Avouons le, avoir un bébé c'est un travail à plein temps. Bon le bébé commence à grandir, il a eu son deuxième anniversaire depuis quelques mois déjà. Mais ça reste un boulot de dingue parfois. J'aime mon fils, entendons nous, mais il me prend beaucoup de mon temps. Entre lui, mon boulot pour Terrae qui me prend aussi pas mal d'énergie, et faire en sorte de voir mes amis un minimum et que ma vie de couple ne ressemble pas trop à un encéphalogramme plat...

Oui, ok, j'ai du mal à me tenir au courant de ce qui se passe dans la vie de mes potes et de l'institut. Dernier cas en date, Aylan. Bon j'ai une vague idée périphérique de l'existence du gamin quand même, hein. Je veux dire, c'était quand même un sacré évènement qu'il se retrouve à Terrae. Rapport au Centre et heu surtout rapport à Ipiu.

Je la connais, elle fait comme si ça lui passait au dessus et que c'était pas vraiment son problème, mais… Mais.

Bref, j'ai aussi eu mon grain de sel à mettre dans les histoires du Centre parce que je sais, je sais, que ça va me retomber dessus de gérer les conséquences diplomatiques un de ces jours. Du coup j'ai quand même eu quelques échos et rapport de ce que les autres ont pu tirer d'Aylan et heu. Bon, soyons honnêtes ça va pas être fun tout ça.

L'un dans l'autre, au final c'est juste un môme qui vit des trucs pas simples. J'aimerai bien le connaître un peu et il parait qu'il aime les bonbons. Ça tombe bien, j'ai un enfant à la maison qui adore ça aussi donc ça fait ceux-là de moins qui pourront passer à sa porter et ruiner son appétit. Oui, j'suis devenu un papa responsable.

J'ai donc emporté quelques ours en gélatine et une paire de sucette dans mes poches au cas où et je suis allé toquer gentiment à la porte d'Aylan. Histoire de faire connaissance. Je sais qu'il est là, je sens son aura derrière la porte.

__–Effectivement, Aylan était dans sa chambre, mais très occupé. Aussi ne se leva-t-il pas pour ouvrir la porte, mais la poussa-t-il plutôt d’un petit courant d’air.
__–« Oui euh pardon j’suis occupé mais tu peux rentrer ! »
__–Qui que cette personne pût être. Après tout, on était à Terrae ; personne de vraiment dangereux ne vivait dans l’enceinte de ces murs. Pas vrai ?
__–Ordinairement, Aylan vivait chez sa mère, aussi sa chambre ressemblait moins à ceci qu’à une salle de jeu. Il était tout de même bien confortable d’avoir une pièce rien qu’à soi, tout à fait isolée, où l’on pouvait avoir l’installation qu’on désirait. Celle-ci consistait en un matelas posé à même un sol déjà recouvert de tapis en tout genres, sur lequel un certain nombre d’oreillers et deux couettes étaient posés en vrac. Assis en tailleur dessus, Aylan, penché sur une petite table basse, était affairé à tapoter son clavier et faire trembler sa souris dans tous les sens. Ceux-ci étaient reliés à un ordinateur fixe, posé en face de lui, soit fort bas. Il n’y avait pas d’étagère – tout ce qu’il avait d’important en affaires, soit ses vêtements notamment, avait été transféré dans son autre maison –, mais le petit frigo étudiant fourni par l’Institut, posé sur un petit meuble en plastique, là encore adapté à ce que son contenu soit accessible par quelqu’un d’assis par terre. Le contenu de celui-ci ne faisait aucun mystère : le caractère bariolé des emballages qu’on y distinguait révélait la présence de sucreries en abondance.
__–Le seul coin de la pièce qui n’était pas couvert de tapis l’était d’une bâche en plastique scotchée au parquet et constituait son coin bricolage, situé juste sous la fenêtre. Là trônaient, assez impeccablement rangés il faut le souligner, ses divers outils, son skate, ses pièces de rechange, des bouts de bois, des clous, des vis, des périphériques de bureautique et des composants électroniques plus ou moins démontés, son grappin, une corde, son matériel de crochetage et de crochet, de la laine et son couteau suisse.
__–Ce petit tour du propriétaire achevé, intéressons-nous à celui-ci. Aylan était en effet en pleine partie de Starcraft II. L’œil averti aurait pu constater qu’il gagnait : son build order à base de vipers, hydralisks et lurkers ne faisait qu’une bouchée de son adversaire terran. Ses unités d’infanterie étaient taillées en pièce par les lurkers, des unités de siège peu mobiles mais à la force de frappe et portée considérable. Ses blindés étaient neutralisés par les vipers, unités aériennes capables de prendre dans leur griffes des unités adverses et de les jeter au milieu des forces zergs qui n’avaient plus qu’à la dévorer vivante. Toute tentative de contestes la domination aérienne aux vipers était instantanément sanctionnée par les hydralisks, serpents qui rampaient au sol mais tiraient des dards empoisonnés à très haute vélocité capable de descendre des avions du ciel. Même un néophyte aurait pu voir que les affrontements entre les deux armées tournaient au massacre unilatéral, que le petit Air ponctuait par de petits éclats de jubilation plutôt que par des lamentations.
__–La partie étant à ce point sûre d’être remportée qu’il pouvait se permettre de détourner son attention quelques instants, il tourna la tête vers Huo pour constater qu’il ignorait qui était cette personne.
__–« Ah euh bonjour ? T’es qui ? »
__–Puis il retourna à son écran.
__–« Désolé j’peux pas mettre en pause, mais tu peux parler hein ! T’façons j’ai bientôt fini. Tu peux prendre un coussin et t’asseoir si tu veux. »

