Aylan semble content des réponses d'Aria. Elle lui sourit donc, satisfaite et regonflée d'enthousiasme. Il ne répond pas trop à ses questions par contre, et préfère en relancer à peu près mille autres… Son sourire s'étire en coin, mutine.

—Oh bah tu verras !! Je te laisse la surprise. Essaie de t'accrocher à mon cou si tu peux !

Et sans un mot de plus, parce qu'ils ont assez tergiversé, Ariana se transforme en grande louve rousse… Elle se met en position de jeu, fesses en l'air et queue battante, avant de japper à l'intention d'Aylan. Puis elle trottine, la tête haute, le laisse l'admirer un peu, et s'immobilise pour qu'Aylan puisse monter sur son dos. S'il en a besoin, elle se baisse un peu et lâche un "(w)oof" en se redressant. Ahwi, c'est quand même lourd un peu, un gamin. Il faut qu'elle s'habitue. Elle commence à marcher à vitesse normale, le temps pour le petit de trouver ses appuis. Quand il lui tire trop les poils, elle gronde un peu et lui lance un regard en biais, tournant la tête vers lui.

Et quand il semble plus à l'aise, ou au moins de ne pas lui donner l'air de chuter, elle commence à courir. D'abord lentement, puis, prenant plus d'aisance, elle se dirige vers le champ de fleurs. Sa vitesse augmente, et des tas de fleurs volent autour d'eux à leur passage ; Aria-louve tire la langue dans le vent, ravie de ce moment. Bientôt, ils arriveraient dans l'arène… ce qui lui donne une idée : elle entre par la petite entrée du bas et saute de fauteuil en fauteuil, avant de descendre d'étage en étage jusqu'à son centre et en ressortir, rejoignant à nouveau la route vers le village. Elle jappe à l'intention d'Aylan, sur son dos. Ca va, il survit ?

__–C’était court, comme réponse. Mais efficace. Au moins, cela eut l’avantage d’éviter qu’Aylan noyât Ariana sous un flot de questions – auquel, bien qu’étant Eau, elle n’aurait pas été immunisée.
__–Le petit Air avait déjà vu des morphes se transformer, mais c’était toujours un moment qui le transportait et l’impressionnait. D’autant plus qu’Ariana n’avait pas lésiné. Voilà que, sous le regard béat et admiratif de son futur cavalier, elle était devenue un magnifique animal géant couleur de feu, au poil long et lustré, aux crocs acérés éclatants de blancheur, aux yeux qui brillaient d’une surnaturelle intelligence, aux pattes puissantes et à la longue queue qui fouettait l’air.
__–« Ouuuuuuaaaaaaah mais c’est trop cooooooooool ! »
__–Aussi surprenant que cela puisse paraître, il n’avait pas hurlé avec toutes ses capacités de Sonore. C’est qu’Aylan savait bien que l’ouïe des canidés était bien supérieure à celle des humains et avait pris pour réflexe de maintenir son volume à un niveau acceptable en présence de tels animaux ; notamment de Roda.
__–Quand Ariana baissa son encolure, notre protagoniste s’accrocha aux poils et essaya de l’escalader, avec un succès qui fut garanti par une poussée d’air à l’arrière de ses fesses. Il essaya de trouver ses marques, des positions pour ses pieds, de s’agripper à des touffes assez larges pour répartir la tension et ne pas lui faire mal, mais assez petites pour qu’il puisse les avoir bien en main. Ces petits ajustements trouvés, guidés par les grognements d’Ariana – qui lui firent presque peur, c’est qu’elle était tout bonnement immense –, il était prêt :
__–« C’est bon pour moi ! »
__–La course put commencer. L’ébahissement des badauds, la chaleur de la louve contre son corps, le vent dans ses cheveux, le défilement accéléré du paysage, les petits bonds qu’étaient en fait chaque pas, Aylan se sentait tout à fait comme dans un conte de fée. Il ne se retint de hurler que parce qu’il était à un avant-bras de distance des immenses oreilles d’Ariana.
__–Le passage par l’arène et les cascades qu’il supposait, ne purent toutefois lui arracher des « Wooaaah ! Woooh ! Woooah ! » à chaque bond qu’elle faisait. Si grande et pourtant si agile ; si svelte, c’était donc cela, la puissance d’une Étoile.
__–Lors du retour au trot vers le village, Aylan était encore tout ébervigé et il lui fallut un petit temps pour comprendre qu’Ariana s’adressait à lui.
__–« C’était trop méga bien… Encore ??? »

Se transformer, c'est un peu la liberté. La puissance qu'elle met dans ses bonds la fait frémir, elle sent qu'elle aura quelques courbatures demain, si elle ne s'étire pas après l'exercice. Elle peut se connecter à cet instinct qu'elle emmure, où elle peut s'autoriser l'espace de quelques minutes à être pleinement elle-même, étrangement, même sous les traits d'un autre être. Même sous cette couche de poils épaisse, derrière ces crocs inhumains qui pourraient croquer n'importe quel passant, ou bien ces pattes qui laissent des empreintes profondes dans la terre qu'elle gratte en courant.

C'est ça ce qu'elle aime dans sa magie, cette capacité étrange à pouvoir devenir elle-même en se fondant dans autre chose, à pouvoir devenir n'importe quoi. Ce n'est pas qu'elle change, c'est simplement qu'elle parvient à faire ressortir des parties très différentes d'elle, qui sont bloquées derrière tant de limites qu'on lui a imposées, et qu'elle s'impose aujourd'hui. Quand Ariana est louve, ou phoque, ou oiseau, ou insecte, elle se permet de changer son point de vue, sa vision du monde, et cette perception ouvre aussi son coeur autrement. Aux autres, à elle-même.

