Une fois sur place, les deux adolescents furent rapidement pris en charge. Je me tournai vers Keitaro et Tomoe alors qu'ils nous entraînaient déjà à part pour préparer la suite des opérations. Aoi indiqua les soins qu'il restait à prodiguer au groupe que nous venions de rapatrier, et Keitaro commença à sonder l'esprit d'Akira pour obtenir les informations nécessaires à la récupération d'Ys. Pendant ce temps, Tomoe ouvrit un petit pochon de tissu pour en sortir la bague de fiançailles que j'avais portée si longtemps avant de la leur donner pour les aider à localiser Ys. Sa signature énergétique était restée imprégnée sur ce cristal qu'il avait fondu pour mêler nos deux énergies.

Je restais silencieuse et en retrait pendant que chacun s'affairait à la tâche qui lui avait été assignée. Mon regard se porta sur Aoi qui restait si calme et si professionnelle. Son visage sérieux s'adoucit légèrement quand elle tourna le regard vers moi, m'adressant un sourire que je lui rendis.

Bientôt, Akira fut emmené à part avec Hideko et d'autres Masters, et je reportai mon attention sur Tomoe qui gardait ses yeux clos, ses doigts tenant fermement le cristal d'Ys. J'avais un peu l'impression que le temps s'était arrêté dans cette attente silencieuse. Et malgré ce sentiment, je ne sentais pas mon impatience habituelle faire des siennes. Je restais calme, droite ; j'avais l'impression d'être imperturbable.

Quand Tomoe rouvrit ses paupières pour planter son regard azur sur nous, un léger sourire, où se mêlaient plusieurs sentiments que je ne pus identifier, étira ses jolies lèvres, et elle nous indiqua enfin qu'elle avait retrouvé sa piste, évidemment grâce à l'aide de Keitaro qui l'avait également guidée pour qu'elle sache où chercher. Je ne savais pas combien de temps s'était écoulé jusqu'à ce qu'elle y parvienne, mais je constatais tout de même que la nuit était tombée depuis le moment où nous étions revenues accompagnées d'Akira et des deux adolescents.

Tomoe nous indiqua sa démarche. Elle nous informa que la base où s'était rendus Akira et Ys quelques temps auparavant avait bien été détruite. Elle avait alors centré son attention sur les différents passages qui avaient suivis. Toutes les traces d'une éventuelle base autrefois placée là avaient été effacées, le corps d'Ys avait été transporté... Alors elle avait suivi ces déplacements, jusqu'à ce qu'elle parvienne à ce qu'elle supposait être une autre base. Là, ses visions avaient continuellement été brouillées, peu importe la personne qu'elle décidait de suivre dans ses visions, indiquant indubitablement la présence d'un système de brouillage des pouvoirs - en tout cas du pouvoir de Voyant.

Je ne demandais pas dans quel état Ys se trouvait. La seule chose que je savais, c'est qu'il était en vie, contrairement à ce qu'Akira avait dit. Sinon, elle n'aurait pas pu sentir son énergie, non...? Même faible, elle restait présente. Il était donc nécessairement en vie.

Nous nous affairâmes ensuite avec Aoi à récupérer tout l'équipement dont nous pourrions avoir besoin pour cette mission qui s'annonçait dangereuse. Pourtant, j'étais sereine. J'avais confiance en Aoi.

Habillée de noir, dans une tenue qui me permettrait de me mouvoir facilement, j'acceptais tout de même le gilet pare-balles qu'on me tendait, et vérifiais que j'avais bien toujours les cristaux que j'avais créés ainsi que celui de mon amie. Et alors, lorsque nous fûmes enfin prêtes, c'est dans un hochement de tête que nous validâmes notre téléportation qui nous amena, sous les indications des deux Masters, au sommet d'une petite colline, à quelques lieux de cette fameuse base que nous devrions apercevoir à notre arrivée. Ce qui ne manqua pas d'arriver. Il n'y avait pas à dire, certains Masters étaient réellement talentueux avec leurs pouvoirs.

Lâchant la main d'Aoi, je me tournai vers elle.

-Prête ?

Une fois à Terrae, je peux sentir mon corps se détendre progressivement. Nous n’en avons pas encore fini, mais déjà avoir ramené Akira entre nos murs me rassure. Pour autant, c’était beaucoup trop facile ; et au vu des informations qu’il nous a données, retrouver Ys sera bien moins aisé. Régulièrement, je jette des coups d’oeil vers Mitsuki, comme pour vérifier son état, m’assurer qu’elle tiendrait le coup. Ce n’est pas que je n’ai pas confiance en elle, au contraire ; pour moi, Mitsuki est une battante, et sa détermination depuis l’instant où elle s’est proposée pour cette mission me donne de la force à moi aussi. Mais je sais aussi à quel point elle a souffert, et à quel point cela peut raviver des blessures pour elle. C’est l’homme qu’elle a aimé durant si longtemps. Je me souviens de son craquage nerveux, après l’attentat, et de Mitsuki qui ne comprenait pas son attitude. Je sais qu’elle ne s’effondrera pas, mais je m’assurerai d’être là si cela se produit.

En attendant, je lui renvoie un sourire lorsque nos regards se croisent. Nous touchons au but. Nous allons le retrouver. C’est une évidence. Il nous faut simplement un peu de temps.

Nos collègues Masters sont incomparables en la matière, et c’est toujours avec une admiration silencieuse que j’observe les plus expérimentés d’entre nous mettre leurs pouvoirs au service de notre objectif.

Bientôt, nous nous préparons ; cette fois, nous devrons nous infiltrer dans une base, et probablement nous battre. Le gilet pare-balles me crée un goût amer dans la bouche lorsque je l’enfile et l’attache, alors que je me souviens de la dernière fois où je l’ai porté et le simili échec de notre mission. Cela ne fait qu’alimenter ma volonté de ramener Ys le plus rapidement possible. L’avantage, c’est qu’avec Mitsuki, je n’aurai pas à me soucier de la protection de qui que ce soit, et n’aurai pas à me mettre en danger pour contenir les ennemis. Je sais que nous nous comprenons, lui fais confiance pour nous synchroniser. C’est sans hésitation que je lui saisis la main et la laisse nous téléporter.

Le bâtiment se découpe sur l’horizon assombri. Mes sens en alerte se projettent autour de nous — mon Air scanne les environs proches dans un périmètre rapproché, que j’étends progressivement ; le vent me ramène les bruissements alentours. Ma Greffe est aux aguets.

