__–La pluie, élément mortel.
__–C’était pourtant une si belle journée. Aylan avait reçu par la poste un colis, suite à une transaction d’une légalité pouvant être remise en question : un faux certificat médical envoyé à un ami chinois qui lui avait fait cette requête, Tison de son pseudonyme, qui en retour avait demandé à un ami à lui qui travaillait à la sécurité des usines de lui ouvrir les portes d’une chaîne de montage, où un produit fini avait été soutiré puis fait le trajet jusqu’à Tokyo dans les valises dudit Tison, qui faisait régulièrement l’aller-retour jusqu’à la capitale nippone où il y avait de la famille. Ce colis, sitôt ouvert et s’être assuré de la conformité du produit avec les attentes de son récipiendaire, avait ensuite été remis à sa destinataire réelle : Nyala.
__–Elle en avait été fort contente.
__–Et c’était donc pour l’essayer – et parader avec – qu’elle s’en était vêtue, ainsi que de collants verts, d’une jupe verte, de vernis à ongles vert et de chaussures… blanches, elle n’avait tout de même pas une garde-robe complète dans ce ton. Et puis, cela ferait un rappel de couleur avec ses cheveux, qui avaient à cet occasion ressenti le contact du fer à lisser, des extensions et de la brosse à cheveux, avec laquelle la proximité était bien trop rare sous la poigne d’Aylan.
__–Sans oublier des lentilles de contact (vertes). Son regard d’améthyste n’était que bien trop caractéristique.
__–Toute contente, Nyala était descendue de l’étage des Airs, fait coucou aux quelques personnes qu’elle avait croisé et qui ne reconnaissaient pas le petit gamin toujours à deux cents à l’heure qui courrait ordinairement dans leurs pattes. Elle était ensuite sortie, pour aller faire une petite promenade au village et, pourquoi pas, lire des mangas au café d’Ariana, ou quelque autre activité de ce genre.
__–Hélas, bien que s’étant grimée en un animal hydrophile, elle était loin de partager cette caractéristique.
__–Aussi, quand d’inopinées gouttes se mirent à tomber, Nyala fut-elle prise d’une soudaine terreur et détala-t-elle vers l’Institut. Ce n’était là qu’un menu crachin, mais bien assez, bien trop pour ce qu’elle pouvait supporter. Ceux qui l’avaient vu marcher à pas mesurés et maniérés, avec un sourire et une assurance à toute épreuve, furent bien étonnés de la voir détaler en sens inverse, la peur sur son visage.
__–Et dans sa cavalcade, elle ne regarda pas dans un coin, tourna et y percuta quelqu’un.
__–Nyala fut propulsée en arrière par son choc, tomba séant contre terre, un peu sonnée.
__–Elle releva la tête, pour tâcher de constater dans les jambes de qui s’était-elle ainsi précipitée.
__–Encore.
__–Encore.
__–C’est que ces gambettes étaient longues.
__–Ainsi que le torse sur lesquelles il était juché.
__–Non, vraiment, on n’en voyait pas le bout.
__–Enfin arrivée à la tête, la sienne étant levée à presque quatre-vingt dix degrés, Nyala, qui n’était pas bien grande, se sentit encore plus petite.
__–« Euh, bonjour… Pardon… »
__–La stupeur du choc était cependant passée et déjà, Nyala tremblait d’avoir été trempée, sentait ses jambes devenir de la gelée, ses extrémités rester fort froides et sa voix faiblir. Elle n’était plus sous l’eau, certes, mais elle était couverte de cet élément mortel, qui imprégnait son habit qu’elle avait pourtant si désiré et qu’elle ne voulait maintenant plus qu’envoyer dans un coin et ne plus y retoucher pendant une bonne semaine. Ce qu’elle aurait fait, si elle ne tremblait pas encore de partout et si la panique ne hurlait-elle toujours pas à plein volume sous son crâne.

