Allen m'écoute en silence. Je vois qu'il est mal à l'aise, je sais bien ce qu'il n'aime pas parler de tout ça - et ça doit sûrement lui faire bizarre de m'entendre dire ça alors que j'ai justement passé les 6 dernières années à essayer de le convaincre du contraire. Mais là, j'sais plus, je suis un peu perdue. C'est beaucoup trop tôt pour que j'arrive à relativiser - j'suis pas non plus convaincue que j'y arriverai de nouveau un jour, même avec du temps.

Il attrape au vol mon changement de sujet un peu maladroit et on échange nos assiettes. Je n'arrive pas à répondre à son sourire mais hoche doucement la tête à son commentaire sur le plat - ça sent bon en tout cas, c'est dommage que j'ai la gorge trop nouée pour réussir à manger ne serait-ce qu'une bouchée. Je joue avec ma fourchette dans l'assiette, gardant les yeux rivés dessus alors que le brun reprend la parole. Mon estomac se tord, je serre les mains sur mes couverts à m'en faire blanchir les jointures.

"Je sais bien tout ça..."

Je relève finalement mes yeux plein de larmes vers les siens. Je me bats contre moi-même pour les empêcher de couler et continue de parler, la voix tremblante.

"Je le sais bien, et c'est d'ailleurs la seule chose qui m'empêche de sombrer totalement. J'pensais que j'étais prête pour cette mission, tu sais, prête à faire face à ce qui nous attendait, prête à faire ce qu'il fallait et tout donner pour qu'on réussisse notre objectif... Et c'est exactement ce que j'ai fait. J'ai tout donné, Allen."

Les larmes commencent à couler doucement le long de mes joues, mais je continue quand même. Il faut que ça sorte, et ça ne fait pas du bien, mais peut-être que ça ira mieux après.

"J'ai tout donné et j'ai plus rien. J'avais pas anticipé les conséquences, j'étais prête pour la mission mais pas pour l'après... J'me suis même jamais posé la question de ce que ça me coûterait de me battre pour mes convictions. Ce qui s'est passé là-bas, ça a brisé quelque chose en moi, quelque chose que j'suis pas sûre de réussir à réparer... J'me sens tellement plus vide que quand j'ai débarqué ici, si tu savais, j'pensais même pas que c'était possible."

Et j'pensais pas non plus que je me haïrais autant un jour. Et je ne sais pas comment faire pour continuer à vivre avec ce poids sur mes épaules.

Mon coeur se serra alors que Pandora extériorisait tout ce qu'elle avait sur le coeur, les larmes naissant au bord de ses yeux avant de commencer à couler le long de ses joues.

Bien sûr que mes paroles étaient stupides. Bien sûr que ce n'était que des paroles qu'on dit quand on ne sait pas quoi dire pour réconforter quelqu'un. Bien sûr que je n'avais pas la moindre idée de ce qu'elle avait ressenti à cet instant-là, et de ce qu'elle ressentait encore maintenant.

Mais qu'est-ce que je pouvais bien faire d'autre ? Je voulais l'aider, mais je n'avais rien pour le faire. Je n'avais jamais connu ça, m'étant toujours gentiment caché dans un coin lorsqu'il y avait la moindre responsabilité à endosser. Je me revois même encore il y a trois ans, lors de cet attentat mené sur Terrae, à regarder de loin les Masters essayer d'agir, de calmer les foules, calmer la panique ambiante, et moi posté loin de tout ça, sur mon téléphone, à regarder déjà les infos qui fuitaient sur internet concernant cette explosion. Je n'ai jamais été quelqu'un de particulièrement courageux, et j'ai même plutôt toujours été lâche. Je n'aurais jamais eu la prétention de pouvoir aller à une mission comme ça, parce que je n'ai tout simplement pas la même force mentale que Pandora, que je n'ai pas ses convictions ; parce que je suis seulement un type lambda, bien peu axé sur le positif, énormément penché sur l'inactivité et la passivité, l'observation et le silence.

