__–Le soleil se couchait sur Tokyo.
__–Depuis la terrasse du bar, assis sur une chaise longue, Nathan savourait le moment. Un narguilé était posé sur la table basse. Il lui avait été fourni par la charmante Brésilienne qui partirait elle aussi en mission, dont il avait complimenté les qualités martiales et dont il s’était étonné de la voir travailler dans cet établissement. Elle lui avait répondu que faire une tâche un peu banale avant de mettre sa vie en jeu, cela la calmait, l’ancrait dans le réel. Il ne pouvait que comprendre ce sentiment.
__–Il tira sur une des pipes. La douce saveur lui rappelait son service en Afghanistan. Le tranquille vrombissement de la vie tokyoïte, les silhouette des Terraens qui se détachaient dans l’obscurité grandissante. Ce léger froid hivernal, qui faisait sortir de sa bouche autant de buée qu’il exhalait de la fumée.
__–C’était, ma foi, un fort bon moment.
__–Pour Nathan, sa présence en ce lieu, à cette table, était plus étrange encore que tout ce qu’il avait pu vivre. Terrae, quel lieu singulier. Pas une personne qu’il n’y ait croisé, même brièvement, ne lui avait pas laissé une forte impression. C’était un si paisible village. Il lui avait semblé tellement étrange de déballer des armes en son sein, d’apprendre à se déplacer et combattre en formation à ses habitants, à se battre, à tuer. Encore maintenant, à quelques jours de l’Opération Thémis, il lui semblait quelque peu irréel de se dire que parmi ces personnes si particulières, qui vaquaient pourtant à des occupations quotidiennes banales, se cachaient des soldats. Une tenancière d’un bar toxicomane, une éclopée vindicative, une elfe, une mère de famille à la fois épuisée et survoltée, un couple formé d’une ancienne tueuse à gages et d’un nounours qui devait bien faire 90 kg de pur muscle, une jeune femme toute droit sortie de The Boat thrat Rocked, un ancien homme de main de cartels colombiens, la petite serveuse d’un café manga plus forte qu’une montagne, une roboticienne qui arrivait à être à la fois complètement claire et constamment sous l’effet de drogues, un adolescent chauve à la personnalité débordante, une pacifiste au potentiel de destruction invraisemblable, un gangster couvert de cicatrices et doux comme un ange, une soignante au cœur d’or et l’efficacité redoutable, une baroudeuse incapable de tenir en place, un papa épuisé, un blondinet un peu étrange… C’était des gens comme ça, que ses collègues et lui avaient entraîné à l’art de tuer.
__–Non, vraiment, tout lui paraissait si étrange.
__–Une de ces étrangetés, et non des moindres, avait été l’invitation d’Aaron à prendre un verre. Enfin, l’invitation en elle-même n’avait pas choqué Nathan outre mesure : Aaron était un des masters les plus impliqués dans la direction des opérations, commanderait une équipe lui-même, connaissait personnellement la quasi-totalité des participants, entre ceux qui étaient ses amis ou ses élèves… ou ses fils.
__–C’était plutôt cela, qui avait étonné Nathan. La perspective que quelqu’un de trois ans son cadet pût être appelé « papa » par Jérémy et Nicolas. Oh, il avait bien compris le principe de l’adoption et de l’usage assez libéral qui en était fait à Terrae, mais en tant que père lui-même, il avait aussitôt fait le parallèle. Imaginer ses deux filles en harnachement militaire complet le serrer dans ses bras une dernière fois avant de partir en mission, sachant que lui comme elles risquaient d’y périr… Non, vraiment, la perspective n’était pas très confortable. Les liens du sang ou les écarts d’âge ne jouaient en rien pour cela.
__–C’était peut-être pour cette raison qu’Aaron lui avait fait la proposition. Ils pourraient ainsi partager leurs doutes, leurs peurs et leurs sentiments. Se confier sur un terrain qu’ils avaient en commun entre eux et ne partageaient avec personne d’autre, et ce même s’ils ne se connaissaient que depuis quelques semaines. De père à père.
__–Le voilà d’ailleurs qui approchait. Nathan lui fit un signal de la main et se leva, avec un grand sourire.
__–« Aaron ! Ravi de vous voir. Luna nous a installé ceci, il avait pris l’habitude de désigner les personnes dont il savait le prénom par celui-ci ; tout le monde se connaissait à Terrae, goût sucre de canne, c’est ma foi délicieux. »

Les entraînements se passent bien, on ne peut pas dire le contraire. Chacun est investi, concentré. Les liens se tissent, la confiance aussi. Cooper est vraiment super, on sent qu’elle a bien accroché avec Nana et Senri et réciproquement. Même ce fameux Lieutenant Lawrence, au final, Nathan de son petit nom, s’est révélé étrangement sympa pour un militaire. Non, vraiment, c’est bien de voir qu’on peut faire confiance à nos équipes, mais la perspective de laisser quelqu’un que je connais pas emmener mon fils, ses amis proches et mon amie Norah en opération militaire sans moi… Bon, voilà, je suis pas tranquille. On part début de semaine prochaine, je dors pas très bien, et je me dis qu’apprendre à le connaître pourra sans doute me rassurer. Et puis, j’ai atrocement besoin d’une excuse pour aller boire un peu, je crois.

