Depuis le retour de toutes ces missions suicidaires, nous ne nous sommes que très peu croisés avec Pandora. Je crois qu'elle a fait un petit séjour à l'hôpital après son retour, mais même lorsque j'ai essayé d'aller à l'hôpital pour vérifier l'état de tous mes proches qui étaient partis, l'accès m'a été refusé. Bon, faut dire qu'y aller dès le lendemain matin n'était pas très malin, vu tous les cas qu'ils ont probablement eu à gérer.

Pandora a ensuite été en arrêt et n'a pas repris le travail à la boutique. "C'est cool, ça me laissera le temps de réviser pour préparer mes partiels !" m'a-t-elle dit au croisement d'un couloir.

Nous sommes voisins de chambre... Et nous n'avons fait que nous croiser depuis son retour. Elle restait toujours évasive sur ce qu'elle avait à faire, mais n'avait du coup jamais de temps pour que nous nous voyions, quelle que soit l'activité que je lui proposais.

Alors je me suis concentré sur le travail, puis sur les révisions pour les partiels, parce qu'après tout, les partiels arrivaient bel et bien. L'envie de voir Pandora continuait à trotter dans ma tête, et bien qu'elle me manquait, j'acceptais aussi son besoin de s'isoler un peu après tout ce qu'elle semblait avoir vécu. 'Teh, pour une fois que Terrae ne s'en sortait pas si indemne que ça... Il fallait que ce soit sur des missions auxquelles ma meilleure amie avait participé.

L'examen se termina et je baissai les yeux sur la copie que je venais de rédiger. Fin des partiels. Début des vacances. Au moins ça, c'était fait. Je sortis rapidement de la salle sans m'attarder pour discuter avec mes camarades de promotion, et pris le chemin de l'Institut.

Lorsque j'arrivais enfin dans les couloirs des Airs, mon regard s'attarda sur le nom de Pandora inscrit sur la porte voisine de ma chambre. Je ravalai ma salive et toquai quelques coups.

-Pando, c'est moi ! On mange ensemble ce midi, tu me diras comment se sont passés tes partiels ! Et bonnes vacances, au passage !

Le retour de mission a été difficile. Je me suis portée volontaire pour honorer mes valeurs - ces mêmes valeurs qui ont volé en éclat sans retour en arrière possible, à cause de la mission justement. Je ne sais pas comment gérer ça. Du coup, c'est plus facile de ne pas le gérer du tout, de m'enfermer dans mon déni en me refermant comme une huître au passage. C'est fou ce que je suis prévisible, quand même...

J'ai pris un congé sabbatique au travail, le patron n'a pas posé de questions - je pense que tout le monde est bien au courant que la Namibie a été très éprouvante. Je ne vois plus personne, je sors quasi uniquement pour me rendre en cours - je ne suis pas sûre du pourquoi c'est encore aussi important pour moi de réussir, mais ça l'est. Je vais chez la psy, et au gymnase aussi, quand ma tête est prête à exploser d'avoir trop bossé - je passe une heure ou deux à taper dans un sac, sans enlever mes écouteurs ni parler à personne. Une véritable adolescente torturée et rebelle - j'en rirais presque si je n'avais pas autant envie de pleurer.

J'ai croisé Allen quelques fois dans le couloir, on a discuté - juste un peu, le temps de trouver une excuse pour ne pas passer plus de temps avec lui. Je me déteste de le repousser comme ça - pour plein d'autres choses aussi, mais pour ça en particulier. Je vois bien qu'il s'inquiète mais qu'il ne veut pas être envahissant, et ça me tue encore plus. Je ne mérite tellement pas qu'il se fasse du souci pour moi.

Les semaines ont passé, différentes mais semblables. Mars est arrivé et avec lui la session d'examens - qui s'est bien passée. En même temps, vu comme j'ai bossé, ça aurait été pathétique de rater ! J'ai terminé hier matin, et depuis... Je suis un peu perdue. Mon occupation principale de ces dernières semaines envolée, mes pensées sombres menacent de m'engloutir toute entière, une fois encore. Aussi, quand Allen frappe à ma porte en m'invitant à aller manger un bout, je décide qu'il est plus que temps que je lui parle. Si je peux parler à ma psy, je peux bien lui parler à lui. Je me regarde dans le miroir près de la porte, j'ai une tête à faire peur - des cernes violacées, le teint gris, le visage amaigri. Un vrai cadavre. J'ouvre quand même.