—Prête.

Mon regard se fixe sur le bâtiment.

—Nous devons trouver une entrée. S’il y a des ennemis, je peux les immobiliser avec ma Greffe avant qu’ils nous aperçoivent, cela nous laissera le temps de traverser les divers couloirs sans nous faire repérer ou, au moins, sans qu’ils puissent nous attraper. Par contre, les caméras vont certainement nous voir malgré tout, alors je te laisse gérer le circuit électrique.

Pour le reste, je la suis, prête à percer les défenses de cette base.

Je hochai la tête face aux indications d'Aoi. A nous deux, je ne doutais pas que nous réussirions, et sans revenir dans un état lamentable comme ça avait été le cas lors des missions du Centre. Nous n'avions personne à protéger autre que nous-mêmes, et surtout... Surtout, nous avions déjà avancé depuis décembre. Misao avait poursuivi ses recherches et nous étions prêts. Cette fois, nous n'avancions pas à l'aveugle.

Je reportai mon regard sur la base. Je fis craquer mes doigts devant moi alors que je m'appuyais sur les courants d'air créés par Aoi pour les électrifier légèrement, suffisamment pour contrôler jusqu'où s'étendait leur brouilleur de pouvoirs, s'ils en avaient un. Si vous avions avancé, eux aussi l'avaient fait... Leur protection s'était nécessairement améliorée.

Lorsque je sentis ma magie rencontrer un obstacle, je serrai légèrement les dents. C'était la première fois que j'utilisais le sérum créé par Misao sur le terrain, ainsi que mes bracelets anti-brouilleurs. Mais ça avait l'air de fonctionner, ce qui était tant mieux. Je cessais d'utiliser mon pouvoir pour adresser un regard entendu à Aoi - elle aussi l'avait certainement perçu. Nous avions pu passer la barrière, même si nous l'avions ressentie.

La zone de "non-pouvoir" s'étendait jusqu'à plusieurs mètres autour de la base. Ce qui signifiait qu'à l'intérieur, nous allions devoir agir vite, avant que l'élixir ne fasse plus effet.

Une fois prêtes toutes les deux, nous avançâmes en direction de la base. Je gardais mes yeux rivés sur la base, à la recherche de l'entrée. Plus nous nous rapprochions, et plus je laissais mes pouvoirs vaquer en direction de la base, à la recherche de leur système électrique pour m'en emparer et désactiver leurs caméras - ainsi que tout piège potentiel visant à utiliser l'électricité.

Après quelques instants, nous tombâmes enfin sur l'entrée, où plusieurs gardes étaient stationnés. Ils ne nous attendaient pas, sinon ils auraient été plus nombreux. C'était tant mieux, Aoi n'aurait pas à trop s'épuiser dès le début.

Je tournai la tête vers elle dans un regard entendu, et attendis qu'elle passe à l'action pour qu'on puisse enfin pénétrer à l'intérieur.

Il nous faut quelques minutes pour checker notre matériel. Le bracelet anti-brouilleurs que Mitsuki a mis au point me donne l’impression de pulser contre mon poignet ; je respire lentement alors que nos pouvoirs se mêlent dans l’air, nous permettant de jauger leur territoire, leurs défenses. Je fais pleinement confiance à Mitsuki pour être attentive et réagir vite au besoin si je suis en difficulté, mais aussi pour empêcher quiconque de nous repérer sur leurs détecteurs et machines. Nous échangeons un regard… ça ira. Malgré la résistance, nous pouvons utiliser notre magie. Quelle avancée incroyable… elle pouvait vraiment être fière d’elle, Mitsuki. Toutes ces missions n’auront donc pas été vaines.

Notre avancée nous permet de rejoindre l’entrée, gardée ; j’inspire lentement pour rassembler mon calme et mon courage, observant silencieusement les alentours, scannant l’air afin de repérer les éventuels soldats cachés. Un nouveau regard, je souris. Je compte sur toi. Elle me donne son feu vert — on ne me verra pas. Bon, va falloir être discrètes.

—Ils ne sont pas beaucoup... On est encore un peu loin pour ma Greffe, je vais utiliser autre chose, chuchoté-je.

Techniquement, je pourrais essayer, mais ça me permettra d'économiser mon énergie pour les couloirs, là où on risque de tomber sur des ennemis à chaque virage. Mon regard se fait plus acéré alors que je rassemble mon air autour d’eux — l’air se raréfie en oxygène dans une zone définie, leurs bras se collent le long de leur corps sous la pression de l’air que j’augmente, comme pour les enserrer dans mon filet. Les empêcher d’atteindre leurs radios, surtout. Et les faire perdre connaissance, petit à petit. Le premier tombe au sol ; un coussin d’air le rattrape. Puis un second. Les autres luttent de leur mieux, mais ils ne peuvent pas non plus crier — leur grimace silencieuse, alors qu’ils agitent les mains comme pour se raccrocher à quelque chose, sûrement à la vie… Heureusement pour eux, leur vie ne s’arrêtera pas ici. Reste à savoir si le Centre acceptera de les laisser en vie après leur bévue, une fois que nous aurons contacté les autorités et qu’ils seront incarcérés. Les secrets se monnaient chers — et la vie de mercenaires vaut probablement bien moins.

Une fois les soldats suffisamment engourdis, je laisse Mitsuki nous téléporter près d’eux et m’assure qu’ils sont bien endormis — rajoutant plutôt une dose de mon pouvoir guérisseur pour anesthésier ceux qui ne le sont pas encore, accroupie près d’eux. Je fais confiance à Mitsu pour surveiller mes arrières au cas où l’un de ceux au sol attrape son arme. La pression du brouilleur de pouvoirs se fait ressentir sur notre efficacité, malgré les bracelets ; il est possible que nos performances, particulièrement sur les utilisations à distance, en soient affectées. Si on doit fuir à pieds, par exemple si le serum ne fonctionne plus, il vaut mieux dégager le chemin.

—Pour ceux-là c’est bon. Le verrouillage de la porte est électronique ?

Quand tout est réglé ici, je me mets sur le côté de la porte, prête à agir dès que Mitsu serait parvenue à l'ouvrir. Ca ne prendra sûrement pas longtemps.

—Une fois qu'on sera arrivées près d'Ys, tu crois que tu arriveras à nous retéléporter à Terrae depuis l'intérieur malgré les brouilleurs ?

C'est mon inquiétude principale, à présent.