La porte s'ouvre un peu toute seule mais bon il est Air, j'suis pas étonné. Je rentre et la referme derrière moi. Je hausse un sourcil devant la chambre. Wow, l'antre du geek. J'aurais kiffé une salle de jeu du genre à son âge. Il a l'air d'un gamer en phase terminale d'un binge de jeu qui se nourri au sucre.

Je connais pas le jeu que j'aperçois sur son écran mais ça a l'air d'un genre de jeu de stratégie dans l'espace. En même temps, j'ai jamais été très jeu vidéos. En tout cas il a l'air de gagner vu les exclamations de joie qu'il pousse donc j'en déduis que l'armée en train de se faire défoncer à l'écran est pas la sienne.

— Bonjour. Et c'est Huo, je suis un des Master de l'Institut.

Le prenant au mot, j'attrape un coussin par terre et m'assois à côté de lui un peu derrière pour pas le déranger trop non plus.

— T'es sûr que je te dérange pas ? Je peux repasser plus tard si t'es occupé.

J'ai toujours des trucs à faire en vrai donc c'est pas comme si j'avais libéré mon aprèm pour lui non plus, n'abusons pas. Comme je suis pas sûr de ce qu'il veut, je pianote un instant sur mon téléphone pour checker mes mails et répondre rapido à Keitaro qui m'a envoyé un sms pour un nouvel article.

__–Un master ? Aylan haussa un sourcil. Il quitta son écran des yeux un bref instant pour le regarder, constata qu’il n’avait pas l’air bougon de ceux qui ont quelque chose à reprocher à quelqu’un. Soulagé de voir qu’il s’enquérait plus de savoir s’il le dérangeait que de s’il savait quelle accusation portée à son encontre avait motivé sa venue jusqu’à chez lui, il reprit sa partie.
__–« Oh nan t’inquiètes. »
__–Quelle pouvait bien être la raison de sa venue ici, donc ? En tout cas, rien de bien pressant. Peut-être voulait-il simplement jouer aux jeux vidéos ou faire du skate et avait-il eu vent des talents de notre protagoniste dans ces deux arts ?
__–Quoi qu’il en était, comme il avait un public, Aylan ne put s’empêcher d’expliquer ce qui ce passait à l’écran.
__–« Tiens r’garde, là il fait des Thors pour essayer de counter mes vipers mais il l’a trop mal fait, il aurait dû les masser et les envoyer tous d’un coup alors que là son rally point est au milieu de la map et forcément bah j’ai mes zerglings burrow qui patrouillent du coup je l’ai vu direct. Par contre j’vais pas les détruire, r’garde, j’vais le laisser les masser et faire sa concave sur mon armée… Et paf, CANAL DE NYYDUUUUUUS ! »
__–Un ver géant venait de faire apparaître sa tête au-dessus du sol dans la base de l’adversaire, après avoir creusé un tunnel qui allait permettre à l’armée d’Aylan de traverser le champ de bataille pour arriver directement dans les bâtiments de production de l’ennemi. Certes, l’armée principale de notre protagoniste était en mauvaise posture, mais après deux petites minutes de combat, toute l’infrastructure productive du Terran n’était plus que gravats fumants. Un laconique « GG » de sa part fut tapé dans le chat, ce qui consacra la victoire d’Aylan.
__–« Et voilà ! Tu veux faire quoi maintenant ? »

Il reprend sa partie en me commentant ce qui se passe à l'écran. J'essaye de suivre un peu mais vu que je connais aucun des termes technique qu'il utilise, c'est compliqué. Au moins il a l'air enthousiaste quand il a un public, c'est bon à savoir.

