__-Vous savez ce qu’on fait quand on galère à gérer proprement une entreprise ? On se rajoute du boulot évidemment !
__-Résumé des épisodes précédents pour… déjà moi-même, faire un point sur ce bordel qu’est ma vie ce sera pas de trop. Donc. Je suis maintenant propriétaire du bar. Mais le problème, c’est que j’ai été engagée comme serveuse par Lloyd, le précédent patron, justement parce que tout seul c’est trop chaud. Et depuis qu’il est parti, me revoilà toute seule, mais avec en plus des responsabilités que je n’ai jamais eu. Huh. Et puis là, je me suis dit, et si on faisait une petite fuite en avant, hein, hé, ho.
__-Qui est partie d’une idée de merde, en plus. C’est à dire que, j’ai Reddit (déjà, ça annonce la couleur) et de fil en aiguille, je me suis retrouvée à zoner sur r/hookah ; le subreddit où on échange plein d’informations sur les narguilés. Et là, je me suis rendue compte qu’un Tokyoïte faisait une super promo pour un stock dont il voulait se débarrasser. Et bien sûr, j’ai puisé dans mes fonds pour l’acheter.
__-Et après les avoir tous testés – pas en même temps, je suis une camée, pas une suicidaire –, je me suis dit : c’est quand-même excellent ce truc. Et tout à fait inédit dans le coin.
__-Notez, un produit arabe, à Manaus, ça courrait pas les rues non plus. Le seul que j’ai testé avant était celui d’une connaissance qui l’avait acheté à un touriste Espagnol qui lui-même l’avait ramené du Maroc lors d’un de ses voyages. Longue histoire. Je vous laisse quelques instants pour vous imaginer, sur le toit d’une favela avec en fond le fleuve et la forêt amazonienne, sous une bâche multicolore, moi et trois autres zonards en tongs sur des chaises longues, à se faire passer la pipette du narguilé, posé sur un pneu servant de table basse, à boire des bières en cannette, complètement écrasés par le cannabis, l’alcool et le soleil de midi.
__-Le bon temps.
__-Enfin, je ne vais pas trop laisser mon esprit divaguer, sinon je vais avoir un mal du pays aussi carabiné que celui de tête que j’ai eu le lendemain de cette fameuse journée à Manaus.
__-Une réorganisation de la terrasse en un coin fumeur et non fumeur plus tard, ce qui passa par l’achat d’un paravent, de canapés et de tables basses, plus adaptées à la chicha que les chaises individuelles et tables hautes classiques, la nouvelle addition à ma quantité déjà phénoménale de taf était prête. Pour l’instant, pas de thé à la menthe ou de pâtisseries servie avec, sinon les boissons non-alcoolisées et conneries salées habituelles. Ça demanderait un investissement temps supplémentaire. Et puis, en soi, je pourrais passer des commandes à des boulangeries japonaises, par exemple, pour avoir des trucs à servir avec le narguilé. Mais je ne suis pas certaine que ce serait un mix des cultures très adapté. Je n’ai pu que voir sur DuckDuckGo images à quoi ressemblent des pâtisseries arabes. Ça a l’air moins compliqué à faire que ça en a l’air, mais pareil : trop de travail, pas assez de temps.

__-Et donc, cet encart fait, revenons au présent.
__-Pour jauger le succès de ma dernière idée de merde, j’ai décidé de lancer une soirée d’ouverture, avec des promos pour attirer les clients. C’est pas mal bondé, surtout pour un lundi soir (oui parce que je ne suis pas complètement timbrée, j’ai prévu l’événement pouvant ramener beaucoup d’affluence un jour où il y en a de base peu, histoire de pouvoir tout simplement tenir la charge de travail).
__-Le succès est au rendez-vous. J’y ai même croisé pas mal de potes : Mitsuki – plus là parce qu’il y a de l’animation que pour consommer, d’ailleurs –, Tiago, Alyona, Ariana, Pandora, Katsuyo, que des gens de qualité supérieure. La prochaine fête qu’on s’organise entre nous, je sais où ce sera.
__-Je profite d’un moment plus calme, passé vingt-deux heures, pour souffler un coup. La fréquence d’arrivée de nouveaux clients est redescendue sous un taux appréciable. Par contre, même si je m’attends à moins de clients à l’avenir – vu que la promo de lancement ne sera plus de mise –, ça va rester infaisable pour une seule personne, si je dois faire ça plusieurs soirs de suite.
__-Euah.
__-Enfin, chaque chose en son temps. Penser à l’avenir, c’est pas trop mon fort.