"Hey."

Wahw, cet enthousiasme, époustouflant. Je me force à sourire mais je crois que ça ressemble plutôt à une grimace.

"Tu viens de terminer tes partiels ? J'ai eu le dernier hier moi... Je crois que ça a été, et toi ?"

Je ne sais pas si je l'invite à entrer ou si on sort. En vrai, je n'ai même pas faim.

Quand Pandora m'ouvrit la porte, je constatais avec tristesse l'état dans lequel elle se trouvait. Bien qu'on se soit croisés à plusieurs reprises, c'était toujours en coup de vent, je ne l'avais quasiment jamais vue en face ; ou peut-être fuyait-elle tout simplement mon regard.

Mais j'étais content quand même. Parce qu'elle avait accepté d'ouvrir la porte. Parce qu'elle me répondait, même si on sentait dans sa voix que le moral était loin d'être là. Parce qu'au moins, je constatais que j'avais quand même encore une petite place dans sa vie "d'après". Finalement, les retombées de ces missions suicidaires avaient eu plus d'impact que ce que j'avais imaginé.

Je lui offris un sourire doux et hochai légèrement la tête.

-Mes partiels se sont bien passés aussi, mais je suis bien content d'être en vacances !

Bon, pas pour la boutique, et il fallait avouer que les journées étaient bien longues sans Pandora, mais au moins je pouvais me débarrasser de la partie cours et révisions, et ce n'était pas si mal.

-Je crois que c'est de la nourriture libanaise qu'ils proposent à la cafétéria aujourd'hui, on y va ensemble ?

Tu me raconteras ce qui te force tant à te renfermer. Si tu y arrives. Si tu en as envie... Dans tous les cas, ce que je veux te montrer là, c'est que je suis là pour toi Pando.

-Qu'est-ce que tu as prévu de faire pendant tes vacances ?

Je vois l'inquiétude se peindre sur les traits de mon ami alors qu'il me sourit doucement. J'aimerais pouvoir dire que je suis contente d'être en vacances moi aussi, mais c'est faux, alors je ne dis rien. Allen me propose d'aller manger à la cafétéria et je grimace légèrement. Sortir, mmh.

"Euh, oui d'accord, on peut. Je n'ai jamais mangé libanais, je crois."

J'espère juste que c'est léger. C'est dingue comme mon appétit est dépendant de mon humeur, en ce moment rien que la vue du gras me rend malade.

"Je sais pas trop, j'ai rien de prévu... J'avance un peu au radar ces derniers temps, je t'avoue... Et toi, tu as des plans particuliers ?"

Je pense qu'il aura bien remarqué que je suis en mode loque, hein. Je me racle la gorge, baisse les yeux sur ma tenue - un vieux jogging et sweat-shirt assorti, qui ne sont plus très propres.

"Ca te va si on se rejoint d'ici... Je sais pas, une quinzaine de minutes ? Faut que j'me rafraichisse un peu, si on sort. Tu me raconteras ce que t'as de prévu sur le chemin."

Et il faut que je me prépare mentalement aussi, à la conversation qu'on risque d'avoir. C'est qu'il m'a un peu prise au dépourvu quand même ! On convient de se retrouver dans le couloir une fois prêts, et je file directement à la douche une fois la porte refermée.

Je me lave les cheveux tant que j'y suis, pleure doucement alors que l'eau coule sur mon visage. Respire, ça va aller. Une fois propre, j'enfile un jean troué et un pull à capuche noir trop large - ça cache un peu que j'ai perdu du poids, mais bon c'est écrit sur ma gueule de toute façon. Je ne prends pas la peine de me maquiller, juste un peu de fond de teint et d'anti-cernes pour me donner meilleure mine - c'est pas ouf, mais au moins je ne fais plus peur. Une vingtaine de minutes plus tard, les cheveux toujours humides, je sors de ma chambre pour aller toquer à la porte du brun.

"Voilà, j'suis prête, on peut y aller si toi aussi ?"

C'est un peu à reculons que Pandora accepta, mais elle accepta. Et c'est ce que j'avais besoin d'entendre, après avoir été plus ou moins repoussé pendant plusieurs mois.

Elle m'informa qu'elle n'avait pas grand chose de prévu, mais cette fois-ci elle n'inventa pas une excuse pour qu'on écourte au maximum notre entrevue. Elle fit ensuite un bref état des lieux de sa condition, et me demanda quelques minutes pour se préparer avant de sortir, aussi acceptais-je sans chercher à lui dire qu'elle pouvait bien sortir dans la tenue qu'elle voulait, tout le monde s'en ficherait.

