Aylan se mit soudainement à crier, laissant son pouvoir prendre le dessus. La force de son cri faisait vibrer mes tympans, j’avais l’impression d’être restée trop proche d’un haut-parleur de concert. Je me retrouvais à tomber sur le derrière, prise d’un déséquilibre à cause de l’expulsion d’air.

« AYLAN !!! »

Impossible de m’entendre. Il créait une bulle imposante pour tenter d’éloigner l’eau de ses jambes. Sur le coup je ne me rendais pas compte que l’eau impactait Aylan, avait-il la peur de l’eau ? Hydro… machin ? Je pouvais voir sur son visage que ça n’allait pas mais dans ce genre de moment il valait mieux attendre que ses émotions et ses pouvoirs se calment un peu à moins de vouloir perdre un bras. Mais et s’il ne se calmait pas ? Est-ce que j’étais mieux de trouver rapidement un Master avant que ça parte en cacahuètes ? Balayant du regard les alentours, il n’y avait PERSONNE. Bon… Au pire faudra se débrouiller hein. Je pouvais pas le laisser dans cet état-là. Je me relevais avec misère, tentant de me rapprocher un peu de lui pour tenter de le calmer.

Soudainement, Aylan se jeta sur moi, m’agrippant de toutes ses forces. Je sentais mon corps partir en arrière, pas de bol je me retrouvais à nouveau sur le derrière. Par réflexe, et l’adrénaline de la peur, je me relevais aussi vite que je pouvais. Je ressentais la panique de mon super acolyte dont la respiration s’était intensifiée. Les sifflements des tympans m’empêchaient de bien entendre mais je pouvais sentir sa cage thoracique faire de la salsa endiablée. Je l’entourais de mes bras pour tenter de le rassurer un peu. JE VAIS TE SORTIR DE LÀ. Je secouais  la tête pour reprendre un peu mes esprits puis j’avançais dans l’eau vers le bord de la fontaine. Fallait que je le sorte de là.

Je tentais de ne pas perdre l’équilibre tout en avançant rapidement dans l’eau qui giclait contre mes jambes. J’avais déjà vu des Affinité Feu avoir une peur bleue de l’eau mais quelqu’un de type Air c’était une première. Ce type de phobie me semblait assez rare, après je ne connaissais pas sa vie donc je ne suis pas maître de juger. Une fois sortie de la fontaine, je m’empressais d’avancer vers un banc juste à côté, Aylan toujours dans mes bras. L’adrénaline évaporée, il me restait peu d’énergie dans les muscles et j’avais besoin de m’asseoir. Je me laissais tomber sur le banc, desserrant un peu mes bras autour de mon acolyte pour qu’il puisse se remettre sur ses jambes s’il le voulait comme un chat. Les acouphènes n’étant pas encore parti à 100% je me retrouvais à parler un peu plus fort que prévu.

« HEY… ça va ? Tu veux que je te ramène chez toi pour te sécher ? Est-ce que tu peux marcher ? »

Je me retournais vers la fontaine pour voir toute l’eau qui avait coulé par terre. Sacrés pouvoirs. L’émotion était vraiment le moteur de notre pouvoir, sans contrôle c’était VRAIMENT dangereux. Les boules de glaces s’étaient dispersées de partout, on pouvait dire bye-bye à notre récompense. Une fatigue intense commençait à prendre le dessus, j'avais besoin définitivement d'une sieste.