Promenade du soir bonsoir.

L'été montre enfin le bout de son nez au japon, les températures ont bien grimpé et le soir c'est le moment idéal pour faire un petit bain d'air frais. C'est agréable, calme, reposant et... Putain de moustique !

Bito envoie sa main claquer contre son front pour écraser cette saloperie qui vient lui pomper gratuitement un peu de son sang. Mais le mal est déjà fait, voilà un beau bouton qui est en train de pousser au beau milieu de son front.

– VIE DE MERDE ! J'SUIS DÉFIGURÉ ! ET ÇA GRATTE PUTAIN !

Ainsi démarre la soirée de notre jeune héros.

Juste pour ce petit malheur, Bito serait bien retourné dans sa chambre, pour s'y enfermer et y rester jusqu'à ce que "cette chose affreuse" disparaisse de son visage. Mais ce soir, il veut se dégourdir les jambes et s'aérer l'esprit après une longue journée où il a eu le nez plongé dans la paperasse.

Alors, il opte pour la solution du camouflage. Il pousse ses cheveux vers l'avant pour bien cacher son front, ce qui  lui donne un petit air ténébreux... genre Dark Sasuke 'voyez !

Bref, il se promène tranquillou avec son air ténébreux (ou pas). Son chemin le fait passer jusque devant le bar, où une douce odeur de tabac fruité l'attire. Là bas, il y voit une fine fumée que des gens soufflent à l'aide d'un étrange appareil.

Il regarde une petite affiche devant le bar et tente tant bien que mal de prononcer le nom de cette chose.

– Nar...Gue…uiiii...lé…

Eh oui, à part la cigarette, Bito n'y connaît rien du tout à la fumette.

Et c'est ainsi que, piqué par la curiosité, il s'approche discrètement (ou du moins c'est ce qu'il croit) de la terrasse du bar pour reluquer avec ses yeux d'ahuri cet étrange objet avec de l'eau à l'intérieur et qui fait des bulles lorsqu'on inspire à l'intérieur de ces petits tubes.

Mais bon, pas sûr qu'un type chelou qui vous matte derrière la balustrade plaise à la clientèle. La nouvelle patronne allait-elle s'improviser Videur aussi ?

__-Oulà c’est qui ce con.
__-Je me permets, parce que je connais la plupart des Terres et sa tête à lui ne me dit rien. Donc ça va. Il ne risque pas de lire mes pensées. Notez, la plupart sont sympas et ne se le permettent pas, mais y’en a aussi un petit paquet qui contrôle pas forcément ce qu’il fait avec ses pouvoirs.
__-Et du coup, c’est qui ce con.
__-Enfin en fait je m’en tape, s’il est là à baver, c’est un client potentiel. Et puis, je préfère occuper ses lèvres avec quelque chose à fumer, à boire ou à manger qu’à les laisser couler devant ceux qui consomment déjà.
__-Est-ce que j’ai trente secondes à lui accorder, là maintenant ? Ceux au comptoir ont leurs verres encore assez loin d’être vides, Tiago m’a tout l’air d’être en train de draguer une nana, personne ne me déclenche un incendie sur la terrasse et c’est pas trop l’heure pour commander à manger. On va dire que oui, du coup.
__-Je sors donc du bar et vais le voir.
__-« Bonjour ! J’peux t’aider ? T’étais en train de mater ces petits bijoux, y’a moyen que tu sois tenté de goûter ? Si t’es fumeur bien sûr, j’en fais pas encore sans nicotine. »
__-Et si ça devait arriver, ce serait avec du cannabis à la place, mais il faudrait que les lois japonaises et donc terraennes évoluent un peu avant.

