Il n’est pas fréquent de voir l’ivoirienne se rendre chez les airs. Elle a contre certains d’entre eux des griefs que le temps ne sauraient effacer. Certainement car le temps n’est pas passé pour elle. Pourtant, elle sait exactement ce qu’elle vient faire. Elle sait ce qu’il va arriver dans les semaines à venir. Plus ou moins.

Elle sait qu’Ariana va finir par partir en mission. L’avenir de son amie après cette période est trouble. Incertain. Superposé. L’ivoirienne est terrifiée. Elle aurait aimé pouvoir l’empêcher de partir. La garder en sécurité. Ce n’était pas une option. Aussi, face à l’avenir incertain, elle préférait prendre les devants.

Par prendre les devants : entendre qu’elle voulait que l’espagnole parte en mission au mieux de sa forme. Aussi, elle devait se rendre dans les dortoirs des airs pour que tout se passe pour le mieux. Pourquoi ? C’était tout simple, ce soir Pandora allait sortir faire la fête, elle allait embrasser un crétin qui avait un rhume. Elle allait ensuite refiler cette saloperie à quelqu’un qui la refilerait à Ariana. Ariana qui déclencherait des symptômes peu avant de partir en mission… Et ne resterait bien sûr pas pour un rhume. Si ça avait été si simple… Elle devait donner le maximum de chances à son amie… Même ainsi, elle n’était pas certaine de l’avenir. Elle fut parcourue d’un frisson en y songeant.

Frisson qui se renouvela quand elle leva la main pour toquer. Elle allait vraiment faire ça ? Oui. Elle détestait parfois sa vie. Elle toqua.

« Salut ! Comment tu vas ? »

Je suis crevée en ce moment - entre le boulot, les cours, les entraînements intensifs pour les missions à venir... Plus la date fatidique approche, et plus la tension monte au sein de l'institut - ça n'a rien d'étonnant, on nous a suffisamment répété que ces missions vont être bien plus dangereuses que celles auxquelles on a pu prendre part jusqu'à présent. Mais j'essaye de garder la tête froide, de rester confiante - on forme une bonne équipe avec les 3 autres, on bosse bien ensemble. Et on sera juste en surveillance à l'entrée, pas vraiment au coeur de l'action (mdr si tu savais ma pauvre), ça devrait aller.

Du coup, avec tout ça, je n'ai pas tellement eu l'occasion de prendre du temps pour moi dernièrement. Mais là ce soir, j'en ai besoin, sinon je vais finir par exploser - c'est important de pouvoir se vider la tête et se détendre, quand on est confronté à autant de stress ! J'ai donc enfilé une robe moulante noire et je suis en train de me maquiller, quand on toque à ma porte. Ca doit être Allen - personne d'autre ne vient chez moi sans m'envoyer un message avant - et je vais donc ouvrir, un seul de mes deux yeux maquillé et mon tube de mascara en main. Que je laisse tomber au sol en découvrant la dernière personne à laquelle je m'attendais de l'autre côté de la porte.

"Afya ? Euh... Salut. Ca va, merci. Et toi ?"

Soyons honnêtes, je crois qu'elle s'en fout de comment je vais, autant que je m'en fous de comment elle va - mais je suis polie, elle aussi visiblement. Je ne comprends carrément pas ce qu'elle fait ici, j'avais cru deviner qu'elle ne me portait pas dans son coeur. Tout ça parce que je suis la meilleure amie de l'ex de sa meilleure amie - mdr re-bienvenue en maternelle, les enfants. Je n'aime pas la façon dont elle traite Allen, mais au-delà de ça je n'ai pas de problème particulier avec la jeune femme - juste, je m'en fous quoi. Mais sa présence sur le pas de ma porte ne me dit rien qui vaille, aussi je reste dans l'encadrement plutôt que de l'inviter à entrer.

"Euh, tu tombes un peu mal en fait, je me préparais à sortir... Est-ce que tu avais besoin de quelque chose ?"

Je demande tout de même, toujours polie, tout en créant un petit courant d'air pour ramener mon mascara - tombé au sol - dans ma main.

