Etrangement ça fait quelques-jours qu’Aylan n’a pas fait de connerie (ou du moins qu’on n’est pas venu me solliciter pour les réparer…) serait-il malade ? C’est possible, et pourtant Tomoe et Yuna n’en ont pas entendu parler. En général elles savent tout ce qui concernent les enfants… Et elles ont été un peu choquées que j’en réfère à elles, d’habitude je les court-circuite en passant par Alice… mais pour l’instant je préfère me faire toute petite, j’ai pas été la meuf la plus sympa pendant son duel master… Et je pense qu’elle a autre chose à foutre que de s’occuper des enfants pour l’instant. Genre… cicatriser ? Hm. Bref.

Toujours est-il que je suis plutôt inquiète pour le gamin, de deux choses l’une (l’autre c’est le soleil) soit il est mort (c’est peu probable), soit il est en train de préparer la plus grosse connerie de sa vie : et je veux en être !  (Oui pour limiter les dégâts et pas avoir une surcharge de travail monstre, comprenez que je prends déjà bien tarif en essayant de ne plus penser à moi comme à Chantal, si je pouvais garder mon énergie…)

Aussi je lui ai tendu un piège, je suis passée devant sa chambre tôt dans la journée pour déposer devant une pile de « Calvin » une bande dessinée qui devrait lui plaire (et lui inspirer des sottises moins impressionnantes que celles qu’il fait jusqu’alors avec son pouvoir.

Maintenant je repasse voir si les BD ont disparu… Comme ça je saurais qu’il n’est pas mort. Ce sera déjà une preuve. Non ?

__–… qui est en train de balancer des grosses storms directement dans la chebou du bon HeRoMaRiNe, qui perd pas mal de pop… Alors il a pas mal dégraissé aussi, la question c’est aussi est-ce que les hauts templiers ont survécu, on forme un archonte donc j’imagine que le troisième templier n’a pas du tout survécu et on a beaucoup de maraudeurs à réception…
__–Contrairement à ce qu’on pourrait croire, Aylan n’était pas malade. Ou en train de faire une connerie. Disons plutôt qu’il avait trouvé un moyen de canaliser son énergie dans quelque chose… que je ne me risquerais pas à dire plus productif, ni même moins destructeur, vu qu’il s’agissait de jouer à Starcraft II. Et en la matière, connaître de nombreuses langues s’avérait un atout considérable. Pour maîtriser ce jeu, très compétitif, Aylan s’était très tôt intéressé aux streamers qui commentaient des compétitions d’e-sport et si sa langue internationale était l’anglais – plutôt que le coréen, fort heureusement –, nombreux étaient les excellents joueurs français et donc la qualité des commentateurs en cette langue. Dans le cas qui nous occupe, Aylan regardait le match entre HeRoMaRiNe et PartinG lors de la Dreamhack de septembre. Un matchup Protoss contre Terran, donc rien qui devrait l’intéresser étant lui-même joueur Zerg, mais il est toujours instructif de voir des affrontements entre membres du top cinq mondial. Et puis, comme ça il pouvait regarder la vidéo sans devoir prendre des notes sur les build orders et les timings.
__–Mais une fois la vidéo finie, une évidence s’imposa à notre petit Air : il avait besoin de le prendre. C’est qu’il avait passé une nuit blanche à suivre sur le Twitch d’OGaming la dernière compétition en date, évidemment diffusée sur l’heure de Paris. Mais pour sa défense, Serral en était, son joueur Zerg préféré et une de ses principales sources d’inspiration.
__–Décidé à aller faire une petite ballade en forêt pour s’oxygéner le cerveau, Aylan chercha ses chaussures – des heelys – et les enfila. poussa la porte de sa chambre… et s’étonna qu’elle fût bloquée par quelque chose. D’habitude, c’était lui qui faisait ce genre de blague, comme poser une cale devant une porte, un coup classique qui faisait s’énerver un Terraen par semaine en moyenne. Avait-il été découvert et avait-on voulu lui faire le même coup ?
__–Ah, non, il put tout de même pousser la porte.
__–Des bandes dessinées. Un joli paquet, en plus. Calvin et Hobbes.
__–Aylan en prit une, l’ouvrit à une page au hasard. Un petit garçon, assis à une table avec un tigre, monologuait devant un livre : « Les problèmes ont souvent l’air insurmontables au début. Le secret est de diviser les problèmes en petits morceaux. Et si tu les règles un par un, tu en viens à bout avant de l’en rendre compte. Par exemple, je suis censé lire tout ce chapitre d’histoire. Ça a l’air impossible, alors je divise le problème. – Tu te concentres sur le premier paragraphe ? – Je me dis : “Qu’est-ce que j’en ai à fiche ?” »
__–Nul besoin de réfléchir plus longtemps pour comprendre que ce lui était personnellement adressé.
__–Restait à savoir par qui.
__–Chrys ? C’était autant son genre de les déposer en toute discrétion que d’aller les lui remettre en main propre, mais son côté fleur bleue lui aurait fait rajouter un mot gentil ou au moins un paquet cadeau.
__–Pandora ? Aylan la voyait plus lui offrir de la musique.
__–Ariana ? Non, si elle devait offrir quelque chose, ce serait sans doute comestible.
__–Hm.
__–Plus résolu à lires d’autres gags du genre qu’à élucider ce mystère, Aylan tourna une autre page. Rigola un coup. Une autre. S’assit. Il finissait celle-là et irait se mettre dans un coin plus confortable. Juste une autre page.

