tu sois heureuse Grande-sœur Luna moi ! Je ne veux jamais devoir comme une lâche t'enterrer dans le jardin, je tiens trop à toi pour ça ! »

Nouveau silence suivit d'un sombre, sourcils froncés : «  Mais comme avec moi en petite sœur il y a cette probabilité je veux tout faire pour que cela ne se réalise jamais. »

« Oui on est coupable de nos erreurs mais un  Monsieur son nom c'est Akkiko m'a dit que je pouvais créer et moi je ne veux pas être une super héroïne ! »

Un sourire se dessina sur le visage de Pricie : « Je veux rendre heureux en créant du bonheur comme tu me rends heureuse c'est tout Grande-soeur Luna ! »

__-T’en poses de ces questions toi.
__-« J’en sais rien. »
__-Et là c’est pas moi qui ment pour protéger une enfant. Déjà, est-ce que je vais être du genre à ne pas dire à des mineurs que la drogue, les armes et la violence ça existe ? Vous m’avez pris pour qui ? À son âge je fumais et trafiquais déjà de la beuh et volais du cuivre sur les chantiers. J’étais pas un modèle, ceci dit, c’est clair.
__-Et elle me raconte… une histoire de règlement de compte entre mafieux, de ce que j’en comprends. Ouais alors, vous voyez, c’est là que sont les limites de mes compétences. Ce serait plus indiqué pour Pricie qu’elle en parle avec un professionnel. Qu’est-ce que vous voulez que je réponde à ça, moi ? Là d’où je viens, c’était normal, mais on n’est plus là d’où je viens, et heureusement. Enfin tout ça pour dire, je ne sais pas comment gérer les gens qui ont des traumatismes avec ça.
__-À part la prendre dans mes bras, ce qui est déjà pas mal, vous me direz.
__-Et attendez quoi ?
__-Euh.
__-« Ouais. Alors. Je suis Étoile maintenant, tu sais. J’ai assez de force pour péter un mur avec deux doigts. Y’a personne qui va m’enterrer. »
__-Sauf quelqu’un avec un flingue. Ou un couteau et qui me prend de dos. Ou de nuit. Ou… enfin vous m’avez compris.
__-« Puis toi c’est pareil. T’es voyante. Fortifie tes pouvoirs, tu pourras te prémunir de tous les dangers, si ça t’inquiètes tant que ça. »