Elle referma alors la porte de sa chambre et je rejoignais la mienne pour patienter. Je traînai sur mon téléphone, scollant les différents réseaux sociaux, continuant à suivre les #terrae du monde et de l'établissement sans grand intérêt. Les rumeurs s'étaient un peu calmées ces dernières semaines, le temps ayant une nouvelle fois agi en notre nom. Oh bien sûr, les autorités n'étaient probablement pas dans la même situation que la population, mais puisqu'il suffisait d'un tremblement de terre en Turquie pour détourner l'attention de nous, on n'allait pas être exigeant, et ça nous laissait bien un peu de repos.

Une vingtaine de minutes plus tard, j'entendis quelques coups être frappés à ma porte et je me redressai immédiatement pour aller ouvrir à la brune. Un sourire doux étira mes lèvres alors que je constatai que la couleur de son teint avait changé, bien que ses joues soient toujours creusées.

-Allez, en route ! C'est la première fois que je mange libanais aussi, mais ça a l'air plutôt sympa.

Je lui offris un sourire avant de prendre le pas, refermant machinalement ma porte de chambre derrière moi sans prendre la peine de la fermer à clé -pour le coup, j'ai quand même jamais entendu parler de vol ici, à Terrae, aussi étrange que ça puisse paraître.

-Cet après-midi, je m'étais dit qu'on pourrait aller chez le coiffeur. Faut que je coupe un peu, j'ai trop laissé pousser avec les révisions ! Et tu peux venir avec moi, faudrait un peu entretenir ton carré non ?

C'est une tentative comme une autre.

-J'avais pris ma semaine au travail pour être tranquille pour les exams, alors je suis assez libre. Au fait, comment ça va, ton chat ?

Ce fruit du démon, rappelons-le.

-J'ai renouvelé mes abonnements de streaming aussi, donc on peut regarder un film dans ma chambre si tu veux.

Oui, parce que mon après-midi, c'est avoir toi qu'elle se passe, si tu ne l'avais pas encore compris.

Une fois plus ou moins présentable, je vais frapper à la porte du brun et nous nous mettons en route vers la cafétéria. Il me propose de passer chez le coiffeur cet après-midi, et je touche distraitement mes cheveux à la mention de ma coupe, qui aurait effectivement bien besoin d'être entretenue. J'ai complètement laissé ma tignasse à l'abandon ces derniers mois, mon carré n'en est plus vraiment un et a légèrement dépassé mes épaules.

"C'est une bonne idée, ça ressemble plus vraiment à un carré en fait... Tu vas faire quoi, ta coupe habituelle ?"

La conversation a clairement du mal à démarrer - depuis quand on discute de nos préférences capillaires, lui et moi ? Et voilà maintenant qu'il me demande des nouvelles de Scar, alors que je sais très bien qu'il ne l'aime pas, mon chat ! J'me souviens encore de sa réaction la première fois qu'il l'a vu, hein.

"Il va bien, il reste à l'intérieur avec moi la plupart du temps. Il me ramène des souris et des oiseaux quand il sort, j'ai toujours un peu peur qu'il finisse par choper un Morphe..."

L'angoisse quoi - mais heureusement, ma boule de poils a tendance à ramener ses proies encore en vie. Pas très fraîches, mais récupérables si jamais... J'pense qu'il essaye de me faire des cadeaux parce qu'il sent que je suis pas en forme - mais juste l'avoir avec moi quand je suis au plus mal, roulée en boule dans mon lit, ça m'aide un peu. J'ai l'impression de ne pas être totalement seule, sans pour autant avoir à faire l'effort de parler avec quelqu'un. Comme maintenant - parce que ouais, même si cette conversation est nulle, elle me demande pas mal d'efforts en fait. Je n'ai pas échangé autant de mots avec qui que ce soit d'autre que ma psy depuis des semaines.

"Si tu veux... Ils ont sorti des trucs bien dernièrement ? J'ai commencé la série Supernatural, ça date un peu mais j'avais jamais vu..."

C'est pas mal - les acteurs sont beaux gosses, y'a des monstres, des trucs surnaturels (quelle surprise), ça m'évite de penser aux horreurs de la vie réelle, c'est très bien. Nous arrivons ensuite à la cafétéria, et je m'arrête quelques instants devant le panneau qui affiche le menu.