Au début, elle pensait que c'était l'instinct sauvage de l'animal qui prenait le dessus, mais combien de fois a-t-elle ignoré qu'il s'agissait simplement du sien, qu'elle laissait enfin s'exprimer ? Car si elle est impulsive, on lui a tant répété de se contenir qu'à présent elle s'emmure elle-même entre des cloisons, comme pour ne pas faire déborder trop fort le vase. Peut-être qu'un jour, elle sera capable de le briser et d'exister à la fois en dedans et en dehors du vase, cadrée mais pas contenue, ou plutôt contenue mais pas enfermée. Il y a encore des choses à vivre avant, comme cette aventure folle et trépidante avec cet ami singulier qui s'accroche à son dos.

Oh des fois, elle a un peu envie de lui grogner dessus ou de lui ronger gentiment le mollet pour lui enfoncer ses talons dans les côtes, mais elle est tellement épaisse et s'élance si fort, si vite, qu'elle refuse de penser à autre chose. Elle tire même la langue lorsqu'elle court à toute vitesse, projetant de la bave ici et là, jappant aux passants de se pousser, puis ralentissant vers le village, trottinant comme un cheval heureux, langue pendante et queue bien dressée.

Aylan, sur son dos, pousse des exclamations de béatitude depuis un moment, mais elle est contente de pouvoir ralentir un peu. Elle est contente de voir qu'il ne pense plus à autre chose qu'à leur course effrénée dans le campus tout entier. Alors elle aboie, semble acquiescer, mais comme il y a trop de monde elle ne peut pas courir si vite. Elle essaie de repérer des bâtiments sur lesquels grimper, et saute sur une poubelle, mais quelqu'un l'interpelle avant qu'elle ne saute sur un toit ; c'est le Master qui tient la pâtisserie, qui la regarde avec amusement mais aussi avec les poings sur les hanches. Elle aboie, lâche un couinement plaintif, roule des yeux quand elle voit qu'il ne cède pas, souffle du nez avec mécontentement et redescend, préférant repartir en boudant vers l'autre bout du village.

Elle plisse les yeux : personne - ou pas grand monde - sur le chemin qui traverse la forêt... Se mettant en position de jeu, elle secoue la queue en se dandinant puis s'élance vers la masse d'arbres touffus qui bordent la route, dans l'objectif d'aller vers le lac. Elle prend finalement un raccourci au virage, passant souplement entre les arbres, essayant d'adapter sa vitesse ; obligée parfois de sauter d'un arbre à un autre pour pouvoir réellement les éviter, mais aussi pour se propulser plus vite, plus fort. Elle trébuche dans une racine et perd l'équilibre ; heureusement, elle se marche juste un peu dessus, mais Aylan reste bien accroché. Elle finit par ralentir, pantelante, en arrivant en vue de l'étendue d'eau, et va s'étaler sur le sol.

__–Encore il avait réclamé, encore il eut.
__–À bien des égards, ce qu’Aylan vivait depuis le dos d’Ariana était une on-ne-pouvait plus adéquate représentation de ce qu’avait été sa vie à Terrae. Rencontrer des inconnus, les apprivoiser – vous nous pardonnerez le choix du terme – et s’amuser avec eux. De nouvelles personnes dans sa vie, autrefois, n’était pas nécessairement synonyme de malheur, mais la seule et unique question qui se posait à leur égard, était de savoir si elles allaient impacter en bien ou non sa survie. Des personnes comme Liz, Brad, Miguel et bien sûr Lola étaient des lueurs, pâles, falotes et tremblantes dans une nuit constante. Jusque sur le dos d’une inconnue rencontrée le jour même et qui avait un aspect bien assez féroce pour laisser à penser qu’elle le dévorerait tout cru, Aylan était baigné dans une lumière aussi aveuglante qu’elle était douce.
__–Enfin.
__–Pour le moment, c’était plutôt dans les poils qu’il se noyait, alors qu’il s’affairait à couvrir de grattouilles et de câlins sa compagnonne.
__–Cela avait été une promenade très forte en excitation, en cris de joie et en exclamation, mais si Ariana était fatiguée de s’être ainsi tant dépensée, l’enthousiasme qu’Aylan avait manifesté commençait lui aussi à prélever son tribut sur son énergie. Un gros câlin, pour se remettre de ces émotions, n’était pas de trop.
__–Nul doute qu’ils auraient pu rester là un moment, peut-être jusqu’à la tombée de la nuit et s’endormir dans les bras d’un de l’autre. Après tout, ce n’était pas la première fois pour Aylan qu’il débarquait dans la vie de quelqu’un à Terrae et scellait le lien d’amitié qui l’unissait à cette personne par un roupillon dans son espace vital.
__–Mais enfin, allez savoir pourquoi, il sentait tout de même qu’il n’allait pas être possible de réitérer ce fait d’arme avec elle.
__–Par contre…
__–« On le r’fera diiiiiis steuplééééé ? »

C’est bizarre pour elle. La louve laisse l’enfant se fondre dans ses poils, jouer avec, rire avec bonheur et lui faire un gros câlin. Ca lui change de l’expression triste qu’il pouvait avoir un peu plus tôt, qui lui donnait cet air plus vieux que son jeune âge. Elle n’a jamais trop aimé les enfants — on se souvient pourquoi — mais finalement, passer du temps avec l’un d’entre eux… Ce n’est pas si désagréable. C’est même amusant. Elle est heureuse de servir de doudou, pour une fois que ce n’est pas elle qui enlace les autres.

