19 avril.


__–Résumé des épisodes précédents. Suite à la concentration de nombreux Tonnerres au même endroit, au même moment et séparés uniquement d’un fin mur de là où dormaient les jumeaux de Karen, séparation qui fut brisée par le crâne de Senri lancé à pleine vitesse contre cette pauvre cloison qui n’avait rien demandé, notre personnage décida qu’il était plus qu’urgent de trouver un autre lieu où vivre. Son sommeil était déjà fortement perturbé par ses fils et leur besoin de se nourrir toutes les heures ; il ne fallait pas empirer les choses.
__–Restait à savoir où vivre.
__–Bien sûr, la possibilité de demander asile à Minoru avait été soulevée, pour n’être que mieux écartée.
__–Si vous vous demandez pourquoi Jean-Michel Connard ici présent veut pas en dire plus, c’est parce qu’il sait que s’il dit ce qu’il pense de Minoru je lui casserai les couilles jusqu’à l’infini, mais il a pas envie de dire la vérité. Alors j’m’y colle. En fait c’est pas bien cul, elle a pas envie de le déranger. Ça la met mal à l’aise, m’voyez ? Genre elle tient à lui et à leur amitié – en même temps c’est son seul ami mdr – et du coup elle veut pas lui imposer… bah une vie de couple avec enfants, en fait, c’est ça ni plus ni moins.
__–Passons. Le parrain ayant été rayé de la liste, il y avait la marraine ; Aoi, mais cette perspective n’était pas moins insupportable à Karen.
__–Là pareil il va pas dire pourquoi. Alors, y’a la raison de flemme d’avoir sa doc sur le dos H24 qui va la faire chier sur tout, mais y’a aussi que bah Karen elle a une race quand-même. La décision c’est pas que Aoi qui peut la prendre, y’a aussi son mari et son gamin, elle peut pas juste débouler en mode « mdrlol t’as déjà fait énormément pour moi mais tiens, trois personnes de plus, contente ? » non c’est pas possible.
__–Cela laissait, en fin de compte, fort peu de personnes éligible, à l’exception de…
__–Chut toi, le suspense !
__–Tout le monde a déjà lu le lieu où se passait cette scène.
__–Putain de méta-RP de ses grands morts. Bon bah vazy c’est bon j’ai compris, balance.
__–De Misao, donc. N’importe qui de sensé se dirait instantanément qu’il devait être, et de loin, la personne la moins indiquée à qui Karen pouvait demander de l’aide. Cependant, pour une raison qui échappait à tous, y compris à eux deux, Misao avait une sorte de dette, d’obligation morale envers elle.
__–Et en bonne Karen, Karen veut l’utiliser.
__–Tout de suite.
__–Ben ouais, là maintenant tout de suite, en fait. Minoru, qui est venu l’aider en mode super sympa le mec à déménager ses affaires, qui porte John et Boyce en écharpe contre son torse, se, non, s’est en route pour… merde attends…
__–Cher ami, quand on ne sait pas faire des phrases qui vont plus loin que sujet, verbe, complément, on s’abstient. Nous disions donc que Karen et son assistant étaient dans le couloir des Feux. Il n’était… pas aussi calme que celui des Eaux, mais déjà sensiblement plus que celui des Tonnerres.
__–« Ok c’est là. »
__–Elle toqua à la porte. Soupira longuement.
__–« Misao t’es là ? C’est moi c’est Karen. »

Pour bien préparer la sortie tant attendue de son jeu le mois suivant, Misao avait décidé de sortir sa switch, la brancher à la télévision de son salon bien organisé et parfaitement rangé, et relancer Breath of the Wild afin de se réimprégner de l’univers, des musiques, des combats. S’il avait trouvé tous les petits korogus cachés, il lui restait un élément particulier à compléter : l’encyclopédie. Presque aussi casse-pied que de retrouver toutes les bestioles, il lui fallait retrouver les éléments manquants, puis en prendre des photos acceptables et cadrées correctement (son cerveau de psychorigide refusait des photographies mal cadrées, bien qu’il s’autorise quelques photographies amusantes avec les créatures qu’il combat ; nous nous souviendrons tous de cette photographie exquise de Link souriant face à un Moldaquor à deux doigts de le croquer).