Tandis que notre héros observe les clapotis de cet étrange appareil à fumer avec un regard mélangeant curiosité et émerveillement, une personne se dirige vers lui.
Celle-ci se trouve dans son angle mort, mais heureusement le super-instinct de Bito se met éveil quand les bruits de pas se font proches.

Un frisson sonne l'alerte. Tout de suite, notre héros bondit et adopte l'ultime position défensive, celle qui l'emporte toujours face aux conflits, c'est à dire : Se jeter par terre, à genoux et faire "Dogeza" pour demander pardon.
S'il avait été dans un manga, une incroyable aura de paix aurait émané de lui pour repousser les ténèbres...

Enfin bref, tout ça pour dire que Bito se chie dessus au premier imprévu.

– G ri1 fé d'mal, j'jure ! Dit-il à vitesse grand V. Même un grand rappeur comme Eminem n'aurait pas réussi à dire cette phrase aussi vite.

Mais en écoutant son interlocutrice et en relevant la tête, le super-froussard se rend compte qu'aucune intention hostile ne vient d'elle.

Alors d'un bond, il adopte cette la pose du "tu-n'as-rien-vu-de-ce-qu'il-vient-se-passer"...
A quoi ressemble cette pose ?
Eh bien à rien d'anormale. Tu te tiens debout, totalement décontracté et tu reprend la discussion.

– Heu oui, je veux bien essayé ce...

Comment ça s'appelle comment déjà ?

– Nage-huilée ?

C'était un truc dans le genre.

Quand soudain, en observant cette demoiselle qui se tient devant lui, Bito a l'impression que cette rencontre n'est pas la première.

– Heu... on s'connaît non ?

Ce bras chelou, ce style décontracté, ce regard qui inspire l'indifférence...

– Luna ?

__-Un mystère d’éclairci. Ce con, c’est un Tonnerre. À force, on finit par les reconnaître de loin. Puis, vous savez, j’ai eu à en gérer ivres, alors, un sobre, même s’il est… particulièrement… lui-même, on va dire, ça reste en dessous du seuil de connerie maximal recommandé.
__-« Narguilé, ouais. Sinon tu peux dire la chicha, ça marche aussi. »
__-Combien de fois j’ai entendu ce mot être écorché. Ben en fait à peu près aussi souvent par moi que par mes clients. C’est un concept qui est jamais que quinze jours plus vieux pour moi que pour eux.
__-Il me demande si on se connaît. C’est pas impossible, je tiens pas ce bar depuis une plombe mais suffisamment longtemps pour avoir pu poser mes yeux sur la moitié des visages de ceux qui crèchent à Terrae. Enfin, je vais arrêter le mauvais esprit. S’il me demande ça, c’est qu’il me connaît d’ailleurs que derrière mon comptoir. Personne ne s’étonne de voir la tronche de celui qui lui sert des bières en train de lui servir des bières. Hein. Et visiblement, il me connaît assez pour se souvenir de mon nom.
__-Hmm. Ces mimiques improbables, cette preuve vivante que le ridicule ne tue pas, cet air un peu benêt, ouaip, pas de doute.
__-« Senr— Bito ? Ah mais oui, ça y est je te remets. Tiens, assieds-toi je vais t’en apporter un. »
__-Au passage, j’empoche trois additions et apporte son dernier verre à quelqu’un. Tiago s’est déjà tiré sans que je ne le remarque, sa nana avec. Après, savoir si c’est main dans la main ou l’empreinte de celle-ci sur la joue du Feu, ça… C’est pas plus mal, ça veut dire que ça redevient tranquille. Il était temps. En vrai, je crois que Bito sera mon dernier client. En sortant avec le narguilé vers la terrasse, je tourne le panneau à l’entrée « on ferme ». Le temps pour les derniers de vider leur verre ou finir leur fumette et ils me débarrasseront le plancher.
__-C’est bien, ça me laisse un peu de temps pour lui montrer comment utiliser un narguilé et papoter un coup.
__-« Et hop, le voilà. Dis-donc mon gars, ça fait un bout qu’on s’est pas vus nan ? Je devais avoir plus en commun avec elle – je lui montre la fougère de décoration posée à côté – qu’avec n’importe quoi d’autre. Tu deviens quoi ? »

Attendez, attendez... Stop. Temps mort. Pouce.
Est-ce Luna était sur le point d'insulter notre héros ?