Alors je lui ai proposé d’aller boire un verre après les entraînements, le temps d’aller prendre une douche, m’occuper un peu de Charlotte et revenir vers le bar dans mon habituel combo chemise-pantalon-lunettes. La doudoune et l’écharpe en plus, rapport au temps, tout ça. Quand j’approche du bar, Nathan est déjà là, mais dehors à la terrasse ; il se lève quand il me voit, tout sourire, et je lui renvoie un sourire en miroir. Pouah, comme il est canon ; c’est limite de l’injustice, là. Heureusement que ça pèle, je peux me concentrer sur autre chose. J’espère qu’on va pas rester là toute la soirée, par contre.

—Content que vous soyez venu. (Je baisse les yeux vers le narguilé et hausse un sourcil, puis souris en coin.) Une excellente idée, je ne dis pas non.

Et puis ça me réchauffera un peu, va. Je tire la chaise pour m’asseoir tranquillement ; j’ai encore des courbatures des entraînements de tout à l’heure.

—On n’a jamais pris le temps de discuter, je me dis que c’était l’occasion ou jamais. Alors, comment vous trouvez Terrae ? Ca n’est pas trop étrange, la découverte de tous ces pouvoirs ?

__–La question demeurait.
__–Est-ce que Nathan était à une soirée partagée entre deux collègues, deux compagnons qui allaient risquer leur vie ensemble, ou à un entretien d’embauche ? Étant donné qu’il serait chargé de la sécurité de son plus jeune fils, la réponse était dans la question.
__–Enfin, ça ou Aaron avait envie de boire. Et… d’admirer un bel homme. Nathan était au courant de l’effet qu’il produisait sur une certaine partie de la gent masculine. Enfin, ce qui c’est passé à Soho et à Sandurst, reste à Soho et à Sandurst. Et puis, ils étaient tous les deux mariés, pas de ça entre eux voyons. Oh, certainement pas.
__–À part des immenses sourires, des mains serrées, des regards droits dans les yeux et des politesses.
__–Une fois les salamalecs passés et les deux pères assis autour du narguilé, les choses sérieuses commencèrent. Sans se départir de son sourire, Nathan prit une bouffée sur l’appareil.
__–« Hmm… c’est étrange. Votre Terrae est exactement comme ce que je me l’imaginais et tout à fait différente. Dès qu’on s’intéresse au sujet, on apprend que c’est un lieu à la fois très ouvert et cosmopolite, au cœur de Tokyo et en même temps coupé du monde. On y apprend que s’y réfugient des gens dotés de magie pour échapper au reste de la planète, mais que la magie n’est pas la cause mais la conséquence de leur fuite. Ce que je pourrais en dire… Ce serait qu’il m’a suffi d’une journée en ces murs pour comprendre pourquoi vous n’avez eu aucun problème à trouver des volontaires pour la défendre. Qui, l’ayant connue, ne voudrait pas la protéger de tout son être ? J’en reste un étranger, mais je ne peux que partager ce sentiment. »
__–Nathan avait combattu pour bien des raisons, dans sa vie. Pour les intérêts et la sécurité du Royaume-Uni, de l’Occident, pour la paix mondiale, pour protéger ses concitoyens, pour honorer les alliances, autant de notions qui étaient vagues au mieux, trompeuses au pire. Non, avant tout, Nathan combattait parce que c’était ce qu’il savait faire de mieux, qu’il n’aurait jamais su faire autre chose et parce qu’il s’était fait bien trop d’amis à l’armée pour les laisser seuls face à l’adversité.
__–Pourquoi faire la guerre ? Parce qu’on l’a déjà faite. Il n’y avait pas besoin d’être grand philosophe pour comprendre la vacuité de ce raisonnement.
__–Ce n’était donc pas à la légère, ou par flatterie, ou par diplomatie, bien loin de là, que Nathan avait dit qu’il serait heureux combattre pour Terrae.
__–« À ce sujet, quelque chose m’étonne… Si je suis indiscret ne répondez surtout pas, d’où vous vient votre maîtrise des armes ? »
__–Moyennant ses difficultés de vision.

C’est étrange de s’assoir là, dans le froid, alors que d’ici quelques jours nous serons au front. Je n’ai aucun doute sur le fait que le Lieutenant soit habitué à ce genre de moments, et j’imagine que c’est aussi pour cela qu’il est en capacité de se détendre à ce point. Lui, il y arrive un peu, bien que je sente la curiosité qui s’active en lui en me voyant. Et tout un tas d’autres choses, aussi. Je fuis son regard un instant quand je me rends compte qu’on se fixait depuis trop longtemps à mon goût, et attrape l’embout de la pipe pour en prendre une bouffée. Woah je vais pas survivre à l’intensité de la discussion, moi. J’vais me concentrer sur la fumée, c’est bien ça.