Tout ça pour dire, Misao était assis en tailleur sur son canapé, manettes en main, lunettes sur le nez, prêt à trouver les derniers foutus oiseaux de son encyclopédie afin de la compléter, quand on toque soudain à la porte. Il met son jeu en pause, enfile ses chaussons d’appartement ; fringues classique de la maison pour Misao, pantalon fluide et confortable, t-shirt noir simple. Karen… Karen. Misao fait marcher son cerveau un instant, le temps d’arriver à la porte, fronçant les sourcils, et quand il ouvre… AH. CETTE KAREN. AH…………… Des bébés.

Hm.

Misao, interdit, reste à observer Karen, puis les enfants, puis l’adolescents, puis Karen à nouveau. Oh. Ah… Ah oui, il s’est passé un sacré paquet de choses depuis la dernière fois — visiblement, deux paquets de choses. Cela étant, il a quelque peu du mal à envisager, et encore plus à comprendre, ce que Karen pouvait bien faire avec son mec et ses deux… enfants ? cousins ? frères et soeurs ? les a-t-elle kidnappé ? devant sa porte. Avec cet air courroucé.

…

Du coup il sait même pas s’il doit dire bonjour, mais on imagine qu’il va falloir dire bonjour.

—Euh… Salut Karen. Un problème ?

Oui, parce que venant d’elle, ça ne pourra qu’être un problème. Surtout vu la quantité de sacs qu'elle a dans les mains.

Alors qu’il faisait de son mieux pour suivre Karen tout en portant sa progéniture le plus confortablement possible, Minoru n’avait évidemment pas la moindre idée de la destination que Karen pouvait avoir en tête. Encore moins lorsqu’elle se trouvait dans le couloir des Feux, qu’il côtoyait sans y connaître qui que ce soit, à part peut-être ce mexicain (ou espagnol ?) de sa classe qu’ils avaient bien croisé quelques fois. Que Karen préfère confier ses bambins à quelqu’un comme Miguel sonnait autant comme une évidence que comme un crève-cœur, face à ce que ça pouvait suggérer.

Mais, en fait, ce n’était pas Miguel qu’ils allaient voir. C’était un homme plus grand, et surtout plus vieux. Un trentenaire japonais ordinaire comme il y en avait finalement si peu à Terrae.

Quelle relation exactement…

Il regarda John. Puis celui qui se faisait appeler Misao. Puis John à nouveau.

Fiou. Ils ne se ressemblaient pas.

Cet homme n’était probablement qu’un professeur de Terrae qui…

Ils avaient les mêmes profs, non ? C’était forcément quelqu’un qu’elle avait rencontré en-dehors. Et qu’elle connaissait assez bien de surcroît.

Sans oser piper mot sinon un « Bonjour… » étouffé, il se contenta d’observer la situation. En espérant y comprendre quelque chose... Et si possible autre chose que tout ce qu’il avait imaginé.

__–Misao la regarda. Longuement. Intensément, pourrait-on dire. Elle considéra ses vêtements, de pied en cap, avec un haussement de sourcil désapprobateur, qui—
__–Ouais alors vite la narration stp j’ai un Minoru qui sent la peur ici là et qui, ah, ah bah non, il est soulagé.
__–… Soulagé de quoi wesh ?
__–Je ne sais point et n’ose l’imaginer. Toujours était-il que Karen coupa court à ses propres réflexions pour entrer dans le vif du sujet :
__–« Ouais. Évidemment, qu’il y a un problème. »
__–Elle n’était certainement pas venue pour le plaisir de sa compagnie, la douceur de sa conversation, ses charmantes attentions ou la délicatesse de ses prévenances.
__–« J’ai pas oublié que t’as dit que tu me devais un service. Et, euh. Ces putains de Tonnerres de leurs grands morts, là. Genre l’autre chauve et l’espèce de tarée qui est, tu le crois ça, ma voisine, non mais on se réveille en fait, j’ai des gamins quoi, qui a cru que ça allait être compatible ? Bref, on peut dormir chez toi ? »
__–Ah non mais oui, direct comme ça, oklm, c’est quoi ton expression là, j’l’aime bien ?
__–De but en blanc ?
__–Ouais voilà. Non ben du coup au moins elle est claire sur ce qu’elle veut. Enfin presque, y’a zéro chances que Misao capte pas de traviole et croie qu’on va transformer sa piaule en nid pour amoureux, mais bon.
__–« Bon, euh, du coup j’vous présente ? Tiens, tu peux nous laisser entrer quand-même, on va pas s’foutre sur le pas de ta porte quoi, voilà merci. Minoru, j’te présente Misao Honda, on s’est croisé une fois et… ’fin bref c’est pas important. Misao, bah vlà Minoru, c’eeeeeeeeest un pote et l’parrain, et j’ai bien dit le parrain, de mes gamins. John – qui regardait d’un œil à moitié caché sous l’écharpe une des seules figures qu’il connaissait avec grande attention, à savoir celui dont il portait le prénom – et Boyce – qui lui avait grande curiosité (et un filet de bave, prestement essuyé par sa mère quand elle l’aperçut) que pour Misao – et leur daron t’es gentil tu demandes pas merci. »
__–Il manque un truuuuuuuc.
__–« Bref voilà t’as le topo. T’as pas un truc à boire stp ? »
__–Non pas ça.
__–« Ah et. Euh. S’il te plaît. »
__–Héééé ben mieux vaut tard que jamais.