Le piège a marché, il est vivant. Bien.

Oui, je sais que j’aurais pu me concentrer sur son énergie et ses sentiments pour le percevoir de l’autre côté de la porte et juste pas me prendre la tête. Je pourrais dire que je n’y ai pas pensé, ce serait faux. En réalité cette idée m’a traversé l’esprit, mais, après le combat contre Alice, j’suis claquée, j’ai pas encore régénéré toutes mes forces et puis de toute manière je ne veux pas savoir ce qu’il ressent. Ca me fout la trouille ok ? Alors on fait comme on peut. Puis j’ai oublié d’être conne, alors, je peux me passer de mes pouvoirs okay ?

La journée passe sans trop d’encombres, j’essaie de penser à tout autre chose, et franchement, j’y arrive, j’ai une masse de documents à traduire ça vide bien l’esprit. Après je me dirige vers le couloir des airs, histoire de voir si les bandes dessinées ont disparu… ET MERDE. Il est là. Sur la pas de sa porte. Assis en tailleurs. On dirait presque un enfant sage, et je pourrais le croire si je n’avais pas rattrapé toutes ses conneries.
Merde. Il n’était PAS CENSE ETRE LA. Putain. Escape. Escape. Ah non mais regarde pas par ici. Putain. Ok. Chan… PIU ! Ok Ipiu, tu respires, tu souris, tu fais l’air de rien, genre lalalala. Tout va bien.

« Salut Aylan. »

Genre je dis bonjour comme je dirais bonjour à n’importe qui. Si. Si. J’vous jure, je suis bien moins malpolie que j’en ai l’air… quand j’ai envie. Puis je continue mon chemin. Pépouze. Genre… Ok non mais en fait il est quasi à la fin du couloir. Ok. Je tape à une porte n’importe laquelle. Heureusement, une fois n’est pas coutume j’ai de la chance. Personne ne répond. Ouf. Je hausse les épaules et fais mine d’être déçue. Je rebrousse mes roues… Et je m’arrête à son niveau.

« Oh, tu lis Calvin et Hobbes, c’est chouette comme BD ! »

__–Ah, quelqu’un.
__–En fauteuil roulant.
__–Qui connaissait son nom. Aylan cligna des yeux. Ah mais oui ! Il se souvenait l’avoir vue parmi les Terraens qui l’avaient ramené à Terrae. Et dans l’arène à combattre Alice. Et que c’était une cible prioritaire du Centre, à abattre à ue. Ceci expliquait peut-être cela. Une master, sans doute.
__–« Salut Chantal. »
__–Il dit cela le plus naturellement du monde, ayant déjà oublié son vrai prénom, si tant est qu’il l’eût déjà su. Et comme elle n’avait pas l’air de s’intéresser plus que cela à lui et d’aller plutôt voir quelqu’un, en témoignait ses petits coups à la porte de quelqu’un, il retourna à sa BD, dans laquelle Calvin alla voir son père dans la salle de bain :
__–Attends, papa, j’ai une super idée ! Ne te rase pas autour de la bouche pendant deux mois, d’accord ? Laisse-toi pousser les moustaches très longues puis lustre-les pour qu’elles puissent se tenir droites ! Comme ça, tu ressembleras à un gros chat ! Sur la dernière case, Calvin, l’air déconfit, discutait avec son tigre Hobbes : Il pense que sa boîte n’appréciera pas ! – Absurde !
__–Aylan imagina Aaron ou, mieux, Nicolas avec une telle pilosité. C’est qu’il y avait quelque chose à trouver. Au moins avec une fausse moustache. Qu’il pourrait lui coller sous le tarin en pleine nuit, par exemple. Cette idée le fit s’esclaffer, jusqu’à ce qu’il fût interrompu par cette fameuse Chantal.
__–« Hein ? Oh ouais ! C’est super drôle. Y’a quelqu’un qui est passé et qui les a posé devant ma porte, alors du coup je pense que c’est genre un cadeau. »
__–Il la regarda avec sa petite bouille curieuse :
__–« Tu saurais pas de qui ça vient ? J’aime bien recevoir des cadeaux mais j’aime encore plus savoir de qui ça vient, comme ça je peux leur dire merci quoi. »