Quand on le voit comme ça, il respire quelque chose de fort et droit, mais lorsqu’il parle, il semble doux et rêveur, presque romantique en fait. Ca me tire un sourire, d’avoir l’avis de quelqu’un de l’extérieur sur ce que l’on renvoie. Ce qu’il dit est très vrai, et c’en est presque terrifiant — l’analyse est trop pertinente, et sa conclusion touchante, pourtant douloureuse. Certains sont prêts à aller trop loin pour la protéger, et d’autres pour la détruire. C’est chez moi. Et je serai toujours prêt pour ça aussi. Mais c’est douloureux, de toujours devoir se battre.

Enfin. Ce n’est pas à un militaire que je devrais dire ça ; j’ai sans doute peur qu’il ne puisse pas le comprendre… ou qu’il puisse trop le comprendre, justement. Parfois, c’est tout aussi étrange que l’on puisse lire en nous et comprendre ce qui nous anime — et je suis sensitif, pour autant.

Doucement, je souris. C’est un chic type.

—... Merci. Alors me voilà rassuré, si vous estimez que ce qui se trouve ici mérite d’être protégé. C’est difficile pour nous de faire confiance au monde extérieur, beaucoup ont déjà cherché à nous détruire… Vous avoir ici est rassurant, on vous en sera toujours reconnaissants. Je crois vraiment au fait qu’on ne puisse pas se débrouiller seuls, ici, à Terrae, et qu’on a besoin d’alliances solides… On peut faire tellement, mais la population est aussi tellement fragile. Ce sont pas des combattants... Pourtant, elle est courageuse… J’ai l’impression que la présence de votre équipe aide les jeunes à porter leur courage plus loin encore. Et aussi, ça les réfrène, ce qui n’est pas plus mal pour certains.

Avoir des soldats auprès de nous pour cette mission nous permet de nous sentir rassurés, mais aussi de nous porter davantage. Le courage est une chose, mais la confiance en est une autre. Et Nico, Alice, Ariana, et même Norah, tous semblent placer leur confiance en lui. C’est comme un espoir, une promesse. Mais cela nous montre aussi la dangerosité de ce qu’on va traverser, et ça je crois que je ne suis pas prêt à accepter que nous puissions perdre un Terraen lors de cette opération.

La question suivante de Nathan me surprend, et je hausse deux sourcils, puis arbore une moue gênée. Nous sommes interrompus par Luna, qui vient me demander ce que je veux boire ; je lui commande une bière, je vais y aller mollo. Même si j’ai envie de me mettre une mine.

—Oh… On a des expériences très diverses à Terrae, je ris maladroitement, me passant une main sur la nuque. Je suis originaire de Boston, j’ai pas mal traîné dans les rues. Et après je me suis retrouvé enrôlé dans des… environnements particuliers.

Plus particuliers que la rue, ouais. Avec du recul, et les informations que j’ai aujourd’hui, je me demande si ces organisations n’avaient pas un lien au moins lointain et indirect avec le Centre, ou si elles n’étaient pas sous leur coupe. Mais bon vu que ça a été démantelé et qu'ils effacent bien leurs traces, j'aurai sûrement jamais le dernier mot de cette histoire alors autant arrêter de se faire du mal avec.

—Enfin, une fois à Terrae je me suis formé davantage à la maîtrise des armes à feu. Au cas où. Certaines organisations s’en prenaient aux élèves, il y a eu des enlèvements, des trucs comme ça. On a dû les récupérer, et nettoyer le terrain. Les pouvoirs, ça marche bien, mais face à des armes à feu, bon.

Ouais. J’évite de regarder Nathan ; je sais qu’il ne me jugera pas, car lui aussi a certainement tué, mais c’est ma propre culpabilité que j’ai du mal à supporter. Enfin, faut dire que j’ai plus fait exploser de cervelles avec mes pouvoirs de Tonnerre que je n’ai collé de balles létales, mais ça je ne suis pas forcé de le dire. Ni que mon ex était un ancien de la mafia italienne et qu'il m'a permis de combler quelques lacunes.

—Hideko n’a jamais été trop pour, elle aimerait que nous limitions les dégâts le plus possible… Mais quand des vies sont en jeu, je ne tergiverse pas. Si possible, je ne compte pas en utiliser, je ne vise plus aussi bien qu'avant il faut dire, mais au cas où... ça ne fait pas de mal d'en avoir une sur soi, et s'entraîner.

Mon sourire se fait plus plat, sans trop de joie. Je respire pas la gaieté, ce soir.

—Et de votre côté ? Comment vous en êtes venus à vous porter volontaire ?