La situation paraît cocasse. Un instant, il espère qu’elle ne baissera pas les yeux vers ses chaussons affublés du sigle de Zelda, parce qu’elle est suffisamment insupportable pour faire une remarque dessus, mais l’instant suivant, il est assailli par un milliard de questions, d’exclamations internes de surprise et par tout l’absurde de cette situation. À savoir, la meuf qui s’est blessée par sa faute — bon, elle avait qu’à faire attention et pas essayer de le frapper, hein — plusieurs mois plus tôt qui débarque chez lui avec deux gamins, qu’il espère presque être des bébés abandonnés, ou qu’elle a volés, ou juste qu’elle a décidé de babysitter pour se faire de l’argent et…

Le petit bonhomme à côté semble terrifié en le voyant… et regarde le bébé… et Misao… et le bébé…. ….. Misao ressent comme une sueur froide dans son dos, pris d’une étrange intuition.

Evidemment. Ca y est, les emmerdes commencent. Lui non plus n’a pas oublié le service qu’il a promis de lui rendre, mais il place quand même son bras contre l’encadrement de la porte, tant pour faire barrière que pour essayer de se retenir et reprendre contenance. Putains de Tonnerres de leurs grands morts, oui, c’est à peu de mots divergents près ce que Misao pense quotidiennement à leur sujet, et le fait que cette impulsive de première en soit une ne l’étonne finalement même pas. “L’autre chauve”, oui, d’accord, tout le monde le connaît, Hideko va certainement elle aussi finir chauve à cause de lui, un de ces jours. Misao plisse les yeux… Il a envie de se masser les tempes.

…

Du coup il se pince l’arête du nez, épuisé d’avance. Il reste devant elle, l’empêchant d’entrer, et croisant les bras. Ca fait…………….. beaucoup d’infos à la fois, là, mdr. Il relève les yeux vers Karen pour la fixer fort, attendant un mot en particulier pour la laisser entrer. (Il note aussi que c’est le parrain des gosses, et il est soudain lui aussi terrifié du regard que lui a lancé le jeune japonais. Mais compris : il ne demandera pas, de toute manière ça ne se fait pas. Il hoche néanmoins la tête quand Karen présente son ami, histoire de dire “j’aurais été ravi dans d’autres circonstances”.)

Ah, elle a dit s’il te plaît. Il souffle, croise le regard du petit Boyce, et s’écarte finalement, vaincu par la mignonnitude de son regard.

—Enlevez vos chaussures dans l’entrée s’il-vous-plaît.

Et il se dirige immédiatement vers la télévision pour, en deux clics, sauvegarder sa partie déjà en pause de toute manière, puis éteindre la télévision.

—Installez-vous sur le canapé. (C’est pas une question en fait.) Vous voulez boire quoi ? Et les petits ont soif ?

Il se dirige vers le coin cuisine et jette un regard par-dessus son épaule pour observer les gestes maladroits des deux ados qui s’installent.