Je hausse un sourcil quand il déclenche un genre d'attaque qui rase totalement la base ennemie. Je rigole un peu parce que vraiment ça fait plaisir de le voir aussi investi dans sa partie.

— J'avais pas d'idée particulière en tête ?

Je sais pas trop comment aborder le fait que je suis pas là uniquement pour dire bonjour. Enfin, un peu, mais pas seulement. J'ai envie de connaitre un peu ce garçon en dehors de quelques lignes dans un briefing de mission. C'est pas juste une source, c'est un vrai gamin avec bah une vie et des centres d'intérêts.

— Je suis surtout venu parce que j'avais envie de faire connaissance ? Je connais bien Ipiu et t'es quand même en train de devenir une partie importante de sa vie.

Je hausse une épaule, un peu embarrassé. Ipiu et moi, on a pas une relation particulièrement heeuuu profonde ? Fin je suis pas un confident ni la personne qu'elle va voir quand elle a des problèmes. Je tiens quand même à elle et ça me paraissait aussi quelque chose à faire de pas juste regarder passer Aylan dans le fond. Bref.

— Enfin, bon. On peut rester là pour discuter si tu veux ? Ou aller faire un tour...

Ou je peux partir. J'ai d'habitude aucun problème avec le fait d'être un fouineur mais j'sais pas… Aylan est un gosse, ça me fait bizarre.

__–À la déclaration de Huo concernant sa mère, Aylan eut une mine un peu renfrognée.
__–« Ah bon ? Je sais pas trop. »
__–Elle qui avait tant renâclé à ce qu’il eût une place tout court. Il avait fallu qu’il lui forçât la main à plusieurs reprises pour cela, tout de même. Et jamais n’avait-elle concédé des aveux ; ne lui avait-elle dit en face qu’elle était son fils. C’était simplement une vérité pour tout le monde, donc pour lui.
__–Mais enfin, il venait de gagner une partie, un adulte se mettait à sa disposition pour devenir un compagnon de jeu sans qu’il eût à pénétrer par effraction dans son domicile, en somme, Aylan n’avait pas envie de s’attarder trop longtemps sur la relation – s’il y en avait une – entre lui et sa mère. Il y avait à peine une convivence ; notre protagoniste passait le plus clair de son temps dans son appartement ou celui d’Ariana, ces temps-ci.
__–Ou dehors, qui était une destination ma foi fort prisée après tout ce temps passé devant un écran. Non, vraiment, c’était une trop belle journée pour qu’elle fût gâchée à parler d’Ipiu.
__–« Okay allez ! Attends juste j’éteins mon ordi… Et voilà ! Moi j’aime bien faire du skate et il fait beau aujourd’hui mais si tu veux juste discuter on peut aller en forêt ou ou village ou je sais pas. Tu veux parler de quoi ? »
__–Aylan espérait secrètement que cela n’allait pas être au sujet de son assiduité scolaire, qui était pratiquement inexistante. (C’est que, rester immobile dans une classe à écouter des choses dont il connaissait déjà les trois quarts l’ennuyait profondément. Tout au plus allait-il aux cours de japonais, la seule matière où il apprenait encore des choses, et de temps en temps aux autres pour vérifier s’il était bien à jour pour ce qui était des connaissances académiques plus générales. Si ces notes étaient désastreuses, ce n’était que parce qu’il n’en avait pas, la pratique du contrôle sur table lui paraissant encore plus absconse et ennuyeuse que les cours en eux-mêmes.)
__–Enfin, si cela devait être le cas, il aurait son skate, qu’il prit au cas où, ainsi qu’une grenade fumigène artisanale, dissimulée dans son sac. Ça sert toujours et en fabriquer une avait été un petit défi technique tout à fait stimulant ; il tardait à Aylan de la tester.

Ouille, bon maman Piu sujet à éviter, je note. Après je comprends que leur relation soit compliquée. C'est pas comme si elle avait ouvert les bras en grand direct quand il est arrivé. Ce qui est plus ou moins normal sachant d'où il vient mais pas forcément simple à encaisser. Je retiens une grimace et fourre mes mains dans mes poches pour me donner une contenance.