Finalement, après qu’il se soit un peu écarté, elle roule sur le ventre et se retransforme en humaine, pantelante. Elle prend son temps pour respirer, laisser l’air traverser ses poumons, et se met en tailleur, les mains appuyées sur ses chevilles.

—Oh bah oui bien sûr ! Enfin, peut-être que parfois j’aurai pas le temps, mais si ça te dit on peut se programmer ça un peu avant et j’essaie de me libérer !

Bon, elle espère qu’il ne fera pas ça tout le temps, mais il faut dire que ça l’a amusée aussi. C’est le type de moments qu’elle aime passer avec ses amis ; elle ne leur propose pas toujours de grimper sur son dos, parce que ça fait un peu chelou, mais c’est une activité qui n’est pas déplaisante en soi.

—Ca te dit on fait une petite pause et on marche le long du lac ? Je te reprends sur mon dos à la sortie de la forêt si tu veux ! Il faut encore retourner à l’entrée de Terrae pour que je cherche le tissu qu’il me manque !

Et comme ça, elle n’aura pas besoin de s’élancer à toute blinde. C’est qu’elle est endurante, mais pas non plus à ce point.

—C'est comment quand on est sur la place du passager ? Je t'avoue que j'ai jamais expérimenté dans ce sens-là, alors je suis curieuse !

__–Hé oui, les adultes ont des emplois du temps.
__–Enfin, normalement les enfants aussi, mais passons. Aylan se gratta la tête, puis chercha un peu partout dans ses – nombreuses – poches, jusqu’à sortir son téléphone, d’ouvrir la page de création de contact et de le tendre à Ariana pour qu’elle pusse noter son numéro.
__–« Tiens ! Comme ça je t’appellerai ! Ou je t’enverrai un message, c’est comme tu veux. Pis en vrai j’veux bien marcher ouais. »
__–C’est que, pour lui aussi, cela avait été fort en émotions et donc, très consommateur en énergie. Pour des raisons de masses astronomiques d’eau présentes, le lac n’était pas son lieu préférée de Terrae, mais il se dégageait de ce lieu un certain calme, qui rendait ses berges malgré tout fort agréables pour s’y promener.
__–Et comme la barrière sociale du contact physique entre les deux avait été très largement dépassée depuis un certain temps, Aylan lui prit sa main. Il avait le sourire un peu béat et tranquille qu’on a quand on est content, satisfait, heureux d’être avec une personne qu’on aime d’amitié vraie.
__–Aussi mit-il un peu de temps pour répondre. C’est qu’il voulait apprécier l’instant. Le doux flottement, le simple contact, la proximité avec Ariana.
__–« Oh oui j’serai pas contre un second tour après ! »
__–Et plus calme, cela lui irait très bien. Histoire de leur laisser le temps de crâner dans les rues. Pour l’instant, ils n’avaient réussi qu’à effrayer les novices et ennuyer tous les autres.
__–« Comment c’est ? Euhhh hmmmm, bah en fait c’était un peu bizarre au début, parce que d’habitude quand je suis dans un véhicule c’est moi qui pilote, tu vois ? Ou alors y’a quelqu’un qui est un humain. Puis aussi je suis déjà allé sur un dromadaire mais c’est tout lent, toi t’étais super méga giga ultra rapide ! Et puis tu sautais partout ! Y’a des moments j’ai cru j’étais dans un avion, tu sais les petits avions monomoteurs sans capot où tu dois mettre des lunettes. (Pour ceux qui se demandent, Aylan n’en avait jamais piloté, mais avait déjà été parachuté depuis un tel coucou.) Avec le vent partout autour qui siffle ! Bon t’allais moins vite, mais j’ai quand-même dû utiliser l’air pour générer des petits boucliers devant mes yeux parce que sinon bah j’aurais rien vu du tout quoi. »

Pendant qu’Aria tâche de reprendre son souffle, elle observe le petit humain farfouiller dans ses poches puis lui tendre son portable. Habituée de ce type d’échange, elle ne réfléchit même pas pour entrer ses coordonnées dedans : numéro de téléphone, mail, site web pour ses fringues et son instagram.

—Et voilààààààà !! Oui, hésite pas ! Bon euh par contre, écris moi en euh… tu parles espagnol ? Non tu parles sûrement pas espagnol… Bon c’est pas grave, si tu peux m’écrire en espagnol ou à la limite en anglais j’serai vraiment vraiment reconnaissante ?? Sinon envoie moi juste un vocal !

Aria est spécialiste des 10aines de vocaux de quelques minutes de chaque envoyés à la suite, pour éviter d’avoir à s’embêter à tout taper, ou tout traduire, ou que ses copains traduisent tout. Dans tous les cas, elle se remet tranquillement debout, grimaçant en appuyant ses mains sur ses cuisses, puis s’étirant le dos.

—Let’s go !