—Avant de décider de squatter chez moi avec ton ami et tes deux enfants, on peut peut-être envisager de voir s’il reste une chambre libre à un autre étage avec Hideko, tu ne penses pas ? Ou même juste plus loin dans le dortoir Tonnerre ? J’ai dit que je te rendrai service, mais dormir ici, c’est, hmm...

C’est bizarre. S’il te plaît, petit Minoru, dis-lui que c’est chelou son idée, Misao n’a plus de mots, là. (Genre son pote. Il peut pas les héberger son pote ?)

“On s’est croisé une fois et… ’fin bref c’est pas important.”

Entre cette phrase qui n’avait pas rendu les circonstances de leur relation moins mystérieuse, le fait que M. Honda portait le même nom que la directrice de Terrae, cette histoire de service qu’il semblait lui avoir promis et le fait qu’elle lui demande comme ça si elle pouvait rester dormir (est-ce que c’était déjà arrivé… ? combien de fois… ? est-ce qu’ils avaient dormi dans le même…), Minoru se sentait comme embarqué dans une affaire beaucoup trop grande — et beaucoup trop intime — pour lui. S’il n’avait eu les deux enfants dans les bras, et avec eux la responsabilité d’aider Karen, il en aurait très volontiers profité pour s’excuser. Ne serait-ce que parce que ça semblait vraiment déranger l’intéressé.

À défaut, il articula quelque « Enchanté » timide avant d’emboîter lentement le pas de la blonde.

Ou du moins, d’essayer. En effet, enlever ses chaussures était une politesse indispensable, mais plus complexe à réaliser tant le poids de son corps était déséquilibré par celui des bambins qu’il n’aurait risqué de faire pleurer pour rien au monde. Avant d’en passer le pas, il appuya donc sa main sur le côté de la porte, puis se laissa glisser lentement vers le bas, son autre main étant occupée à s’assurer que l’écharpe ne bougeait pas de trop. Il ôta ainsi lentement, et une à une, ses chaussures, en masquant sa peine aux enfants par un sourire légèrement forcé. Le chemin inverse n’en fut pas moins une épreuve, qui se conclut toutefois sans trop d’encombre.

Avec une pincée d’appréhension qu’il noyait dans de petites interactions discrètes avec les bambins, il entra donc — sur un « Excusez-moi de déranger... » d’usage — chez… qui que M. Honda soit, impressionné tant par la taille de la pièce que par sa propreté apparente. C’était que pour l’instant, les seuls intérieurs qu’il connaissait étaient soit des appartements d’initiés (dont celui de Karen qui était… qui aurait pu être mieux rangé certains jours, et le sien dont l’état suivait les fluctuations de son humeur) soit, car il l’avait entrevu seulement, celui de la Tonnerre qui organisait une fête… Et disons que les deux ne dégageaient pas la même impression. M. Honda lui semblait donc être quelqu’un de très respectable malgré… Malgré.

Sans trop oser dire quoi que ce soit, Minoru rejoignit donc Karen sur le canapé, où son supplice put donc marquer une trêve.

« Ce n’est pas la peine… » répondit-il, quand il s’agit de boisson (du moins le concernant), ne sachant vraiment pas où se mettre. Sentiment qui s’intensifia évidemment lorsque Honda exprima une nouvelle fois sa désapprobation face à la situation, par une tirade qui… lui apprit plusieurs choses. Déjà, qu’il appelait Mme Honda par son prénom, ensuite qu’il avait au moins l’air d’être sceptique face à l’idée que Karen dorme chez lui, ce qui excluait l’idée que ce soit une activité régulière… ou du moins une activité assumée au point qu’il puisse en parler ouvertement depuis un étranger.

Dans tous les cas, l’homme avait raison. Minoru répondit donc à son appel à l’aide télépathique :

« Tu sais ça ne me dérange vraiment pas si… (il essaya de bien réfléchir à la formulation) … si vous dormez dans ma chambre cette nuit… Je pourrai juste dormir ailleurs… Et te passer la clef… »

Où exactement il dormirait s’il laissait sa chambre à Karen sachant qu'il n'avait pas vraiment d'ami à Terrae, il n’y avait pas encore réfléchi, mais ce serait un souci pour plus tard.