Aujourd'hui, c'était une journée un peu ordinaire. Une journée comme je les aime au final. Rien d'incroyable de prévu, peut-être que je mange avec des gens ce soir, après le club de danse, et puis, c'est tout. Le reste du temps, je le passe à ranger ma chambre, écouter un peu de musique, regarder la pluie qui tombe, et puis fatalement, avoir faim. J'ouvre mes placards, et franchement, pas de quoi se faire un repas. Je tourne la tête vers le dehors, prêt à sortir pour aller faire des courses. Hm. Ou alors je passe à la cafétéria ? Hmm.

J'attrape un tote bag lambda, glisse mon porte feuille dans ma poche, enfile mon blouson en faux cuir, et sort de ma chambre. Je vais d'abord aller voir si quelque chose me fait envie à la cafet', et si ce n'est pas le cas, j'irai voir au village. Ca me paraît être une bonne décision. De quoi j'ai envie ? Une soupe ? Ca peut être pas mal, une soupe, avec des cheveux d'ange dedans, ou des croûtons. Ou alors un bouillon, des ramens peut-être ? Pas mal aussi ça.

Je descends les escaliers, pris dans cette réflexion décisive pour le reste de ma journée, je regarde distraitement devant, ou alors plutôt mes pieds, je ne sais pas bien, toujours est-il qu'une fois arrivé en bas, en tournant pour rejoindre la cafétéria, je me cogne à quelqu'un. Une jeune personne, c'est certain, puisque je ne sens pas grand chose, et surtout, elle s'est cognée contre ma jambe. Je baisse les yeux, inquiet, et tombe face à une jeune fille à l'air tout à fait perdu et terrorisé. C'est... C'est moi qui lui fait peur comme ça ? Mes sourcils se haussent en une moue inquiète, et je m'ageouille immédiatement à côté d'elle alors qu'elle balbutie un bonjour.

Je suis vraiment désolé je ne t'avais pas vue, est-ce que tout va bien ?

Je tends doucement ma main vers elle pour l'aider à se relever, et lui demande, aussi doucement et avec autant d'inquiétude que ma première question :

Je t'ai fait mal ?

__–Ce n’était pas cet immense personnage qui avait terrorisé Nyala. Cela n’aurait pu : elle avait, il y a bien longtemps de cela, accepté jusqu’au plus profond de son être que bien rares étaient ceux qui ne la dépassaient pas en taille. Elle n’en était pas mécontente, d’autant plus qu’elle ne souffrait pas du vertige, ce que n’importe qui, cis aux pieds de Roman, aurait pu ressentir s’il aurait voulu le regarder dans les yeux comme elle le faisait là.
__–Et puis, il combla l’écart en se mettant à son niveau, pour aussitôt l’aider à se remettre sur ses deux pattes de grenouille. Nyala ne dit rien pendant un petit moment. Elle essayait de se recomposer. Son habit, s’avéra-t-il, était fort pratique pour cela : large capuche, matériau imperméable, le terrible liquide ne ruisselait qu’à la surface de son être ; elle n’aurait qu’à le retirer pour ne plus être trempée. Ce qu’elle fit donc aussitôt.
__–« Non, ça va, t’inquiètes… Snif. »
__–Cette tentative de renifler une coulée de morve, qui s’avéra être du sang, invalida aussitôt la phrase précédente. Quand elle sentit l’étrange liquide ruisseler, Nyala se pencha tout de suite en avant et appliqua une pression sur ses deux narines. Quelques gouttes tombèrent néanmoins au sol.
__–« Bwon wokay, jwe mwe swuis pweut-wêtre fwaite wun pweu mwal. »
__–Ce n’était pas tout à fait facile, d’arriver à combiner une voix de canard et de compenser son début de mue, mais elle y parvint. Elle n’était pas sonore pour rien, après tout.
__–Nyala réfléchit. Elle n’allait pas rester là, le nez pincé, comme une idiote, son habit sous le bras, à attendre que le sang voulusse bien finir de coaguler. La seule perspective la faisait déjà mourir d’ennui, sans parler de vivre ses quelques dix minutes sans pouvoir utiliser ses deux bras.
__–Aussi, se tourna-t-il vers Roman.
__–« Wah mwais t’hwabwites wà l’hwétwage dwes wairs, non ? Tu pweux me prwêtwer wune pwince à lwinge stweuplé ? »
__–Et là, se posait un dilemme cornélien. Avouer, ou ne pas avouer, qu’elle était de la même affinité, qu’ils étaient voisins de pallier ? Trahir son identité secrète ?