Je souris en coin en le voyant rebondir directement et éteindre son ordinateur. Sortir me dit bien, il fait beau pour la saison donc autant en profiter. Et puis, j'ai jamais appris à faire du skate donc ça peut être sympa à regarder. Dommage que j'ai pas pris mon appareil.

— Si tu veux faire du skate, le village c'est mieux non ?

Je me pousse un peu en sortant pour le laisser fermer la porte et fouille un peu dans mes poches pour en sortir une sucette que je déballe.

— Tu en veux une ?

Ben quoi ? J'ai rien mis dedans, promis. Ca c'est seulement en cas d'urgence quand Fai arrive pas à d- Hein ? J'ai rien dit, moi. En plus elles sont à la pomme. J'aime bien quand c'est un peu acide.

— J'avais juste envie de te rencontrer, je poursuis sur sa question. Je vais surement devoir parler de toi à mots détournés dans un futur proche donc je préfère toujours avoir un minimum de connaissance quand je parle de quelqu'un.

C'était extrêmement vague et inutile comme phrase, ça. Mais bon. Il est malin, il va surement comprendre de quoi je parle. Et je préfère pas lancer à la cantonade ce genre de détails alors que n'importe qui peut entendre en passant à côté de nous alors qu'on parle.

__–Je suis strictement et fermement opposé à ce qu’en dépit des apparences, on mésestime l’intelligence d’Aylan, mais il faut bien reconnaître qu’elle est à géométrie variable et que si elle peut connaître des sommets, elle comporte en miroir de bien profonds creux. Avait-il compris l’allusion de Huo ? Nullement. Pensait-il l’avoir parfaitement bien saisie ? Certes.
__–Cet inopiné personnage était sans doute possible un membre du personnel scolaire. Il était là pour enquêter sur sa personne. Son rôle était cependant mal défini. Il était évident qu’Aylan se caractérisait par son absentéisme. Huo n’avait pas besoin de le rencontrer pour constater ce fait. Peut-être était-il là pour le convaincre d’y retourner, ou pour s’enquérir de sa routine, découvrir comment il s’y prenait pour échapper à la surveillance des professeurs et disparaître d’un cours sur l’autre, sans que quiconque, même les élèves, ne s’aperçussent de quoi que ce soit. Ou alors, c’était un parent d’élève qui avait entendu parler de son cas et venait se renseigner à son sujet pour mieux tomber à bras raccourcis sur Ipiu, censée être sa gardienne légale et responsable de ces affaires. Voire, un membre du personnel administratif, qui montait un dossier sur lui pour le pincer dans les grandes largeurs.
__–Dans tous les cas, c’était embêtant. Même celui où la véritable cible aurait été sa mère ; si elle devait faire l’objet de quelque remontrance, cela signifierait invariablement qu’Aylan serait forcé d’interagir avec elle et il voulait lui épargner comme s’épargner cela. Une bonne discussion avec Ipiu, s’arrêtait à lui dire « de rien » quand d’aventure elle vous remerciait après que vous lui eussiez passé le sel. (Un cas de figure on ne pouvait plus hypothétique, vu qu’Aylan mangeait de toutes façons dans sa chambre, ou dans son appartement, ou chez quelque autre adulte.)
__–Il prit la sucette, qu’il déballa non sans une certaine satisfaction puis fourra dans sa bouche. Pomme, bien qu’étant une taupe, Huo était une taupe de goût.
__–« Hmm mm. »
__–Il passa la porte de chez lui, l’espion à sa suite.
__–« Bah okay mais je sais même pas qui t’es toi en fait. T’es un master d’accord et tu m’as dit Huo alors atteeeeeend… T’es Feu lunaire ! J’ai bon ? Et tu fais quoi comme métier ? Et t’as quel âge ? T’es papa, non ? Ou alors t’as acheté une sucette avant de venir parce que les adultes ils ont pas de sucettes rien que pour eux mais ça serait bizarre parce que ça voudrait dire que t’aurais prévu le coup à l’avance mais les Feux ils prévoient pas à l’avance. Puis en plus t’aurais pas fait un détour juste pour acheter une sucette qui coûte vingt yens, ou alors t’aurais acheté autre chose mais t’as rien sur toi, donc t’aurais fait un autre détour pour poser le reste, mais c’est encore plus bizarre. Pis en plus t’es jeune tu dois avoir genre trente ans donc ton enfant aussi il doit être jeune, puis y’a que les petits enfants à qui on donne des sucettes, parce que bon ben moi j’aime bien hein mais j’ai genre douze ans quoi, ça se fait plus trop. Ça ce voit que tu sais pas trop comment on fait avec des enfants de mon âge du coup, donc il doit être jeune ton enfant et en plus ça colle avec ton âge. Hmm… T’es Chinois non ? Ça se voit parce que tu dois être à Terrae depuis méga longtemps mais t’as encore l’accent, ça ressort des fois. Hong Kong je dirais. J’y suis déjà allé du coup je reconnais. Ou alors c’est Macao, je suis pas sûr. Tu fumes plus depuis deux, trois ans, nan ? Ça ce voit parce que t’as pas ton paquet. Bon en vrai je le savais pas mais t’as fait un petit mouvement vers ta poche quand t’as dit ça et c’est un réflexe que les fumeurs ils ont des fois. Hm… »
__–Aylan réfléchit.
__–« Ah oui puis ça y est ça me revient t’es le journaliste de Terrae qui travaille avec ma maman. Je lis des fois vos trucs. C’est sympa mais je comprends pas toujours tout. »
__–Et ses questions ayant trouvé leurs réponses, il put passer à la suite :
__–« On va vers le village du coup ? »