__–La panique de Nana n’avait pas été considérablement moins élevée que celle d’Aylan, mais elle avait très bien réagi, éloignant Aylan du danger liquide aussi vite que possible. Ils finirent sur un banc, le petit Air toujours cramponné et tremblant. Maintenant qu’il était loin du terrible liquide, sa terreur s’était quelque peu calmée, mais était encore loin d’être éteinte. Ses jambes étaient toujours mouillée et en conséquence de quoi, elles n’avaient aucune force : elles flageolaient comme si on en avait retiré tous les os.
__–Et le fait qu’il se serrât plus encore à Nana quand elle évoqua l’idée de marcher répondit à sa question. Pour le moment, il était impensable pour lui de tenir sur ses deux pieds, ce qui impliquait de sentir à chaque pas l’eau qui trempait ses chaussettes. Et aussi parce qu’elle avait évoqué l’idée de le ramener chez lui, donc de le laisser, ce qui n’était pas tellement envisageable dans son état :
__–« Non, je veux rester avec toi… »
__–Mais assez vite, après quelques minutes, la gêne suscitée par la présence d’eau dans ses chaussures fut supérieur au confort que la chaleur de Nana suscitait. Aussi, Aylan la quitta, s’assit à côté d’elle et retira ses chaussures. Il était presque aussi blanc que ses cheveux et si elle l’avait connu très disert, voire bruyant, Nana le découvrait à présent bien silencieux.
__–Une fois pieds nus – il pouvait tolérer une petite quantité d’humidité –, les considérations ayant trait à sa phobie évacuées, notre protagoniste put revenir sur des sujets plus secondaires mais non moins importants :
__–« Par contre on a plus de glaces… Et je crois que j’en ai même plus chez moi… »
__–C’est que, cette histoire manquait cruellement de sucreries pour la rendre plus agréable. Et Aylan ne se sentait pas de tenter un nouveau casse. Ceci dit, il avait encore quelques pop corns chez lui et se sentait de faire quelque chose de calme, comme regarder un film – ce qui serait en sus l’occasion d’en savoir plus sur les goûts de Nana et donc de se faire inviter chez elle plus tard. Et accessoirement, Aylan avait encore besoin du contact avec une personne rassurante.
__–« Ça te dit on va chez toi plutôt…? »
__–Ce qui n’impliquait tout de même pas de le porter sur trois étages, mais au moins un peu.

Aylan se serra un peu plus à moi avant de murmurer très doucement qu’il souhaitait rester. Peut-être il ne voulait pas être tout seul ? Décidément les enfants… Je n’ai jamais eu ce que les gens peuvent appeler la « fibre maternelle » ou même le côté « friendly » envers ces petits bonhommes sur pattes. Il suffisait de me laisser plus que 5 minutes avec que je devenais inconfortable. Surtout les touts petits qui ne font que crier et courir partout, un enfer. Oui oui moi-même je suis sûrement passée par là m’enfin maintenant c’est moi le rôle de l’adulte quoi. Aucune idée de quoi parler avec ces petits êtres !
M’enfin, je semblais ne pas vraiment avoir cet inconfort aux côtés d’Aylan. Après c’était un jeune Initiée, le fait d’avoir des pouvoirs demande une certaine responsabilité et donc… maturité ? Bref je ne sais pas mais le feeling passait bien pour le moment.
Mon acolyte se décida finalement de s’asseoir à côté de moi pour retirer ses chaussures.

« Hey, ça va aller t’en fais pas, soufflais-je en voyant son visage pâle. »

Silence.
La petite boule d’énergie qui posait 5000 questions à la seconde n’émettait pas un mot. L’aventure humide de la fontaine avait l’air de l’avoir traumatisé pour de bon. Je le laissais dans ses pensées, qu’il se calme tranquillement avant de vouloir entreprendre une conversation possible. Je ne suis pas sûre de comment fonctionne un enfant mais je sais que de les laisser un peu dans leur coin peut faire le travail s’il y a besoin de les calmer. Au bout de très longues minutes il rappela le point triste de notre aventure, plus de glaces. On les avait perdus dans la fontaine, fondu à jamais, puis Aylan ajouta qu’il n’en avait sûrement plus chez lui non plus. L’enfant Air avait besoin de son apport de sucre on dirait. Il demanda peu après d’aller chez moi. Définitivement il ne voulait pas être tout seul chez lui. J’avais le corps en coton et vu la pâleur d’Aylan, je n’étais pas sûre qu’il puisse être en état de marcher… J’avais besoin d’un GIGA café. Je pourrais le sécher dans ma salle de bain et le remettre sur pied, peu importe la personne qui s’occupe de lui, je ne voulais pas me faire taper sur les doigts non plus. Je lui souriais, accompagnée d’un petit signe de tête pour acquiescer sa demande.
Je me levais doucement du banc, m’étirant de tous mes membres. Bon c’est l’heure du calcul. On n’est pas loin des dortoirs et donc les chambres ne sont pas loin non plus. À tout casser, un petit 15-20 minutes de marche le temps de faire les escaliers etc. Il devait rester quelques pourcents de force dans mes muscles mais je pense qu’en y allant doucement ça pourrait le faire.