"Ca te dit de prendre deux plats différents et de partager ? A moins que tu saches déjà ce que tu veux ? J'reconnais aucun des noms."

En même temps, la cuisine libanaise j'crois que c'est pas hyper courant ni connu. Mais en tout cas, ça sent bon dans la cantine.

Bon. Il faut bien reconnaître que la conversation ne vole pas très haut. Entre les coupes de cheveux et les histoires de son chat, on a déjà connu plus vivant comme discussion. Faut dire aussi que c'est souvent Pandora qui l'anime, la discussion. J'suis plutôt le grincheux qui n'est jamais trop content avec ce qu'elle dit et propose. Pas évident de devoir changer de rôle ; je suis pas sûr que ce soit fait pour moi, d'être sociable.

-Ouaip, raccourcir un peu, juste histoire de pas avoir mes cheveux dans les yeux !

Un sourire étira doucement mes lèvres alors qu'elle me parlait des proies que ramenaient son chat. L'idée qu'il puisse un jour s'agir d'un Morphe me fit légèrement rire. Je n'y avais jamais vraiment pensé... Mais c'est vrai que ça aurait été bien fâcheux. En fait, c'est pas si facile que ça d'être Morphe. Imaginez un peu que votre seul transformation au début soit... le poisson. Quelle lose. Le pouvoir totalement impossible à maîtriser. Impossible de s'entraîner mis à part à la piscine ou dans le lac. Et encore, à la piscine, avec tous les produits dans l'eau, ça me semble un peu risqué. Dans le lac... Bah, j'suis sûre qu'il y a d'autres prédateurs énervés. Genre les humains avec leurs cannes à pêche.

-Et comment tu fais pour le laisser sortir ? Il se balade tout seul dans les communs jusqu'à la sortie, ou alors tu le descends toi-même dans la cour ?

Est-ce que cette conversation semble un peu forcée ? Oui. Mais pour autant, elle a le mérite d'exister, et c'est toujours ça de pris après plusieurs mois de silence.

-On peut regarder Supernatural, ça me va bien ! J'avais fini par arrêter de regarder à un moment, mais j'ai regardé une bonne partie des saisons avant d'arrêter.

Et puis au moins, ça nous faisait encore un peu plus de temps ensemble, sans même avoir besoin de parler pour combler le vide. Juste être ensemble, profiter de la présence de l'autre, lui montrer que je serais là, peu importe ce qu'elle a l'air de traverser.

-Ok, alors... On peut prendre ce truc, là, le... Je sais pas comment on dit ? M... jaddarah ? Bon, t'as compris, le truc avec les lentilles là. Et quoi d'autres... Tiens, les feuilles de vigne, là. Ca te va ? Ce n'est pas trop lourd en plus.

Parce que bon, vu ton état et tes joues creusées, je sais même pas si ça va être un véritable 50-50 ce repas, ça va plutôt être du 80-20 je pense...

"T'as pas envie d'essayer autre chose, pour changer ? J'crois que je t'ai toujours vu avec la même coupe..."

Mais il me semble avoir vu des photos où il avait les cheveux blonds décolorés, à une époque - le brun lui va mieux, je trouve. Mais j'me demande si ça lui irait, une coupe genre skin fade. Je hausse ensuite une épaule à sa question sur Scar.

"Je laisse la fenêtre ouverte, il monte sur le toit ou il va se planquer dans les arbres, y'a une branche qui arrive presque à ma fenêtre, c'est pratique... J'devrais peut-être installer une chatière sur ma porte, tu crois qu'on peut ?"

Vu les histoires que j'ai entendues autour de portes dans cet institut, je pense que faire un petit trou pour accommoder son animal de compagnie, ce n'est pas la mort. Allen me propose ensuite de regarder ma série tous les deux cet après-midi, au lieu d'un film. L'un ou l'autre, franchement... Tant que c'est pas un truc de guerre.

"D'accord, on peut. J'suis à la saison 8 là, quand ils font les épreuves pour essayer de refermer les portes des Enfers - t'as vu jusque là ?"

Au pire, ce n'est pas très difficile à comprendre ce qui se passe, même en ayant raté quelques épisodes - les deux frères s'engueulent et se rabibochent, et entre temps ils tabassent des démons et autres monstres. Voilà, easy. Sur ce, nous arrivons à la cantine, et je laisse mon ami plus ou moins décider quoi manger, hochant simplement la tête pour montrer que je suis d'accord. Il m'aurait pointé deux plats différents que ma réaction aurait sans doute été la même... Tant que c'est pas du poisson, ça devrait aller.