Je commence à suçoter le bonbon mais manque de m'étouffer quand Aylan commence à enchaîner les déductions. Je toussote un peu et décide prudemment de garder le bâtonnet de la sucette loin de ma bouche. Juste… Le temps qu'il finisse. Ce serait con de mourir étouffé.

Bref. Oui, j'ai un fils de deux ans qui aime bien les sucettes à la pomme. Et donc ? Et en plus il a reconnu mon accent. J'suis impressionné j'avoue. Aylan a des airs de gamin irresponsable et très nerd, on en oublie facilement qu'il est aussi un ancien enfant soldat.

Je secoue la tête, impressionné malgré moi et je souris. Aylan enchaîne et je remets la sucette dans ma bouche un instant, cale le bonbon entre ma joue et mes dents. Je fourre mes mains dans mes poches. Je ne sais pas trop quoi répondre à tout ça. Pas certain que ça demande une réponse d'ailleurs.

— Je savais que t'étais fort mais j'suis un peu impressionné, là.

Autant être honnête. Et je réfute, en vrai. J'ai pas touché une clope depuis la naissance de Fai. Ce qui correspond un peu au timing évoqué mais voilà.

— Et pour répondre aux questions que tu n'as pas posé. Je suis effectivement Hong Kongais d'origine et j'ai un petit garçon de deux ans et demi qui aime bien les bonbons. J'ai arrêté de fumer depuis plus longtemps que trois ans mais j'avais recommencé à taxer des cigarettes à mes amis avant la naissance de Fai.

Je fais poper la sucette hors de ma bouche et lui renvoie un sourire. Ça me fait plaisir de voir qu'il a essayé de lire des choses qu'on a écrit avec Ipiu. Après, c'est vrai que c'est clairement pas pensé pour des mômes de son âge. Il doit lui manquer des subtilités parfois.

— On peut aller au village.

Je me demande s'il parle mandarin. Peut-être, s'il a reconnu mon accent. J'ai tellement l'habitude de parler en anglais à part à la maison maintenant...

— Quand tout ce bazar sera fini, c'est moi qui va faire le nettoyage dans les médias, tu sais. Enfin, je vais essayer. J'espère que je pourrai écrire ça comme un "et ils vécurent heureux".

Même si comme le disait un certain cinéaste, la fin heureuse dépend seulement du moment où on arrête l'histoire. Ce qui se passe après dépend de nous.