Elle veut commencer à marcher, quand soudain se glisse dans sa main celle minuscule du petit Air. Surprise, Ariana le laisse faire, observe son visage heureux, sent ses oreilles chauffer, un sourire poindre à nouveau, et alors qu’ils se mettent en route tous deux, serre un peu ces petits doigts entre les siens. Elle ne le sait pas encore, mais ce contact recolle quelques morceaux de l’objet tout cassé au fond de sa poitrine. Alors elle acquiesce lentement, toute tranquille elle aussi, observant l’étendue d’eau qui se rapproche. C’est probablement l’endroit qu’elle préfère dans Terrae, là où elle va se réfugier quand elle ne va pas bien ou a besoin de réfléchir. Elle aime bien danser sur la glace, parfois ; elle se demande si Aylan aurait trop peur d’y aller ou pas en hiver…

Aria ouvre grands les yeux à sa réponse, un peu prise de court, et éclate soudain de rire. Comment ça c’est lui qui pilote ?! Il a conduit des karts, déjà ? Woah trop cool, elle est pas sûre d’avoir eu le droit de monter sur une bicyclette à son âge — ‘paraît que c’est pas pour les jeunes filles, mais bon c’est pas le seul truc pas pour les jeunes filles qu’elle a fait dans son adolescence oops.

—Un dromadaire ?! Un vrai de vrai ?! Woaaaaaah mais trop bien ??

Puis elle trottine d’un pas plus léger, toute contente d’entendre son nouveau partenaire de bêtise lui raconter ce que ça fait.

—Ouiii je vois ! Oh désolée, j’espère que tu t’es rien pris dans les yeux ! Ca doit être rigolo en tout cas ! Ca a fait un peu comme ça pour moi aussi, mais j’avoue j’étais plus concentrée sur la route pour éviter de nous manger un arbre. Dis alors, c’est comment de voyager sur un dromadaire ? Tu as fait ça où ? Tu as beaucoup voyagé ?!

Aria n’avait jamais beaucoup voyagé avant de venir à Terrae, et elle n’a fait que deux sorties longues durées en dehors de ses missions : une fois avec Nicolas pour un road-trip en Espagne, et l’hiver dernier lorsqu’elle a décidé subitement d’aller s’exiler autour du Mt Fuji puis au Chili pour faire quelques études sous-marines… Qu’est-ce que ça lui maaaaaaanque. C’était trop bien de parler poisson.

__–Aylan constata la somme de moyens de contacts qui lui avaient été envoyés. Il n’était pas utilisateur d’Instagram, mais nota précieusement le site de vêtements que lui avait confié Ariana. Il aurait sûrement une visite à y faire, un de ces jours. Sans doute pour une belle jupe ; celles entreposées chez le préfet était si magnifiques qu’il avait longuement considéré en essayer plusieurs, avant de se raviser sur la nourriture. À sa question, Aylan répondit avec un haussement d’épaules :
__–« Oh bah si j’parle espagnol et je l’écris aussi et l’anglais aussi mais si tu préfères espagnol c’est d’accord ! En plus c’est bien parce que avec la puce je le parle plus trop trop. Tu connais des films et des séries espagnols ? Comme ça j’pourrai au moins en écouter des fois ! »
__–Vint ensuite la question d’Ariana sur ses péripéties en dromadaire. Aylan réfléchit, essaya de se souvenir de tous les détails.
__–« Oh bah oui, la dernière fois c’était, euuuh… En Algérie ou au Mali je sais plus, pour un mariage, pis le marié il voulait montrer comment il était trop riche, alors il a offert tout un troupeau de dromadaires au père de la mariée et pour que ce soit plus classe, tous ceux qu’il aimait bien ont eu le droit de monter dessus ! Au début il voulait qu’il y ait un adulte avec moi mais pffff y’avait pas besoin je savais en faire en plus, parce que je me suis entraîné en Libye, parce que quand on se déplaçait en toyotas ben c’était trop grillé quoi. Enfin bref, j’avais une djellaba trop belle, on a fait une promenade dans le désert, puis on a fait une parade devant la famille de la femme, puis on est allé sous la tente, on a mangé des plats trop bons, puis on a bu du thé à la menthe et y’a même l’émir Abdelmalek Droukdel qui est venu ! On était trop contents qu’il soit là. Et puis comme c’était moi le plus jeune et qu’il était heureux parce qu’un de ses amis se mariait, il m’a mis sur ses genoux et dès qu’on proposait des pâtisseries on lui proposait à lui en premier parce que c’était l’émir et il me les donnait toutes ! »
__–Le visage d’Aylan s’assombrit d’un coup.
__–« J’ai été très triste quand les Français l’ont tué. »
__–Vous vous en doutiez, c’était le dirigeant d’Al-Qaïda au Maghreb Islamique jusqu’en 2020.
__–La tristesse passagère passa comme elle était venue. C’était en d’autres temps, d’autres lieux ; c’était la guerre et la mort y étaient une réalité permanente. Si Aylan devait commencer à pleurer les tombés, il y passerait une vie.
__–« Et toi t’as voyagé où ? »

Les yeux d’Ariana s’ouvrent en grand et elle lâche une exclamation de surprise.

—WOAH mais tu dois être trop intelligent en fait pour parler autant de langues ! C’est super dur pour moi, j’arrive un peu mieux à l’oral mais alors à l’écrit woaaahhh déjà que je galère en espagnol, je te dis pas le reste. Je suis dyslexique, hein, je suis pas teubée ! ajoute-t-elle un peu rapidement, assez honteuse.

Enfin, des fois elle se trouve un peu bête quand même, mais ce n’est pas le genre de choses qu’elle dira à voix haute devant un enfant, quand même.