Une fois nos plateaux-repas récupérés, je scanne la salle du regard pour trouver une place libre. C'est relou, y'a du monde là. Je regarde pas la fenêtre - il y a un petit rayon de soleil, autant en profiter. Pas sûre qu'il fasse très chaud, mais bon.

"Tu veux qu'on aille manger dans la cour ? Profiter un peu du printemps, tout ça..."

Fuir les gens, surtout. Bon, je fuis un peu le soleil aussi ces derniers temps, mais à choisir je préfère le second.

Essayer autre chose me demanderait trop de réflexion je crois, et je ne suis pas certain d'être suffisamment investi dans mon style capillaire pour y accorder le temps nécessaire. Aussi, la réponse la plus simple sera...

-Alors je te laisserai dire à la coiffeuse ce qu'elle doit me faire !

A la mention d'une chatière, je grimaçai un peu. Nan mais j'ai tout de suite eu l'idée en tête d'un truc transparent qui serait une énorme ouverture hyper intrusive dans sa chambre. Pas que je fasse pas confiance aux gens, mais en plus j'suis sûr que ça réduit l'isolation une chatière non ? Merci le bruit quand les gens rentrent bourré le soir et se tapent partout dans les couloirs alors que t'essaie de dormir parce que tu te lèves tôt le lendemain matin. Et si je les entends autant sans avoir de chatière, qu'est-ce que ça doit être avec une chatière !

-Hmm... J'sais pas vraiment si ce serait une bonne idée... En plus ça te demande du bricolage, de couper la porte pour faire l'ouverture... Porte que tu devras donc changer quand tu rendras ta chambre quand tu seras Master... C'est beaucoup de problèmes pour peu de résultat non ? Si ça fonctionne déjà bien en ouvrant juste ta fenêtre ! Il a déjà pris l'habitude en plus.

Puis bon, vu la dégaine du chat, ça ne m'étonne qu'à moitié qu'il soit capable de sortir et de rentrer aussi facilement en passant par une fenêtre malgré le nombre d'étages qui nous séparent du sol, ça se voit d'entrée de jeu qu'il a une tête de bandit.

-Je crois que je me suis arrêté à peu près là en plus, donc parfait ! Et puis s'il me manque quelques infos, tu me feras un résumé !

Nous récupérâmes ensuite nos plateaux et, une fois armés de ces deux assiettes généreusement remplies, Pandora se tourna vers la salle, visiblement bondée de monde. Oui, bon, faut dire aussi qu'on est là pile dans les heures de pointe pour le coup. Je hochai la tête, ajoutant tout de même.

-Ca me va mais alors vraiment j'veux être en plein soleil alors.

Frileux, moi ? Juste un peu. Mais l'avantage d'être Air, c'est que quand il commence à faire beau mais que le vent souffle... Ben tu peux te protéger du vent et juste savourer la chaleur encore timide du soleil du printemps.

Une fois installés à l'une des rares tables qui avaient été installés dans la cour pour marquer l'arrivée du printemps, je me saisis de mes couverts.

-J'te propose de commencer à manger et quand on sera à la moitié de l'assiette, on pourra échanger !

Bien plus pratique que de devoir mélanger directement dans l'assiette, si vous voulez mon avis.

Je relevai mon regard vers Pandora après avoir avalé ma première bouchée, et me lançai enfin.

-Comment tu te sens, quelques mois après tout ce qu'il s'est passé ?

Je hausse un sourcil à la réponse d'Allen - ah oui, il me laisse carrément choisir ? J'ai du mal à dire s'il s'en fout complètement ou s'il essaye de me remonter le moral, là. Mais je ne vais pas me faire prier hein.

"Ok, ben va pour un skin fade alors, j'suis curieuse de voir ça sur toi... J'suis sûre que ça t'ira bien !"

En même temps, avec un visage comme le sien, il faut déjà y aller pour le rendre moche hein. Le brun grimace légèrement à la mention d'installer une chatière - ok, idée de merde visiblement. Il suffirait de refourguer la chambre à quelqu'un qui a un chat aussi ? Ouais, non, c'est plus d'emmerdements qu'autre chose, il a raison.

"Mmh ouais c'est vrai, ça n'a pas l'air de le déranger de sortir par la fenêtre. Puis au moins comme ça, je suis sûre qu'il ne traîne pas dans les couloirs et aille miauler aux portes des autres..."