Je m’agenouillais devant Aylan.

« Bon, on a un peu de route à faire, tu t’accroches bien à moi OK ? »

Je lui tendais les bras pour qu’il vienne s’installer. Une fois qu’il serait prêt, on partirait en direction de ma chambre chez les Tonnerre pour aller se reposer un peu. Il me semble que je dois avoir des gâteaux qui traînent dans mes tiroirs…

« Je ferais juste un petit arrêt pour me prendre un truc à boire, je suis fatiguée de notre aventure ! »

__–Ah donc en fait elle allait vraiment le porter. Il n’en avait pas espéré tant, même si Aylan l’avait pensé très très fort et que c’était exactement ce qu’il souhaitait. Son bain l’avait vidé de ses forces, autant mentalement que physiquement. Aussi tendit-il les bras et s’agrippa-t-il à Nana. Cela faisait longtemps que… hé bien, en fait, il n’avait jamais vraiment été porté comme cela. Agrippé, transporté, trimballé, tiré, soulevé, ballotté, oui. Mais avec l’amitié, la douceur, la gentillesse, la générosité que dégageait Nana, encore jamais. L’expérience était donc assez nouvelle. Et de fait, on-ne-pouvait plus plaisante.
__–Mais il était déjà un peu trop âgé pour qu’elle fût aussi agréable qu’elle pouvait l’être pour un petit enfant. C’est qu’il faisait quarante kilogrammes, tout de même. Il pouvait sentir Nana souffler, peiner, le réajuster pour qu’il ne glisse pas trop. Et elle devait en sus porter ses affaires. Quand elle fit un arrêt pour prendre quelque chose, il lui prit aussi son sac, appela l’ascenseur et accepta de continuer à pieds. Et puis, ce n’était pas pour les quelques mètres qui restaient.
__–« Merci… »
__–Comme tout le monde, Aylan n’appréciait pas trop d’être ainsi vu en une telle position de faiblesse, de détresse et devoir demander l’assistance de tiers, y compris pour quelque chose d’aussi élémentaire que de se déplacer. Mais il avait appris, à ses dépens, que toute aide était bonne à prendre et que la fierté n’était pas une donnée qui pouvait entrée dans l’équation dans ce genre de cas. Par ailleurs, le comportement de Nana, de son point de vue, avait été exemplaire, notamment sur un point précis : elle ne lui avait posé aucune question. Bien des adultes se seraient, pensait Aylan, étonnés qu’il craignît à ce point un élément aussi basique et aussi courant que l’eau. Ce n’était pas tant que la curiosité de quelques tiers à ce sujet le dérangeait – si elle voulait en apprendre plus quand tous les deux seraient à tête reposée, pourquoi pas –, c’était que Nana avait su quand ne pas en parler. Ainsi, bien que ne l’ayant rencontrée que depuis objectivement une petite demi-heure, Aylan se sentait tout à fait en confiance avec elle.
__–Et de fait, quand ils repartirent vers son appartement, plutôt que d’être porté mais pour toujours avoir un contact physique, il prit sa main jusqu’à la porte. Aylan n’en menait toujours pas très large, mais avait repris quelques couleurs et arborait au moins un sourire timide, mais qui n’était plus teinté de quelque air soucieux, ou craintif.
__–Et accessoirement, il aurait bien pris un goûter.