Elle n’a pas l’air enchantée de voir l’ivoirienne, et ce malgré le sourire qu’elle s’efforce de maintenir en place. Pandora est très impressionnante, plantée comme ça au milieu de l’encadrement da sa porte. Ne pas se décomposer c’est pas si évident pour la femme lui faisant face.

« Ça va. »

C’est sorti un peu difficilement. Il faut que l’ivoirienne respire, et se rappelle des raisons de sa présence en ces lieux. Il est bien normal que Pandora lui soit hostile. Elle le serait sans doute plus si elle savait tous les coups bas qu’elle a mis en œuvre pour protéger le cœur de sa meilleure amie, et empêcher celui du sien de battre de nouveau à l’unisson… Enfin, elle n’était pas là pour parler de ça.

Aujourd’hui elle aussi était apprêtée, certes elle ne portait pas robe moulante, n’appréciant pas les formes, ou plutôt l’absence de formes, de son corps. Elle se trouvait trop mince, trop ceci, trop cela. Alors elle avait mis une large et longue robe aux couleurs bariolées, avait ceinturé ses hanches d’un cuir mat assorti à sa veste, et qui lui donnait l’impression d’avoir des formes agréables. Son dos était nu sous son blouson de cuir sombre. Elle avait relevé ses cheveux, et tenté dans un effort qu’Ariana seule aurait pu saluer au vu du résultat, de se dessiner un trait d’eyeliner. Bien entendu, comme toute débutante, elle avait essayé sans cesse de corriger l’asymétrie du trait, en ne réussissant

« Je voulais aussi sortir, et Aria est pas disponible, et je sais pas faire un trait d’eyeliner, et à part Aria t’es la seule qui sache en faire des aussi fins… Et j’ai besoin d’aide… en gros. »

Elle a dit ça très très vite. Pandora est vraiment très, très impressionnante.

Afya me répond que ça va, même si je trouve qu'elle a l'air un peu tendue - mais moi aussi je serais sans doute un peu tendue si j'allais frapper chez une quasi-inconnue qui ne m'apprécie guère. Enfin, encore une fois, ce n'est pas une question de l'apprécier ou non - je ne la connais quasiment pas et je trouve juste bizarre qu'elle soit ici. J'ai comme la mauvaise impression qu'elle va me demander une faveur farfelue - j'espère juste que ça ne concerne pas Allen et Aria.

Je scanne la silhouette de la jeune femme et note sa tenue alors qu'elle m'explique qu'elle s'apprête à sortir, elle aussi. Je ne me verrais jamais porter une robe pareille, mais je dois avouer que ça donne plutôt bien avec sa peau foncée. Mes sourcils se lèvent progressivement face à sa demande - attendez, elle vient me voir pour des conseils maquillage ? Cela dit, maintenant qu'elle le fait remarquer, c'est vrai que son trait de liner...... Voilà, quoi.

"Euh... Sérieusement ?"

De toutes ses copines - j'imagine qu'elle en a d'autres qu'Aria ? - elle n'a trouvé personne de mieux placé que moi pour demander ça ? Genre, Alyona par exemple, c'est quand même son métier hein - puis j'crois qu'elles s'entendent bien, ou en tout cas elle était présente à sa fête d'Initiation. Et bon, j'me maquille pas trop mal, mais je suis loin d'être une experte quand même quoi.

Franchement, j'ai envie de dire non. Déjà, parce que c'est encore plus bizarre que ce à quoi je m'attendais. Et aussi, parce que j'ai comme la vague impression que ce n'est qu'un prétexte et qu'elle va me la jouer plan foireux une fois que je l'aurai invitée à entrer. Mais il faut croire que je suis une fille sympa - surtout une fille qui n'arrive pas à dire non en fait - parce que je finis par soupirer en m'écartant de l'encadrement de la porte pour la laisser passer.

"Bon, ok, entre. On va devoir te démaquiller ça pour commencer."

J'esquisse un vague geste de la main vers son visage pour parler de son essai raté, retournant vers ma commode pour attraper un paquet de lingettes démaquillantes, que je lui tends.

"Tu voudrais quoi comme résultat, juste un trait fin simple ? Tu as pris ton maquillage avec toi ?"