__–Aylan haussa les sourcils.
__–« Oh bah non, je suis que ligue platine, après y’a diamant, maître et grand maître. »
__–Son esprit était déjà retourné sur la partie de Starcraft II qu’il venait de disputer. Ou plutôt, Aylan ne voyait pas sur quel autre aspect de leur rencontre le qualificatif de « fort » eût pu être appliqué. Que ce fût sur ses déductions était tellement incongru selon lui qu’il ne l’envisagea même pas. Après tout, il n’avait énoncé que des évidences aisément discernables, si tant est qu’on condescendait à fournir l’effort d’observation requis.
__–« Fai, c’est joli comme nom ! C’est qui ta femme ? Elle est japonaise, non ? »
__–Pour en revenir à l’identité de Huo et les raisons qui le poussait à fréquenter notre protagoniste, Aylan avait ainsi pu éliminer quelques pistes. Tout d’abord, du fait de son statut de journaliste et de responsable des affaires diplomatiques, on pouvait douter qu’il fût un membre du personnel scolaire chargé de le coincer, ou sa mère. Fai était bien trop jeune pour qu’Huo comptât parmi les parents d’élèves. Il ne restait donc plus que trois théories : que sa femme fût la véritable instigatrice de l’affaire et ait fait appel à son mari pour ne pas se dévoiler, que Huo eût agi pour le compte des masters attachés à l’école (étant leur collègue c’était dans ses attributions), ou encore que les prémisses de sa théorie fussent erronés et qu’il ne fût point là pour lui causer quelque tort.
__–Il faudrait inspecter toutes les éventualités que la thèse initiale fût la bonne avant de l’écarter, toutefois.
__–Pour l’instant, Huo s’était surtout livré à du badinage, mais il avait soudain décidé d’entrer dans un sujet plus vif. Une tactique en vue d’un autre but, ou une intention réelle ? Après tout, s’il était journaliste, on pouvait s’attendre à ce qu’il se renseignât sur l’affaire du Centre auprès de la principale source en la matière.
__–Aylan n’était pas vraiment pour.
__–« Hmm mm. Je préfère pas en parler. T’as qu’à demander à Ryu si tu veux, je lui ai déjà tout dit. »
__–Ou plutôt, ses informations lui avaient été arrachées au prix de grande douleur. Non qu’Aylan eût été victime dans cette affaire : c’est lui qui avait demandé au master sonore de faire usage de toute sa puissance d’hypnose, pour lui faire révéler ce que le Centre avait bloqué dans son esprit ; avait associé à des traumatismes, que parler faisait revivre à notre protagoniste.
__–Si Huo désirait se montrer insistant comme les journalistes savent l’être, Aylan aurait une raison supplémentaire d’utiliser sa grenade. En plus, maintenant qu’ils étaient dehors, il eut quelque bonheur à constater qu’il n’y avait aucun vent, qui aurait pu perturber la bonne diffusion de son écran de fumée.

Je lui lance un regard un peu confus. J'suis vraiment pas sûr de comprendre le mode de fonctionnement de ce gamin. Il passe vraiment du coq à l'âne sans prévenir ou alors il suis pas du tout le même genre de logique que moi. C'est un peu perturbant à suivre.

— Heu, Aoi. Elle est japonaise oui.

Ça se sent que je patine ? Aylan est quelqu'un de très Air dans sa vivacité ça me déstabilise un peu. Je suis pas quelqu'un qui réfléchit de cette façon. Je suis pas con mais je suis assez lent pour ce qui est de la déduction et du raisonnement. Ça me prend du temps pour poser mes faits et tirer des conclusions. J'suis quelqu'un qui mâche beaucoup mes pensées. Et Fai est un nom mixte d'ailleurs. Il a juste pas la même signification en japonais et en mandarin il me semble.

Évidemment une question plus direct me donne juste une non-réponse et je retiens un soupire. Je suis même pas venu pour l'interroger en plus. Il a déjà assez souffert comme ça, je tiens pas à lui faire revivre ce genre de situation.

— Je suis pas là pour te poser des questions là-dessus, Aylan. C'est pas-

Je soupire, frustré, et me passe une main dans les cheveux. Je suis toujours aussi manche pour parler aux gens. A se demander comment j'ai pu me retrouver à bosser dans la diplomatie.

— Je voulais juste passer un peu de temps avec toi pour apprendre à te connaitre ?

Je hausse une épaule, mal à l'aise. Dire que ça me paraissait une bonne idée à la base...

— Je fais de la diplomatie pour Terrae en plus d'écrire des articles dans quelques journaux à l'internationale parfois. Et quand toutes ces histoires avec le Centre vont faire surface, je vais être celui qui devra en parler et je préfère connaître un minimum les gens dont je parle pour éviter de sortir des conneries ou de dire des choses inappropriées. C'est tout.

C'est si maladroit, si mal expliqué. Mais si un jour un journaliste me colle un micro en me posant une question indiscrète, je veux pouvoir me sentir assez légitime pour leur dire que non mes sources veulent pas en parler. Et pour ça faut au moins leur avoir parlé, aux sources.