Je pris donc Aylan dans mes bras lorsqu’il fut prêt à partir ainsi que ses affaires sur le dos. Le peu d’énergie dans mes muscles me tirait la sonnette d’alarme que ce que je portais était trop lourd. Je le serrais comme je pouvais contre moi pour ne pas le faire tomber. Il restait calme tout le long et j’étais ravie de le sentir en sécurité, cette histoire de fontaine l’avait vraiment traumatisé, peut-être un jour je prendrais le temps de lui poser la question.
Avançant à petite allure dans les couloirs, essoufflée. Je priais pour que la machine à café non loin de l’ascenseur ne soit pas en panne (comme les trois quart du temps). MERCI L’UNIVERS, elle était fonctionnelle. Lorsque je me préparais à tenir Aylan d’un seul bras pour commander, il se décida à descendre, récupéra son sac et me remercia. Peut-être en avait-il marre que je le porte ? Je lui réponds d’un large sourire, on était plus très loin de ma chambre et son visage avait l’air de reprendre un petit peu de couleurs. Je pris de grandes inspirations pour reprendre un peu de mon souffle pendant que la machine était en train de remplir mon gobelet d’un café bien noir et bien fort. Mon acolyte profita du temps pour appeler l’ascenseur. Je me positionnais à côté d’Aylan, avalant de grandes gorgées brûlantes de mon breuvage magique. Je pouvais sentir la chaleur du liquide apaiser mon estomac, mes veines se contractaient pour faire fluctuer plus rapidement le sang et la caféine dans mon organisme. Aylan prit ma main et nous montions les étages rapidement pour s’arrêter dans l’aire des Tonnerre. Ma chambre était vers le milieu du grand couloir. J’ouvris la porte pour constater le FOUTOIR que j’avais laissé. La dépression du retour ne m’avait pas aidé et étant donné que je ne recevais JAMAIS de visite, j’étais prise sur le coup.

« Donne moi une petite minute OK ? Tu peux t’asseoir ici. »

Je guidais Aylan jusqu’à mon grand lit, le seul coin qui n’est pas rempli de vêtements empilés. Je lâchais doucement sa main pour ne pas le stresser puis je me jetais sur toutes les affaires qui traînaient par terre. J’avoue que j’avais pas pensé à tout ce bazar. Bon les trois quarts c’était juste des fringues et des chaussures sales par chance… Bon et quelques boîtes à pizza vite mais je le jure Y A PAS de moisissure dedans. Je jetais tout dans mon panier à linge que je laissais dans un coin. J’empilais les boîtes dans un autre coin pour faire une tour de pise…a ! Pisa, pizza, pas mal non ? De toute façon y a jamais meilleur public que soi-même. Je laissais sur la pile mon gobelet de café vide.
Ma chambre avait l’air un petit peu mieux mais il me semblait que j’oubliais quelque chose… AH. Toutes les bouteilles vides (jus, bière et tout le barda) étaient cachées sous le lit, BON, je m’en occuperai plus tard il ira pas regarder là je pense. Je courais ensuite dans la salle de bain pour prendre deux serviettes de bain PROPRES je tiens à dire. J’en tendais une à Aylan pour qu’il puisse s’essuyer tandis que j’en profitais aussi pour enlever mes chaussures mouillées et m’essuyer.
Bon, on n’avait pas de glaces. Un enfant ça veut et ça doit manger du sucre, comme dans Charlie et la Chocolaterie, ça fait toujours du bien d’en manger. MAIS J’AI RIEN. Je me mis à fouiller mes tiroirs pour... AH HA !... Tomber sur un paquet de biscuit au chocolat non ouvert, et pas périmé par chance. Je lâchais un soupir, rassurée.

« Tiens manges-en, ça va te faire du bien, dis-je en lui tendant le paquet. T’aimerais que je mette quelque chose à la télé ? »

Oui, par chance j’avais une télé ici. Je l’avais volé à Max, il compte pas revenir donc évidemment je me suis servie dans sa chambre avant qu’il la condamne. Super l'héritage familiale.