Chantal. Putain de petit con. Non mais merde, TOUT LE MONDE me fait la blague. TOUT LE MONDE PUTAIN. Sérieusement, j’ai improvisé, vous pensez bien que si j’avais pas paniqué j’aurais trouvé un nom plus classe comme Bertille ou Baya ou Dudja. Non, j’ai trouvé que Chantal. En même temps, fallait que ce soit un prénom qui ne me parle pas, sinon ça aurait été plus facile pour Alice, mais CHANTAL. Putain de merde. Vraiment. J’ne le reprends même pas, il est vivant, c’est bon, j’ai pas besoin de vérifier plus. Pourquoi je lui parle hein ? POURQUOI ? Pour me faire du mal. C’est obvious.

« Hm, si je le savais je gagnerais quoi à te le dire ? »

Parce que bon, hey, faudrait pas qu’il croit que je suis gentille. Spoiler : je le suis pas. Et si j’peux lui embrouiller les idées en soit c’est déjà une bonne chose. J’sais, c’est pas sympa, tout ça tout ça. Seulement, hey, à son âge je sais ce que j’étais capable de faire, alors j’imagine qu’il a de bonnes capacités de déduction. Alors franchement, pourquoi je fais tout ça ?

Pour qu’il m’appelle Ipiu et pas Chantal, putain ! Mais bon, quand on demande ce qu’on peut obtenir contre une information, c’est quand même mieux de voir ce que la personne en face peut mettre comme prix. On peut être surpris. C’est d’autant plus vrai quand la personne en face est un enfant, qui dira potentiellement non à tout ce qu’on proposera nous de prime abord. Alors bon. Voilà.

__–En vérité, Aylan n’avait pas une idée claire de ce qui se passait. Il avait posé une question - pour une fois - innocente et voilà que Chantal lui répondait comme le ferait le personnage du mafieux dans un film de genre. Il ne lui manquait plus qu’un chat à caresser doucement, rouler les r et avoir un AKM attaché à son siège.
__–Alors certes, elle ne lui avait pas donné l’impression d’être autre chose que cela. Mais alors pourquoi connaîtrait-elle des informations sur qui lui aurait offert ces bandes dessinées ? Quelque part, Aylan avait effectivement des capacités de déduction correctes, mais Calvin et Hobbes est rempli de gags sur les protagonistes dévalant des pentes en chariot. Étant lui-même à roulettes et face à quelqu'un partageant cette caractéristique, ses déductions était d'une autre nature :
__–« Tu vas à quelle vitesse avec c’t’engin ? »
__–Répondre à une question par une autre question. Une partie de son éducation ayant été faite par des mercenaires irlandais taquins, c'était de l'ordre de l'instinctif.
__–« Si je gagne à la course tu me le dis ? T’es p’têt master mais je suis sûr j’te bats. »
__–Inutile de dire que pour notre protagoniste, les limites des pouvoirs des masters étaient virtuellement inexistante. Si Chantal pouvait accomplir ces prouesses dans l’arène, aller vite serait un jeu d'enfant.
__–« Puis je suis sympa c’est toi qui choisis si j’y vais en skate ou en heelys ! »
__–Là, c’était de la provocation pure et simple. Et tout à fait voulue. Mais il lui montra quand-même la semelle d’une de ses pompes, dans laquelle une petite roulette était encastrée. Moins parce qu’il n’était pas que que Chantal savait ce qu’était des heelys que pour le plaisir de faire le kéké avec ses grolles de compétition.
__–« Et si tu veux un autre véhicule c’est OK. Tant qu’on fait la course. »
__–Si elle sortait une voiture, il sortirait son grapin. Il ne gagnerait peut-être pas, mais aurait droit à une pointe à 50km/h en skate ou heelys, ce qui valait largement le coup en tant que tel.