__–Pour Nathan, s’entendre dire que sa présence à lui était rassurante était fort touchant. Et réciproque. Après tout, c’était lui qui allait combattre aux côtés de demi-dieux… d’amateurs pour ce qui était de l’art militaire certes, mais qui restaient des êtres surhumains. Anne sa femme s’inquiétait toujours au point de ne pas pouvoir dormir quand son mari recevait son ordre de mobilisation. Mais, lui avait-elle dit, cette fois là, elle avait pu fermer l’œil. Non, vraiment, il ne risquait presque rien, n’est-ce pas ?
__–Pour ce qui était de la dernière phrase d’Aaron, Nathan pouvait voir très précisément à qui il faisait allusion… Cooper était plus d’une fois venue parler à son collègue, avec de grands soupirs et non sans longuement se masser les tempes.
__–« J’en suis heureux. Après tout, c’est pour cela que nous sommes là. Enfin, ça et éliminer une base terroriste, dont la seule existence était un défi à l’autorité de l’État namibien, à la sécurité régionale et donc aux intérêts et à la sécurité du Royaume-Uni. L’Angleterre pourrait prendre d’assaut cette base seule, tout comme Terrae, mais à quel prix. »
__–Déjà que cette opération allait coûter plusieurs centaines de millions de livres sterling… Heureusement que l’Afrique du Sud participait.
__–La réponse d’Aaron sur son passé… ou plutôt sa vie, vu qu’elle n’était pas terminée, de violence au service de Terrae suscita l’attention toute particulière de Nathan. Cet homme, un guerrier. Oui, bon, ce n’était pas si étonnant que cela, à bien y réfléchir.
__–« Je comprends les inquiétudes de votre directrice. Elles sont louables. Je ne connais pas un seul de mes supérieurs qui n’aimerait pas livrer une guerre sans victimes. J’espère qu’elle arrive à dormir la nuit, à regarder ses enfants et tous les Terraens qui partiront à la guerre dans les yeux. C’est presque plus facile, pour nous qui ne faisons que suivre les ordres. C’est nous qui tuons, mais pas nous qui en endossons la responsabilité. Je ne me suis pas vraiment porté volontaire… Enfin, si, bien sûr, mais j’étais sur une liste très réduite, issue d’une sélection méticuleuse. Quand j’ai appris que j’étais dessus, j’ai bien entendu donné mon accord pour participer, même s’il était plus à titre consultatif qu’autre chose. Je me suis porté volontaire il y a des années, quand je me suis engagé. Comment en suis-je venu à être ravi qu’on me donne cette mission – je pense que là est plutôt votre question que de savoir pourquoi un jeune imbécile d’East-Anglie a décidé il y a plus d’une quinzaine d’années de cela de servir sous les drapeaux –, c’était une évidence pour moi. Le descriptif seul de la mission a suffi à me convaincre. Sauver des enfants, combattre des terroristes, aider Terrae, ce lieu magique qui offre une seconde chance aux personnes atteintes des pires traumatismes… Voilà quelque chose dont je pourrais être fier sans la moindre équivoque. »

C’est étrange de parler de tout ça à coeur ouvert. C’est pas avec les autres Masters que je vais évoquer ce type de sujets, c’est assez tabou. Et on a pas toujours évoqué les dégâts qu’on faisait en mission, avant. On était peut-être moins bien préparés, plus dans l’urgence et la colère. Beaucoup plus jeunes, aussi ; c’était il y a bientôt douze ans, maintenant, et même si la vie continue, parfois les souvenirs reviennent, et avec, les cauchemars. Ca m’arrive de me réveiller la nuit en voyant le regard apeuré et faible de Mitsuki et Elio — mais surtout Mitsu, en fait — quand on est allés les récupérer dans ce labo… Après tout ce qu’ils leur ont fait. Et je regrette pas… Ou un peu, peut-être, parfois. Seulement parfois. On fait des choses dingues pour protéger sa famille, parfois, et sans doute que mon impulsivité de Tonnerre n’a pas toujours aidé à prendre des décisions exemplaires. Mais on les a ramenés ; et je ne doute pas qu’on arrivera à ramener ces enfants-là aussi, bien que l’on soit face à des soldats expérimentés.

—En effet, évitons des morts si possible.

Le pragmatisme de Nathan m’a fait hocher la tête avant même d’avoir pleinement réfléchi à ses mots ; ça résonne trop fort. L’existence-même du Centre est un affront à la paix internationale, mais l’organisation est si tentaculaire… Détruire une base, et une autre repousser ailleurs, voilà tout. C’est sans doute pour ça qu’on ne s’y attaque pas frontalement et qu’on se contente de récupérer des gamins enlevés ; des gamins qui devraient être sous notre responsabilités. Même si on peut s’interroger sur la responsabilité de l’institut auprès de ces jeunes suite à l’apparition spontanée de pouvoirs durant l’Eclipse, c’est peut-être pas à nous de tout endosser, et en même temps, c’est des gamins… Mais qu’en est-il de ceux qui sont endoctrinés par le Centre, qui n’ont connu que lui ? Est-ce qu’on doit se dédouaner pour eux ? Si on commence à s’attaquer à ça, on sera une cible de plus en plus importante, déjà que là on leur ouvre la porte à venir nous faire toujours plus de mal… J’ai la mâchoire qui se contracte juste à y penser, parce que je les imagine marcher sur l’institut, je les imagine s’y introduire et enlever nos jeunes, je les imagine parler dans le creux de l’oreille des dirigeants pour nous attaquer, comme il y a quelques années, quand on nous a envoyé ce missile. Qu’on a failli y passer. Que Mitsu a failli y passer, pour nous sauver la mise.