—Niveau film ou série hmmmmmm woah j’ai rien en tête, là… Si t’aimes bien les thrillers un peu mafieux, y a la Casa de Papel !!! Oh nan mais je raconte quoi, t’es peut-être un peu jeune… Oh le Labyrinthe de Pan aussi !!!… Non mais il est glauque celui-là, ahhhhh.

Tous ceux qui lui viennent en tête sont super glauques.

—OH SINON Y A UN DESSIN ANIME QUI S’APPELLE COCO. Bon, ça se passe au Mexique, et c’est pas espagnol — ils chantent en espagnol dedans — mais c’est chouette et coloré !!

OUAIS. OUAIS CA C’EST DE SON ÂGE, C’EST SÛR. (La narratrice inspire fort ; c’est bon, on repart.)

Pendant qu’Aylan lui raconte l’histoire des dromadaires, Ariana ouvre grand la bouche et commente avec de petites exclamations qu’elle veut discrètes ; puis elle fronce les sourcils, les hausse, écarquille les yeux, les plisse, et globalement, essaie de comprendre ce qu’il est en train de lui inventer comme saga d’espionnage. Woah non mais si on l’écoutait, on croirait qu’il a vécu des trucs de guedin, franchement Aria a pas envie de savoir qui sont ses parents ! Et attends…. Comment ça TUE PAR LES FRANCAIS. WHAAAAT. Nan mais c’est un nom de code ?? Il parle d’un mec dans un de ses jeux, là ?? Ou alors un mec de la mafia ? Omg, si ça se trouve Aylan faisait partie de la mafia !!!!……. Oh mais du coup, La Casa de Papel, ça va.

MAIS NON, CA VA PAS DU TOUT. ALLÔ ARIA, DE QUOI IL PARLE LÀ EN FAIT.

—Ah euh, ohhh… J’suis trop désolée. Mais l’important c’est qu’il était gentil !

Ptdr ALORS QUE SI CA SE TROUVE C’ETAIT UN GROS PEDOPHILE, MAIS D’OU LE VIEUX IL LE MET SUR SES GENOUX ET LUI DONNE DES PÂTISSERIES LÀ WESH. (inspire)

Nan allez, c’est pas gentil de parler des morts comme ça. Elle sait pas trop qui est l’émir Abdelmalek machin là, mais euh RIP.

—En tout cas ça devait être un sacré événement, ce mariage !! On t’a fait aller à des événements importants comme ça souvent ?! En tout cas, trop classe de monter un dromadaire !! Ils ont l’air trop mimi avec leur tête bizarre, là… Ca doit être trop chouette aussi, le désert, je connais pas du tout !

Puis elle enchaîne, tout sourire, un peu pour changer de sujet — elle voit bien la bouille tristoune d’Aylan, alors c’est pas le moment de s’appesantir sur le sujet.

—Oh j’ai pas fait énormément de voyages !! Surtout quand j’étais à Terrae, en fait. Je viens de Granada, dans le sud de l’Espagne tu sais ?! L’Alhambra, tout ça, c’est trop joli. On allait de temps en temps à Sevilla et à Cordoba pour visiter, puis un peu à la mer de temps en temps, comme on était pas trop loin. Et une fois ici, on a fait un road-trip en France et en Espagne avec Nicolas — on est allé à un conceeeeeert !! — et on a visité plein de villes, c’était SI COOL. Woah je te jure je me suis trop amusée, rit-elle. C’était une des premières fois que je m’autorisais à partir en voyage pour de vrai, j’ai jamais eu d’argent pour voyager avant ça ! Et puis à un moment donné on a fait un camping pas trop trop loin au Japon avec Terrae, et je suis allée vite fait en mission pour récupérer des gens qui savaient pas utiliser leurs pouvoirs durant l’Eclipse et c’était trop FOUUUU. On a poursuivi un Morphe qui s’était transformé en moustique mais L’ENFER t’imagines même pas. En plus c’est super dangereux et pas du tout pratique !

Elle reprend son souffle une (1) seconde.

—Et là, tout récemment, enfin c’était déjà l’année dernière tant que j’y pense… J’avais besoin de changer un peu d’air — parce que je m’étais fait larguer super connement lol ouais euh je te raconterai pas ça — et bref plutôt que de me couper les cheveux vu que je m’étais déjà fait une teinture bleue j’ai décidé de faire un VOYAGE EN SOLO !!! J’suis allée visiter un bout du Japon, d’abord je suis passée à Odawara où y a un GRAAAAND château, tu sais, comme dans les animes et tout ! Puis je suis passée à Hakone et j’ai fait trempette dans les thermes et c’était trop bien, j’ai visité un peu le parc du Mont Fuji et après je suis allée au CHILI !!!! Ouais, changement radical de décor, je sais, mais j’avais contacté une association de recherche et de défense des animaux marins. T’imagines pas comme ça m’a fait du bien !! J’ai pu aider tout le monde avec mes pouvoirs… sourit-elle, un peu rêveuse. Et j’ai pris plein de trop jolies photos !

C’est vrai, c’était un temps très doux. Elle se sentait utile, rassurée, rassérénée. Elle a pu aider les chercheurs à récupérer des données importantes — elle ! qui se pensait toujours si bête !

—Enfin voilà.

C’est bon, elle a fini de parler.