Et c'est bien pour ça que contrairement à elle, je n'évolue pas. Je n'avance pas. Je ne fais que faire du sur-place, si ce n'est des retours dans le passé en permanence pour tenter de comprendre pourquoi tout va toujours aussi mal avec moi.

-Tu n'as pas "plus rien" à mes yeux, lâchai-je enfin.

Je marquai une pause, ne sachant pas vraiment où ces mots allaient me mener. Je ravalai ma salive, posant délicatement ma fourchette sur mon assiette.

-Tout ce qu'on fait laisse une trace dans notre vie. Parfois la cicatrisation est plus longue mais ça ne veut pas dire qu'elle n'arrivera pas. Enfin, nan, c'est pas c'que j'veux dire...

Je soupirai. Fermai les yeux pour les rouvrir et porter mon regard sur Pandora.

-T'as vécu un truc incroyable - incroyable dans le sens où t'aurais jamais pu croire ça possible. Et pourtant c'est arrivé et... Et je sais pas quoi te dire Pando. Je sais que là ça va pas, que je suis personne pour te promettre que ça ira à nouveau à jour, mais pourtant j'ai la certitude que même si ça prend du temps, tu ne pourras en ressortir que grandie. Parce qu'avec cette expérience, t'as vu, t'as découvert, et t'as appris tout un tas de choses dont la majeure partie des personnes ici n'ont pas conscience. Et que grâce à ça, grâce à toi, ben y'en a plein qui pourront être mieux préparés si d'autres missions de ce type sont lancées un jour. Que grâce à ça, quand tu seras Master, tu seras encore plus formidable que tu ne l'es déjà, parce que même si c'est une expérience particulièrement douloureuse, ça t'a ouvert les yeux sur tout un tas de choses, que bien d'autres ne voient pas.

Un ange passa, et je baissai les yeux sur ma fourchette posée sur mon assiette.

-T'es l'une des personnes les plus courageuses et les plus fortes que je connaisse. Est-ce qu'au moins tu te rends compte de ce que tu as accompli lors de cette mission ? Avant de devenir à Terrae, t'étais une adolescente ordinaire. Et puis t'es arrivée là. T'as toujours cherché à aller de l'avant, t'as remonté tes manches, t'as appris à maîtriser tes pouvoirs, tu les as utilisé pour faire le bien autour de toi, que ce soit au quotidien ou en mission. T'as jamais baissé les bras, et t'as toujours été là pour ton entourage, suivant tes convictions, sans pour autant jamais les imposer aux autres ; juste là pour épauler, guider, aider. T'as même pas idée de tout ce que t'as fait pour moi, sans même t'en rendre compte. Et puis tu t'es retrouvée dans cette mission, parce que tu voulais encore une fois aider, tu voulais faire de ton mieux pour épauler ceux qui en avaient besoin. Est-ce qu'au moins tu te rends compte du chemin parcouru ? Si on t'avait dit que t'étais capable de faire tout ce que tu sais faire maintenant il y a dix ans, est-ce que t'y aurais cru au moins ? Non, bien sûr que non, parce que c'est tout simplement dingue. Alors oui, t'es cassée, oui, c'était un truc super dur à vivre, mais c'est normal. J'sais même pas ce que je pourrais dire de plus, j'ai toujours été particulièrement nul dans ce genre de situation... Mais juste, juste... T'es vraiment quelqu'un de bien Pando. Et ça me fait mal de te voir remettre ça en question à cause d'une Organisation complètement inhumaine.

Je parle, je pleure, et Allen ne me lâche pas des yeux. Et c'est rare, lui qui est du genre à détourner le regard à chaque fois qu'une conversation devient un peu difficile. Je crois que ça me fait du bien, qu'il regarde ma douleur en face - parce que moi, j'ai encore du mal à le faire. Je vais mal, mais j'ai l'impression de ne pas en avoir le droit, de ne pas mériter d'aller mal, pas après ce que j'ai fait. Je ne mérite rien du tout. Et j'aimerais le croire quand il me dit que ça finira par aller mieux, mais pour le moment ça me semble tellement impossible...