Parce que bon, je ne voudrais pas que quelqu'un pense qu'il est abandonné et décide de recueillir mon chat quoi. C'est une gros sac, je l'imagine très bien aller miauler et quémander de la bouffe chez tout le monde hein !!

Je hoche ensuite la tête quand Allen mentionne qu'il s'est arrêté à ce moment-là de la série - mmouiii je le suspecte un peu de dire ça juste pour être arrangeant. Il est mignon, en vrai je suis sûre que je pourrais proposer de regarder n'importe quel navet et il dirait oui. J'crois qu'il a juste envie de garder un oeil sur moi, maintenant que j'ai enfin accepté de sortir de ma tanière - je ferais pareil si les rôles étaient inversés.

Quelques minutes plus tard, nous récupérons nos plateaux-repas à la cafétéria, avant de sortir dans la cour pour nous installer sur l'une des rares tables disponibles. Il n'y a quasiment personne dehors, c'est parfait.

"Ca va, il fait plutôt bon au soleil, les Japonais sont trop frileux hein ! Et d'accord, on fait comme ça. J'suis pas sûre de manger la moitié, ils ont mis des grosses portions là..."

Je ne mange plus des masses hein moi, rien que la vue de l'assiette me donnerait presque des nausées. Ca sent bon hein, c'est juste la quantité de bouffe quoi... Allen attaque son assiette et je l'imite, mâchant chaque bouchée longuement avant d'avaler. Il décide finalement d'aborder le sujet qui fâche, et je hausse une épaule en réponse à sa question. Ca ne servirait à rien de lui raconter des salades, c'est marqué sur ma tête que c'est pas la grande forme...

"Pas très bien... Les rendez-vous chez la psy aident un peu, mais j'ai du mal à... Je sais pas, juste reprendre ma vie là où je l'avais laissée, j'imagine ? Je fais beaucoup de cauchemars encore, je dors pas très bien. D'où la tête hein..."

J'essaie de sourire un peu, mais finis par esquisser une espèce de grimace à la place.

Un skin fade... Ouais, franchement, il n'y a que Pandora pour avoir ce genre de plan pour moi. Et après toutes les vidéos que j'ai pu voir passer ici et là sur les réseaux sociaux -il faudrait vraiment que je règle ce problème, je finis vraiment par regarder n'importe quoi, bientôt je vais même être capable de me maquiller- j'ai un peu de mal à m'imaginer avec ce genre de coupe... Mais bon, on peut bien essayer, hein. Si ça va pas je m'armerai d'un bonnet. Ou d'une casquette, puisque le printemps est déjà là.

Frileux, nous, les japonais ? Désolé, tout le monde n'a pas vécu en Angleterre, où il pleut sans arrêt. Oui, je sais que c'est un mythe, non, je ne retirerai pas cette pique mentale. J'adressais malgré tout un sourire à la brune, et hochai la tête quand elle accepta que nous partagions les assiettes directement lorsque nous arriverions à la moitié. Enfin, moi quand j'arriverais à 75% et elle à 25%. Oui, le message a été compris.

Je restais silencieux, mâchant lentement ma nourriture alors que Pandora répondait à ma question visant... un peu à crever l'abcès, quelque part. Il allait bien falloir en parler un jour, je suppose... Enfin, non, ce n'était pas ce que je voulais dire. Elle n'était absolument pas obligée de m'en parler. Mais on ne pouvait pas faire comme si ce n'était pas arrivé, et reprendre notre vie en passant ça sous silence.

-Si tu as besoin de parler, à n'importe quelle heure, tu sais que tu peux toujours frapper à ma porte.

Que proposer d'autre à quelqu'un qui continue à faire des cauchemars ? Et qui ne va visiblement pas bien, comme elle le souligne si bien ? Je n'étais pas vraiment reconnu pour mon talent pour rassurer et remonter le moral de mon entourage.

-Ca tombe bien, parce que c'est les vacances !

Bon, il y avait bien le travail à la boutique, mais bon, sans les cours à préparer et réviser en parallèle, c'était tout de même bien plus tranquille.

-Tu veux me raconter un peu ce qu'il s'est passé ?