Que je voie déjà un peu quel genre de produits elle a et ce qu'on peut en tirer. J'hallucine, est-ce que je suis vraiment en train de jouer les esthéticiennes pour une des seules personnes de cet institut dont j'ai une opinion mitigée ? Ouais, on dirait bien.

Elle hoche la tête. Oui sérieusement, c’est la meilleure excuse qu’elle a trouvé. Elle s’est bien imaginée arriver et juste dire à Pandora « Salut ce soir tu peux pas sortir déso. » et bien entendu, l’air refermait juste la porte et ça devenait juste méga compliqué de l’empêcher de choper la crève. Autant dire que ça devenait mission impossible par la suite. Alors elle avait rusé, dans la mesure des solutions qu’elle avait imaginé. Elle s’était dit que si elles se croisaient en soirée, ça pouvait le faire… Mais elle n’arrivait pas à la protéger de loin. Pandora aimait bien trop le contact humain… Ce n’est qu’en voyant le résultat de son affreux tracé qu’elle a eu une idée qui semblait à peu près fonctionner dans le futur… A condition de prendre énormément sur elle.

Heureusement après une longue discussion avec elle-même, bien prévisible, elle accepte de faire entrer Afya. Qui lui sourit en passant le pas de sa porte.

« Merci tu me sauves ! »

Elle dit cela alors qu’elle a un peu l’impression de rentrer dans la tanière du loup. Elle accepte les lingettes mais hésite un instant sur l’usage à en faire. Ce n’est que l’odeur sucrée qui lui rappelle une crème offerte par Ariana quelques années plus tôt, qui lui fait comprendre que c’est avec ça qu’elle doit se démaquiller. Elle n’a que du savon et un gant de toilette, bien suffisant vu l’usage du maquillage qu’elle fait.

« Alors je voulais… Quelque-chose de symétrique pour commencer ? Euh, et plutôt fin… »

Elle a apporté ta trousse à maquillage dans laquelle on trouve un eyeliner lilas, un crayon noir dont il faut bruler la mine avec un briquet avant de l’appliquer si on veut en tirer quelque-chose, une palette de fards tout usages acheté il y a plusieurs années et à peine entamé, et un mascara un peu sec. Le reste en général elle l’emprunte à Ariana, ou plutôt elle la laisse la convaincre que ça pourrait lui aller bien. Elle tend ladite trousse à Pandora pour la laisser juger.

Afya entre avec un grand sourire en me disant que je la sauve - bon ça va, c'est que du liner, pas besoin d'en faire des tonnes non plus. Je ne comprendrai jamais ces gens qui tentent des maquillages farfelus juste avant de sortir... Non mais, on fait des tests quand on est seul et qu'on a le temps, et puis on sort le grand jeu en soirée une fois qu'on maîtrise ! Enfin, bref. La brune attrape les lingettes démaquillantes que je lui tends, et commence à se frotter les yeux après un moment de battement - elle n'en a jamais utilisées, ou quoi ?

J'esquisse un petit sourire quand elle mentionne la symétrie - oui, c'est toujours mieux de faire la même chose des deux côtés... D'ailleurs, je dois avoir l'air bien débile avec un seul oeil maquillé, elle est tombée pile au mauvais moment.

"Un trait fin, ok... Et tu veux qu'il s'étire sur le côté ou pas ? Genre oeil de chat, ou bien juste l'arrondi de la paupière ?"

Je regarde ensuite dans la trousse que la jeune femme me tend - y'a pas grand chose, mais ça devrait le faire. Le liner lilas ira bien avec sa robe bariolée - ou du doré ou du turquoise ce serait joli aussi, mais elle n'en a pas et moi non plus, donc ça règle la question. Je ne mets que du noir, j'suis pas très originale à ce niveau-là.

"Euh, tu veux que je te le fasse en fait, ou que je te montre comment faire un trait fin ?"

Comme ça, j'peux faire mon deuxième oeil en lui montrant. Parce que le faire pour elle, bof quoi. J'sais pas, ça requiert d'être quand même super proche physiquement pour maquiller une autre personne, et j'suis pas super à l'aise avec l'idée - encore une fois, on se connaît très peu. Maintenant que j'y pense, la seule personne (autre que mes partenaires sexuels) à qui je pourrais faire ça sans me sentir gênée, c'est Allen. Mdr j'vais lui proposer un jour tiens !