Y a tout qui tourne à l’intérieur de ma tête, mais Luna me rapporte ma bière ; je la remercie et trinque avec Nathan pour détourner mon attention, après que je me sois ouvert sur… tout ça.

—A cette collaboration.

Nathan développe longuement, et je fais la moue ; je sais pourquoi Hideko est inquiète, c’est parce qu’elle n’est pas présidente, elle est une directrice d’école, elle a essayé de créer une communauté où vivre en paix, en autarcie. Et parfois je ne veux pas avoir à lui demander tout ça, j’aimerais ne pas avoir à prendre ces décisions non plus. Tout ça nous échappe.

—Oh, au contraire, les deux m’intéressent, j’arrive à rire quand Nathan m’évoque son engagement dans l’armée. Vu comme ça, j’imagine que c’est en effet une mission qui paraît louable… Ca fait pas trop mal sur un CV, j’imagine. C'est courageux quand même.

Mon sourire tire en coin sur cette dernière phrase, mais se fait plus calme quand je reprends, jouant avec mon verre frais que je n’ai pas encore touché.

—Vous n’avez pas peur de la magie en face ? Je veux dire, il seront certes armés, mais ils ont aussi des personnes avec des pouvoirs dans leurs rangs…

Des dotés, comme on les appelle à présent, depuis cette mission. Ca fait étrange, dit comme ça.

—Quant à Hideko… Ma Directrice, je veux dire. Elle voulait créer une école, juste un endroit où être bien. La politique, je crois que ça la dépasse, et je le comprends totalement. Mais rien que notre existence est politique. Quand les médias ont commencé à parler de nous, c’était pour savoir si on représentait une menace à la sécurité globale… comme le Centre, en fait. Une secte étrange de gens dangereux avec des pouvoirs.

Mon sourire est contrit.

—Je n’aime pas la tournure que prend les événements, nous serons des cibles, après cette opération. On nous identifiera plus que jamais comme une menace. Et en même temps, nous aurons montré, au moins un peu, que nous pouvons nous défendre et que nous attaquer ne restera pas impuni.

Je hausse une épaule et, finalement, prend une gorgée, puis sourit à nouveau, mais je suis simplement inquiet.

—J’espère que ces alliances dureront et que d’autres nous découvriront comme vous l’avez fait.

Mais bon, on aura toujours besoin de s’isoler, je crois bien.

__–Nathan trinqua bien volontiers à cela.
__–Il eut par contre une petite moue presque ennuyée. Il préférait encore parler des complexes implications morales et géopolitiques de l’opération que de son passé. Oh, il en avait vécu des choses incroyables, mais ne s’était jamais figuré qu’il pouvait les raconter. (Après tout, pour lui comme pour sa femme, leurs discussions boulot se résumaient en : « alors mon amour, comment s’est passée ta journée ? – Je n’ai pas le droit d’en parler. », puis ils passaient à des choses bien plus intéressantes, comme leurs filles, le jardinage ou le croquet.) Et puis, il avait toujours la sensation que d’autres personnes avaient fait encore plus incroyable ; pourquoi l’écouter lui ?
__–« Hélas, j’ai bien peur que je ne pourrai pas me vanter de ma participation sur quelque CV que ce soit. »
__–Principalement parce que tout serait classé secret défense.
__–« Et pourquoi en aurais-je peur ? Je suis probablement le Britannique non-doté qui en connaît le plus long sur votre magie et j’aurai ses meilleurs praticiens à mes côtés. Et puis, en avoir peur ne me fera pas les vaincre plus efficacement. »
__–Après tout, les SAS étaient connus pour leur témérité invraisemblable… et le très bon taux de survie de leurs unités.
__–Nathan prêta une attention redoublée quand Aaron expliqua la position d’Hideko. Voilà une personne avec qui il n’avait échangé que le strict minimum, alors qu’elle avait une place centrale dans cette affaire. Il réfléchit longuement aux paroles d’Aaron.
__–« Je suis bien désolé de vous dire cela, mais… est-ce que le futur est vraiment de mise ? Terrae existe depuis un certain temps, déjà. Vous êtes déjà des cibles. Vous avez dû combattre des scientifiques japonais, les États-Unis et c’est loin d’être votre premier affrontement contre le Centre, sans parler de crises internes comme l’Éclipse, ou… d’autres choses plus étranges dont j’ai eu vent, mais sur lesquels je ne pourrais pas développer. Vous détenez un pouvoir. Cela crée de la peur et de l’envie. C’est inéluctable. Terrae a peut-être été fondée comme une école, mais elle est en même temps dotée de murs, pour une très bonne raison. Vous êtes une forteresse, que vous le vouliez ou non. »
__–Il prit une gorgée.
__–« C’est peut-être le militaire qui parle, mais ce n’est pas un mal en soi de le vouloir. Regardez ce que vous avez bâti derrière ces murs. Il n’existe nul endroit comparable dans le monde entier. Et la herse peut être relevée. »
__–Nathan leva son verre à nouveau.
__–« Aux alliances qui dureront et qui viendront ! Voilà un beau futur. »