Une fois installés dehors, nous commençons à manger - en silence d'abord, jusqu'à ce qu'Allen décide de crever l'abcès. En vrai, il a fait des progrès au niveau de la communication, y'a quelques années j'crois qu'on aurait pu passer tout le repas - voire même toute la journée - en tournant autour du pot, sans jamais aborder l'éléphant dans la pièce. Et du coup, l'éléphant, c'est moi. Et ma tête de déterrée. Et il faut croire que j'ai fait des progrès aussi, parce que je lui avoue que je ne vais pas bien depuis la mission. Que je n'arrive pas à reprendre les choses là où je les avais laissées avant de partir. Mon ami me rappelle qu'il est là pour moi, quel que soit le moment.

"Je sais... Mais j'le mérite pas."

Je ne mérite pas qu'il se fasse du souci pour moi, je ne mérite pas son soutien, son amitié. Je ne le mérite pas lui. Parce que malgré tous ses défauts et ses bizarreries, Allen est quelqu'un de bien... Et moi pas. Plus. Je sens ma gorge se serrer, et repousse doucement l'assiette alors que je n'ai mangé que quelques bouchées. Je secoue la tête à sa question.

"Non. J'vais pas y arriver. Pas tout de suite."

Parce que je vais m'effondrer si je commence à en parler, et là on est au milieu de la cour en train de manger, et puis après on est sensé aller chez le coiffeur, alors bon... Ce n'est ni le lieu ni le moment. Je relève le regard vers mon ami avec un sourire triste.

"Tu sais, j'avais jamais trop compris pourquoi tu es autant... Sceptique, par rapport aux pouvoirs. A Terrae tout court. J'crois que je comprends maintenant. Et j'aimerais pouvoir revenir en arrière... T'avais raison, j'aurais pas dû y aller."

J'ai voulu jouer les héros, et on est revenu victorieux... Mais à quel prix ?

Je fronçai les sourcils alors que Pandora mentionnait l'idée stupide de ne pas mériter mon soutien. Enfin, l'idée était là, même si c'était pas exactement ces mots qui étaient utilisés.

Elle repoussa son assiette après y avoir à peine touché, et je sentis mon estomac se tordre un peu. Ouais, il allait vraiment falloir plus que juste une nouvelle coupe de cheveux et une après-midi série pour récupérer ce qu'elle avait perdu. En même temps, c'était assez prévisible ; ce n'est pas parce qu'on met un pansement sur une plaie qu'elle guérit instantanément.

Je ne dis cependant rien, même quand elle refusa d'en parler, parce que c'était une réponse que j'attendais de toute façon. En revanche, je ne pouvais pas rien dire quand elle valida mon point de vue sur Terrae avec une voix si pleine de regret.

-Mon point de vue ne reflète pourtant pas une vérité absolue, et même moi j'en ai conscience.

Terrae est terrifiante. Ses pouvoirs, sa supériorité absolue... La peur qu'elle fait naître dans le monde est totalement justifiée. Mais tout pouvoir peut être utilisé à des fins différentes. Certains chercheront la destruction. D'autres ne cesseront de l'utiliser pour faire le bien. Et même si je reste sceptique, même si j'ai toujours autant de mal à l'envisager, je sais que c'est un véritable fait. Nombreuses sont les missions visant uniquement à aider les autres. A apporter un soutien, à partager ce que nous avons pour de bonnes raisons. Et la lutte contre le Centre, bien qu'elle soit violente et apporte son lot de souffrance à tous ceux qui décident d'y prendre part, vise en réalité à détruire cette organisme qui a choisi, lui, d'utiliser les pouvoirs à des fins destructrices.

Bien sûr que la vie serait bien plus simple si Terrae n'avait jamais existé, si les pouvoirs n'étaient pas apparus, si tout ça n'existait pas. Mais les choses se sont passées autrement. Et maintenant que nous sommes ici, nous ne pouvons qu'essayer d'oeuvrer pour les causes qui nous semblent justes.

-Tu as eu l'occasion de discuter avec les personnes qui sont revenues du Centre, depuis que tu es rentrée ?

C'était bien l'objectif premier de cette mission à grande envergure, non...? Ramener ces enfants et adolescents récupérés par le Centre et destinés à devenir des armes ?

Je hausse une épaule à la réflexion d'Allen. Son point de vue négatif de Terrae n'est peut-être pas une vérité absolue, mais c'est une vérité quand même, que j'me suis mangé en pleine face avec tant de violence que j'ai du mal à voir autre chose depuis.

"Peut-être... Mais j'nous avais jamais considéré comme des monstres avant. Maintenant si... Et j'comprends que beaucoup de gens pensent pareil."