__–Oui, un bordel de chambre de célibataire normal, quoi. Aylan en avait visité plus d’une, généralement pendant que lesdits propriétaires n’étaient pas là. La sienne était elle aussi dans un état peu recommandable. Piles de vêtements, emballages qui traînaient, c’était à la fois totalement différent – car aucun bordel ne se ressemble – et tout à fait similaire. Si, il y avait bien les bouteilles d’alcool en plus, un type de déchet auquel Aylan n’était pas encore confronté.
__–Nana lui donna une serviette, ce qui était fort bienvenu et avec laquelle il put finir de retirer l’eau de ses gambettes. Pour son pantalon, il se contenta de faire de très gros ourlets, à tel point qu’il avait plus l’air de porter un bermuda, mais au moins n’avait-il plus de tissu humide directement au contact avec la peau. Avec plus de maîtrise, il aurait pu souffler de l’air chaud, mais même s’il l’avait eu, il n’était pas en état d’utiliser pleinement ses pouvoirs.
__–Puis vint le moment de se sustenter. Nana n’était, fort heureusement, pas tout à fait dépourvue en la matière. Et à s’être agitée partout de la sorte, manifestement inquiète de l’état de son logis, de ce qu’on pourrait en penser et de si elle allait arriver à répondre au moindre besoin d’Aylan, il semblait à celui-ci que c’était plutôt elle, qui avait besoin d’un chocolat pour se remettre. Aussi se servit-il et lui tendit le paquet en retour :
__–« Merci… T’en veux un toi aussi ? »
__–Puis vint le crucial moment de savoir quoi regarder. En vérité, Aylan revenait, outre l’incident récent, d’une journée d’entraînement assez poussé sur son pouvoir et Nana semblait avoir fait preuve d’un effort physique et mental non moins négligeable avant qu’ils ne se rencontrassent. Il seyait donc qu’ils regardassent quelque chose de tranquille, devant lequel ils pourraient se blottir au fond du canapé, si possible sous un plaid.
__–Oui mais qu’avait-elle en stock ? Les abonnements à quels services de VOD avait-elle piratés ? Combien de warez avait-elle sur ses disques durs ? Connaissait-elle Plex ? Combien de sites de streaming avait-elle enregistré ? Tant de questions, si peu d’énergie pour toutes les poser – ce qui n’était pas dans les habitudes du petit Air. Il allait falloir être à la fois plus spécifique et assez imprécis pour donner à Nana une marge de manœuvre.
__–« Euh, je sais pas, un dessin animé ? T’aimes quoi ? J’en ai pas encore vu beaucoup. Surtout des japonais genr les Ghibli en fait. »
__–Ce qui n’était pas faux : il y avait de grandes chances pour qu’elle choisisse un qui était encore sur sa liste d’attente de trucs à rattraper. Il y avait fort à parier aussi que quelque fût son choix, il était déjà en train d’être téléchargé par l’ordinateur jamais en veille d’Aylan, qui ne coupait μtorrent que pour jouer à Starcraft II.

Aylan tendit le paquet à son tour, me remerciant. Lorsque je voulus refuser gentillement son offre, mon ventre se mit à gargouiller. Le temps avait défilé à tout vitesse, mon estomac était resté vide depuis un long moment. Notre aventure avait pris une grande partie de la journée.

« Je vais commencer par un oui, merci Aylan, répondis-je en me servant. Tu peux garder le paquet à côté de toi. »

Mes papilles se réveillaient dès l'instant où la douceur du sucre rentra en contact avec ma langue. Ce fut une douceur qui me faisait sourire, comme une sensation que j'avais perdu il y a longtemps, le bonheur de la bouffe, ce magnifique réconfort. Tandis qu'il réfléchissait, je me mettais de nouveau en œuvre pour ranger un peu plus la chambre. J'avais besoin d'un nettoyage de printemps, ou mieux, un nettoyage de 4 saisons. J'étais très heureuse d'avoir récupéré ma chambre, mais mes moments d’introversion avaient enlevé tout le charme que je lui avais donné par le passé. Avec un peu de chance je pourrais négocier pour repeindre les murs ou la refaire au complet en passant par les meubles et tout le bla bla... Passer d'une marmotte endormie à une marmotte sortie d'hibernation. Lorsque je me mis à passer un coup de balais, Aylan  me proposa l'idée d'un dessin animé. Je m'attendais un peu à cette réponse. Il m'aurait sorti qu'il voulait voir quelque chose de plus « mature » je me serais posée des questions. Certains enfants des nouvelles générations connaissent des choses très avancées et trop adultes désormais, c'est effrayant. Je décidais donc de me baser sur sa référence.