La petite grenouille qui se tient devant moi a l'air de prendre un peu de temps pour retrouver ses esprits, et je le lui laisse, ne la presse pas le moins du monde. Elle finit par se transformer en humaine en retirant son manteau, et renifle en essayant de me dire que tout va bien. Je souris doucement en essayant de la rassurer moi aussi, mais son nez se met à saigner. Mon visage prend un air inquiet quelques instants. Elle a vraiment dû se faire mal. Je souffle avec le ton le plus doux que je peux adopter, encouragé par mon pouvoir qui se déclenche inconsciemment.

Attends.

Je glisse une main dans une poche puis dans l'autre, et en ressort un vieux paquet de mouchoir tout fripé, mais avec de quoi l'aider. J'extirpe le tissu de la pochette et vient le lui tendre proche du nez sans m'approcher trop d'elle pour qu'elle puisse s'essuyer et ne pas se metter du sang partout. La jeune fille finit par me demander si j'habite bien à l'étages des Airs. Je me demande comment elle sait ça, mais je retiens la question : ça n'est pas une priorité tout de suite.

Oui, je suis Air. Tu veux vraiment monter... Tous les étages ?

Ca n'était absolument pas le plus pratique.

Si tu es sûre que c'est la meilleure solution une pince à linge, je peux t'en prêter une. Tu veux que je te porte ou ça ira ?

Elle était petite, menue, elle ne devait pas être bien lourde et si elle s'était fait mal je pouvais tout à fait la transporter. Mais elle avait peut-être envie de se débrouiller toute seule, ce que je comprendrais tout à fait, je préfère encore lui laisser le choix, et réagir rapidement en suivant.

__–Nyala se saisit du mouchoir avec un « mwercwi » et de sa main libre, essuya les gouttes rouges qui avaient glissé le long de sa peau.
__–Et c’est qu’il était malin, cet immense homme. Un peu trop. Il arrivait aux bonnes conclusions trop vite. C’est vrai que Nyala avait l’habitude de grimper – pas monter, grimper – tous les étages, mais c’était peu commun pour le reste de la population mondiale de se dire que, quatre étages, c’était une promenade.
__–Pire que tout, cela signifiait qu’elle devait ou persister dans son idée, au risque de paraître bizarre voire de griller sa couverture, ou de changer d’idée, mais cela revenait à abandonner son plan originel ; la finalité réelle qui était, cela ne surprendra personne, de se faire inviter et de manger les sucreries que pouvaient bien receler la maison de ce gigantesque monsieur.
__–C’était toujours son plan.
__–Il ne sembla toutefois pas s’attarder sur l’incongruité des machinations de Nyala plus longtemps et se désigna volontaire comme moyen de transport. Sans qu’elle ait à demander. C’était… étrange, mais certainement pas malvenu.
__–« Woui jwe vweux bwien sw’il twe pwlaît. »
__–Et elle tendit son bras qui n’était pas occupé à pincer son nez. Enfin, elle se ravisa, alla chercher sa peau de grenouille, la noua autour de sa taille, ce qui n’était pas aisé à faire avec un seul membre disponible, puis tendit sa main à nouveau. Enfin, elle prit le mouchoir à deux mains et se moucha, puis alla le jeter dans une poubelle, puis tendit sa main à nouveau. Enfin, elle prit son téléphone, qui était dans une poche de son gilet vert et risquait à tout moment de tomber, le glissa dans une poche de jupe qu’elle s’était cousue pour des raisons de praticité évidente, puis elle tendit sa main.
__–« Wokay, lwà cw’est bwon jwe swuis prwêtwe. »

Il se passe un truc étrange. Je veux dire. J'ai l'impression qu'elle sait bien trop peut et beaucoup trop ce qu'elle veut en même temps. Et que ce qu'elle veut, c'est déjà, arrêter de couler du nez, mais aussi venir chez moi ? Mais c'est ultra bizarre qu'une gamine ait ça pour objectif non ? Je n'ai pas envie de sauter à des conclusions étranges comme ça, mais c'est vraiment l'impression que ça me fait. Et j'ai beau ne pas être le plus brillant à l'école, dans les situations comme ça, je sens bien les choses normalement.