__–Aoi… Aylan se gratta la tête.
__–« Ah oui je la connais elle travaille à l’hôpital. »
__–Il resta songeur un instant. Il aurait pu expliquer pourquoi il connaissait le nom et la profession de sa femme, par le fait que Chrys lui avait déjà parlé de ses collègues et de son travail. C’est d’ailleurs ce qu’il aurait fait, instinctivement. Cela dit, il s’était ingénié pour ne lâcher que le moins d’informations possibles et d’en soutirer le plus à ce Huo. Il ne voyait pas de raisons pour que cette dynamique changeât. Après tout, il disait ne pas être là pour poser des questions, ce qui de la part d’un journaliste était de l’ordre du physiologiquement impossible, donc sans doute un mensonge. Que Huo éventa l’instant d’après quand il déclara vouloir « apprendre à le connaître ». Soit.
__–« Hmm mm okay. »
__–Suite à la dernière déclaration du master, Aylan resta silencieux un long moment. Après tout, ils se promenaient ; il avait bien droit d’observer les arbres, les herbes, les Terraens qui jouissaient du soleil allongés dans l’herbe ou s’adonnaient à la marche, comme eux deux.
__–Et puis, cela lui permettait de contrôler le rythme de la conversation et de réfléchir à ce qu’il pourrait dire et ne pas dire.
__–« J’préfèrerais que tu parles pas de moi du tout. »
__–Pour des raisons qui lui semblaient par ailleurs évidentes. On parlait du Centre, tout de même : l’information, son contrôle et son analyse, était son cœur d’activité. Dire quoi que ce soit représentait une faille de sécurité intolérable. (Inutile de préciser que sa vision était fort simpliste et limitée ; ne prenait pas en compte le fait que Terrae n’était pas une organisation terroriste secrète et se devait donc d’avoir un visage public acceptable, pas plus qu’elle ne prenait en considération les puissants pouvoirs des masters et leur travail commun préalable pour que le travail de Huo ne fût pas en contradiction avec la sécurité de l’Institut.)
__–Cela bien dit, Aylan restait sur la défensive : il répondait à Huo. Certes, avec de longues pauses, ce qui, songeait-il, n’allait pas manquer d’user la patience d’un Feu et donc le pousserait à commettre des erreurs. Il devait aussi poser des questions à son tour, tenter de changer de sujet, ne pas lui laisser de répit. Aussi, sans attendre, voire après avoir coupé la parole du master, il dit :
__–« Tu l’a connu comment ma mère ? Vous êtes amis en fait ? »
__–Il n’en avait absolument cure, la place qu’Ipiu occupait dans sa vie était insignifiante au mieux, source de problèmes au pire, mais c’était surtout pour le faire parler. Oh, bien sûr, Aylan aurait tout aussi bien pu lâcher sa grenade, mais ces choses là sont complexes à fabriquer et il n’en avait que deux en stock.

Je hausse une épaule. Je me doute bien que tu connais Aoi, oui. Vu les gens avec lesquels il a l'air de graviter, il a au moins entendu parler d'elle je pense même si je crois pas qu'elle m'ai parlé de lui.

Par contre mes tentatives d'approche ont l'air de lui toucher une oreille sans faire bouger l'autre. En tout cas extérieurement. Mais je préfère qu'il prenne son temps pour réfléchir, en vrai. Le sujet est pas exactement joyeux et léger donc bon ça se comprend.

— C'était pas mon intention, j'acquiesce. En tout cas pas sans ton accord. C'est plus… Un cas hypothétique, si tu veux. Je me sens plus légitime à envoyer balader un collègue un peu trop insistant si je suis certain que les gens concernés ne veulent effectivement pas que je parlent d'eux. Tu vois ce que je veux dire ?

C'est une vraie question. Depuis qu'on a abordé le sujet, j'ai l'impression qu'on a tous les deux une conversation différente chacun de notre côté.

C'est un sujet très délicat, en vrai. Terrae a une situation géo-politique qui est honnêtement super complexe et c'est pas toujours facile à naviguer. Beaucoup de gens nous craignent encore même si on fait tout pour que ça s'arrange et avec l'opération qui se prépare ça va surement avoir des répercussions importantes. Je peux pas juste justifier ce qui est un acte de guerre auprès d'un gouvernement en disant juste "on a eu une source qui nous a dit que". Les gens demandent des comptes, veulent savoir ce qui se passe et pourquoi. Et oui dire que la personne concernée est mineure c'est déjà un début mais comme dit. Des fois y a aussi des cons qui sont plus faciles à envoyer balader quand on sait que la source veut justement pas qu'on en parle. CQFD, il faut avoir au minimum parlé à la source en question pour le savoir.