Aoi agit, discrètement, vite, et bien. Pendant que les soldats perdaient connaissance, je m'infiltrais plus précisément dans leur système de sécurité électronique. Je grimaçai légèrement en sentant que tout ne fonctionnait pas de la même façon dans la base ; en même temps, ils auraient été stupides de tout laisser sous format électrique. Malheureusement pour eux, sans électricité, on ne fait plus rien de nos jours, alors une grande partie de leur système de protection s'en sert tout de même.

Une fois téléportées sur place, je laissais Aoi anesthésier les derniers soldats encore conscients pendant que je me penchais sur la porte, bloquée électroniquement. Je hochai la tête en réponse à la question de mon amie, et me concentrai sur le système de la porte. Pas de serrure, pas d'ouverture mécanique. La signature électronique doit être précise pour permettre l'ouverture sans enclencher l'alarme de sécurité. Ou bien même un potentiel premier piège, déjà, dès l'entrée...

Je m'approchai d'un corps pour le fouiller, en tirant son pass d'accès. Les choses se compliqueront par la suite si d'autres systèmes ont été installés, comme la reconnaissance faciale ou par la rétine, mais pour l'instant, ça devrait suffire à ouvrir la porte sans trop soulever les soupçons.

Je me tournai vers Aoi alors qu'elle me questionnait sur la téléportation.

-Je pense que pour être sûres que ça fonctionne, il faudra qu'on utilise les cristaux de téléportation et que tu joignes ton énergie à la mienne. Je ne sais pas à quel point mon brouilleur peut fonctionner, et il est fort possible qu'Ys soit dans une zone particulièrement restreinte... La dose d'énergie nécessaire à la téléportation devra outre-passer les limites du brouilleur. Ou bien il faudra qu'on s'éloigne pour gagner suffisamment en puissance afin de permettre la téléportation. Il faut qu'on progresse dans la base en évaluant constamment le degré de puissance du brouilleur. Ys doit se trouver là où le brouilleur est le plus puissant -ou le plus faible, s'ils font des tests sur lui. Je vais essayer de le localiser plus précisément grâce à mes pouvoirs, mais avec tous les dispositifs déployés, je ne suis pas certaine que ça fonctionne de façon fiable avant qu'on soit véritablement proches.

S'il n'y en a qu'un. Après tout, cela serait assez dingue qu'Ys se trouve ici seul, sans autre... doté. Notre mission consistait à ramener Ys à Terrae, mais que devions-nous faire si nous rencontrions, ou sentions, d'autres détenteurs de pouvoirs ici ?

Après avoir enregistré la signature électronique du pass du garde, j'ouvris la porte, concentrant à présent toute mon attention sur les caméras de surveillance potentielles, localisant leur point d'acheminement, brouillant les écrans pour les bloquer sur une image fixe, laissant ainsi Aoi pénétrer dans l'entrée de la base devant moi.

Visiblement, Mitsuki a pu s’occuper du système de sécurité pendant que je mettais K.O. nos adversaires. Elle semble concentrée un instant, mais finit par récupérer une carte magnétique. Bien, ça nous laissera un peu de répit. Lentement, j’acquiesce aux paroles de Mitsuki, le visage dur — aucun des hommes au sol ne se relève pour l’instant, c’est bien, ils dorment à poing fermé.

—Ca devrait être faisable, j’acquiesce lorsqu’elle évoque le fait de joindre nos deux énergies, bien que ça ne soit pas un exercice que j’ai eu le loisir d’expérimenter.

La suite de ses paroles ne me rassurent pas, mais effectivement… on va devoir compter sur la technique de Mitsuki. J’ai toute confiance en elle, j’imagine que son bracelet fonctionne comme un genre de déflecteur afin de dévier les ondes du brouilleur du Centre, mais du coup ça bloque peut-être aussi les ondes à l’intérieur de la base. Pendant qu’elle termine, j’essaie de planquer les corps derrière un buisson, mais c’est vraiment pas fameux hein.

—Le retrouver va être compliqué… On aurait dû emmener un cristal de télépathe. Ou sinon… si tu le sens, tu peux peut-être encore en téléporter un à Terrae pour que Keitaro puisse nous transmettre les infos dont on a besoin avant qu’on entre et que le brouilleur s’intensifie. Tu en penses quoi ?

Mitsuki semble encore bidouiller un truc sur le pass, et j’attends tranquillement sa réponse, éventuellement sa téléportation… quand elle me donne son signal, j’acquiesce, inspire et laisse mon air pénétrer dans la base. Il va falloir être minutieux, aller très vite. Premier couloir, vide, ils s’attendaient sûrement à ce que la garde à l’entrée soit suffisante. On peut entrer. J’entame mon entrée dans la base d’un pas souple, restant près du mur, et scannant les couloirs à la recherche de vie, laissant les sons nous parvenir aux oreilles. Mon ouïe augmentée de Master Air me permet de détecter quelques pas dans la perpendiculaire, au premier virage ; mon air me confirme qu’ils sont deux. J’indique le chiffre deux de mon index et mon majeur, désignant la direction de laquelle ils viennent. Inspiration ; je me soulève dans les airs pour ne pas faire de bruit en me déplaçant, flottant les pieds près du sol, et les attend au niveau du virage, me collant contre la paroi. On doit les assommer, ceux-là, ils sont trop proches de la porte ; s’ils s’avancent jusqu’à l’extérieur, ils peuvent sonner l’alerte s’ils aperçoivent les gardes inconscients ou simplement leur absence. (On rappelle qu’ils sont pas super bien cachés.)

Le bruit de leur conversation résonne contre les murs. Inspiration. Quand ils dépassent le mur contre lequel je suis cachée, j’active ma Greffe et arrête leur temps ; je m’élance sur le premier pour l’attraper par l’arrière, main sur sa bouche, puis réactive son temps pour l’étouffer, comme j’ai étouffé les autres. Il s’agite, se débat, et je laisse mon pouvoir de Guérisseur s’insinuer en lui pour l’anesthésier doucement… mes yeux brillants se posent sur Mitsuki, que j’observe pour savoir si elle est en capacité d’en taser un ou si elle est encore concentrée sur le système électrique. Ca a l’air assez complexe comme ça, cette merde. Quand le premier est au sol, je désactive ma Greffe sur le second pour bloquer l’air dans ses poumons à lui aussi, et finir de l’assommer… Le sablier ailé, qui s’est déplacé de ma poitrine à mon bras droit, s’égrène inexorablement, rappel incessant que le temps que je vole n’est pas infini.