Et en même temps, ça n'enlève rien à sa détresse potentielle. Alors on va faire passer son confort en premier lieu. Parce que finalement, ça coûte rien d'être gentil, elle voudra sûrement rien de méchant si elle a un objectif caché. Et si c'était le cas, je sais que je peux y faire face. Y a des raisons assez évidentes à ça. Alors, quand elle me demande de la porter, je cale un genou au sol pour pouvoir mieux me relever sans me faire mal, et tend les bras. Elle vient vers moi puis se ravise.

Est-ce qu'elle a eu peur ? Non, elle ramasse sa cape grenouille. Jeter son mouchoir. Glisser ton portable dans une autre pour ne pas le perdre.

Soit je me fais vraiment des films, soit cette gamine est aussi précautionneuse que je le crois.

Je passe doucement un bras sous le sien, et l'autre sous ses jambes. Je m'assure qu'elle soit calée en lui demandant, avant de me redresser et de me mettre debout. Je la cale contre ma hanche, comme les enfants tout jeunes, sa tête à ma hauteur et je lui souris.

On est partis. Accroche-toi mistinguette.

Et je vais pour grimper les escaliers. Je marche d'un bon pas, comme si monter n'était pas tant un effort, même avec quelqu'un dans les bras.

__–Victoire.
__–Nyala passa sa main libre derrière le cou de Roman et se pinça l’autre, avec un air triomphant, alors qu’elle décollait du sol et était transportée comme une petite reine jusqu’au domicile de son chevalier servant. Elle lui rendit, bien entendu, son sourire.
__–Sur le chemin, depuis son point de vue surélevé et donc, pour elle, tout à fait nouveau, elle ne manqua pas d’adresser un regard satisfait, presque hautain, en tout cas tout à fait princier, aux passants qui croisèrent ces deux curieux personnages, dont l’un avait les doigts résolument pincés sur ses narines.
__–À la difficile question de, pourquoi Nyala avait-elle décidé de se livrer à cette petite mascarade, il y avait deux raisons. La première était que le sieur Roman, son voisin, faisait partie des rares qu’elle n’avait pas encore rencontré, dont elle n’avait pas visité le logis, estimé les réserves en bonbons. Cela, nous l’avons déjà exprimé tantôt. La seconde était plus immédiate ; elle relevait tout simplement de la joie d’être considérée comme une hôte de marque, transportée avec grand soin.
__–C’était une petite pièce de théâtre dont elle était l’actrice principale et la metteuse en scène, Roman le second rôle à son insu – encore que ? –, certes, mais c’était tout à fait le genre de petits plaisirs auxquels Nyala se livrait. Le plus spectaculaire, elle le laissait à son jumeau maléfique – sauf quand elle volait des motos.

__–Ils arrivèrent donc dans le couloir des Airs. Là, Roman la déposa au sol, avec un soin consommé. Elle s’épousseta la robe – geste tout à fait inutile, mais distingué – et, toujours les doigts sur le nez :
__–« Mwercwi ! Çwa vwa t’was vwu jwe swuis pwas lwourdwe. Jwe twe swuis ! »

Monter les escaliers avec ce curieux personnage ne passe pas inaperçu. Les personnes que l'ont croise nous lance de drôles de regards, auxquels je réponds toujours par un sourire. Je crois que ça peut être un peu perturbant j'ai toute confiance en ce que je fais. Après tout, elle a l'air plus que ravie, et je suis de plus en plus persuadé surtout qu'elle a agit de plein gré. Pas le nez qui saigne, mais tout le reste. Je m'aide un peu de mon pouvoir pour avancer facilement et que tout soit fluide.