Pas de CV… Oui, bon, ok, l’armée c’est pas les premiers pelos du coin, t’as pas besoin de leur tendre ton CV quand t’es dedans vu qu’ils ont déjà ton CV. Vous savez, j’ai jamais été très fan du concept de l’armée, de la hiérarchie, tout ça. Surtout quand on entend comment ça se passe dedans. La majorité des connards que j’ai connus au lycée ont fini à l’armée ou dans la police par la suite, et les autres ont fait des études de marketing ou d’ingénieurs, ce qui n’est pas vraiment mieux quand on voit les profils. Mais bon, j’suis p’tetre pas assez cis-hétéro ou conformiste pour ces mondes-là, hein ; après tout, j’ai atterri prof de manière complètement hasardeuse, à peine sorti de l’adolescence, tout juste Master, pur produit de cassosserie traumatisé par la life. Pour rien au monde j’aimerais retourner dans ce monde qui m’a autant cassé, mais y faire des incursions de temps en temps n’est pas désagréable. Avec le temps, je trouve même ça vraiment cool qu’on se soit ouvert à l’extérieur, malgré la crainte que ça m’a fait ressentir et les a priori que j’ai pu avoir. On n’est pas faits pour rester enfermés ; mais bon faut qu’on reste prudent avec les derniers développements. Je sens que les prochaines réunions de Master vont me gonfler, déjà là j’sens une tension qui m’donne pas envie de rester. Mais c’est pas comme si j’avais pas l’habitude, et c’est sans doute le moment de montrer qu’on peut gérer les choses sans partir dans la panique. Quand on parle du Centre, ça en hérisse beaucoup, à juste titre. Moi j’y vais juste… parce que j’ai pas envie que mes élèves et mes gamins canent. Pas parce que je me sens spécialement ravi d’aller risquer ma vie.

Enfin, j’me suis perdu dans ma tête, alors je lance juste un sourire en coin à Nathan. “En avoir peur ne me fera pas les vaincre plus efficacement”… Je vais garder ça en tête, j’aime cet esprit. C’est pas téméraire pour moi, c’est simplement pragmatique.

—Je tâcherai de me souvenir de ça à mon tour.

Lorsque Nathan expose notre position sur l’échiquier mondial, je ne peux néanmoins que grimacer et observe avec dépit mon breuvage.

—C’est sûr… Je suis d’avis que nous restions précautionneux malgré tout, histoire de ne pas attiser des violences plus rapidement que nécessaire. Nous aurons tout le temps de gérer le Centre, et je pense que bien qu’ils représentent une menace évidente et puissante… nous pouvons les gérer.

Et je n’en étais même pas persuadé avant de prononcer ces mots ; maintenant, j’en suis certain. Parce que d’ici quelques années, au plus, toutes les Etoiles de cette génération, ceux qui souhaitent rester à Terrae tout du moins, deviendront des Masters. Et puis, maintenant, nous sommes enfin des adultes. Beaucoup oublient que nous étions juste comme eux, il y a quelques années. Nous ne sommes pas des demi Dieux, juste des humains très magiquement dotés, disons.

—On nous prend pour des guignols, chez les Masters, je souris. Mais je sais qu’on gèrera, c’est ce qu’on a toujours fait. Notre force, c’est justement qu’elle a été fondée comme un lieu de vie, une école. C’est de faire équipe, de communiquer, de s’entraider. C’est ça, Terrae. Alors peut-être qu’un jour ils nous la feront à la X-Men et qu’ils enverront leur milice pour nous attaquer entre ces murs… mais honnêtement, eux non plus ne sont pas prêts.

Mon verre levé, je souris et trinque avec Nathan à nouveau.

—Un très beau futur. Bon, on n’est pas prêts à faire alliance avec les américains, je crois, maiiiis avouons que ce serait sympa, à l’occasion.

Enfin, quand on voit le tableau géopolitique actuel, je sais pas vers quel pays Terrae pourrait avoir super envie de se tourner. C’est déjà assez inquiétant un peu partout. Le problème, c’est que si un conflit d’ordre mondial éclate, on nous demandera peut-être de prendre position… ou alors de prêter des “soldats”. Grosse blague.

—Nathan, je peux vous demander quelque chose, quand vous serez sur le terrain ?

