## Mer 11 Mai 2022 - 1:28 | ||
Luna Vasconcelos Messages : 728 Date d'inscription : 14/06/2020 Emploi/loisirs : Gérante du bar | __–Tourner en rond. __–Tourner en ronds ? __–Pluriel, pas pluriel ? C’est qu’il y a deux roues, sur une moto. __–Ouais bon comprenez-moi aussi, je ne fais jamais de jeu de mot sur autre chose que les bras, les mains ou les doigts, il me faut un temps d’adaptation et d’essais ratés quand je suis hors de ma zone de confort. __–On passera sur le fait qu’avoir perdu un bras peut être associé au concept de zone de confort. __–Ou vous savez quoi ? En fait non. On ne passe pas. Je passe tout mon temps à fuir ce genre de trucs. Oh là là, mais ne serait-ce pas une crise existentielle qui approche, vite, fumer un pétard, lancer de l’humour à deux ronds – vous avez compris ? – et des réflexions qui brisent le quatrième mur, ça ne résoudra rien mais au moins j’arrêterai d’y penser. Non, là ça suffit. J’en suis à un stade où je me fais trop honte pour m’en sortir comme ça une fois encore. __–Allez. __–Je soulève la bâche. __–Wah. Sans dec. __–Elle est aussi belle que le jour où je l’ai laissée là. __–Et elle me noue toujours autant le ventre. __–Me lance des éclairs de douleur fantôme dans le bras. __–Me fout les guibolles en vrac. __–Me fait avoir froid au bout des doigts qui me restent. __–Hé ben il est temps de s’asseoir dessus. __–Fiou. __–Clope. __–Okay. Maintenant que j’ai pris quelques taffes et que je suis un peu redescendue… enfin en fait non mais si mais je me comprends, contexte, situation, tout ça. __–Donc, je sais pas trop pourquoi, j’ai ressenti le besoin de me confronter à mon passé et mes traumatismes, là comme ça, au débotté, entre la poire et le fromage. Et aussi parce que je fêterai mes deux ans à Terrae et mon quart de siècle le mois prochain. J’imagine que ça a déclenché une envie de faire le point sur ma vie. __–Ma vie. __–Les potes, ma petite sœur d’adoption, mon chien, mon bar. Je me souviens d’un truc : il y a deux ans et demi maintenant, après que j’ai perdu mon bras et que je sois allée travailler au garage familial faute de pouvoir m’employer ailleurs, je m’étais faite une réflexion : C’est pas ma vie ça, c’est celle de quelqu’un d’autre. J’ai pas perdu que mon bras, sous ce camion. J’ai aussi perdu celle sur laquelle mon cul est posé en ce moment. J’ai perdu tout ce qu’ils représentaient, ce qu’ils impliquaient. Et aussi, est apparu comme pensée que tout ce qui semblait aller de soi pouvait en fait m’être retiré à tout moment. Et ça l’a été. J’ai essayé de les remplacer. J’ai essayé vraiment très fort, avant d’arriver à Terrae. Et dans le fond, là, depuis deux ans, c’est ce que j’essaie de faire aussi. __–Je regarde mon bras droit. Cet assemblage de métal et de plantes. Dont j’arrive à peu près à bouger les doigts tous en même temps, comme une pince, qui brille de la lueur bleutée d’un néon à batteries patates. __–Je le pose sur la poignée de ma moto. Non. Pas encore. Je n’en suis pas encore capable. Je ne pourrai pas tourner la clef de contact. Désolée ma belle, tu vas rester inerte encore un moment. Déjà, j’ai réussi à te regarder et même à m’asseoir sur toi sans avoir la nausée. Il faut que je fasse encore pas mal de travail pour te mériter. __–Et aussi pour que je ne perde pas l’autre en essayant de te conduire avec un bras que je contrôle pas mieux qu’une pince à sucre. __–(Comment est-ce que je peux savoir ce qu’est une pince à sucre moi. Ce truc de gros snob, sans déconner.) __–Déjà, je vais essayer de revenir plus régulièrement. Prendre soin d’elle, un peu. Me réhabituer à son contact. À son siège toujours un peu trop dur. Aux petites rayures que je n’ai jamais vraiment réussi à ravoir. À l’usure de la poignée, qui a la marque de mes mains… le fantôme de ce qui a été, tout ça. __–Ça fait trop longtemps que je me dis que je peux passer outre, que c’est une partie de ma vie qui est finie et que je n’ai plus qu’à tendre les bras à l’avenir et avancer sans me soucier du passé et toutes ces conneries. Mais le problème, c’est qu’il suffit que je fasse la plus simple action devant demander deux mains pour que le passé me revienne dans la gueule. À un moment c’est plus possible, il faut bien que j’admette et que je fasse la paix avec. Même si ça demande de s’y confronter. __–Hé, qu’est-ce que je raconte. __–Surtout si ça demande de s’y confronter. Le bras de Luna : Couleur : #008b8b Merci à Eelis et Néo pour les avatars ! |