Je déplace le premier corps inconscient en le faisant flotter, dos contre la paroi, comme s’il s’était simplement assis là et endormi.

On reprend notre chemin une fois les deux gardes enlevés du milieu du couloir. Je laisse Mitsu nous guider à l’intérieur de ce dédale, complètement à l’aveugle… Un nouveau groupe qui se déplace, plus loin ; cette fois ils sont plusieurs et arrivent vers nous. J’inspire à nouveau, comme à chaque fois que j’essaie de rassembler mon courage et me concentrer. Si j’utilise constamment ma Greffe ici, ça va me demander trop d’énergie ; et ça va être trop long de tous les étouffer. D’autant que d’autres groupes se déplacent pas loin, on va se faire capter instantanément si on est pas minutieuses. J’échange un regard avec Mitsu, ça va se corser. Le voilà, notre comité d’accueil.

—Ils sont plusieurs, je chuchote, au moins quatre. Et un autre groupe est deux couloirs plus loin, on peut pas se permettre de faire du bruit si on veut rester discrètes. J’utilise ma Greffe ou tu as une autre idée ?

Genre foncer dans le tas, et on défonce toute la base ?

L'idée d'Aoi d'emporter un cristal de Télépathe me fit relever la tête. C'était loin d'être une mauvaise idée... Et j'avais encore toute mon énergie, alors à deux téléportations près...

Je hochai la tête après avoir terminé de copier la signature énergétique du pass du garde. Deux téléportations plus tard, j'étais à nouveau avec Aoi, un nouveau cristal en ma possession. Il fallait que je l'utilise pour mêler son énergie à la mienne - les seules pensées que nous cherchions étaient celles d'Ys. Une fois à l'intérieur, nous ne pourrions de toute façon plus communiquer avec Terrae, alors je n'avais pas besoin de m'en servir pour garder un lien avec Keitaro. Je n'avais encore jamais utilisé de cristal de Télépathe, mais ma maigre expérience en tant que Feu m'avait appris à maîtriser un temps soit peu mieux les pouvoirs différents du mien. Je pouvais donc essayer, ça ne me coûtait rien.

Suivant Aoi à l'intérieur de la base sans faire de bruit, je la laissai partir devant moi pour affronter les deux gardes alors que je me concentrais sur les caméras de surveillance. Bloquer l'image... Je devais les visualiser dans ma tête, identifier un moment clé où les deux gardes semblaient être en train de parler, ce qui justifierait leur immobilité. Une fois ceci fait, je rouvris les yeux, quelques éclats dorés se dissipant dans l'iris de mes prunelles. Je hochai la tête en direction de mon amie, indiquant que nous pouvions poursuivre notre chemin pendant que je continuais à travailler et sur leur système de sécurité, et sur le repérage d'Ys. Si j'avais toujours préféré l'action dans les missions, je devais bien reconnaître que l'utilisation intense des pouvoirs était tout aussi épuisante.

C'est là qu'Aoi nous stoppa dans notre avancée. Un groupe, juste là, à côté de nous. Et un autre groupe deux couloirs plus loin. Le bruit reste proscrit. Ce ne serait pas une mission d'infiltration sinon, de toute façon...

-Tu crois que tu serais capable de nous faire léviter, sans bruit, de façon à ce que nous soyons aplaties contre le mur ? On fait tomber quelque chose sur le sol, sans bruit, pour les attirer ici. Ils ne regarderont pas au plafond tout de suite puisqu'ils chercheront au sol ce qui est responsable du bruit. De là, on agit vite. J'ai déjà désactivé les caméras de notre secteur. Lorsqu'ils sont à notre portée, je peux rapidement orienter plusieurs éclairs sur eux pour les taser et les faire perdre connaissance. Il vaut mieux économiser ta greffe pour le moment, ça va forcément barder quand on se rapprochera d'Ys, car là on ne pourra plus se faire discrètes...

Ys que je ne parviens toujours pas à localiser... Mais le brouillage des pouvoirs s'intensifie un peu plus loin, alors j'ai bon espoir que nous soyons sur la bonne voie.

Mitsuki est aux prises alors, donc je ne la dérange pas. Elle a toujours cette expression particulière lorsqu’elle est concentrée, le regard perdu dans le lointain et pourtant comme fixé sur quelque chose que je ne saurai pas voir, puis les yeux fermés… C’est dangereux, ici, les yeux fermés ; mais elle me fait confiance, alors je ne la laisserai pas tomber. Les éclats dorés dans son regard et son hochement de tête m’indiquent ce que je souhaite savoir ; nous continuons notre avancée, les gardes laissés derrière nous, le cristal Télépathe maintenant dans la poche de mon amie. Je la laisse gérer le radar ; je m’occuperai du nettoyage.

Lorsque nous nous approchons des prochains gardes, j’inspire et écoute attentivement les idées de Mitsu, sortant un stylo de ma poche — je sais pas ce qu’il fout là, mais on a toujours besoin d’un stylo, d’accord ?

—Entendu. Tu sais s’il est encore loin ?

Même s’il est endormi, le cristal Télépathe doit pouvoir le repérer, non ? Qu’est-ce que je ne donnerais pas pour avoir un pouvoir de localisation plus efficace ! Enfin, se contenter de scanner l’air ambiant c’est déjà pas mal. Je n’ai même pas besoin de faire de courant d’air, juste de repérer ses mouvements, les zones où il n’y en a pas… parce qu’il y a des objets, des corps. Pratique, mais c’est pas ça qui nous permettra de mettre la main sur cet abruti de Téléporteur.

Sans bruit, je nous fais léviter jusqu’au plafond et déplace le stylo plus loin dans le couloir, lui aussi presque collé contre la paroi du haut. Nous avançons sans bruit, et j’avoue avoir de bonnes sueurs froides lorsque nous sommes à l’angle. Repérage. J’indique avec mes mains combien ils sont : cinq. J’articule, sans bruit, et accompagne d’un geste :

—Je les aplatis au sol et tu les tases ?

Le stylo flotte tranquillement jusqu’à l’arrière du groupe ; nous pouvons glisser un oeil dans le couloir dans lequel ils évoluent, dans notre direction… l’angoisse. Le stylo tombe finalement, juste derrière eux, et ils se retournent presque d’un mouvement. L’un d’entre eux se baisse :

—C’est à qui ?