Elle essaie de ne pas être curieuse de l’environnement dans lequel elle se trouve. Elle le connait déjà, elle y a suivi Allen une paire fois en vision. Histoire d’être certaine qu’il ne se passait rien entre eux qui serait préjudiciable à Aria. Cela étant, leur amitié était déjà une épine dans le cœur de son amie espagnole qui n’avait même plus accès à ce genre de relation avec son ex… Seulement, la voyante savait quand même se poser des limites, et elle savait que cette amitié était importante. Elle ne pouvait pas la ruiner à petit feu.

« Œil de chat ! »

La réponse est une évidence pour l’ivoirienne à qui sa forme féline manquera encore un bon moment. Pas qu’elle regrette d’être voyante, mais le repos qu’elle atteignait et sa souplesse sous forme féline lui manquent parfois. Elle ne peut pas revenir en arrière, et n’en a pas envie non plus la plupart du temps…

« Peut-être que tu peux me montrer sur un œil et j’peux tenter la symétrie ? Euh. Non, très mauvaise idée, c’est ce que je foire le plus la symétrie. Alors peut-être que tu peux me montrer sur ton œil et puis je tente sur moi, et si j’y arrive pas tu rattrapes le tir ? »

C’est un plan d’action qui semble pas si mauvais que ça. Enfin, elle en a eu des plus mauvais, mais celui-ci mêlait apprentissage et retenue de Pandora en dehors des lignes ennemies. C’était clairement pas le pire qu’elle ait eu.

Je hoche la tête quand Afya me répond préférer le trait de liner étiré - en vrai, quasiment tout le monde préfère ça, ça ne sert un peu à rien sinon vu qu'on ne le voit presque pas ! Elle propose ensuite un plan d'action qui tient la route. Et qui me laisse une petite chance de ne pas devoir faire son maquillage pour elle... Même si, soyons honnête, vu son premier essai y'a des chances qu'elle se foire hein.

"D'accord, on peut faire comme ça. Bon, déjà, la règle d'or c'est de commencer par la bascule, et puis aller du coin externe de l'oeil vers le coin interne. Ca a l'air plus intuitif de faire l'inverse, mais c'est plus compliqué en fait."

J'attrape mon propre tube d'eye-liner et me rapproche du miroir, invitant la brune à venir près de moi pour voir ce que je fais. J'étire doucement ma paupière pour que la surface soit plus ou moins plane

"Y'a plein de formes différentes, mais la plus simple c'est de suivre la ligne qui relie le coin externe de ton oeil à ton sourcil. En général je trace juste un trait de la longueur que je veux, avec le plat du liner, comme repère pour la suite."

Je lui montre ce que je fais, puis relâche ma paupière pour qu'elle voit la forme du trait. Ca ressemble à rien pour le moment, mais au moins ça donne la direction à suivre. Après, j'ai la chance d'avoir les yeux et les sourcils alignés, ça doit être la galère si ce n'est pas le cas... Mais elle a l'air d'avoir le même avantage, donc ça devrait aller.

"Après, il suffit juste de relier ce trait au ras de cil supérieur, vise le milieu environ, comme ça... Et puis, tu remplis juste comme il faut pour que ce soit noir partout. Tu peux laisser le reste du ras de cil sans rien, ou bien juste tracer un trait tout fin jusqu'au coin interne..."

Ce que je fais, parce que je trouve ça plus joli. Je regarde le résultat dans le miroir, c'est pas trop mal. Mais en vrai, y'a pas de secret, c'est un coup de main qui vient avec l'expérience - j'me suis chié des dizaines de fois avant de choper le truc hein !

"Tiens, à toi, essaye. N'aie pas peur d'aller lentement et de faire des petits traits si t'es pas sûre de toi... C'est plus facile d'ajouter que de retirer, haha !"

OK. Alors être proche de Pandora c’est hyper impressionnant. Elle est vraiment grande et elle a des muscles. Moins qu’Aria cela dit, un point pour Ariana. En même temps faut dire que depuis cet été elle passe beaucoup d’heures à s’entrainer sa copine… Elle pense à elle et ça lui donne du courage pour affronter sa réalité face à la plantureuse Pandora.