Je tique quand il parle de "quand je serai Master". Est-ce que j'ai seulement envie de le devenir ? Je crois que c'est ce que je voulais, avant, mais maintenant... Je ne sais plus. Je ne me sens pas capable d'assumer cette responsabilité, de devoir participer à d'autres missions comme celle-là - et plus que d'y participer, de devoir les mener. Prendre les commandes, potéger les autres, les encourager, les rassurer, être un roc pour l'équipe comme Athéna l'a été pour nous - et franchement, je ne pense pas avoir les ressources nécessaires pour assumer un tel rôle.

Mes larmes, qui s'étaient taries un peu, recommencent à couler le long de mes joues au fur et à mesure qu'Allen parle. Mais ces larmes-là sont un peu différentes, moins acides, moins douloureuses. C'est facile et tentant de ne rien voir d'autre que le négatif quand on va mal et qu'on se sent coupable - mais il a raison. Il a raison, j'ai accompli beaucoup de choses sur mes 6 dernières années à Terrae, j'ai évolué bien plus que je ne l'aurais cru possible et j'ai aidé beaucoup de gens. Mais est-ce suffisant pour me racheter ? Je ne sais pas. Sans doute pas, mais ça ne veut pas dire que je dois arrêter d'essayer. Juste... Peut-être pas tout de suite, parce que je ne serais sûrement bonne à rien dans mon état actuel. Je m'essuie les yeux avec les manches de mon pull tout en reniflant un peu.

"Merci... Je- tu as raison. C'est facile d'oublier tout ça - tout ce qu'on a fait de bien. J'essaye de ne pas me laisser submerger mais pour le moment, c'est difficile... J'arrive plus à voir grand chose de positif. Et j'espère que tu as raison et que ça finira par passer, mais ça me semble tellement insurmontable quand j'y pense, et j'sais pas par où commencer. J'vais chez ma psy tu sais, toutes les semaines, mais j'ai pas l'impression que ça m'aide beaucoup. Elle... Je sais pas, j'ai juste le sentiment qu'elle ne peut pas comprendre ce que je traverse, pas vraiment. L'empathie a ses limites..."

Et c'est aussi en partie pour ça que j'aimerais parler à Athéna, à Elfie, aux autres personnes qui ont pris part à ces missions... Mais je ne me sens pas encore prête à l'affronter, je crois. Et je ne sais pas si je serai prête pour ça un jour, surtout.

"Je baisserai pas les bras. Je sais pas encore trop comment faire pour m'en sortir, mais j'veux que tu saches que je laisserai pas tomber, même si je sais que c'est l'impression que je donne en ce moment. J'ai juste... J'ai besoin de temps."

J'ai besoin de toucher le fond avant de pouvoir remonter, c'est comme ça que je fonctionne. Le seul problème, c'est que le précipice dans lequel je suis en train de m'enfoncer me semble sans fond - et j'ai peur de ce que j'y trouverai quand je l'aurai finalement atteint. Mais ce sera un problème pour un autre jour, et je crois que j'en ai eu assez pour aujourd'hui... Je tire mon assiette vers moi et me force à manger une bouchée.

"C'est plutôt bon le libanais."

C'est froid et j'ai la gorge serrée surtout, mais je fais un effort.

Les larmes se remirent à couler sur les joues de Pandora, me serrant le coeur. Est-ce que j'avais encore trop parlé, est-ce que j'avais encore dit quelque chose qui n'allait pas ?

Pourtant, quand elle reprit la parole, le poids qui me pesait s'allégea un peu. Je laissai un sourire étirer délicatement mes lèvres, parce que la seule chose que j'attendais, c'était ça. C'était l'assurance qu'elle ne baisserait pas les bras. Parce que sinon elle ne serait plus elle. Elle peut être faible par moment, on peut tous l'être. Mais la force de Pandora, c'est de toujours se relever et d'en sortir grandie.

Alors qu'elle ramenait son assiette vers elle pour prendre une petite bouchée, un rire léger m'échappa.

-C'est bon, mais ce sera un repas pour un test pour un autre jour je pense.