__–Si Ariana était atteinte d’un trouble de la lecture plutôt que de l’intelligence, on aurait pu arguer que c’était l’inverse pour notre protagoniste :
__–« Ça veut dire quoi dyslexique ? Puis La Casa de Papel j’ai vu la première saison déjà mais pffff c’est pas du tout réaliste, quand on faisait des prises d’otage on faisait pas du tout comme ça. Et Coco… Je crois que je l’ai pas encore vu ! »
__–Est-ce qu’il aurait pu à Miguel ? On peut en douter : c’était un Disney et il n’en parlait que comme de la propagande capitaliste. Toutefois, il aurait sans doute aimé montrer à sa petite famille un dessin animé et aurait été heureux qu’Aylan, Lola et Liz (et Brad) le fussent.
__–Toujours était-il que sa remarque sur l’émir fit hausser à son tour un sourcil à Aylan. Gentil, c’était un peu fort, mais disons qu’il savait se montrer aussi charitable envers ses amis qu’il était impitoyable envers ses ennemis.
__–La question suivante d’Ariana plongea Aylan dans une certaine perplexité. Que voulait-elle signifier par là ? Est-ce que sa présence lors de la fondation du Groupe de soutien à d’Islam et aux musulmans, un mouvement affilié à Al-Qaïda, comptait comme un événement important ? Ou peut-être les funérailles des combattants morts le premier avril 2018 contre l’armée française et malienne, un moment très solennel et triste, ou encore la fête célébrée à l’occasion de la prise du camp de Soumpi et de la mort de nombreux ennemis ?
__–Hm, discutable.
__–« Ouais, si on veut. »
__–Après s’être montré aussi bref, Aylan écouta avec de grands yeux émerveillés le flot de parole ininterrompu que lui déversait Ariana. Et aussi invraisemblable que cela pouvait paraître, il suivait tout. (Ce qui lui fit songer, était-ce cela qui ressentait Lola quand elle l’écoutait bavasser pendant des heures sans piper mot ?) De tout cela, en en déduisit quatre informations. Tout d’abord, que si elle estimait avoir peu voyagé, alors qu’est-ce que cela pouvait bien vouloir dire, beaucoup voyager. Oh, certes, quantitativement, Aylan avait parcouru plus de pays lui-même, mais il n’aurait pas appelé ça voyager, plutôt partir en mission. Il ne faisait pas cela par choix et était moins envoyé pour découvrir des endroits exotiques, rencontrer de nouvelles personnes intéressantes, que pour les tuer. De voyages, avec des amis et dans le seul but de se divertir, il n’en avait fait en vérité aucun. Cela lui fit un petit pincement et il se promit de présenter Ariana à Lola, pour qu’ils pussent découvrir le monde ensemble. Ensuite, il fallait bien être la dernière des andouilles pour larguer quelqu’un d’aussi formidable ; quand Ariana aborda ce sujet, bien que fort succinctement, Aylan lui serra sa main un peu plus fort. Aussi, elle devait être vraiment une personne très intelligente, en plus d’être puissante de ses pouvoirs, si des associations de l’autre bout du monde demandait ses services. Enfin, il commençait à avoir un peu les crocs et, la lisière des bois atteinte, il était temps pour Ariana de faire pousser les siens.
__–« Trop coooooooooooooool… J’aimerais bien visiter le Japon aussi ! Tu vas te retransformer en louve là ??? »
__–On pourrait s’étonner de ce qu’en dépit de son enthousiasme qui n’en cessait pas de déborder, Aylan fut aussi peu prolixe de ses paroles. C’est que, voyez-vous, dans toute écosystème il ne peut y avoir qu’un seul super-prédateur ; pour ce qui était de celui placé à la tête de la chaîne alimentaire du temps de parole, le petit Air ne pouvait que s’incliner.

—Oh ! Être dyslexique ça veut dire que, euh, j’arrive pas bien à lire, les lettres se mélangent dans ma tête et j’ai du mal à les différencier… Du coup je mélange les lettres et les syllabes parfois, grimace-t-elle, avant de cligner des yeux.
Des prises d’otage ? Ah… Oh bah on pourra regarder Coco ensemble si tu veux ! Il est cool et je l’aime trop !!! You make me un poco locooo, un poquititito loco ! chantonne-t-elle joyeusement.

Elle est prise de court, là, du coup elle préfère se concentrer sur la partie qu’elle connait et maîtrise le mieux, à savoir les dessins animés. Elle sait pas comment c’est, elle, une prise d’otage, mais elle se doute que la série est pas uuuultra réaliste puisque justement ils ont fait plein de trucs SURPRENANTS. C’EST CA LE BUT DE LA SERIE NAN ?!

Enfin. Il a l’air perplexe à sa réponse sur son ami mort, là. Elle comprend rien, mais c’est pas grave, elle va acquiescer lentement. Nan mais elle comprend pas, elle, il dit qu’il était cool et quand elle dit qu’il était sûrement gentil il dit “si on veut” ; elle y peut rien si elle comprend rien là !

Elle lui raconte néanmoins ses propres aventures, et surtout les deux gros voyages dans sa vie : son roadtrip avec Nico, et son voyage au Japon puis au Chili de 2021. Le gentil Air lui serre la main plus fort à un moment donné, alors elle lui renvoie un sourire content.

—Je suis sûre que Terrae réorganisera des voyages prochainement !! C’est plus calme, là, depuis la fin de l’Eclipse… J’essaierai de le proposer aux autres préfets ! On avait déjà parlé d’organiser des journées portes ouvertes, mais ça s’est pas trop fait… Je compte bien insister pour que ça se passe, on a besoin d’un peu d’animation ici bon sang !