L’ivoirienne ne comprend ce qu’est la bascule que lorsque Pandora lui montre ce que ce que c’est. Elle l’avait toujours appelé la virgule. C’est plutôt intéressant d’avoir du vocabulaire. Elle ponctue les explications d’un :

« D’accord ! »

Faut dire qu’Ariana lui a déjà montré la technique, mais qu’elle ne la maitrise absolument pas. Elle a la théorie, la pratique par contre lui échappe encore. D’ailleurs quand c’est à son tour, cela ne manque pas. Bien entendu, elle y va petit bout par petit bout, mais le tracé n’est pas fluide et à chaque à-coup le pinceau laisse une marque épaisse. Faut dire que c’est pas évident, il faut majorer la pression aux endroits où ça glisse le moins ou l’inverse ? C’est les creux qu’il faut remplir ? Par contre elle est plutôt fière d’elle, parce qu’elle n’arrive plutôt bien à ne pas dépasser du petit triangle de peau, par contre les traits extérieurs sont clairement pas aussi propres qu’ils devraient.

« Je crois que c’est pas terrible ? »

Question de rhétorique, ce n’est pas terrible quand elle partait de l’intérieur de la paupière pour étirer son trait vers l’arrière, au moins elle avait quelque-chose de moins tremblé…

Une fois mon explication terminée, je laisse Afya tenter de se dépatouiller avec son trait de liner. Je m'éloigne un peu d'elle - ça risque juste de la stresser et de la faire rater son coup si je reste juste à côté à l'observer comme un oiseau de proie ! J'en profite donc pour terminer mon propre maquillage, juste un peu de crayon et de mascara. Bon, voilà, moi je suis prête donc j'espère bien qu'elle ne va pas traîner des heures hein.

La jeune femme annonce avoir terminé, ajoutant que ce n'est pas terrible. Je regarde le résultat et franchement, ça passe.

"Ca va, c'est pas parfait mais c'est déjà mieux qu'avant ! Là où tu as dépassé, on pourra rectifier avec un coton-tige après. Fais le deuxième oeil d'abord, comme ça tu pourras corriger tout en même temps à la fin."

C'est l'étape la plus compliquée maintenant, de faire la symétrie de l'autre côté. Tu peux faire un trait de liner absolument parfait, ça ne sert à rien si tu reproduis pas l'effort sur l'autre oeil, malheureusement. C'est d'ailleurs là tout l'art du maquillage !

Je m'assieds sur l'accoudoir du canapé, à quelques pas de la brune. Bon, c'est un peu malaisant de rester là sans parler, non ?

"Et du coup, t'as un rendez-vous ce soir ou quoi ? Elle est sympa, ta robe, ça te va bien les couleurs comme ça."

Oui, je sais être sympa même avec les gens que je n'apprécie pas particulièrement - et puis complimenter une personne sur sa tenue, c'est un peu devenu une seconde nature pour moi, depuis le temps que je bosse à la boutique. Mais j'suis sincère quand même, je mettrais jamais ça mais c'est joli sur elle.

Elle hoche la tête, effectivement, effacer avec un coton-tige ça peut s’avérer plus facile que de réussir un trait du premier coup… Mais en effaçant ne risquait-on de trop en enlever et de majorer l’asymétrie ? Hm. Il faut donc qu’elle s’applique sur le deuxième œil. C’est pas si évident, elle essaie de reprendre le même angle pour la virgule, euh, ‘’non la bascule’’ se corrige-t-elle en pensée.

« Ah, non, je veux essayer de rencontrer des gens. »

La crédibilité ? Proche de zéro. Seulement, elle ne peut pas dire à Pandora que son unique raison de sortir ce soir est de l’empêcher de chopper un rhume. C’est le genre de choses qui n’auraient de sens pour personne. L’ivoirienne le conscientise très bien. Seulement elles ne se connaissent pas assez pour que l’air sache qu’elle fuit les nouvelles rencontres comme la peste. Enfin, ne jamais l’avoir croisé dans les bars de Terrae alors qu’elle en est une grande consommatrice doit aider.

« Et toi, tu cherches quoi en sortant ? » elle demande.