J'adressai un sourire à mon amie avant d'attraper son plateau, de me saisir du mien, pour les rapporter vers elle et revenir rapidement vers elle en lui tendant la main.

-C'est l'heure de passer chez le coiffeur maintenant. C'est toujours plus calme à la fin de la pause déjeuner, alors on va en profiter avant de devoir se taper une attente interminable !

Mon sourire s'étira légèrement alors que j'attendais qu'elle saisisse ma main pour l'entraîner avec moi en direction du village. Et aujourd'hui on prendra bien le bus parce que voler n'est pas une option, et marcher non plus.

-Je te fais confiance avec ma coupe, mais si je ressemble à rien je t'en voudrais terriblement, tu le sais ça ?

Allen me sourit, il n'ajoute rien. Il n'en a pas besoin, je vois la vague de soulagement dans son regard, et je sais déjà ce qu'il pense. Il croit en moi, il croit en ma capacité à me relever malgré les épreuves - et de savoir que lui n'a pas de doute là-dessus, ça atténue les miens, et ça me rend plus forte. Je me demande s'il le sait, que quand je suis au bout du rouleau, je pense à lui et ça me donne la motivation nécessaire pour continuer. Alors je lui souris aussi - juste un petit sourire timide, mais c'est déjà un début.

"Oui, tu as raison, c'est un peu froid là... Mais on pourra retenter la prochaine fois que c'est au menu."

Et cette fois, promis, je mangerai. Le brun débarrasse nos plateaux avant de revenir vers moi en me tendant la main. Et je la prends, naturellement, parce que son contact, aussi léger soit-il, me fait du bien. Je hoche la tête quand il propose d'aller chez le coiffeur, avant de tourner la tête vers lui et le toiser à sa réflexion.

"Déjà, ça ne risque pas d'arriver parce que j'ai des goûts infaillibles... Et puis en plus, avec un visage comme le tien, j'vois pas comment tu pourrais ressembler à rien."

Des fois, j'me demande s'il blague quand il dit des trucs comme ça, ou s'il n'a vraiment pas conscience d'être un super beau gosse. Il pourrait avoir n'importe qui, s'il était un peu plus sociable, vraiment !!

Nous arrivons rapidement chez le coiffeur, il n'y a effectivement presqu'aucun autre client, donc on peut se faire couper les cheveux en même temps - que c'est mignon. Je demande simplement une retouche jusqu'au menton de mon carré, avant de montrer une photo d'une coupe skin-fade à la jeune femme qui s'occupe d'Allen. J'lui montre juste à elle, pas à lui, ce sera une surprise !

Est-ce que pendant le trajet une boule de stress a commencé à naître puis à grossir dans mon estomac ? Oui, 100% oui. Est-ce que je regrette d'avoir proposé cette virée chez le coiffeur à Pandora ? Oui, et non, en fait je regrette d'avoir accepté de la laisser choisir ma coupe de cheveux, encore plus quand elle montre la coupe exacte qu'elle voudrait que j'ai à la coiffeuse sans me laisser voir aussi. C'est cruel, et terrible, et je me sens complètement démuni là maintenant. Est-ce que l'imprévu me fait angoisser ? Oui, il faut croire. Lol peut-être que c'est juste pour ça que je ne suis pas parti en mission avec tout le monde, parce qu'il y avait trop d'imprévus possibles. J'aurais dû être Voyant, ça m'aurait bien aidé, tiens.

Je déglutis et fermai les yeux alors que la coiffeuse allumait la tondeuse. WAAAAH mais je vais MOURIR. Imaginez si elle se rate en plus, et m'écorche le crâne ou. Ou j'arrête, stop, on respire, je sais déjà que malgré son état, une petite partie de Pandora jubile à l'idée de me voir paniquer comme ça pour ma coupe, et quelque part, est-ce que c'était pas aussi l'idée, de la faire ressentir un peu d'émotions positives quand même après tout ce qu'il s'est passé ?

Bon. On serre les poings. On inspire, on expire.