Arrivés en haut je la dépose au sol, elle se nettoie d'un geste précieux qui m'oblige à retenir un rire presque moqueur. C'est très mignon à vrai dire, parce qu'elle n'a absolument aucune raison de faire ça, si ce n'est se prendre pour quelqu'un d'important.

Non en effet, légère comme une plume.

Je me dirige donc vers ma chambre, entre en premier et me place près de la porte pour la laisser entrer et fermer derrière elle.

Tiens assieds-toi, je t'attrape la pince à linge, et de la glace.

Je m'active, glisse un bras dans la salle de bain et y récupère une pince que je pose sur la petite table devant elle, ainsi qu'un gant de toilette. Je vais ensuite ouvrir le petit frigo de ma cuisine, et le tout petit congélateur pour sortir quelques glaçons et les glisser dans le gants.

Tu peux mettre ça sur ton nez le temps que ça s'arrête de couler. Ca t'arrive souvent de saigner du nez brutalement comme ça ?

__–Nyala ne se fit pas prier et alla se poser sur la chaise. À la deuxième réplique de Roman, elle faillit demander : « Quel parfum ? », mais se ravisa tout de suite. Piller son congélateur, ce serait pour plus tard. Elle ne manqua certes pas, dès qu’il eût le dos tourné, de se lever dans un silence aussi absolu que possible et de le suivre pour jeter un coup d’œil par-dessus son épaule – exercice fort complexe considérant la hauteur de son hôte, qui lui demanda de se mettre debout sur un meuble –, afin d’inspecter ses réserves en glaces.
__–C’était relativement décevant. Ce Roman lui avait semblé être quelqu’un de plus fantasque que cela ; du moins Nyala s’était-elle attendu à ce qu’il ait plus qu’un simple pot de vanille. Cela dit, reconnut-elle alors qu’elle s’enfuyait à pas de loup vers la chambre avant d’être repérée, pour banale qu’elle était, la glace à la vanille était la parfaite base à de somptueux assortiments : crêpes, cigares, coulis de fruits rouges… Si son hôte ne disposait pas de telles choses, Nyala devait lui faire découvrir.
__–Et il revint, alors qu’elle n’avait manifestement pas bougé d’un poil.
__–« Mwerwi ! »
__–Et alors qu’elle appliquait pince à linge et glace, elle ne manqua pas de lui répondre :
__–« Hmmm dwes fwois, pwis pwas quwe quwand jwe rwentwre dwans dwes gwens immwenswes cwomme twoi. Won mwe dwit swouvwent dwe fwaire plwus wattwentwion wet blwa blwa blwa wet blwa blwa blwa, mwais c’west pwas mwa fwaute swi twous lwes cwoulwoirs dwe cwet winstwitwut swonts wà wanglwes dwroits ! Wavwec twous lwes Twonnwerres qwui fwont n’wimportwe quwoi, lwes Wairs wet jwes Fweux qwui cwourent pwartwout, wils dwevrwaient mwettrwe dwes mwirrwoirs waux anglwes. Twu swais, cwomme waux swortwies dwe pwarkwing ! »
__–Nyala plissa les yeux, s’avança vers le visage de Roman, prit un ton de complot et lui sussura :
__–« Pwuis cwomme çwa, won swaurwait qwui swont lwes vwampwires… »

En prenant les glaçons dans le congélateur, je me sens bizarre. Je ne comprends qu'un peu tard que c'est le genre de sensations que je ressens quand je ne suis pas seul. Pourtant, je ne tourne pas la tête et reste concentré sur ma tâche, et c'est en retournant voir la jeune fille que je me rends compte que oui, j'étais bien épié.

Soyons sérieux un instant, elle a exactement la même position. Très bonne notion du mimétisme cela dit, c'est assez impressionnant, tristement impressionnant. J'ai une folle envie de lui poser pas mal de questions, mais je me dis que depuis le début elle joue à faire comme si elle ne contrôlait rien. Elle est jeune, elle a sûrement envie que ses plans fonctionnent, et des raisons d'en avoir envie. Alors je lui laisse la glace gentiment sans plus de commentaire alors qu'elle me remercie.