Surtout ceux à l'extérieur, qui n'ont aucun pouvoir et seraient totalement à notre merci en cas de conflit. Je comprends qu'ils nous regardent d'un mauvais oeil et qu'ils aient peur de ce dont on est capable. Les plus malins essayent de nous avoir dans leur camp plutôt qu'en tant qu'ennemis - mais si j'avais tendance à penser que c'était par ouverture d'esprit, maintenant je me dis que c'est une décision sans doute dictée par la peur, et l'appât du gain. Parce que les pouvoirs des Terraens peuvent se montrer carrément utiles, évidemment.

"Je sais bien que le Centre est un organisme terroriste horrible, qu'on a réussi à sauver pas mal d'enfants de leurs griffes avec cette mission... Mais on a beau se chercher toutes les excuses et justifications qu'on veut, au final ça ne change rien. Ce qu'on a fait là-bas, c'était monstrueux."

Et ça a remis en question tellement de choses pour moi. J'ai vu mes valeurs et convictions voler en éclat, j'ai vu ce dont j'étais réellement capable quand je suis poussée à bout... Et j'aurais préféré rester dans l'ignorance, je crois. Je secoue la tête légèrement à la question de mon ami.

"Non... J'ai pas cherché à le faire non plus. J'aimerais bien reparler de ce qui s'est passé avec les autres membres de mon équipe, mais j'en ai pas encore eu le courage."

Je ne sais pas quel est leur point de vue sur tout ça, mais au moins je sais qu'on a vécu la même chose. Et j'me demande si l'expérience les a autant retournés que ça a été le cas pour moi, ou si c'est juste moi qui étais trop naïve et idéaliste.

"Tu as fini ta portion ?"

Je demande en pointant vers son assiette. Non, j'ai pas faim, mais si ça permet de changer de sujet, j'suis partante pour me forcer à manger quelques bouchées de plus.

Oui, on est des monstres... Mais même les monstres peuvent avoir un bon fond. Je serrai les dents, un peu mal à l'aise dans cette discussion. Peut-être parce que je n'aimais pas l'avoir dans ces conditions. Je n'aimais pas en parler alors que Pandora était encore retournée par ce qu'elle avait vécu, alors qu'elle ne voyait que le côté négatif des choses, ce qu'elle n'avait jamais fait auparavant. C'était celle qui me forçait à revoir constamment mon jugement, même si je ne le disais pas. C'était elle qui me poussait à voir du bon dans tout ça, elle et mes autres amies, mais surtout elle. Elle m'entraînait en mission, parce qu'on pouvait sauver des vies, sans en arracher d'autres. Elle me demandait de s'entraîner ensemble pour devenir plus forte afin d'aider les autres. Elle visait toujours le bon côté de la balance, et me forçait à retirer quelques poids du mauvais côté de ma balance en me montrant Terrae sous un plus beau jour.

Ce n'était pas des paroles que je pouvais entendre dans la bouche de Pandora. Et je n'étais absolument pas la personne la mieux placée pour la soutenir alors qu'elle touchait le fond à ce point.

Je baissai les yeux sur mon assiette alors qu'elle me demandait si j'avais fini ma portion. Bon, nous pouvions changer de sujet au moins...

Je n'avais vraiment servi à rien, là.

-Oui, tiens, dis-je dans un faible sourire en tendant le bras vers son plat pour échanger nos assiettes. Tu verras, c'est super bon, et pas trop relevé !

Le regard sur l'assiette encore quasiment pleine que je venais de récupérer, je serrai un peu le poing sur ma fourchette. C'était agaçant, vraiment, cette inutilité.

-Tu sais Pando... J'peux pas prétendre savoir ce que tu as traversé. Mais je sais que tu l'as fait pour des valeurs qui comptaient à tes yeux. Et qui étaient des valeurs justes et honorables. Je sais pas ce qui s'est passé, mais... Mais peu importe ce que tu as du faire, tu l'as fait parce que tu n'avais pas le choix. Parce que c'était toi ou eux... Et qu'eux sont fermés au dialogue et n'acceptent que la confrontation armée. C'était même pas toi ou eux, c'était vous ou eux. Tu as défendu, protégé, soutenu ton équipe...

Je poussai un soupir, bien peu convaincu par mes paroles.

-Et si t'as besoin d'en parler, à n'importe quelle heure, je suis là. Même si je te l'ai déjà dit, je te le re-dis.