-Et voilà, c'est terminé !

QUOI DEJA MON DIEU C'EST

J'ouvris les yeux et croisai le regard d'un garçon aux yeux vachement similaires aux miens dans le miroir. C'est fou ça, j'me suis transporté dans le corps de quelqu'un d'...

-Mais c'est ma gueule ça ?!

Drop the mic' j'ai rien d'autre à ajouter déso.

J'avoue que, de voir Allen stresser sur le chemin du coiffeur, ça me procure un tout petit peu de plaisir sadique - c'est juste des cheveux, rien de bien grave, et puis de toute façon je suis certaine que ça lui ira super bien ! Et c'est con, mais ça me fait du bien de ressentir ça - un sentiment normal, habituel (oui écoutez, j'aime bien le martyriser gentiment, que voulez-vous, qui aime bien châtie bien).

Une fois au salon, l'une des jeunes femmes s'occupe de rafraîchir mon carré, alors qu'une autre s'affaire autour du brun. Ses cheveux tombent par paquet au sol, surtout là où elle passe avec la tondeuse - et lui qui ferme les yeux en serrant les poings là, mais quel drama king j'vous jure ! La coupe terminée, il rouvre les yeux, se regarde dans le miroir et... Je lâche un petit rire à sa réaction, avant de tendre le bras pour lui donner une petite tape sur l'épaule.

"Oh mais dis, arrête un peu, ça te va super bien ! N'est-ce pas qu'il est tout beau comme ça ?!"

Je prends les coiffeuses à parti, qui se sentent obligées de hocher la tête - en même temps, celle qui vient juste de lui couper les cheveux ne va pas dire que c'est moche, hein. Pour la peine, je paye pour nous deux, vu qu'il a accepté de se prêter au jeu. Et alors que nous ressortons dans la rue, je garde mon regard sur lui.

"Vraiment, je te promets, je dis pas ça dans le vent hein, ça te va super bien ! C'est pas agréable de changer un peu de tête, une fois de temps en temps ?"

Clairement, quand j'avais décidé de passer des longs cheveux au carré, je m'étais sentie une personne nouvelle - prête pour un nouveau départ bien nécessaire à l'époque. Peut-être que j'aurais dû opter pour une coupe un peu plus extrême, maintenant que j'y pense, j'aurais encore bien besoin d'un nouveau départ cette fois-ci...

"Bon, on rentre regarder la télé du coup ? Chez toi ou chez moi ?"

En fait, les coiffeurs, c'est un peu des personnes qui ont le pouvoir de nous changer en Morphe. En un claquement de doigt, hop, tu ressembles à quelqu'un d'autre. C'est fantastique. Et en même temps, hyper flippant. Ils ont tellement de pouvoir sur nous, pauvres mortels !

J'écoutais Pandora d'une oreille distraite tout en m'approchant du miroir pour regarder plus en détail ma nouvelle coupe, tournant la tête à droite et à gauche pour regarder les détails de ce crâne qu'on voyait PRESQUE MON DIEU. C'est pas un peu court ? Vraiment, non ? Genre, vraiment, Pando trouve ça bien ? Bon, elle est plus experte que moi, mais quand même, c'est court un peu j'ai l'impression.

Je n'eus pas vraiment le temps de réagir que Pando avait déjà payé pour nous deux. Je la suivis sans trop me faire remarquer jusqu'à la porte de sortie, remerciant quand même la coiffeuse avec un air maladroit, et... ET SENTIS LE VENT DANS MA NUQUE. ET SUR MON CRANE. C'EST DEFINITIVEMENT TROP COURT.

Je tournai la tête vers Pandora alors qu'elle reprenait la parole. Ok, on va déjà commencer par retirer cet air paniqué de mon visage.

-Si si c'est agréable, c'est... vivifiant. On sent plus du tout les choses de la même manière...

J'sais plus quoi penser. Il faut que je m'attribue un temps d'adaptation. J'étais pas prêt aussi là ! J'ai été pris de court par cette idée de nouvelle coupe, j'ai cédé, et maintenant j'suis pas mentalement prêt !! OUI il me faut au moins un mois pour me préparer à l'idée C'EST COMME CA j'suis pas impulsif moi, désolé les Tonnerres !!!!