Oh, elle ne savait pas encore quelle animation allait les occuper les prochains mois, mais rêver ne fait pas de mal…

—Et oui je peux me retransformer… ou alors je me transforme en autre chose ! Si tu veux, je peux me transformer en CHEVAL. Ou…. En autruche ! Oh, nan, je sais pas si tu tiendrais bien sur mon dos en autruche… Tu as une idée ?



HRP : “il se promit de présenter Ariana à Lola, pour qu’ils pussent découvrir le monde ensemble.” =

__–C’est donc dans une incompréhension et un enthousiasme partagés qu’Ariana et Aylan continuèrent leur petite marche. Soit dit en passant, l’idée d’avoir un peu d’animation à Terrae l’emplissait de joie. Ce n’était pas comme si l’Institut était avare en la matière, mais c’était aussi quelque chose qui, selon notre protagoniste, n’aurait point su exister en une quantité surnuméraire.
__–« C’est trop une bonne idée oui ! Puis en plus les pouvoirs c’est trop cool, les gens ils vont adorer ! »
__–Et puis, ce serait l’occasion pour Aylan de démontrer que ses capacités pouvaient faire autre chose que de tuer. Avoir un auditoire d’enfants et de leurs parents lui plairait bien plus que celui de chefs de guerre de la bande sahélo-saharienne, on ne saurait en douter.
__–Vint le moment de la transformation. Un cheval… C’était une idée intéressante.
__–« Oh oui, j’ai déjà monté sur des chevaux une fois en Mongolie ! Et puis quand t’es émir et que t’es pas un pouilleux de Daech qui te donnes le titre mais tu le mérites pas parce que eux c’est des gros nuls et ils sont trop pauvres, t’as souvent un cheval, parce que ça boit beaucoup et souvent, c’est pas comme les chameaux, donc ça montre que t’es super riche. Du coup j’en ai déjà vu des trooooop beaux. Une fois, on a même reçu un pur-sang arabe du prince Mohammed bin Salmane, il était tellement magnifique c’était un truc de fou ! J’ai pu le caresser et lui donner à manger et le voir faire des courses et tout ! »
__–Nous passerons sur le fait qu’en échange de ce cadeau prestigieux, des mercenaires du Centre allaient régler en Libye quelques affaires, pour le compte de prince héritier de l’Arabie saoudite.
__–Nous passerons, tout bien considéré, sur bien des choses que venait de dire Aylan.
__–Pour ce qui était de l’autruche, Aylan en avait là aussi déjà vu, en Somalie. C’était un spectacle impressionnant que celui de cet étrange oiseau, à l’air à la fois si noble, si puissant, si assuré, si fort et si bête.
__–« Oh bah nan une autruche c’est trop une méga bonne idée ! Je suis pas lourd en vrai hein. Quand tu veux je suis prêt ! »

L’enthousiasme d’Aylan lui tire un sourire ravi, son pas toujours sautillant. C’était une idée qu’elle gardait encore, chère à son coeur, et qu’ils n’ont que peu eu le temps d’explorer au vu des difficultés qui se sont accumulées depuis l’Eclipse… et même bien avant. A présent que les temps étaient plus calmes, elle sentait qu’il était bientôt l’heure de représenter cette idée à ses collègues et amis afin de montrer au monde la beauté que recèle Terrae.

Et puis, comme vient aussi l’heure de rentrer, Ariana propose quelques alternatives au petit Air… mais. Elle cligne des yeux, dans l’incompréhension. Pourquoi ne cesse-t-il pas de parler de Daech ? La jeune Morphe — plus si jeune, finalement — lance un regard en coin inquiet à Aylan. Est-ce qu’il appartenait à une organisation terroriste avant, en fait, ou alors il a juste vraiment, vraiment trop joué aux jeux vidéos ?? C’est une question qu’Ariana n’a pas le temps de se poser, car les paroles de plus en plus préoccupantes du Sonore sont aussi particulièrement ardues à suivre. Trop d’informations d’un coup — Aylan potentiel petit terroriste — chameau pauvre — cheval riche — et puis le prince. Bon. Elle sait pas qui c’est, Mohammed, mais elle va acquiescer lentement et ne rien dire, cette fois.

Quel genre de vie étrange ce petit garçon a-t-il pu vivre ?

—OK BAH L’AUTRUCHE ALORS.

Oui, elle n’a pas du tout répondu au reste. Pour une fois, Ariana a été si prise de court qu’elle ne savait plus que dire. Du coup, elle se transforme vite en autruche à la tête dégarnie et aux yeux globuleux, et se dandine jusqu’à Aylan pour qu’il grimpe. Elle est forcée de plier fort les genoux (ils partent vers l’arrière, alors on ne peut pas vraiment dire qu’elle se met à genoux) en agitant le plumage de sa queue. LET’S. GO. OUBLIER TOUTE CETTE CONVERSATION BIZARRE EN BEUGLANT COMME UNE AUTRUCHE DE COURSE A TRAVERS LE VILLAGE.