Il plisse les yeux quand il l'entend prononcer la première syllabe du prénom de ce cher Senri.

"Non mais ho ! ... HO ! Faut ouvrir les yeux là ! Y'a une grosse différence quand même ! Je suis bien plus classe et civilisé que ce gars ! Et puis y'a une différence niveau capillaire aussi !" Pense-t-il très fort.

Quand soudain, Bito trouve une nouvelle occasion de parler de sa magnifique crinière ténébreuse. Décidément, c'est son sujet de discussion préféré.

– Tu ne m'as pas reconnu directement car j'ai changé de coupe de cheveux. Oui, j'ai décalé la mèche du milieu de 5 centimètres sur la gauche.

Il donne une pichenette à cette fameuse mèche de cheveux, l'air fier de lui.

– Comme quoi, 5 centimètre ça peut faire toute la différence.

Il parle toujours de ses cheveux, rassurez-vous !

Sauf qu'à ce moment là, personne n'est là pour écouter ses conneries. Bito s'en rend compte seulement maintenant, mais Luna a déjà filé pour aller lui chercher cette fameuse chicha.

Le dépit s'affiche donc sur son visage et il se dirige vers la table la plus près pour laisser son corps se vautrer sur une chaise.

Il a le temps de râler intérieurement un moment. Puis, au retour de Luna, il se redresse un peu. Il aura l'air plus attentif ainsi, car il a du respect pour les gens, LUI ! (Oui, il en veut toujours à Luna pour l'avoir presque-appelé "Senri")

Il jette alors un œil sur la fougère qu'elle lui montre et affiche sa plus belle tête d'ahuri.

– C'est vrai, pendant un instant j'ai cru que c'était ta sœur jumelle.

Il fait un beau sourire taquin et reprend la discussion plus sérieusement.

– Eh bah toujours le même... toujours un passionné, un intrépide, un curieux...

... Nous ferons l'impasse sur le beau mensonge qu'est "intrépide".

– D'ailleurs en parlant de curiosité, c'est marrant ce concept de bar à chicha. C'est toi qui a donné l'idée au patron ?

__-« Comme quoi, cinq centimètres ça peut faire toute la différence. » Tu t’engages sur un terrain glissant, là, cher ami. Ça fait depuis longtemps – au moins deux jours – que j’ai pas dragué quelqu’un avec mes légendaires techniques de camionneuse. Et ce alors que je n’ai jamais conduit plus qu’une deux-roues, c’est fort.
__-M’enfin, on va attendre que le Bito soit un peu plus chargé avant d’en arriver à là.
__-Ceci dit, vu qu’il arrive à balancer des conneries invraisemblables d’énormité sobre, je ne sais pas si c’est une bonne idée. Boah, j’ai réussi à me supporter moi-même pendant vingt-quatre ans, on va dire que je suis déjà bien armée niveau résistance à la connerie.
__-« En quelques sortes, ouais. C’est à dire… Oh, tu dois pas être au courant vu que ça date d’il y a pas longtemps, mais que c’est moi, la patronne, en ce moment. L’ancien a quitté Terrae et m’a laissé la charge. Un beau cadeau empoisonné, je parle pas un mot de japonais et j’ai jamais géré une entreprise de ma vie, surtout que je dois faire ça toute seule. Tiens, essaie. »
__-Après avoir tiré un coup dessus, je lui passe la pipe du narguilé.
__-« Vas-y doucement, ça peut te faire tousser si c’est ta première fois. Et sinon tu fais quoi dans la vie toi ? T’es pas moniteur ou organisateur de colonies de vacances à temps plein, si ? »

– Oh dur... Non, en fait je... Lâche-t-il sans vraiment réfléchir.

Bito prend une bonne bouffée de chicha quand soudain, ce que vient de lui raconter Luna est enfin correctement compris par la petite machine qui lui sert de cerveau. Résultat, c'est comme une grosse claque mentale qu'il prend.