-Chez moi ça te va ?

Parce qu'après tout, avec tout cet enfermement, peut-être que tu préfères encore garder ta chambre comme un petit cocon Pando, non ?

Bon, vraiment, Allen n'a pas l'air convaincu par sa nouvelle coupe - il ne dit rien mais JE LE VOIS OK, c'est écrit sur sa tête, on se connaît trop tous les deux ! J'insiste donc que ça lui va vraiment bien, et là il me sort que c'est... Vivifiant. Mais n'importe quoi ! Je ricane un peu en frottant l'arrière de sa tête, là où il est presque rasé.

"T'as froid au crâne ? Haha, mais t'auras qu'à mettre un bonnet, c'est pas grave ! Puis bon au pire tu sais, si vraiment t'aimes pas, d'ici un mois ou deux ça aura déjà repoussé hein... Tu seras pas obligé de faire la même coupe la prochaine fois !"

Même si. Voilà, il est BG, ce serait dommage ! Enfin, il l'était avant aussi, mais juste ça change un peu quoi. Depuis 6 ans que je le connais, il a toujours eu la même tête ! Le brun me propose ensuite qu'on regarde la télé dans sa chambre à lui, et je hoche doucement la tête. Bonne idée - c'est un peu le bazar chez moi, ça ressemble plus à une grotte qu'à une chambre, et ça ne doit pas sentir la rose non plus... Je me promets d'ouvrir les rideaux et la fenêtre, quand je rentrerai ce soir. Faire rentrer un peu de vie dans cette ambiance morose qui règne depuis des mois... J'ai bien fait de sortir, au final, ça me fait du bien de passer du temps avec Allen, de penser un peu à autre chose.

"D'accord, ça me va... T'as de quoi grignoter, chips, bonbons tout ça ? Ou on passe vite fait à l'épicerie avant de rentrer ?"

Parce que ce genre de cochonnerie, ça se mange sans avoir faim - et ça me fera sûrement du bien de me remplir un peu l'estomac, vu que je n'ai presque rien avalé au dîner... Ouais ouais, on dirait un gosse qui fait un caprice pour avoir un dessert alors qu'il n'a pas terminé son assiette, mais bon. J'ai le droit, ok ?

Naaan mais c'est bien de changer. Non ? C'est juste qu'il me faut un temps d'adaptation. Un temps d'adaptation d'un mois ou deux, justement... Genre quand y'aura plus rien. Nan mais en même temps, vraiment, ça peut être bien de changer, je pense ? Je sais pas, c'est trop d'informations d'un coup ! J'suis pas un homme du changement, j'suis casanier, j'ai besoin de me préparer aux changements, et ce matin, je me suis absolument pas dit que j'allais sortir de chez le coiffeur avec une tête pareille ! Mais si Pando dit que ça me va... BON on y réfléchira plus tard !

-Ouais, j'vais jamais autant exploiter mon bonnet je crois.

Dit-il alors que le printemps arrive. Nan mais en même temps il y a du vent aujourd'hui non ?! Mes oreilles vont devenir encore plus rouges que d'habitude omg.

Oui, j'ai l'impression que c'est vachement plus court que d'habitude, arrêtez de vous moquer. Y'a genre un centimètre ou deux de différence par rapport à ce que je fais d'habitude, mais et alors, c'est quoi le problème ? C'est le vent qui glisse sur mon crâne, c'est ça le problème !!

-On va passer à l'épicerie alors, sinon tu risques d'être frustré, déclarai-je avec un sourire taquin.

Et une fois toutes nos provisions en main, nous prîmes le chemin du retour pour s'installer bien au chaud, à l'abri du VENT, sur mon lit, face à la grande télé. J'ouvris les applications du streaming et, sans demander son avis à la brune, lançai le film disney Raya avec ses dragons. C'est un film feel good total et EN PLUS il n'y a pas de chanson, ça c'est parfait.