Et avant que celui à l’avant ne lève la tête, nous donnons le signal ; je croise son regard juste au moment où j’utilise la pression de l’air pour brusquement les aplatir au sol, sortant l’air de leurs poumons pour faciliter le travail de Mitsu et gagner du temps, puis relâchant mon contrôle de l’air autour d’elle pour la laisser atterrir au sol et se téléporter si elle le souhaite. Ils se débattent, l’un d’eux crie, je grince des dents. Ca commence à s’agiter au niveau de l’autre groupe, ils l’ont entendu ; l’alerte va être donnée.

—Merde. La ruse marchera plus, on fonce dans le tas.

Quand tous les soldats ici sont HS, je retourne en l’air pour foncer vers le couloir suivant, procédant à la même opération, mais les éclatant plutôt contre les murs. En espérant que l’impact les assomme avant que Mitsuki n’ait à s’épuiser à les mettre hors d’état de nuire. Certains se relèvent, et je mets toute mes forces à les immobiliser.


HRP : je me permets d'accélérer un peu pour ces deux groupes histoire qu'on arrive à Ys plus rapidement, je laisse Mitsu finir le travail Tu peux faire sonner l'alerte, c'est comme tu veux : à voir s'ils ont eu le temps de le faire ou pas.

La stratégie est en place. Je hochai plus ou moins la tête - difficile dans cette position - quand Aoi m'indiqua combien ils étaient. Alors que le stylo touchait le sol, l'électricité grésillait déjà autour de moi. La Master Air les plaqua au sol et les petits éclairs que j'avais préparés se glissèrent dans leur nuque pour leur faire perdre connaissance, aidés par le manque d'approvisionnement en oxygène provoqué par Aoi.

Nous redescendîmes au sol à l'instant où ils sonnaient l'alerte. Je serrai les dents, agacés. Malgré le peu de bruit, ils nous avaient repérés...

Ok. C'est pas grave, on va accélérer les choses. Mes yeux s'emplirent d'or à nouveau pendant que je prenais pleinement le contrôle de leur système électrique, suivant Aoi qui fondait dans leur direction, ne la perdant pas de vue. Je sentis une pression se renforcer sur mon bracelet et sentis que j'avais atteint le maximum de ses limites. Je n'allais pas tenir longtemps avec le brouilleur de pouvoirs... Alors il fallait que ce soit rapide et efficace.

Les caméras tombèrent toutes HS, n'affichant sur les écrans de surveillance qu'un panneau noir. Ouvrir toutes les portes électriques ? Non, ça me coûterait trop d'énergie, et nous en aurons besoin pour revenir. Et nous avions le pass. En espérant que tous les pass permettent d'ouvrir tous les accès... A la place, je m'immisçai dans leur système de communication, et le brouillai également en y ajoutant une quantité monstre de grésillements électriques. S'ils voulaient nous retrouver maintenant, il faudrait qu'ils soient sur le terrain... Ils ne pourraient plus nous pister.

Aoi termina de s'occuper de cette nouvelle équipe de gardes très rapidement et je la laissai faire, concentrée sur ma propre tâche. Quand elle se tourna vers moi après les avoir tous mis hors d'état de nuire, mes yeux perdirent leur éclat doré.

-J'ai brouillé nos pistes. On continue par là, déclarai-je en commençant à courir dans la direction où le blocage des pouvoirs me semblait plus fort.

Je serrai le cristal de Télépathe dans ma main, y mêlant ma propre énergie pour essayer de retrouver l'énergie d'Ys. Je ne savais même pas si ça fonctionnait... Mais nous n'avions pas d'autre alternative.

Je ralentis à l'angle d'un couloir. Une autre équipe était là. On les entendait s'agiter. J'adressai un signe à mon amie pour lui indiquer que j'étais prête à donner l'assaut.

-Il faut essayer d'entrer dans la pièce qui se trouve derrière eux. S'ils ne sont pas partis à notre poursuite dans les couloirs et sont restés ici, ça veut bien dire quelque chose...

Mes mains s'électrifièrent, prêtes à agir.

Proposition:

Ca commence à chauffer. Mon rythme cardiaque fonctionne à plein régime, mes sens en alerte me poussent à foncer droit vers le couloir suivant, espérant que Mitsuki parvienne vite à trouver la localisation d’Ys, qu’on puisse se barrer illico de cet endroit où nous risquions nos vies. Pourtant, à côté, elle semble à nouveau partie au loin, visiblement fixée sur sa tâche… c’est pas grave, je peux gérer. Ok, c’est un peu plus complexe toute seule, mais en les fracassant suffisamment de fois contre les murs et en les étouffant, je parviens à un résultat similaire au précédent. Par contre, je vais avoir besoin de quelques minutes pour reprendre mon souffle.

Je m’appuie contre le mur et souffle un peu, sans rien dire, acquiesçant vivement aux paroles de ma partenaire et amie… qui se remet à courir, me forçant à faire de même. N’étant pas Sonore, je ne peux pas atténuer le bruit de notre course comme je le voudrais. Si on doit se débarrasser de tous les mecs dans cette base, on va être à court d’énergie avant d’atteindre notre objectif… Mais on n’a pas le choix que d’y aller vite et fort.

A l’angle d’un nouveau couloir, Mitsuki me fait signe qu’un nouveau groupe nous attend ; je fronce les sourcils.

—Ca vaut vraiment le coup, cette histoire ?

Ses mains s’électrifient. Grimace de ma part.

—Ok.

On y va.

Mitsuki se téléporte en premier ; je reproduis mes mouvements de tout à l’heure, bloquant les mouvements de nos assaillants avec la pression de l’air le temps qu’elle parvienne à les taser, et lui donnant un coup de main magique de temps à autres depuis une position plus à distance. Avec ses éclairs, si je suis en plein milieu, je vais juste la gêner ; en revanche si je peux lui offrir des cibles plus immobiles et éviter qu’ils n’atteignent leurs armes, c’est pour le mieux.

L’un d’entre eux parvient à se défaire de mon emprise et se jeter sur moi, entamant un corps à corps ; je perds complètement mon contrôle sur mes pouvoirs, laissant encore plusieurs assaillants autour de Mitsuki. Merde !