__–Nathan ne partageait pas vraiment le point de vue d’Aaron sur le temps : il avait fait assez de guerres liées au terrorisme pour savoir qu’il fallait attaquer et détruire son ennemi à la source le plus vite possible. Cela dit, il se rendait bien compte qu’il pensait à cela en tant que lieutenant d’une armée puissante, membre de la plus puissante alliance militaire au monde : pas d’un institut de cinq-cents personnes qui venait à peine de s’engager pour la première fois de son histoire dans une opération militaire.
__–Après tout, ils sauraient gérer, en effet. Cela au moins était sûr. (Et puis, un attentat au cœur de Tokyo…Le gouvernement japonais en péterait une durite. Nul doute que les services de renseignement de l’archipel devaient jouer le rôle d’un véritable cordon de sécurité autour de Terrae, toute attaque contre elle étant invariablement une attaque contre rien de moins que leur capitale.)
__–« Ah ah ah, il n’est pas impossible que les Américains préféreraient que vous ne leur demandiez pas ! Je ne sais pas pourquoi mon gouvernement a accepté, mais ce n’est pas uniquement par charité. Faites bien la différence entre vos amis et vos alliés. »
__–Il n’était, à ce titre, pas impossible que le simple fait de s’associer à un institut peu apprécié par Washington ait été une raison en soi. Un État est une chose orgueilleuse, même quand il est en laisse et le sait, il a pour souci de rappeler sa souveraineté et son indépendance.
__–Et le ton de la discussion changea d’un coup.
__–Le père de membres de son unité, qui lui demandait quelque chose, quelques jours avant une mission particulièrement dangereuse, il avait vécu cette scène un très grand nombre de fois. Nathan prit tout à coup un visage bien plus sérieux.
__–« Bien sûr, vous pouvez tout me demander. »

Sa remarque me tire un sourire en coin, puis un rire. C’est vrai que c’est pas avec eux qu’on risque de collaborer avec le plus d’efficacité, hein. Et en même temps, si on pouvait juste, je sais pas, ne plus être dans leur ligne de mire. Ce serait cool. Sans forcément être leurs alliés, parce que bon, plus le temps passe, plus je me rends compte qu’aux US, on est peut-être pas du bon côté de l’histoire hein. Mon rire se finit sur un soupir de dépit, alors que je me passe une main sur le visage.

—C’est clair… On n’est pas assez naïfs pour ça, je vous rassure.

C’est juste plus rassurant de se donner l’illusion qu’on n’est pas seuls dans ce monde. Et puis pourquoi les Anglais ont-ils accepté, mis à part l’idée de pouvoir tirer parti de notre magie, un jour ? Les enjeux financiers et de pouvoir (magique, ici) sont quand même centraux, pour le reste je m’y connais pas et m’y intéresse de toute manière pas assez. D’autant que maintenant, vu nos collaborations fréquentes avec différents états, ils savent qu’on tient nos dettes et qu’on remplit nos contrats. On n’attaque que ceux qui nous attaquent avec violence, comme le Centre ; même les US, on n’a pas répliqué alors qu’on aurait pu être assez cons pour le faire, à l’époque. On leur a montré qu’on pouvait survivre à un tir de missile — si on peut appeler ça survivre, vu l’état dans lequel se fout Mitsu à chaque fois. Donc maintenant, c’est entre leurs mains ; soit ils s’allient dans notre dos pour nous détruire, au risque de déchaîner sur eux la fureur des Terraens, soit ils nous laissent vivre, pour l’instant, et attendent de voir comment ça évolue…

Evidemment, à leur place, j’essaierais de voir si je peux utiliser nos ressources pour le compte de mon pays, hein, donc j’les comprends, même si ça me gonfle. Enfin, c’est comme ça que fonctionne notre monde maintenant. Tout est une transaction.

En buvant, je me rends compte que tout ça me tourne en tête depuis trop de jours, déjà. Je laisse encore échapper un rire du nez, fatigué, et pose ma question à Nathan, qui est d’un coup très attentif.

—Je serai sur le terrain aussi, mais dans une autre unité. Votre équipe, c’est celle de mon gamin et de ses amis, et je serai pas là... Je leur fais confiance pour rien faire de stupide… (quoique… heureusement qu’Alice est dans le lot) Revenez juste tous entiers. J’ai pas envie d’avoir à faire un deuil de plus. Pas eux, pas ceux-là. Pas comme ça.

Pas encore une fois. J’ai pas envie que Lou vive l’annonce, j’ai pas envie qu’on doive annoncer ça à Charlotte, j’ai pas envie d’avoir à me dire que j’aurais dû essayer de les convaincre plus fort de rester.

—Je sais que vous ferez ce que vous devez, mais je crois que j’ai besoin de me rassurer, sinon je vais pas être concentré moi-même, je rigole, comme pour détourner l’attention.