« Ah les Ghibli ce sont des très bons films. J'ai un petit faible pour Arrietty : Le Petit Monde des Chapardeurs. Est-ce que tu aimerais découvrir celui-là si tu ne l'as pas encore vu? »

Ce studio avait réussi à me faire ressentir toutes les émotions possibles, le Tombeau des Lucioles fut d'ailleurs douloureux à regarder jusqu'au bout mais quelle beauté de faire des films animés de si bonnes qualités. Bon j'avoue que je suis ''Old School'' dans la vie mais je n'en ai pas honte.
En attendant que mon acolyte prenne sa décision, je prenais mon ordinateur portable t me posait à côté de lui sur le lit pour chercher sur internet la liste des films Ghibli au cas où qu'ils veuillent s'orienter sur autre chose. Quoi qu'il choisisse, je connaissais suffisamment de plate-forme de streaming non légal pour trouver tout ce qu'il nous fallait. Dans une autre fenêtre, je partais à la recherche de nourriture. Les jambes en coton, je ne me sentais pas de ressortir mais je doute qu'un simple paquet de gâteau puisse satisfaire mon appétit. Si je pouvais me faire livrer quelque chose j'en serais RAVIE.

« J'ai vraiment trop faim, je pense que je vais commander quelque chose. T'aimerais manger un truc? Je pourrais commander des desserts aussi. »

Vu l'intensité de la journée, on méritait un bon repas de guerrier. J'étais prête à manger n'importe quoi mais il me fallait un bon GROS plat. De toute façon on est parti pour se faire une soirée pyjama devant du Ghibli sûrement.

__–Un Ghibli qu’il n’avait pas encore vu ?
__–Un confortable canapé avec une amie à ses côtés ?
__–Et bientôt desserts et repas de restaurant allaient arriver ?
__–Mais c’était le paradis.
__–On s’en doute, Aylan avait désormais bien retrouvé son enthousiasme. Il n’était pas encore – ou plus tout à fait, c’est qu’il commençait à être fatigué – au point de sautiller partout, mais on n’en était pas loin :
__–« Oh ouiii trop bien merci Nana ! »
__–Et il répondit par cela bien entendu autant à la perspective du film que du dîner.
__–Mais comme elle lui demandait son avis sur la question, il fallait réfléchir à quelle réponse il allait apporter. Il n’avait nullement échappé à Aylan que sa compagnonne avait grand faim et en fait, il partageait son état. Il fallait donc quelque chose qui soit à la fois savoureux et en quantités suffisantes. Et en même temps qui fasse quelque peu fête. Mais il ne fallait pas non plus se remplir la panse jusqu’à la faire exploser avec le plat de résistance : il y avait un dessert de prévu, tout de même. En soi, le seul plat cuisiné qu’on servirait dans un établissement de restauration qu’Aylan avait jamais mangé était un couscous, au sud de l’Algérie, en compagnie d’une bande de guerre saharienne. Et encore n’avait-il obtenu sa part que grâce à l’astuce d’un de ses camarades, un enfant plus âgé que lui, qui avait piqué une portion pour la lui remettre. Et jamais Aylan n’avait-il eu l’idée de commander lui-même, depuis qu’il était à l’institut. C’est que, cela coûtait de l’argent et le sien passait dans des choses bien plus importantes, comme des outils ou du matériel informatique. N’ayant jamais rien possédé, il était pris d’un irrépressible désir de détenir des objets. Et accessoirement il savait où était la cafétéria – et s’inviter chez les autres – et ne s’était donc jamais vraiment posé la question de la nourriture. Du moins depuis son arrivée à Terrae.
__–En somme, cela allait être la première fois qu’il allait manger un plat acheté alors qu’il était déjà prêt.
__–« Euuuuuh oui, mais je sais pas quoi c’est toi qui choisis. »
__–En témoignait son inexpérience de la chose.
__–« J’aime tout prends c’que tu veux ! »
__–C’est sûr, quand on a connu la faim, on ne regimbe pas sur ces choses là.
__–« Enfin sauf quand c’est trop pimenté. »
__–Dans une certaine limite tout de même.