Un souvenir de ma mission d’il y a plusieurs mois me revient en mémoire, et ma respiration s’accélère davantage alors que je tente de repousser ses assauts, déviants ses coups alors qu’il utilise une arme blanche. Je peux pas me permettre de finir dans le même état ; je peux pas me permettre de laisser Mitsu finir dans le même état-… Mes yeux s’illuminent d’argent alors que ma Greffe reprend sa place de ma poitrine à mon bras, laissant écouler de son sablier le temps que j’ai accumulé. Autour, tout ralentit ; les mouvements de cet homme, face à moi, qui essaie de me planter se font terriblement lents, presque irréels. Mitsuki aussi est d’abord atteinte, prise dans la bulle qui s’est créée autour de nous sous le coup de ma peur. Je souffle lentement, les yeux rivés sur l’arme dont je me dégage du chemin, alors que je tente de faire sortir Mitsuki de la boucle temporelle, mais c’est encore trop difficile de ne pas faire fonctionner ma Greffe sur toute une zone autour de moi. Plus difficile encore d’exclure des objets — ou des personnes — quand je ne l’ai pas décidé avant.

J’y arrive pas, c’est trop compliqué. J’inspire et je souffle, me remettant en position d’attaque, prête à réarrêter le temps au besoin ; ma Greffe se désactive, mais reste sur mon bras, en attente. Je suis sur le côté, alors j’attrape mon assaillant pour utiliser la force de son élan afin de lui faire une prise et le balancer au sol, avant de l’y plaquer. L’air sort de ses poumons, se rassemble en une balle d’air compacte que je projette dans la tête d’un autre de nos ennemis.

Pantelante, j’ai un peu de mal à me redresser et me remettre debout une fois qu’ils sont tous KO. J'ai une estafilade au bras, mais ça commence déjà à se soigner tout seul.

—Ca va ? je coasse à l’attention de Mitsu.

Dans mes yeux, je crois qu’on peut voir que j’ai peur.

On s’approche de la porte, contre le mur… on se regarde… non, c'est bon, y a plus personne.

C’est une salle remplie d’ordis. Je souffle fort. Bon, là, c’est à toi de jouer Mitsu, parce que moi et les ordis, ça fait deux. J'en profite pour rester dans l'entrebâillement de la porte pour avoir une visibilité, dos à la salle, le temps de reprendre longuement mon souffle.

—Tu crois qu'il y a des infos intéressantes à récupérer ? Est-ce qu'Ys est bien ici, pour commencer ?

Si ça se trouve, c'est juste un piège.

Ce ne fut qu'à la remarque d'Aoi que je constatais que je m'étais peut-être un peu trop reposée sur elle avant pour me focaliser sur leur système de défense électrique. Mais nous n'avions malheureusement pas le temps, et j'étais déjà en train de foncer vers les ennemis en me téléportant sur place. Aoi resta en retrait, agissant de loin, ce qui me simplifia la tâche, n'ayant pas à l'éviter avec mes éclairs que je jetais à répétition en direction des soldats, déjà affaiblis par mon amie.

Deux d'entre eux étaient déjà sur le sol quand les trois restants foncèrent dans ma direction. Trois ? Ils n'étaient pas... Je pestai en voyant le quatrième foncer vers Aoi, sauf que je n'eus pas le temps d'agir, me téléportant rapidement derrière l'homme qui arrivait derrière moi pour m'en servir de bouclier face aux deux autres qui chargeaient. Son corps sans vie tomba sur le sol pendant que je me baissai pour éviter le coup suivant, laissant une vague électrique à faible portée s'échapper de moi pour venir électrifier les jambes des deux assaillants restants. Je tournai brièvement la tête en direction de la Master Air pour voir comment elle s'en sortait, avant de pousser un bref soupir de soulagement en constatant que l'homme était déjà maîtrisé. Un coup de pied circulaire plaqua au sol les deux gardes qui restaient encore, paralysés à cause de mes éclairs, et ils perdirent enfin connaissance.

La voie était libre... Pour le moment.

Aoi me rejoignit après m'avoir demandé comment j'allais, et je hochai la tête. La lueur que je voyais briller dans son regard ne me plaisait pas tellement.

La porte s'ouvrit sur une salle remplie d'ordinateurs. Voilà pourquoi ils gardaient cette salle... Un soupir de déception m'échappa avant qu'Aoi ne reprenne la parole. Evidemment qu'on pouvait utiliser ces ordinateurs et les données qu'ils contenaient pour localiser Ys.

Nous refermâmes la porte derrière nous, la laissant entrouverte pour qu'Aoi puisse continuer à surveiller le couloir. Notre temps était compté, nous ne pouvions pas traîner.

-Je fais au plus vite, dis-je en commençant à pianoter sur les touches du clavier.

Je me pinçai les lèvres et commençai à marmonner dans ma barbe alors que le premier système de sécurité de l'ordinateur se déclenchait. Si seulement j'avais les capacités et la rapidité d'action de Houston pour ce genre de choses...

Pourtant -à croire que la chance était de notre côté- une fois le premier code cracké, l'écran afficha une panoplie d'images de caméras brouillées. Mes yeux virèrent à l'or tandis que j'annulais la censure que j'avais établie sur leur système pendant 10 secondes, jetant un oeil aux images pour repérer Ys sur l'avant-dernière. L'image se brouilla à nouveau et mes yeux retrouvèrent leur couleur habituelle alors que je me redressais pour me tourner vers Aoi.

-Salle 106.

Je fermai les yeux un bref instant, serrant le cristal de Télépathe entre mes doigts. Un mince sourire étira mes lèvres alors que je sentais une présence que je connaissais bien me signaler son réveil. Ys était inconscient... Mais pas lui. Il était affaibli, mais le Dragon nous envoyait un signal. Mes yeux se rouvrirent sur une lueur dorée qui me brûla la rétine. J'utilisais beaucoup mes pouvoirs, il était temps que nous partions d'ici.

-Je peux nous y téléporter. J'ai gardé en mémoire la pièce dans laquelle il est enfermé, et j'ai senti l'énergie du Dragon en éveil. Il nous appelle. Si je me concentre dessus, je ferais un sans faute. Mais j'aurais besoin de toi ensuite pour qu'on mêle nos énergies et qu'on se re-téléporte à Terrae avant qu'un autre groupe de soldat ne débarque. Tu te sens prête ?

Et se faisant, je lui tendis ma main.

-La salle semblait vide, mais il y avait beaucoup d'angles morts sur l'image. Je ne peux donc pas certifier qu'elle est vraiment vide. Il y a sans doute des scientifiques là-bas ; c'était une salle d'expérience. Ys est allongé sur la table au centre, inconscient. Il faudra le détacher avant de se téléporter hors d'ici.  