__–Nathan resta silencieux un petit instant, après la demande d’Aaron. Si prendre l’engagement qu’il demandait était évident, il ne devait pas non plus être considéré à la légère. Nathan ne pouvait pas lui dire qu’il n’avait rien à craindre, que tout se passerait bien. Il ne pouvait pas non plus lui dire qu’il se contenterait de faire de son mieux. Ce serait mentir ou être insuffisant.
__–« Peut-être l’ignorez vous… peut-être est-il mieux si ma femme l’ignore, dans notre formation, c’est quoi qui serai en première ligne. Je suis le plus entraîné, après tout. Je porterai un bouclier balistique, j’essuierai en priorité les tirs adverses et tous seront derrière moi. J’aurais pu donner ce rôle à Nicolas, il est tout à fait apte à cela, ou à Norah, peut-être même à Ariana, qui sous-évalue sa capacité à rester efficace en situation de stress intense. »
__–Elle ne sous-évaluait pas que cela, d’ailleurs.
__–« Ce n’est pas que pour une raison de praticité, que j’ai choisi ce rôle. Ce n’est pas que parce qu’il requiert quelqu’un d’expérimenté. J’aurais pu tout aussi bien m’équiper d’une arme lourde et rester à l’arrière, mon talent n’aurait pas été gâché. Je vais vous dire franchement ce que je pense, Aaron. Vous êtes tous des civils. Vous êtes volontaires, certes, mais votre place, à aucun des Terraens que j’ai vu, n’est sur un champ de bataille. (Là encore, Ariana… et Alice, encore moins que tous les autres.) Ce qui est peut-être la raison pour laquelle vous devez y être… Mais passons. Donc oui, mon cher. Je les ferai revenir entier. C’est pour cela que je suis là ; c’est mon rôle. Et ne vous en faites pas pour moi, j’ai mes propres obligations envers ma famille. Nous reviendrons tous. »
__–Nathan posa des yens sur la table. Assez pour payer leurs deux boissons… et non sans un sourire malicieux :
__–« Vous me payerez un coup quand on se reverra. Ce genre de promesses, elles durent plus que toutes les autres ! »

Mon ventre se contracte étrangement à ces pensées. C’est vrai que c’est logique, dit comme ça, mais j’ai un peu de culpabilité à lui demander de se mettre en première ligne et faire le bouclier humain devant Nico et ses amis. Faut dire que c’est logique, c’est lui le militaire professionnel, je veux dire. Ouais. Donc c’est rassurant, et en même temps, si on pouvait juste ne pas être en guerre en fait ? J’ai une amertume particulière à ce sujet. Et j’suis encore plus mal à l’aise quand il évoque Norah — une autre amie — puis Ariana. Même si là, ça m’étonne un peu. J’veux dire, elle fait partie des proches de Nicolas qui viennent souvent, mais j’arrive jamais à savoir ce à quoi elle pense. Elle est là à sourire et rigoler, et au fond d’elle y a souvent cet espèce de gouffre béant qui est de plus en plus hurlant ces dernières semaines. Elle parle de sa vie tout le temps, et pourtant je crois qu’on a pas eu autre chose que des conversations superficielles où, au final, j’avoue n’avoir rien appris d’elle. Ce que je sais d’elle, c’est ce que Nico et Jérém ont pu me raconter, ou ce que j’ai pu deviner. C’est un truc que je ressens souvent étrangement avec les Morphes, cette espèce de fausseté qui n’est pas hypocrite, juste, je la comprends pas. Elle est très loin. Alors déjà imaginer qu’elle puisse venir à la mission, j’me dis juste qu’elle va crever et peut-être les mettre en danger, même si j’ai aussi assisté à sa résolution lors des entraînements. Et elle gère ses pouvoirs. Mais penser à la mettre devant dans une opération militaire ? Bah. Ok. Vraiment, j’crois que je la connais juste pas du tout. Enfin, après, un Morphe a besoin d’être mobile donc je sais pas si ce serait ultra stratégique.

Evidemment que j’sais que Nico serait parfait à ce rôle, mais ouais j’ai pas envie d’y penser, juste, lol. Et Nathan a totalement raison quand il dit qu’on est des civils. J’acquiesce misérablement à cette phrase, parce que qu’est-ce que vous voulez que je dise d’autre à part “ptdr c’est vrai” ? Pour moi, c’est même des enfants, même s’ils sont adultes depuis longtemps.

Ma gorge est encore toute serrée, mais je souris. Parce que je sais qu’on veut tous rentrer en vie, comme il dit. On a tous des obligations. Ca me rassure étrangement beaucoup plus que tout le reste.

—Merci. Je sais que vous ferez ce qu’il faudra. Et je sais qu’eux aussi. On est des civils, mais on est une communauté soudée.

Relativement.

—On est une grande famille… alors je crois que ça, ça donne une vraie raison à tout le monde d’y aller, et d’en revenir.

De s’entraider, aussi.

Quand il fait mine de vouloir payer, je veux l’arrêter, mais il me fait ce p’tit sourire là. Hm. Je réponds, un peu embarrassé, rieur malgré tout :

—Aha merci. Ca marche, je nous paierai la tournée du retour. Faudra pas se défiler, hein ! Sinon ça va pas l’faire.

On arrive tranquillement à la fin de notre verre, et finalement, on échange encore quelques banalités plus légères avant de se séparer. Ouais, ça peut être sympa de reboire un verre avec lui, à l’occaz. Et j’dis pas ça parce que c’est notre promesse de revenir vivants, pas parce que son sourire est mignon hein-