Les rencontres ? La proximité d’autres inconnus qui pour quelques instants ressembleraient à des amis ? Elle est méga concentrée, et bien entendu la symétrie n’est pas au rendez-vous. C’est pas si mal cela étant, moins tremblé que cela n’aurait pu, et si la symétrie n’est pas là c’est uniquement car le trait de l’œil gauche est plus épais. Elle referme le liner et se rapproche de Pandora pour qu’elle puisse juger d’elle-même du résultat. Elle bat des paupières pour la laisser juger, et le liner qui n’est pas encore sec lui laisse une deuxième trait sur le haut de la paupière mobile.

« Tu en penses quoi ? »

Afya continue à maquiller son deuxième oeil, tout en me répondant qu'elle sort ce soir parce qu'elle cherche juste à rencontrer du monde. C'est marrant, je n'aurais pas du tout pensé qu'elle soit du genre à sortir seule pour faire de nouvelles rencontres... D'ailleurs, j'crois que je ne l'ai jamais croisée au bar - ni en boîte. Enfin bon, elle a peut-être juste envie de sortir de sa zone de confort, c'est tout à son honneur. Je hausse une épaule quand elle me retourne la question.

"Rien de spécial, j'me laisse porter par l'ambiance et puis je vois où ça me mène en général. J'ai juste envie de me changer un peu les idées, les entraînement sont assez... Intensifs, on va dire. D'ailleurs, tu ne pars pas en mission toi, si ?"

Je sais qu'Aria fait partie d'une des équipes d'intervention, par contre. C'est sans doute pour ça qu'elle n'est pas disponible ce soir, en fait... La brune termine son trait de liner avant de se tourner vers moi pour me montrer le résultat. Je grimace légèrement en voyant le maquillage s'étaler sur sa paupière alors qu'elle cligne des yeux un peu trop fort. Eh merde...

"Attends, ouvre pas les yeux trop grands tant que c'est pas sec, sinon ça va s'étaler partout ! C'est pas trop mal, mieux qu'avant en tout cas... Attends deux secondes, je vais chercher des cotons-tiges."

Parce qu'il faut quand même rectifier un peu - et essuyer ce qui s'est étalé sur le haut de sa paupière aussi. Je vais chercher ce qu'il faut dans la salle de bain attenante à ma chambre, avant de revenir vers la jeune femme. Elle est tellement petite comparé à moi que je n'ai même pas besoin de lui demander de s'asseoir, en fait. Boooon ben j'vais devoir me résoudre à terminer le travail pour elle, hein.

"Tu permets que j'te corrige ça vite fait ? Ferme un peu les yeux s'te plaît..."

Pendant ce temps, je trempe le bout ouaté dans le démaquillant, pressant doucement avec mes doigts pour évacuer l'excédent. Non mais, si ça commence à couler dès que je le presse sur sa paupière, c'est mort, il faudra tout recommencer.

« Non. Je reste ici pour essayer de donner le plus d’informations possible sur la suite des hostilités… »

Les voyants au corps à corps, c’est pas tout à fait les plus utiles. Surtout quand ils sont musclés comme des écrevisses asthmatiques n’ont aucun attrait pour le combat. Elle avait pensé à partir en mission, si elle avait pu protéger ne serait-ce qu’un peu Ariana, elle l’aurait fait… Mais il fallait se rendre à l’évidence, l’ivoirienne serait plus utile si elle pouvait communiquer sur la présence d’ennemis, et de dangers pour Terrae… Personne n’était dupe, le Centre pour se défendre pouvait très bien décider de créer un contre feu et de s’en prendre directement à Terrae. Elle aurait préféré qu’on ne prenne pas le risque de s’en prendre à cet animal venimeux… Elle n’avait pas voie au chapitre, et de toute manière Ariana voulait y aller pour libérer Lola. A partir de là, elle ne pouvait pas s’y opposer.

Rester les yeux fermés au milieu d’une chambre qui n’est pas la sienne a quelque-chose de stressant. Enfin, quand on est pas voyant, il suffit qu’elle regarde le futur proche de l’extérieur pour savoir ce qu’il est en train de se passer. C’est un peu comme quand il y a un problème avec un DvD, le son arrive une demi-seconde après l’image mais on comprend quand même ce qu’il se passe.