Et qu'elle se lance dans un grand monologue, que j'écoute attentivement. Je m'asseois lentement à côté d'elle, tout en hochant régulièrement la tête. Ca ne m'étonne pas plus que ça surprenament, elle ne doit pas du tout tenir en place. Je souris à l'idée des miroirs sur les murs, c'est pas con après tout.

C'est vrai que ça serait pas mal. Et puis mettre un poteau au croisement pour aller plus vite en tournant aussi.

Ouais moi aussi j'ai aimé aller vite gamin. Et je le fais toujours mais je peux plus me permettre de pas faire attention, sauf en parkour. Elle se penche vers moi sur le ton de la confidence, et je ris avant d'arborer un air sérieux.

...Attends, tu crois qu'ils sont nombreux ?

Avant de froncer les sourcils, et de demander sur un ton désinvolte, comme pour ne pas la couper dans son élan.

Tu m'as pas dit ton prénom d'ailleurs, c'est quoi ?

__–Roman s’était donc assis à côté de Nyala et celle-ci avait rapproché son visage du sien, ce qui donnait toute latitude à notre protagoniste pour admirer son splendide faciès. (Ce qui lui requérait de lever la tête ; ce n’était point pratique.) Elle considéra ses poils soigneusement non-entretenus, sa tenue juste assez débraillée pour être authentique, l’élégante rusticité de ses traits… Et n’en tira aucune conclusion particulière. Sauf une, mais qu’elle se réserva pour plus tard.
__–« Wah woui wun pwotweau ! Cw’west wune bwonne idwée, çwa. Çwa cwe vwoit quwe tw’wes Wair pwarcwe quwe wy wa quwe nwous quwi pwenswons wà cwe gwenre dwe twrucs pwour waller plwus vwite. »
__–Ah, tiens, son saignement de nez c’était calmé. Pile au moment où votre dévoué narrateur en avait plus qu’assez de mettre des w partout.
__–« On sait pas, justement : on a pas assez de miroirs. »
__–Et comme il n’y avait, vraiment, absolument aucune suite à sa pensée – il n’y avait, de toutes manières, pas eu beaucoup de suites dans les pensées de Nyala, ce jour là : elle s’était levée et la seule décision qu’elle avait prise, serait qu’aujourd’hui, elle ferait des choses. Beaucoup, de choses. Peu importait, en vérité, quelles choses. Elle découvrirait Terrae sous un jour nouveau, où chaque instant serait une improvisation étrange, une rencontre inattendue, une réplique qui semblait autant mûrement réfléchie qu’elle avait été pensée après avoir été dite.
__–« Je m’appelle Nyala ! Pas comme les antilopes hein, ça veut dire flamme en indonésien ! Bon enfin, je suis pas Indonésienne, donc ça n’a rien à voir non plus. Mais ! »
__–Elle n’avait absolument aucune idée de comment finir cette phrase.
__–« Hm, c’est joli, tes boucles d’oreilles. »
__–Détail salvateur.
__–« T’en as d’autres ? Tu me les montres ? J’hésite à me percer les oreilles, mais je trouve que je suis un peu jeune, enfin, en vrai ça vaaa j’ai treize ans, mais je trouve que c’est encore trop tôt, tu sais ? Tu les as faites à quel âge, les tiennes ? Ça fait mal ? C’est compliqué à entretenir ? Puis c’est vrai que j’ai pas vu beaucoup d’hommes en porter, c’est différent de pour les femmes ? »
__–Elle demandait pour un ami.

Je hoche la tête, bien sûr que c'est une bonne idée. Je ris doucement quand elle souligne le fait que je suis Air, j'en conclus également qu'elle l'est aussi.

Ca ne m'étonne pas. On m'a dit qu'on pouvait voler aussi, si ça c'est pas pratique tiens !