Mitsuki parvient à se débarrasser de ses adversaires sans trop d’effort, mais moi, j’ai déjà bien puisé dans mes réserves. Restant sur mes gardes, je l’accompagne dans cette salle des ordinateurs après que nous ayons échangé un regard. Cette pause me fait le plus grand bien, mais mes sens projetés vers le couloir pour mesurer les changements de pression et les mouvements de l’air, qui indiqueraient l’arrivée imminente de nouveaux ennemis, me garde en alerte. Je vais encore avoir le dos bloqué en revenant. Pour éviter de m’éparpiller, je mets en place une respiration abdominale lente et profonde, pendant que le son du clavier manipulé par Mitsuki me parvient. Je glisse un oeil en arrière et aperçois quelques images vaciller… bon, il est repéré. Parfait. D’ici quelques minutes, on sera rentrés à la maison, je m’en fais la promesse.

—Entendu, je te fais confiance.

Et je lui tends la main.

Enfin, je lui tendais la main pour attraper la sienne, mais un bruit d’explosion retentit plus loin et le courant se coupe dans toute la base. Un goût amer remonte dans ma gorge alors que je perçois, au loin, l’énergie du Master que nous recherchons, sombre, abîmée… elle me prend à la gorge et aux tripes, j’ai presque la nausée tellement je me sens en colère.

La lumière s’allume dans le couloir, comme un chemin qui s’ouvre. Je souffle du nez, brûlante de rage. C’est que maintenant que tu te réveilles, Ys ? Bah bravo.

J’attrape la main de Mitsu, et elle nous téléporte. La pièce est en bordel, des cadavres — non, ils vivent encore, ça pourrait être pire — sont étalés par terre. L’un d’entre eux semble essayer de se remettre debout, mais il finit écrasé au sol par la pression de mon Air, alors que je me dirige vers Ys.

Ys dont il manque un bras. L’amputation est moche, le travail est grossier ; je lui lance un regard sombre de mes yeux brillant d’argent, le surplombant, debout à côté de la table sur laquelle il est allongé, l’esprit envahi de pensées et émotions contradictoires. Gardant la tête froide, je pose ma main sur son front sans le détacher pour scanner son corps à la recherche de lésions internes. Il semble avoir subi des expérimentations douloureuses. Des cicatrices de brûlures mal soignées ornent son corps, épuisé, drogué… Sa Greffe l’a vraiment transformé en quelque chose d’autre, hein. Il aurait jamais pu utiliser sa magie autrement.

—Mitsu, tu penses que les données sont détruites ? S’il y a des échantillons, il faut tout détruire…

Je continue à fixer Ys, ou plutôt la chose qui s’agite dans ses yeux et qui a déjà tant blessé Mitsuki par le passé. Puis, un peu brusquement, je lui déverse mon énergie guérisseuse pour l’anesthésier davantage, histoire qu’il ne nous casse pas les pieds et n’entrave pas notre téléportation. Faudrait pas qu’il essaie de nous emmener dans un autre endroit encore, sinon je le bute. J’en profite quand même pour soigner quelques tissus abîmés, je suis pas comme ça.

Evidemment, sinon c’est pas drôle, ça commence à s’agiter dans le couloir. Je grogne fort en commençant à me débattre avec ses liens pendant que Mitsu file les retenir. Je grommelle à l’intention d’Ys, dans son état de semi-conscience, mais plus pour passer mes nerfs que pour avoir un échange sympa avec lui :

—T’étais vraiment obligé de te mettre dans des emmerdes pareilles ? Espèce de gros débile. BON MITSU, LA TELEPORTATION LÀ ??

Mon Air soulève Ys de sa table de torture (j’peux pas appeler ça une table d’auscultation, ça me rend absolument malade) et je le tire avec moi sur le côté pour nous mettre hors de portée, à la recherche du cristal de Téléportation prêté par Mitsuki… Je respire super bien, j’vois pas de quoi vous parlez. Le voir comme ça, ça m'a peut-être fait plus mal que je l'imaginais.




HRP : jtm tu m’as manqué bb <3
mitsu > je suis restée sur le plan initial mais comme Ys a ENCORE tout cassé j'improvise

HRP : Bon retour hihiiiii

Si ma maîtrise du pouvoir de Télépathe était encore assez hasardeuse depuis le début de la mission, la voix du Dragon me parvint avec une telle force qu'elle me retourna l'estomac.

A peine eus-je terminé ma phrase à l'intention d'Aoi qu'un bruit d'explosion se fit entendre. C'est là que je perçus son premier grognement. Fort, si fort... L'espace de quelques secondes, j'eus la sensation de me trouver juste en face de lui.

Sa colère sourde, son désir de vivre, son appel à l'aide ; tout me parvint avec une telle douleur que je me sentis vaciller l'espace d'une seconde. C'est à cet instant que mon amie saisit ma main et me raccrocha à la réalité.

Je relevai mon regard pour l'ancrer dans le sien, les traits tirés par la détermination. Les ampoules grésillèrent avant de s'allumer pour nous indiquer la voie. Je nous téléportai.

Lorsque nous arrivâmes sur place, les restes du cristal de Télépathe disparurent entre mes doigts alors que j'entrais pour la dernière fois dans l'esprit d'Ys, guidée par le Dragon. Tout était si sombre. Tout était si vide. Tout était si mort.

Un haut-le-cœur me ramena à la réalité. Après cette demi-seconde d'égarement, je revins à moi, constatant qu'Aoi était déjà en train d'agir, plaquant au sol l'homme qui avait tenté de se relever. Mes yeux tombèrent sur le corps d'Ys qui gisait là, inerte. Son avant-bras gauche avait été amputé. Son corps était encore couvert de brûlures. L'aura du Dragon était souillée par toutes les drogues qui lui avaient été administrées afin de le maintenir endormi et impuissant.

Si nous n'étions pas arrivées aussi rapidement, serait-il mort...?

Des bruits de pas dans le couloir me sortirent de ma léthargie. Je secouai ma tête et quittai cette scène du regard pour reporter mon attention sur l'extérieur de la salle. Je lâchai quelques sphères électriques dans la pièce pour les utiliser comme source de lumière, avant de couper à nouveau le courant dans l'intégralité de la base, éteignant les dernières lumières que le Dragon avait rallumées pour nous.