__–Héééééé ben, il prend ça mieux que c’que j’pensais.
__–Ce n’était pas dans la pratique de Karen d’enlever ses chaussures, mais elle se plia à l’exercice avec un roulement d’yeux. Il faut dire aussi que, venant de personnes qui dormaient et mangeaient par terre, c’était assez compréhensible. Cela dit, Karen eut vite fait et constata que Minoru avait quelques difficultés.
__–« Non mais attends fais pas le con. »
__–Aussi se pencha-t-elle et les lui retira-t-elle.
__–Et rougit un peu.
__–… je te demande pardon ?
__–Bah ouais écoute, non mais c’est comme ça, hein.
__–« … Voilà, quoi. Tiens puis passe-m’en un, tu vas être embêté sinon. »
__–Elle prit Boyce, ce qui n’allait pas être inutile, étant donné que c’était ce petit être qui était visiblement le diplomate qui avait permis à Karen de pénétrer la demeure de Misao. Une demeure, il faut le dire, remarquablement propre.
__–Et avec un canap’ donc c’était pas suuuper utile ta vieille remarque de merde, là.
__–Encore heureux qu’il y avait un canapé.
__–« Oh euh, ouais, en vrai juste de l’eau ça ira, merci. Ils savent pas encore boire tous seuls mais t’inquiètes, tu peux juste leur remplir leur biberon, il est dans la poussette, attends. »
__–Elle alla le chercher et le tendit à son hôte. Cette question réglée, il fut temps de préciser quelques éléments.
__–« Euh, ouais, on peut carrément envisager ça, hein, mais là c’est plus un plan d’urgence, on va pas s’amuser à la réveiller, aller voir s’il en reste et tout déménager chez moi en cinq minutes avant d’aller les coucher, hein. Et euh, t’es sympa Minoru, hein, vraiment, mais alors ok, mettons tu me files ta chambre, tu dors où en fait ? J’veux dire, t’as une chambre d’initié, c’est juste pas possible niveau place. À Misao, avec un regard suppurant le jugement : Parce que non c’est mort, on va pas dormir dans le même lit. Parrain, tu te souviens ? Toi ça va t’es Étoile, c’pour ça que j’suis là hein, t’as laaaarge la place, je les fous sur ton lit et je dors sur ton canap, pour quelques nuits ça s’fait. »
__–Boyce abonda ce petit discours par une explosion de rire à la vue du visage agité d’expres​sion(ou de tocs ?) de Misao, puis d’une abondante sécrétion de bave, dont un filet qui s’écoula… et fut rattrapé avant de toucher le canapé par un mouchoir de Karen.
__–‘faudrait p’têt le rassurer sur un autre truc, l’autre maniaque, là.
__–Pour une fois que je suis d’accord.
__–« Et promis la vie d’ma m… non ça vaut que dalle ça, bref promis quoi, ta piaule sera impec. Pas un truc qui traîne. Rien. Allez deal ? Stp je suis éclatée et eux aussi j’aimerais les coucher. »
__–Là, ce fut John qui appuya cette parole en se mettant à pousser des petits gémissements plaintifs de fatigue.

Pourquoi plus le temps passe, et plus Misao a l’impression que la situation est 1) un gros malentendu 2) un cauchemar 3) une hallucination ? Dans les deux derniers cas, il est certain qu’il finira par rappeler sa psy pour parler de ce moment dramatique où une Tonnerre de 16 ans a jugé bon de venir toquer à sa porte, car visiblement, Misao serait la seule personne en capacité de la loger ? Qu’est devenue sa chambre, une auberge de jeunesse ? Et à côté, le gamin qui l’accompagne ne fait que se décomposer un peu plus à chaque mot, chaque regard, chaque putain d’interaction. Mais que c’est fatigant. Les regarder interagir aussi c’est fatigant, putain.

Misao, lui-même dépité, s’avance vers sa cuisine pour en tirer deux verres pour servir Karen et lui-même. Minoru n’en veut pas, il va pas le forcer, hein. Soupirant, il attrape même les biberons (oui, il a décidé de cesser de parler pour l’instant) pour les remplir, eux aussi, et les reposer sur le plan de travail, jetant un coup d’oeil inquisiteur à la squatteuse. Il la coupe d’un ton cassant, visage calme mais sourcils froncés.