« Ca dépend grandement de ma motivation. »

On va simplement dire que le 80km/h c’est possible mais dangereux, les pneus chauffent ça fait des étincelles et les freins ne sont clairement pas fait pour de telles vitesses donc ça finit mal. Surtout que je n’ai plus besoin de ceinture de maintien, et que je tiens seule dans mon fauteuil donc bon… Très mauvais bail. En moyenne et sans me presser je dois être à 6km/h, et sur des petites courses j’peux monter à 15, mais bon, si j’utilise mes pouvoirs… Bref.

« En Heelys. »

C’est plus dangereux, mais les forces de friction sont plus importantes donc la vitesse moindre. J’aurais clairement moins besoin de me dépenser pour gagner. Est-ce que j’étais si manipulable à son âge ? Non. A son âge je n’avais pas le choix que d’être la plus intelligente. Je lui ai au moins offert cette chance-là. Je sens un instant un vague à l’âme me gagner, mais je le refuse. Non. Alors à l’aide d’un peu de mes pouvoirs je gomme ce sentiment.

« Mais du coup si je gagne, je remporte… Hm. La meilleure BD que tu ais ? »

Ouai parce que bon, faut quand même que j’ai un intérêt à la faire cette course. Sinon, c’est vachement trop facile. Faut pas croire.

« Et je te laisse choisir le terrain, tu as le choix entre le parc, la cours et le gymnase, je suis sympa. »

__–C’est qu’elle le prenait au sérieux.
__–Aylan n’avait, pour ainsi dire, pas l’habitude. Les adultes rentraient assez rarement dans le jeu de personnes qui avaient moitié moins de leur âge, voire, plus. À croire qu’il y avait un enjeu pour Chantal ; une raison qui la poussait à ne pas simplement adresser à Aylan un commentaire infantilisant et partir vaquer à ses occupations de grande personne.
__–Mais son cerveau était occupé à de bien plus complexes et, à ses yeux, importants calculs que de comprendre ce qui motivait la master.
__–Leur duel se livrerait pour sa part en heelys, donc. Plus faible vitesse, mais bien meilleure tenue de terrain et adaptabilité. Restait à déterminer le terrain. Le gymnase était un choix par trop défavorable. Bien plat, étudié pour la course, sans aspérité ou obstacle, Chantal pourrait faire pleinement usage de sa vitesse supérieure. La cours posait sensiblement le même problème. Le parc, en revanche, était plus vallonné, ses chemins plus tortueux, n’étaient pas goudronnés. Les roues de Chantal n’étaient pas les mieux adaptées à ce milieu : une vitesse trop grande et, avec les cahots de la route, elle risquait de perdre le contrôle de son véhicule. Aylan, en revanche, pouvait faire usage de ses roulettes sur les espaces les plus praticables et les lignes droites et de ses pieds le reste du temps.
__–Il pourrait sans doute lui poser un défi intéressant.
__–« Le parc ! »
__–Mais la vaincre ? L’assurance de Chantal laissait à penser que ce serait bien plus compliqué que prévu. En vérité, Aylan n’avait jamais estimé cela possible.
__–Et voilà qu’elle imposait un redoutable prix à la défaite, qui fit réfléchir longuement le petit Air. C’était une impasse… il était hors de question qu’il donnât une de ses bédés, d’autant plus que c’était un cadeau. (Et puis, ne dit-on pas que donner c’est donner, reprendre c’est voler?) Que penserait celle qui les lui avait offertes si Aylan devait lui avouer qu’il en avait perdu une au jeu ? Non, cela renverrait une bien trop piètre image.
__–Mais il eut une idée.
__–« Mmmmmmmmmm… Ben attend en fait parce que je sais pas laquelle c’est la meilleure bédé, je les ai pas encore toutes lues. Puis, on a tous une préférée différente. Du coup, si tu veux ma, ta ou même notre préférée… il faut qu’on les lise ensemble. »