HRP : Désolé du gros délai j’étais en plein déménagement c’était du sport ! xD    

Aylan répondit de façon positive à mes suggestions. Après avoir été mal pendant un moment, ce petit bout de chou avait retrouvé un bel enthousiasme qui me fit sourire. Cette face d’innocence me rendait le cœur léger, loin des lourdeurs de la vie d’adulte.
Mon acolyte me faisait confiance pour commander ce qui me tentait à manger sans que ce soit trop pimenté bien évidemment. Par chance, le piment est en partie ma kryptonite. S’il y en a de façon exagérée, je n’en mange pas. Si c’est pour finir à faire, une bouchée, un verre de lait, une bouchée, un verre de lait non-stop, non merci j’ai assez donné. Je fouillais donc les listes de restaurants offrant la livraison, ne sachant pas trop choisir quelle nourriture prendre. Difficile de choisir quand on peut tous les avoir ! C’est mon petit rapport avec la bouffe, tout ou rien. J’ai toujours eu un trop grand amour pour ce moment délectable de la journée, pour ce fabuleux verbe et action qu’est : manger. Ne connaissant pas forcément les goûts de Aylan, j’étais mieux de prendre quelque chose de SIMPLE. Et pourquoi pas un bon bol de ramen au poulet ? Rien de mieux pour le confort que de bonnes nouilles.
En deux-trois clics, la commande fut passée, deux ramens au poulet (extra œufs marinés pour ma part et extra nouilles pour nous deux), il ne manquait plus qu’à recevoir le tout.

« Je pense que tu vas aimer ce que je t’ai pris, dis-je en souriant. »

En attendant, j’installais l’ordinateur à côté de la télévision, faisant quelques branchements pour que le stream puisse s’afficher sur le grand écran. Mes muscles me tiraillaient mais je me forçais encore un peu avant que je puisse enfin m’installer pour de bon sur le lit une fois la commande reçue.
Le temps que tout soit fait, quelqu’un toqua. Je remercie le livreur tout en accueillant les sacs remplies. Je me précipitais au bord du lit, déballant le tout et déposant devant Aylan le Tupperware contenant les nouilles avec des baguettes sur le côté.

« Tu feras attention c’est très chaud ! »

Je déposais ma part sur le lit et retournais devant mon ordinateur.

« Prêt pour le film ? »