-Prête à te perdre un peu en Chine ? Je t'ai sélectionné mon meilleur film du dimanche, alors t'as intérêt à aimer.

Je ris un peu quand Allen souligne qu'il va faire bon usage de son bonnet pendant les prochaines semaines - rho, il exagère, c'est pas comme s'il avait le crâne rasé non plus, et en plus le printemps et les beaux jours reviennent là ! Je sais bien qu'il est du genre un peu réfractaire au changement, mais je ne pensais pas qu'une simple coupe de cheveux le perturberait autant quand même... Je lui redirai qu'il est beau demain, juste au cas où.

"Comment ? Tu ne gardes pas de stock de sucreries caché quelque part dans une armoire ? Je suis déçue !!"

Je le taquine, mais... Bon, voilà, chez moi y'a toujours des cochonneries à manger. C'est pas de ma faute hein, quand je lis ou que je regarde la télé, j'ai toujours tendance à avoir envie de picorer un peu ! Nous passons donc rapidement à l'épicerie pour faire le plein, avant de retourner vers l'institut. Une fois installés sur son lit (il faudrait qu'il investisse dans un canapé quand même), le brun lance un film d'animation, et je hausse un sourcil en tournant la tête vers lui.

"Ah, tu regardes des Disney quand t'es tout seul, toi ? Je l'ai jamais vu celui-là, ça tombe bien..."

J'ai failli faire un commentaire à propos d'Aria - j'imagine que c'est d'elle qu'il a tiré cette habitude ? Mais remettre le sujet sur le tapis ne me semble pas une brillante idée, donc je me tais et me concentre sur la télé. Le film commence, et j'ouvre un paquet de bonbons avant même que le générique ne soit terminé (oui, j'abuse).

L'histoire est plutôt sympa, mais bon, les dessins animés hein, c'est pas tellement mon truc... Je préfère un bon film d'action ou de fantasy ! Je perds le fil assez rapidement - mais je suis bien là, confortablement installée contre les coussins, Allen près de moi, un paquet de gâteaux sur les genoux. Je sens que je pique du nez ; je lutte un peu, mais je dors tellement mal depuis des mois, et là pour une fois, mes pensées ont décidé de me foutre la paix... Je bats des paupières plusieurs fois, avant de finalement décider de poser ma tête sur l'épaule de mon ami, bercée par la télé en fond sonore. Et je m'endors.

Je roulais des yeux à la réflexion de Pandora, amusé tout de même par son interrogation provocatrice. Je lui offris un sourire avant de m'installer confortablement dans le lit avec la brune.

Un léger rire m'échappa alors qu'elle ouvrait déjà un paquet de bonbon dès le générique, et j'en profitai pour lui en voler quelques uns avant de me plonger dans le film. Les bases de l'histoire posées, le véritable scénario allait enfin pouvoir commencer... Je tournai la tête vers Pandora pour remarquer qu'elle commençait sérieusement à piquer du nez. Ses nuits ne devaient pas être vraiment paisibles, depuis son retour de mission... Alors je ne dis rien, et je m'enfonçais un peu plus dans mon assise quand elle déposa sa tête sur mon épaule pour s'abandonner aux bras de Morphée, essayant d'être un peu plus confortable pour elle. Je remontai un peu la couverture sur ses épaules, et me laissai ensuite porter par le film, retirant délicatement le paquet de bonbon qui s'était retrouvé collé contre ses cuisses pour le poser à côté de moi sur la table de chevet.

Une fois le film terminé, je me glissai hors du lit, faisant attention à ne pas réveiller Pandora en remplaçant mon épaule par un oreiller. Je fis chauffer de l'eau pour me préparer un thé, et me plongeai un peu dans mes bouquins pour réviser mes cours en attendant le réveil de la Belle. Quand elle se réveillera, je pourrais bien lui proposer un thé avant qu'elle ne retourne dans sa chambre, mais pour l'instant, je préfère la laisser dormir et se reposer vraiment, les poches sous ses yeux ont besoin d'être un peu chassées.