Le parc. Soit. C'est celui qui pourrait l'avantager le plus, mais je n'ai choisi que des terrains sur lesquels je ne me mettrais pas en danger. Comprenez, le parc j'y ai passé BEAUCOUP de temps. Je sais quelles routes sont praticables et à quelle allure. Avoir un amoureux terre et jardinier dans ledit parc a aidé. Oui, je sais. J'ai conscience que je mets beaucoup trop d'énergie dans le fait de gagner contre un gamin. Je sais. Seulement, personne n'aime perdre, et encore moins contre un gamin. Si. Si ! J'vous jure que c'est la seule et unique raison pour laquelle je n'envisage pas de perdre.

Comment-ça lire des bédés ensembles ? Mon cerveau freeze un dixième de seconde en imaginant cet instant. Est-ce que je trouverais ça agréable de partager ce genre d'intimité avec mon fils ? Probablement. J'aimerais bien pouvoir envisager d'avoir ce genre de relation avec cet enfant, mais je ne m'en sens pas le droit. J'ai pas le droit d'être une mère pour lui, ni même une adulte impliquée, enfin, j'me le donne pas... Et cette vision de nous-deux à lire des bédés est terrifiante. Est-ce que je vais préférer totalement botter en touche ? TOTALEMENT. Déso Aaron, je sais que t'es pas fier de moi, mais HEY ! Déjà je parle au gamin, on progresse chacun à son rythme.

"La bédé en laquelle toi tu mets le plus de valeur."

Oui, je suis une sale race sans coeur. Je sais. Le SAV se trouve dans le bureau d'Hideko. Oui. Je sais. Elle n'y est pour rien, mais bon, comme elle semble s'emmerder récemment, autant en remettre un couche.

Direction le parc, j'observe la manière dont se déplace mon futur adversaire. Enfin, c'est peut-être déjà mon adversaire ? Boaf. C'est une question trop profonde pour que j'y réponde, là de suite.

"Tu préfères choisir la ligne de départ ou celle d'arrivée ?"

__–Dure en affaire. Mais à bien des égards, la contre-offre d’Ipiu ne satisfaisait pas notre protagoniste. Si on excluait le fait que cela signifierait effectivement devoir se délester d’un de ses précieux cadeaux, cela se heurtait à un problème bien plus pragmatique :
__–« Bah non, je les connais pas tout encore, je les ai pas toutes lues. Puis regarde, en fait c’est plein de petites histoires, c’est pas une grande par BD. Du coup j’ai peut-être une blague qui pourrait être ma préférée, mais quand j’aurais tout lu je m’en souviendrais pas forcément parce que y’en a vraiment méga plein et puis peut-être que les deux autres blagues préférées juste après seront dans un autre album, mais du coup, ce serait lui mon préféré de tous, vu qu’ils contiendrait le plus de mes préférées, du coup je ne saurais pas lequel te donner. Ça marche pas ton truc. »
__–Par contre, il y avait toujours la solution d’ajouter de la valeur ajoutée.
__–« Mais ! Si tu sais qui me les a offertes, alors tu vas voir qui c’est et elle me fait un autographe. Et comme ça, tu sauras laquelle c’est, ma préférée. D’accord ? Par contre il faudra que je le voie, pour que tu me racontes pas des histoires ! »
__–Hors de question de faire quoi que ce soit avant d’avoir conclu un arrangement qui conviendrait aux deux parties. Et comme Aylan était sûr de perdre, il devait au moins s’assurer qu’il récupérerait le plus de leur tractation. Et il pourrait toujours lui rendre une petite visite par effraction et récupérer son bien s’il se sentait tout de même lésé. Après tout, il n’était que très rarement allé à la bibliothèque, mais ses heures d’ouverture n’étaient pas malaisées à trouver. Par ailleurs, Ipiu semblait bien du genre à lui faire un coup fourré et refuser d’honorer une part du marché convenable. Un petit vol avec effraction ne serait que la réponse du berger à la bergère.
__–Elle avait tout de même eu l’urbanité de lui laisser choisir le départ ou l’arrivée. Mieux valait l’arrivée. Ipiu prendrait forcément un trajet qui l’avantagerait au maximum. Nul doute qu’elle prendrait l’ascendant sur lui d’entrée de jeu. Mais une fois derrière, Aylan pourrait faire usage de son grappin, qui reposait bien au chaud dans son sac, prêt à être dégainé.
__–« L’arrivée ! Ce sera, mm… au milieu de la forêt. Là où y’a l’arbre géant d’Alice. »
__–Ce qui laissait bien assez de chemins tortueux et impraticable à pleine vitesse pour mettre la stratégie d’Aylan en action et lui laisser jouir de sa mobilité qu’il pensait supérieure.