Alors il tousse un bon coup à cause de la surprise et balance toute la fumée qu'il inhalé dans la tronche de Luna.  

– Attends... Il tousse encore et tapote sa poitrine avec le poing. Toi, patronne ?

Et il éclate de rire.

– HAHAHAHA ! T'es trop marrante !

Il s'arrête brusquement quand il voit que Luna semble sérieuse.

– T'es en train de te foutre de moi, pas vrai ?!

Toujours aucun signe de plaisanterie à l'horizon.

– C'est bon tu peux arrêter de faire semblant ! J'ai capté que t'étais pas sérieuse...

Il plisse les yeux, la fixe un instant et tente de trouver une faiblesse dans le jeu d'acteur de Luna.

"NON MAIS ELLE A L'AIR VRAIMENT SERIEUSE PUTAIN !!" Crie cette petite voix dans sa tête.

– C'était pas... une blague ?

__-Ouh c’est gênant.
__-Enfin bon. Je me fous largement assez de ma propre gueule pour en avoir plus rien à foutre quand c’est quelqu’un d’autre qui le fait. Du coup je reste assez imperturbable. Parce que le pire c’est que, comme il a été bercé un peu trop près du mur le Bito – on va pas se le cacher –, il est probablement surpris en toute honnêteté. Et maladresse. À un stade où j’assiste aux olympiades de gymnastique artistique de la bouffonnerie. Mais honnêteté.
__-« Si, complètement, en vrai je suis de la brigade des stups et t’es en état d’arrestation. »
__-P’tain je suis conne, déjà qu’il capte pas la réalité, aucune chance qu’il entrave quand je fais une blague. Non mais quand-même, je vais rentabiliser mon visage complètement impassible qu’il m’a forcé à adopter pour ne pas lui en foutre une – ce qui aurait fait désordre. Là, j’ai l’air mortellement sérieuse, à le fixer droit dans les yeux.
__-« Nan je déconne. »
__-Je prend la pipe du narguilé et tire un coup dessus.
__-« Par contre, c’était vrai, le fait que je suis patronne. Mais du coup, t’as pas répondu à ma question. »
__-Ne pas en rajouter. Ne pas en rajouter. Moi-même, ait um peu de pitié pour cette discussion, je t’en prie.
__-« Tu me diras, le labo m’a déjà filé ton adresse, ton second prénom, celui de ta meuf et ton historique internet, donc tu penses bien que je sais déjà ce que tu fais dans la vie, mais on va dire que c’est pour calibrer mon détecteur de mensonges. »
__-Je me déteste.
__-« Nan je déconne. Mais fais quand-même gaffe à ta prochaine réponse champion. »
__-Je tire un autre coup et lui passe la pipe.
__-« Pas mal hein ? J’ai fait le mélange moi-même. »

Difficile pour Bito de savoir lorsque Luna est sérieuse ou ne l'est pas. Alors... dans le doute, il croit à toute cette mascarade.

– Qu... quoi ? Non. Tu mens ! C'est toi qui m'a drogué !

Il se lève d'un bond... Réfléchit deux secondes... Puis il se rassois.

Finalement tout ça c'est du bluff. Il aurait pu s'en rendre compte plus tôt si seulement il réfléchissait avant d'agir.

C'est donc avec moue quelque peu contrariée -en fait il boude carrément- qu'il attrape la pipe que lui tend Luna et tire quelque lattes de chicha.

– Mouais mouais ...

Il y a ce petit arôme fruité de poire, mélangé à un soupçon de menthe fraiche... C'est très bien dosé et... Ok c'est un très bon mélange ! Mais il n'est pas d'humeur à avouer que Luna a du talent.

Heureusement, son regard et le nombre de bouffée de chicha qu'il prend sont là pour dire le contraire.

– Et non, j'suis pas moniteur de colonie de vacances...

Pas étonnant.

– Je gère une chaine de food-trucs qui tournent dans le Japon. J'ai ouvert le mien il y a deux ans et ça a tellement bien marché que maintenant j'en ai une petite dizaine sous mon aile...

Il soupir et fait passer l'embout à Luna.

– Parfois, j'ai du mal à y croire.