Sans vraiment prendre le temps de réfléchir, j'attrapai le premier flacon de liquide qui passait sous ma main et l'explosai en dehors de la pièce où nous nous trouvions, y balançant instantanément à la suite un éclair afin de l'électrifier. Un deuxième rempart électrique se dressa devant la porte avant que je ne la referme, et je me tournai vers l'intérieur de la pièce. Restait-il des échantillons...? Je crois que le dernier qu'il restait venait d'être balancé à travers la porte. Je me pinçai les lèvres. Non. Sur la table, là-bas, dans cette malle fermée.

Alors que je m'y précipitai, mon coeur se serra brutalement et je commençai à haleter. Serrant brutalement ma peau à cet endroit, je pestai en terminant ma course. Les soldats qui arrivaient dans le couloir s'arrêtèrent après que l'un d'eux ait hurlé à la mort. J'en déduisis qu'il avait avancé dans cette flaque électrique.

Ma main libre se posa faiblement sur la malle qui était verrouillée par un cadenas. La pression exercée par les gardes à l'extérieur ne me laissait par le temps de crocheter cette serrure. Et mes bracelets anti-brouilleurs avaient atteint leur limite - je ne pouvais pas utiliser mon magnétisme.

Du coin de l'oeil, j'aperçus Aoi qui s'était calée avec Ys dans un autre coin de la salle. Sa main se déplaçait dans sa poche et je sentis l'énergie de mon cristal qui la rejoignait bientôt. Si je ne pouvais pas les détruire, alors que nous partirions avec les prélèvements.

-Prépare la téléportation Aoi !

Mes bras serrèrent la valise contre moi, et je m'élançai dans sa direction au moment où la porte s'ouvrait avec fracas et que les soldats pénétraient à l'intérieur de la pièce. Un pas, deux pas, je me tournai pour faire face aux gardes. Aoi attrapa ma taille et je jetai ma main libre sur l'une des chevilles d'Ys. Les coups de feux résonnèrent à mes oreilles et les balles vinrent se ficher dans le mur derrière nous tandis que notre téléportation nous déposait en salle des Masters, à Terrae.

Le changement brutal me donna la nausée.
Je me redressai péniblement, gênée par la lumière soudaine. La malle contenant les prélèvements effectués sur Ys tomba à mes pieds. Mon visage se tourna en direction d'Aoi. Mes yeux s'arrêtèrent sur Ys et sur ce corps meurtri. Mon coeur se serra à nouveau et je sentis mon rythme cardiaque s'accélérer. Je serrai les dents.

-Le voilà, il est de retour, sifflai-je entre mes dents.

Je le fixai encore quelques secondes avant de reporter mon attention sur les Masters présents qui attendaient notre retour.

-Cette malle contient les derniers prélèvements qu'ils ont effectués sur lui je suppose. J'imagine qu'ils n'allaient pas tarder à les envoyer pour les faire analyser. Faites-en ce que vous voulez. Peut-être que Misao sera content de les récupérer.

Un ange passa. Je me dirigeai vers la porte.

-Si vous n'avez plus besoin de moi, je demande la permission de me retirer.

Et alors que je franchissais la porte, Hideko sortait de son bureau pour rejoindre la salle des Masters. Je m'adossais contre le mur à côté de la grande porte, saluant la directrice d'un mouvement de tête alors qu'elle entrait dans la pièce à côté de moi. Je n'avais pas envie de rester à l'intérieur et de subir tous ces regards sur moi. Mais pour une fois, j'avais envie d'entendre ce que tout le monde avait à dire.

Mon entretien avec Akira terminé, j'étais retournée en salle des Masters pour observer les derniers préparatifs pour le départ d'Aoi et Mitsuki. De concerto, Tomoe et Keitaro avaient réussi à relocaliser l'endroit où il était supposé se trouver, et l'image avait été transmise à Mitsuki pour lui permettre de les y téléporter. Et puis, une fois équipées, elles disparurent pour arriver là-bas.

Dans la salle des Masters, à distance, Tomoe continua à essayer de les suivre. Elle sonda les différents avenirs possibles, tenta de s'équiper des bracelets anti-pouvoirs pour repousser les limites de leurs barrières magiques. Keitaro se servit du cristal de Télépathe qu'il avait fourni à Mitsuki pour les observer à distance - ou au moins se préparer à la réception d'un éventuel message de détresse. Une équipe de secours était prête à intervenir si jamais les choses se compliquaient pour elles sur le terrain. Mais j'avais confiance.

De retour dans mon bureau, je relisais le dossier d'Ys, que nous avions mis à jour dernièrement concernant sa sanction. Nous nous étions rencontré la semaine précédente avec les Masters pour en discuter. Adapter la sanction avait été compliqué, et il avait été difficile de trouver le bon compromis pour traiter aussi bien les cas d'Akira et d'Ys, mais nous avions finalement réussi à trouver un terrain d'entente.

Quand je sentis les énergies d'Aoi et de Mitsuki de retour dans la salle des Masters, je refermai les pages ouvertes devant moi et me levai pour aller les rejoindre. L'énergie mutilée d'Ys me parvint alors que j'ouvrais la porte de mon bureau. Je croisais Mitsuki en chemin, et sans un mot, j'acceptais sa présence ici, entrant dans la pièce qu'elle avait quittée quelques secondes plus tôt.

-Merci à vous, Aoi.

Je m'approchai du corps brûlé et amputé. Je m'attardai un instant sur son état, sentant l'énergie de la Master qui se déversait encore à l'intérieur, bien que très légèrement, maintenant un état stable et l'empêchant également de reprendre ses esprits avant que de véritables soins lui aient été administrés.

Je tournai la tête vers mes collègues. Il était temps de lui apposer le sceau ; ce fameux sceau qui lui infligerait des douleurs équivalentes à celles qu'il infligerait à sa victime s'il était soudainement pris d'une pulsion meurtrière. En ce qui concernait le reste de la sanction, je passerais informer le Master déchu à son réveil à l'hôpital.

Aucune visite autorisée si ce n'est celles de certains Masters. Bracelet électroniques pour contrôler ses déplacements. Travaux d'intérêts généraux dans les villes qui ont subi des dégâts après son passage... Suppression des pouvoirs. Il sera placé dans la chambre de quarantaine de l'hôpital, là où personne ne peut utiliser ses pouvoirs. Mais des bracelets anti-pouvoirs viendront tout de même encercler ses poignets. Nous ne pouvions pas nous permettre de lui laisser la possibilité de récupérer ses pouvoirs une fois la chambre quittée.

-Norah ne devrait pas tarder à arriver, tu devrais pouvoir bientôt pouvoir passer le relais. Encore merci à toi.