Il m'a pas écouté en fait… Je crois que je commence à voir la relation familiale. Tain. Je soupire et roule des yeux. P'tit con, va. Si tu me poses des questions, attend au moins d'écouter la réponse.

— Je l'ai rencontré à Terrae alors qu'on venait d'arriver tous les deux depuis pas longtemps.

Je crois qu'on est amis, ouais. La relation est un peu compliquée mais bon, c'est Piu. Ca empêche pas que je la considère comme une partie de ma famille comme tous mes amis proches. Mais ça, ça le regarde pas.

— Pourquoi tu demandes, d'ailleurs ? Je vais pas lui répéter notre conversation si c'est ça qui t'inquiète.

__–Aylan ne voyait pas du tout ce qu’il voulait dire. Il le connaissait rien au monde du journalisme et à son éthique, ne lisait en fait jamais la presse et ne l’avait jamais fait. (Ce qui n’était que peu étonnant considérant son âge, nonobstant son passé.) Cela dit, lui répondre reviendrait inévitablement à approfondir la discussion à ce sujet, ce qu’il voulait éviter. Il avait déjà dit qu’il ne voulait pas qu’on parlât de lui, il n’estimait pas que son opinion pût changer en la matière.
__–Aussi, à sa vraie question, Aylan prévît-il de répondre par un silence, le temps de passer au sujet suivant. Enfin, le sujet suivant ne lui plaisait pas beaucoup non plus. Déjà qu’il n’avait aucune confiance en Huo pour ne pas en parler à sa mère, il n’avait pas non plus demandé cela pour une raison précise. Ce n’était pas comme s’il s’intéressait à la vie de cette inconnue, incapable de se décider entre faire partie de sa vie ou n’y avoir qu’une place de figurante.
__–En pleine marche, Aylan s’arrêta. Ils étaient proches du lac. Aussitôt, notre protagoniste chercha-t-il dans les bords de l’eau des pierres à lancer pour faire des ricochets.
__–« Tu sais en faire ? Moi j’suis fort, regarde. »
__–Aylan sélectionna une belle pierre, la soupesa, la fit rebondir dans sa paume, se mit en position, prépara son geste et tira. Huo pouvait voir assez clairement qu’Aylan utilisait sa magie : la pierre était comme entourée d’un fin bouclier de vent, qui, étant plus léger que l’eau, assurait les rebonds du projectile. Celui-ci en fit une dizaine avant que la maîtrise du petit Air sur son élément ne s’évanouisse.
__–« Tiens, essaye de faire mieux ! Si tu veux on peut faire une compète, mais promis j’utilise pas mon élément. T’façons le feu ça sert à rien alors ce serait pas juste, même si t’es master. »
__–Et il se remit accroupi, pour chercher d’autres pierres qui feraient l’affaire.

Ha. Bon. Fin de la discussion donc ? Pas que ça me dérange j'avais vraiment l'impression de justifier mon éthique professionnelle à un gamin mais pourquoi soudainement ? Bon. Le silence est très parlant pour le coup, je vais pas insister je crois. C'était déjà assez gênant, changeons de sujet.

Je note qu'on est arrivés vers le lac et Aylan se penche pour ramasser un galet avant de faire un beau ricochet. Je ris doucement. P'tit tricheur va. Je suis sur je peux faire aussi bien sans maitrise de l'air, va.

— Alors. Le Feu ne sert pas à rien, je m'offusque. Mais de toute façon, j'en ai pas besoin pour te battre aux ricochets.

Quoi, moi aussi j'peux être compétitif. J'suis Feu, on rappelle. Je m'accroupis pour choisir un galet. C'est très important en vrai dans un bon ricochet, le choix du galet. J'en trouve un bien plat et rond que je soupèse un peu. Ça devrait le faire je pense.

Je reste accroupis et pivote sur mes talons pour faire face au lac. Pas de vent, c'est un bon point. Tout est dans le geste du poignet en vrai. Je lance mon caillou et compte les ronds dans l'eau. Un, deux, trois, quatre, cinq, s- Bâtard, va. Lâcheur de galet.

— Vas-y, fais mieux. Et pas de triche magique, hein.

Je commence déjà à chercher un autre galet en regardant son lancer du coin de l’œil. En vrai, c'est fun les ricochets. Faudra que j'apprenne à Fai quand il sera assez grand.