Si lui a pu se retrouver patron d'une grande chaine de food-trucks, alors tout est possible.

__-En tout cas il apprécie, ça fait plaisir. Surtout pour moi qui avant ce bar, n’avais jamais rien fait de mes dix doigts de particulier. C’est grisant de voir qu’on a fait quelque chose, qu’on l’a vendu et que c’est apprécié. Puis ça a a des implications assez dingues, aussi. Genre, ça fait de moi en membre productif de la société. Comme quoi, tout arrive.
__-Attend il quoi ?
__-Ce glandu mal coiffé gère une grosse boîte ?
__-Hein ?
__-L’embout me reste dans la main. « Parfois, j’ai du mal à y croire. » Sans rire. On dirait que j’ai vu un fantôme et c’est probablement ce qu’il va me dire.
__-On se reprend. On tire un coup.
__-« D’accord. Bah d’accord. »
__-L’hébétement est passé, retour à mon activité préférée : utiliser mon cerveau. Donc en fait, Bito, c’est pas juste un glandu, c’est en vérité un homme d’affaire. Assez impressionnant. Et en fait, ça tombe plutôt bien. (Comment ça, moi avoir un coup de bol, c’est pas possible.)
__-« C’est super ça. T’aurais pas des conseils à donner à une jeune entrepreneuse qui se lance à peine et qui a foutrement aucune idée de comment gérer une entreprise ? »
__-C’est qu’il s’agirait de pas perdre le nord.

D'habitude on ne le croit pas et on lui demande des preuves.
Mais avec Luna c'est différent, elle se contente d'une belle tête d'ahurie avec des yeux prêts à sortir de leur orbite. A la voir, on dirait un hibou à l'affut d'une proie.
D'ailleurs, c'est seulement maintenant que Bito remarque que les yeux Luna arbore une jolie teinte verte.

– La prochaine fois je mettrais le costard, tu verras que ça change tout ! Fait-il avec un air satisfait.

Et voilà qu'on lui demande des conseils de gestion d'entreprise.

D'abord Mitsu, puis Luna. Décidément, tout le monde s'y met. Mais pour notre héros n'a pas le secret de la réussite. Pour lui, il suffit juste de regarder les choses avec un œil nouveau pour trouver où est-ce que ça bloque.

Il pose donc ses mains sur la table et se lève. Il balaye alors le bar du regard et de jette un coup d'œil à la mine de Luna.
Levant alors un sourcil, il dit juste un mot en toute indifférence

– Embauche.

Il s'approche, attrape le menton de la demoiselle pour approcher son visage du sien. Quand soudain, il dégaine son téléphone portable entre leur deux visage, prend une photo et la montre à sa camarade.

C'est une bête photo de l'œil de Luna.

– Ca c'est ce qu'on appel scientifiquement un sillon jugo-palpébral... Dit-il en tapotant le contour de l'œil avec son air savant. Une cerne quoi.

Puis, toujours le menton Luna en main, il fait tourner sa tête vers le bar, remplit de bouteilles et de verre vides, de narguilés qui n'attendent que d'être nettoyés...

– Et ça, une belle corvée qui va t'occuper jusqu'à 3heure du mat'.

Ou scientifiquement : un foutoir.

– Tu vas finir en burnout si tu continue toute seule.

__-Embauche.
__-Je sais que j’ai l’air d’une demeurée, mais quand-même.
__-Et qu’est-ce… qu’il… En vrai, je suis un peu claquée ces derniers temps, ce qui fait que je ne réagis pas en le faisant valdinguer d’une prise par-dessus ma tête, chose qui sortait assez vite quand un connard se permettait de me toucher et ce avant même que j’aie ma force de titanide. Du coup, je dirais que Bito a démontré ce qu’il voulait dire avant même. De le dire.
__-Ouais je commence à avoir un coup de barre moi.
__-« Euh. »
__-En vrai, finir à 3h ça ne me dérange pas. Je me lève à midi et ouvre que dans l’aprem. Donc ça va, je dors, quand-même. Mais c’est vrai aussi que je ne suis plus toute seule. J’ai une petite sœur mineure qui est autonome on va pas se mentir, mais j’aimerais quand-même passer plus de temps avec elle. Et aussi pas faire que bosser sur mon temps éveillé.
__-« Ouais. »
__-Mais quand-même.
__-« Non mais ça c’est en cours. Je commence à peine, les employés ça se trouve pas comme ça. Sauf si tu sais comment attirer des gens en un rien de temps. »
__-J’en sais rien moi, j’ai jamais eu un travail honnête de ma vie, sauf quand je bossais pour mes parents, mais du coup je ne suis pas vraiment passée par un recrutement classique. Difficile de se figurer à quoi ressemble le recrutement de salariés quand le seul rapport qu’on a eu avec, ça a été d’aider des potes à boire leur prime d’embauche.