Le point négatif de cette technique c’est qu’elle ne peut pas s’empêcher d’avoir le cœur qui s’emballe en voyant approcher Pandora.

« Euh, ouai ok. »

C’est terrifiant les gens trop proches. Elle retient sa respiration le temps que cette dernière lui passe le coton sur les paupières.

Je hoche doucement la tête avec un sourire aux explications d'Afya. J'imagine que c'est la meilleure chose à faire pour une Voyante de rester sur place et gérer toute la partie information. Leurs pouvoirs ne sont pas très offensifs - même si très utiles et efficaces quand même, hein ! Quand on sait les exploiter évidemment, j'me souviens encore de l'enfer que ça avait été pendant l'Eclipse quand j'étais Voyante.

"Ah, d'accord, je vois. Et ça va, tu te sens prête ?"

Enfin, je ne sais même pas s'ils ont des entraînements particuliers de leur côté. Peut-être des entraînements plus psychologiques, j'imagine qu'ils vont en voir des vertes et des pas mûres. Je n'envie clairement pas les équipes qui vont se retrouver au coeur de la base...

La jeune femme termine ensuite son maquillage, le résultat est acceptable pour une novice on va dire, mais ça pourrait être mieux quand même. Je propose donc de rectifier moi-même le tracé avec un coton tige, parce que c'est assez délicat comme manipulation et si elle se foire, elle sera bonne pour tout enlever et recommencer. Et moi j'ai envie de sortir là, donc ça ira quand même plus vite de le faire pour elle. La brune ferme les yeux quand je le lui demande, et je m'approche d'elle en me penchant assez près de son visage. Bon, vaut mieux que je fasse ce que j'ai à faire sans trop y réfléchir, parce que cette situation est un peu gênante en fait.

"Ne bouge pas..."

Je dis doucement avant de poser le bout ouaté sur sa paupière. Si elle sursaute, c'est mort ! Je retrace le trait avec le coton tige, des deux côtés, affinant également la partie étirée de son oeil gauche, qui est un peu plus épaisse que la droite. Je me recule un peu, avant de hocher la tête d'un air satisfait - pour moi-même hein, je sais qu'elle ne peut pas me voir !

"Voilà, ça devrait être bon. Garde juste les yeux fermés quelques secondes, le temps que ça sèche..."

Et puis après, on pourra sortir ! Enfin, séparément hein, j'vais pas non plus aller boire un verre avec elle.

Elle ne s’était à vrai dire pas posé la question, elle n’avait pas le choix aussi, peu importait qu’elle soit prête ou non. Elle le ferait du mieux qu’elle pourrait.

« Peu importe que j’y soit prête ou pas, ça arrivera… » elle dit la voix cassée.

Il est des nœuds dans le futur qu’aucun voyant ne saurait dénouer. Même si elle préfèrerait l’éviter, préfèrerait qu’Ariana n’y soit pas confronté, elle sait qu’il n’existe aucun avenir où cette mission n’a pas lieu. A cause des brouilleurs de pouvoir, elle ne sait pas exactement ce qu’il s’y passera, et plusieurs avenirs se superposent après ce nœud. Dans certains, il y a des morts… Elle frissonne. Elle essaie de reprendre un peu de positivité.

« Et toi, tu te sens gonflée à bloc ? »

Changer de sujet… Ne pas parler de soi… C’est encore la manière la plus certaine de ne pas casser l’ambiance qui ne ressemble déjà à rien. La génance. Heureusement que la fin du maquillage approche. Elle doit garder son calme, et c’est pas évident de ne pas trembler quand la blonde s’approche. Elle est encore plus impressionnante vue de l’extérieur. Leur différence de taille est frappante…

L’ivoirienne ne peut s’empêcher de frémir au contact du coton-tige imbibé de solution démaquillante. Faut le reconnaitre, même si elle savait que ça allait arriver, c’est tout à fait différent d’avoir le son en retard et d’avoir le tact en retard. C’est vraiment angoissant.

« Tu me dis quand c’est bon ? »

Pandora a de l’espoir si elle pense pouvoir se débarrasser d’Afya… Elles vont toutes deux se rendre en ville, et se retrouver dans le même bar… Par ‘hasard’.