HRP : à partir de maintenant on passe en speed.

Moi lui raconter des histoires ? Jamais. LOL. Si tu savais gamin, si tu savais. Mais nan, tu ne sauras rien parce que t’as pas besoin de savoir. Tu t’en sors mieux sans savoir.

« Oui mais le défis est rempli à un instant T, donc c’est ta BD préférée à l’instant T. Pas ta BD préférée à T+1. Le futur il change sans cesse, on ne va pas demander à un voyant de regarder toute ta vie pour savoir quelle sera ta BD favorite de tous les temps. »

La logique des enfants est effroyable… Mais il me semble que j’étais bien plus roublarde à son âge. Et en même temps, si on m’avait demandé ma bande dessinée préférée, j’aurais choisi celle qui serait le mieux allée pour le rôle que je jouais à ce moment-là sans me questionner un instant sur mes goûts présents ou à venir. Je lui ai donné cette chance.

L’arbre d’Alice, ok. Ca peut le faire, même si je vais sérieusement galérer… Les petits chemins du parc boisé, ce qu’il nomme forêt, ne sont pas les plus agréables sous mes roues, mais je les ais tellement arpentés avec Nath et Alice qu’ils ne me font nullement peur.

« On peut y aller ou tu veux encore palabrer ? »

__–Non mais ça va bien de jouer à la plus maligne ?
__–« Ben ma préférée c’est celle qui sera signée par celle qui me les a offerte ! Je sais déjà laquelle c’est, c’est celle là et c’est déjà ma préférée maintenant là tout de suite, y’a pas besoin d’un voyant pour savoir ça ! Par contre il faut quelqu’un pour savoir laquelle c’est exactement. »
__–Puis de toutes façons, on pouvait reprendre cette conversation plus tard. Ayant déjà ses heelys, Aylan était prêt. Il attrapa toutes ses bandes dessinées, disparut dans sa chambre avec ses bandes dessinées et réapparut avec un air décidé.
__–« Quand tu veux. »

Petit con. Ok. Faut que je trouve un moyen de perdre sans perdre et de lui répondre un truc du genre, la base c'était de lui dire de qui ça venait. Donc j'peux lui donner le nom de l'auteur. Ca marche nan. Nan mais en fait je peux aussi gagner et me démerder pour l'emmener faire signer ses foutues BDs par l'auteur, c'est encore mieux parce que j'aurais gagné. Ok. On va faire comme ça.

"Ok."

J'crois que l'auteur est toujours vivant. Le môme disparait dans sa chambre, range les BDs et revient. Mon petit pote tu gagneras pas va.

"Direction le parc."

__–Aylan connaissait bien ce regard. Ipiu n’avait aucunement l’intention de perdre.
__–Ça tombait bien, lui non plus. Même s’il savait que ce serait inévitable, il n’allait certainement pas se laisser faire sans donner tout ce qu’il avait.
__–« Je te suis. »
__–L’occasion de repérer les meilleurs endroits du fauteuil où accrocher le grappin. Et pas que pour s’accrocher à elle et profiter de sa vitesse : l’attacher à un arbre au passage était aussi une option sur la table. Est-ce que ce serait de la triche ? Ce n’était pas précisé dans les règles et Ipiu avait passé la discussion à essayer de le piéger et lui aussi. Ce serait de bonne guerre.

Il dégage la roublardise par tous les pores de sa peau, pas besoin d'être télépathe pour capter qu'il a un plan en tête. Un plan probablement en rapport avec son sac. Il va faire quoi ? Me balancer des clous pour que je crève ? Possible. Ce serait bien le genre. Nous arrivons au parc sans avoir prononcé un mot, essayant de nous zieuter l'un l'autre le plus discrètement possible, mais se faisant gauler une paire de fois.

"Donc on est d'accord, on part de là, on arrive là-bas ?" je demande au gamine une fois arrivée dans ledit parc.