Pendant que Luna répond en lui donnant une excuse bidon, notre héros fixe son téléphone, tape un peu partout, swipe à gauche, scroll vers le bas, fait un pinch pour zoomer... En quelques secondes, il a fait sa petite recherche sur le site de l'institut.

Il dévoile l'écran l'écran de son téléphone à Luna et la regarde d'un air dépité.

Sur l'écran on voit écrit "0 résultat trouvé".

– Et internet, tu connais ? Fait-il comme un daron qui gronde sa fille. C'est pas en collant un vieux bout de papier devant ton bar que tu vas recruter facilement.

Ses yeux se posent un instant sur cette feuille de papier imprimée avec une police de caractères horrible, tout droit sortit des années 90 : la Comic Sans. Avec cela, on a des petits papiers qu'on déchire en bas de la feuille pour choper le numéro de téléphone à appeler.
Cette annonce est à elle-même une profanation du monde professionnel.

Vite Bito, détourne le regard avant que cette chose démoniaque ne corrompt ton âme.

– Les étudiants cherchent toujours un petit boulot et tu as une institut juste à coté !

Puis, dans un élan d'autorité, tel un senseï intransigeant, il donne une tâche à accomplir à Luna. Son doigt se lève atterrit entre les deux yeux de la jeune femme, de quoi la faire  loucher.

– Demain tu me rédigera une offre d'emploi précise et concise sur ce site !  Et tu me l'enverra avant de la poster ! Ainsi tu trouvera...

C'est quoi l'expression chez les Terre pour dire "chaussure à ton pied" déjà ?

... tu trouvera la petite feuille à ta branche.

Ou était-ce "le buisson à ta haie" ?

__-Ah, oui, effectivement, j’avais pas envisagé ça.
__-Il faut dire aussi que, à Manaus, la seule occasion que j’avais d’utiliser un ordinateur couramment, c’était d’aller dans une bibliothèque d’un autre quartier que le mien. Et je ne m’en suis pas acheté depuis que je suis arrivée à Terrae, en même temps j’en avais pas vraiment l’utilité. Il y a celui du bar, qui tourne sous Window XP et qui sert à la comptabilité, mais c’est tout.
__-Non mais, c’est pas con. J’ai tendance à oublier que depuis que je suis à l’institut, je n’ai pas de nouveau que un membre, des pouvoirs, une famille, un métier, une sociabilité, des habitudes alimentaires et le climat. Il y a aussi le niveau d’infrastructures disponibles.
__-Oh ben excusez-moi de pas pouvoir penser à tout hein hé ho.
__-Par contre, Bito peut avoir de bonnes idées, mais il reste Bito.
__-« Ouais, ma pointure, quoi. »
__-Non parce que je suis lusophone avant d’être Terre et c’est ça l’expression en portugais.
__-« Non mais en vrai, ouais c’est une bonne idée, merci du tuto. T’auras ça dès que j’aurai le temps de m’y pencher. »
__-Non parce que, si tu me donnes une limite de temps, c’est à peu près sûr que je ne vais pas la respecter, donc autant lui dire direct.
__-« Sur ce, il commence à se faire bien tard, je te laisse finir ta conso et je reviens. C’est que, j’ai encore du taf moi. Comme je t’aime bien c’est offert par la maison. Hésite pas à repasser à l’occasion, avec un peu de chance ce sera pas moi qui s’occupera de toi ! »