__–Depuis son canapé, et par-dessus son épaule, Aylan était très attentif à la commande de Nana. Pas qu’il doutât qu’elle pût commander quelque chose qu’il n’aimerait pas, mais n’ayant qu’une connaissance théorique de ce à quoi pouvait ressembler un menu de restaurant, il voulait un aperçu de la diversité qu’on pouvait y trouver. Cela ne lui donna cependant pas envie de modifier sa commande à chaque nouvelle entrée qui apparaissait, sur l’écran, ce qu’il aurait pourtant très bien pu faire par ailleurs. Après tout, Nana était déjà bien gentille de l’inviter, ce n’était pas pour en plus l’embêter. Et puis, Aylan était passé d’un enthousiasme explosif et sans filtres à un plus réservé, plus intérieur. Il était assez captivé par ce qui passait sous ses yeux pour réfléchir à toute vitesse et essayer de retenir le moindre plat qui passait et les classer par ordre de ce qu’il aimerait le plus goûter un autre jour – et surtout l’adresse du site.
__–Après quelques branchements et un petit temps d’attente, la nourriture arriva, déjà toute prête et encore chaude, comme promis, ne demandant plus comme effort à faire qu’à être déballée sous les yeux du petit Air. C’était plutôt impressionnant, et pour cause : au cours de toute la préparation, il n’avait pas dit un mot et s’était tenu remarquablement tranquille. À la question de Nana, il ne répondit que par un hochement de tête enthousiaste.
__–Le bol de ramen sentait particulièrement bon. Aylan en avait déjà mangé, à la cafétéria ou en s’en faisant lui-même, mais celles-ci avaient une saveur bien différente. Plus riches, plus fortes en goût, plus épicées et avec plus de science, leurs qualités gustatives étaient sans commune mesure. Mais elles avaient quelque chose de plus, une sorte d’ingrédient secret ; qui ne nourrissait pas seulement l’estomac mais aussi l’âme. Tout le corps d’Aylan se sentit revigoré et investi d’une agréable augmentation de sa température intérieure. C’est que, les nouilles étaient certes chaudes, mais aussi chaleureuses. On s’en doute, il ne s’agissait pas de quelque condiment mystérieux qui produisait cet effet en le petit Air. C’était le fait qu’elles fussent dégustées devant un chouette dessin animé, avec une amie – contre laquelle il se blottit une fois son bol fini.
__–« C’était très bon, merci Nana… »
__–Et nul doute qu’après une petite demi-heure de film, quand la digestion battrait son plein, Aylan allait s’endormir contre son hôte ; sa compagnonne d’infortune. Ils n’étaient pas courants, les adultes qui supportaient son énergie débordante. Même votre narrateur n’a pas accès aux rêves de notre protagoniste, mais on peut imaginer qu’ils avaient pour sujet quelques aventures futures en la compagnie de Nana. L’expression reposée et satisfaite sur son visage assoupi permettait au moins de deviner cela.

Une fois Aylan prêt, je lançais le film avant d’attaquer le tout. La chaleur des nouilles rendait mon corps dans un état de larvitude intense. Chaque bouchée me rendait de plus en heureuse, de la bonne bouffe, une bonne compagnie et un film je ne pouvais pas mieux rêver pour terminer cette journée aventureuse. On avait pas réussi à chopper nos glaces mais au moins on avait des ramens et un beau début d’amitié selon moi. Je les dévorais, ne respirant presque pas entre deux coups de baguette. C’était plus que bon c’était DÉLICIEUSEMENT DÉLICIEUX.  Mon compagnon finissait par se blottir contre moi une fois son bol terminé, me remerciant. Je lui souriais, contente d’apprendre que ça lui avait plu. Je continuais de manger tandis qu’Aylan s’endormait progressivement. Vu toute l’énergie de dépenser il avait clairement besoin de repos et moi aussi par ailleurs.
Une fois mon bol terminé, je le déposais au sol, avant que la digestion ne m’emporte également dans le sommeil peu de temps après. Les paupières lourdes, après un si bon repas il était difficile de résister à une sieste, surtout avec les muscles en compote. Je quittais le monde des vivants pour aller dans celui des rêves.
Au final ce fut surtout un trou noir, un coma reposant.
Lorsque je rouvris les yeux, des noms défilaient sur l’écran au son de la musique thématique chantée par Cécile Corbel. Je m’étirais doucement, revigorée. Je jetai un coup d’œil par-dessus mon épaule, Aylan encore endormi. On avait dû dormir au moins une bonne heure et quelques… Je tapotais doucement son bras pour le réveiller sans le brusquer.

« Hey, chuchotais-je. »

La journée prenait tranquillement fin, je ne savais pas ce qu’il souhaitait faire par la suite. Il était peut-être mieux qu’il ne rentre pas trop tard. Enfin, est-ce que sa famille qui s’occupe de lui ici n’est pas inquiète de ne pas le voir rentrer ? Ou peut-être qu’il est assez de confiance pour qu’il le laisse sans couvre-feu ou je sais pas. Il était clair en tout cas que je passais un agréable moment en sa compagnie sans que la différence d’âge vienne vraiment mettre des bâtons dans les roues.  Je le laissais se réveiller doucement, attendant de savoir comment il se sentait maintenant.