Le sujet revient sur les vampires, mes sourcils légèrement froncés en une expression concentrée et concernée, j'ajoute.

Hmmm... Si tu enquêtes dessus je veux bien que tu me tiennes au courant, au cas où...

Je la laisse m'observer, et moi j'écoute ses idées qui fusent presque aussi vite qu'elle est capable de bouger finalement. Elle m'intrigue cette gamine, d'où elle sort, qu'est-ce qu'elle faisait avant pour être si réactive, évasive et convaincante.

Enchanté Nyala. Oh, tu m'en diras tant. Flamme, c'est une jolie signification, ou un joli surnom pourtant.

Que je l'imagine aisément porter, d'ailleurs. Son attention se porte sur mes anneaux aux oreilles. J'en touche une par réflexe quand elle en parle.

Oh, merci. J'en ai d'autres mais c'est aussi des anneaux, ils sont juste noir.

La foule de questions qu'elle me pose ne me déstabilise pas plus que ça, après tout c'est courant non, de poser tout un tas de question à son âge ? Hm. J'y réponds tranquillement.

Je ne sais pas te dire si c'est jeune, je connaissais quelqu'un qui a eu les oreilles percées dès ses 6 ans, donc 13 ans c'est peut-être pas siii tôt. Moi je les ai percées quand j'avais euh... 15 ans je crois ? 16 peut-être ? Je sais plus exactement. Et non je n'ai presque pas eu mal, c'est un peu désagréable sur le coup mais vraiment rien d'insupportable.

Je hausse les épaules.

Non l'entretien ça va, il faut juste que ça cicatrise au début, mais en général je crois qu'au lobe ça se passe bien. Enfin, je ne suis pas pro, donc c'est à vérifier tout de même ! Et je ne pense pas que ce soit particulièrement différent. Quand j'étais jeune on a pu dire que j'étais un voyou à cause de ça, mais c'était des personnes dont je me fichais de l'opinion donc... C'est pas si grave. Est-ce que j'ai répondu à tes questions, tu en as d'autres ?

__–Pratique, c’e n’est pas le mot qui lui serait venu en tête. Nyala afficha une mine exagérément outrée.
__–« Pfff, c’est surtout classe ! On s’en fiche, que ce soit pratique ! C’est un peu nul, les trucs pratiques. C’est comme des outils ou des armes. Puis c’est tout ce que certains adultes ils savent dire. Si ça peut pas servir à un truc, alors c’est pas intéressant. Mais je trouve que c’est encore plus beau quand ça sert à rien. »
__–Mais foin de cyranades.
__–« Ah, merci ! Après, pour une Air… Ça fait… de l’air chaud. C’est un peu nul juste dit comme ça, mais c’est pas grave. Et toi t’es… du grand air, ah ah ah ah ah ! »
__–Ravie de sa blague, elle en rit tellement qu’elle en tomba à la renverse sur le lit, puis se remit bien droite, avec toujours sa ridicule préciosité.
__–« Ah ouaiiiiis mais six ans c’est méga tôt ! Pis ça fait un peu mal et quand on est tout jeune on aime encore moins la douleur, alors soit elle est super méga courageuse et c’est méga fort, soit elle a pas eu le choix et c’est méga nul, alors. Non mais, quinze ans, c’est bien. »
__–Et rassurant : Nyala avait encore deux années pour se faire à l’idée.
__–Puis, elle plissa les yeux, toujours avec son air de complot.
__–« Parce que t’étais pas un voyou, peut-être ? »
__–Tout de même. Des gens comme Roman, c’était tout ce qu’elle avait connu pendant onze ans de sa vie. Se doutait-elle qu’il savait et supposait sur son compte à peu près autant qu’elle sur lui ? Tout de même pas. L’expérience de Roman en la matière était bien plus vaste ; sa compréhension de ce qui se tramait ici nécessairement plus fine. Et pour Nyala, toute personne présente à Terrae devait nécessairement avoir fait quelques folies dans sa jeunesse, elle avait bien du mal à considérer qu’il eût pu en être autrement.