__–Nous ne fûmes point les seuls à passer sur la quantité d’informations inquiétantes proférées par notre protagonistes Aylan ne s’en formalisa point : il parlait moins pour le plaisir de la discussion, les agréments de la conversation, les joies de l’échanges, les délices du dialogue que parce qu’il était bien incapable de se rendre compte par lui-même quand il en disait trop, ou de savoir quand il était séant de se taire. Ou quand il l’était de s’épandre et de détailler, aurait sans doute aucun commenté Ariana, au vu de ces précédentes et lapidaires réponses à quelques questions qu’elle jugeait pourtant importantes.
__–Nonobstant, l’autruche Ariana voulait, ce serait. La transformation fut accueillie d’un « Ouiiiiiii ! » qui ne cachait nullement son enthousiasme.
__–Aylan assista, non moins émerveillé que la première fois, à l’improbable transformation d’une personne aussi gracieuse qu’Ariana en un volatile aussi étrange de physionomie, quoiqu’il fût agile et exhalant la puissance.
__–« Comment c’est trop réussiiiiiii… T’es méga belle… »
__–Aylan l’admira se trémousser dans sa nouvelle forme, puis il escalada son plumage, non sans se demander à quoi pouvait bien ressembler son ramage :
__–« Tu peux crier ? J’veux savoir quel bruit ça fait une autruche ! Il paraît que c’est un oiseau qui a l’oreille très musicale, mais qui chante comme une casserole, enfin en tout cas on m’a raconté ça un jour et j’aimerais savoir si c’est vrai. »
__–Le, euh… le cri de cet animal répondit quelque part aux attentes d’Aylan en terme de laideur de sa mélodie. À l’infinie joie du petit Air, lui et son amie l’autruche géante dévalèrent les rues du village, qui avaient déjà été troublées par une louve immense et son sonore de cavalier. Enchanté qu’il était par ce cri, notre protagoniste se piqua de l’imiter autant que d’amplifier par sa propre magie les piaillements d’Ariana. Aussi, ce fut non point une seule autruche que les Terraens eurent le (douteux) bonheur d’entendre, mais la cacophonie de ce qui devait bien sembler être une harde d’entre elles, qui parcouraient les rues – mais ne terrorisaient personne, les habitants de l’Institut étant accoutumés à des étrangetés de cet ordre.
__–Enfin, là, nos deux amis avaient tout de même fait fort.

Aria-autruche secoue la tête et ses ailes dans une danse loufoque mais fort gracieuse, qui ressemble à vrai dire davantage à un dandinage plein de plumes. Elle est ravie du compliment et bat des cils sur ses yeux immenses et globuleux, baissant longuement sa tête vers Aylan, qui semble tout minuscule face à l’oiseau géant qu’elle est*. (*Une autruche fait en moyenne 2m de haut, davantage pour les mâles, et pèsent entre 60 et 140kg. Elle doit en être à 2m30 pour bien maintenir Aylan, et peser plus de 100kg.) C’est un peu étrange de sentir le poids de l’Air sur son dos, ce n’est pas tout à fait assuré comme avant à cause de la forme de son cou ; il devra sûrement s’accrocher à ses plumes plutôt qu’à son cou. Elle bat encore un peu des ailes, les utilise pour s’assurer qu’il ne tombe pas, teste ses pattes contre le sol, vérifie que tous ses membres sont bien en place — ce n’est pas une transformation qu’elle fait régulièrement, il faut dire, et celles-ci sont moins précises lorsqu’elle n’y est pas habituée ou qu’elle n’a pas suffisamment étudié la bestiole — et finalement accède à la demande du petit homme. Le cri est étrange, comme un gloussement de dinde plus aigu, et ça l’amuse plutôt de le réitérer, comme un rire qui ne saurait s’arrêter.

Quand il est bien accroché, elle lui jette un regard par dessus son épaule et s’élance vers le village en glougloutant, la magie du Sonore répercutant son cri sur tous les bâtiments alentours. Ses ailes s’agitent alors qu’elle court, et elle prend du plaisir à prendre de la vitesse ; d’abord lentement, car elle a peur que l’Air glisse, puis elle se laisse prendre au jeu. Ses pattes puissantes foulent le sol, elle n’a pas besoin d’allonger le cou pour aller vite, de tendre tout son corps vers l’avant. C’est comme si son corps tout entier était fait pour la course… Et ces pattes, clairement, ressemblent davantage à celles de dinosaures que d’un oiseau.

La distance qui sépare le village de l’institut est avalée à grandes enjambées. Elle dépasse néanmoins le bâtiment pour le contourner et arriver en vue des grilles ; elle ralentit en arrivant au niveau de l’allée principale et de ses arbres, saluant les passants d’un “kwwwwwaa” guttural. Ils posent pas trop de questions, et on ne sait pas trop s’ils devraient…

Enfin, les voilà arrivés. L’autruche-morphe s’arrête et secoue à nouveau ses ailes, pliant ses jambes pour permettre à l’enfant d’accéder au sol. Elle abaisse la tête vers lui pour obtenir une dernière grattouille et finit par se retransformer en humaine — les cheveux bien roux, parce qu’elle a oublié de se refaire une couleur en revenant à elle. Elle souffle, quelque peu essoufflée à nouveau, mais moins qu’avant ; c’est plutôt ses jambes qui la font un peu souffrir.

—Woaaaaaaah c’était trop amusant !!! Alors, t’en as pensé quoi ?!! Ah, je nous ai amenés aux grilles pour qu’on puisse récupérer les rouleaux de tissu restants, j’ai failli oublier !

MAIS ELLE S’EN EST SOUVENUE tout va bien.

Tout sourire, elle se dirige vers la loge de Chris et va y toquer.

—C’est de nouveau moiiiiiii je viens chercher la suite des paquets !!

Il lui indique les fameux “”paquets”” (ouais c’est des rouleaux quoi) et elle se rajoute bien 20 cm et quelques kilos de muscles pour réussir à en soulever deux sous un bras, un sous le deuxième.

—Et voilàààà, sourit-elle en revenant vers Aylan. AU REVOIR CHRIS MERCIII.