—”Quelques nuits” ? C’est hors de question. Tu crois que je vais dormir où en attendant si tu veux squatter à la fois mon lit et mon canapé ? Là, tu es pas en train de me demander un service, tu es en train de me foutre à la porte de chez moi, et c’est non. Et je vais pas aller dormir dans ta chambre, pas la peine de discuter.

Non mais c’est quoi ce plan qu’elle lui propose. Où est-ce qu’il est censé dormir, lui, dans cette histoire ? C’est pas comme si les seules personnes qu’il pensait pouvoir déranger c’était, au choix, Huo (qui a aussi un petit, et qu’il n’a pas envie de faire chier à cette heure, vu qu’il n’est pas un foutu Tonnerre sans gênes) ou Hideko (qui, bien qu’elle ait aussi des enfants, est sa soeur et donc la personne à qui il acceptera de casser les couilles à n’importe quelle heure de la nuit s’il le faut lorsqu’une telle situation se produit). Nan mais allez Minoru, dis-lui que ça se fait pas, je sais pas.

—Pour Hideko, il est pas si tard, j’ai son numéro de téléphone. Si t’as réussi à venir jusqu’ici avec tes affaires, t’es en mesure d’attendre dix minutes qu’on trouve une solution, qu’on mette des draps sur un autre lit et qu’on bazarde ce que vous transportez sur vous dedans.

Sans attendre de réponse, il se déplace pour attraper son téléphone, mais l’autre bébé — celui dans les bras de Minoru, commence à chouiner de fatigue… Nan mais vas-y, ils lui cassent tous les pieds ce soir. Il souffle fort.

—Bon. Tu dors dans la chambre. UNE nuit. Tu me laisses le canapé. Si je trouve tes cheveux partout dans la salle de bain, ça va barder. Et demain on parle à Hideko pour trouver une solution.

(Il s’est auto-convaincu…?)

Minoru avait suivi toute cette conversation en espérant s’être fait assez petit — et assez discret émotionnellement, sensitive dans la pièce oblige — pour qu’ils en oublient sa présence… et pour que lui même l’oublie, si c’était seulement possible.

C’était qu’outre le caractère impromptu de la situation, et malgré les éclaircissements qu’il y grapillait, il ne savait plus vraiment quoi en penser. D’un côté, c’était mal que les enfants tardent trop à dormir, Karen devait sûrement être épuisée par sa journée, et puis il avait de toute façon un léger biais qui lui faisait accepter toutes ses incivilités. De l’autre, la réponse de Honda était parfaitement juste, si bien qu’il ne manquait à Minoru que l’affirmation de soi pour attraper le bras de Karen et l’entraîner hors de là sur un “Il ne faut pas déranger le monsieur”.

Il fit donc ce que quelqu’un qui manque d’affirmation avait tendance à faire dans ces moments-là : il se flagella mentalement pour son impuissance et son inutilité. Après tout, s’il avait pu proposer une solution acceptable à Karen, ils n’en seraient pas là. Il aurait pu travailler davantage ses pouvoirs, passer Étoile plus vite…

Finalement, le temps qu’il se dresse une liste de reproches, le problème semblait convenablement s’être résolu de lui-même.

Enfin, il s’était fini sur une proposition que le japonais aurait dû refuser un minimum de trois fois avant d’envisager à l’accepter, mais que la blonde allait probablement accepter du premier coup. Il marmonna bien un léger « Ce n’est pas la peine… » pour la forme, se doutant bien qu’il allait se perdre, avant d’essayer de calmer comme il le put son filleul et le zeste de jalousie qu’il ne s’avouait pas.

HRP:

__–À la vue de leurs biberons remplis, Boyce poussa un grand cri satisfait et engloutit la tétine, sur laquelle il suça goulûment, tellement que sa mère dut le retirer à un moment de l’emprise de ses gencives pour vérifier qu’il n’exagérait pas… et effectivement, sitôt la bouche libérée, il inspira un grand coup, avant de tendre les mains vers son eau avec des geignements plaintifs.
__–John était plus calme, sans doute au grand bonheur de Minoru qui devait lui donner à boire.
__–Karen aurait voulu rétorquer qu’il pouvait très bien dormir dans sa chambre, qu’elle ne voyait pas le problème, qu’il était vraiment un « gros coincé du cul sa mère », mais sans doute parce qu’elle était tellement éreintée que le simple exercice d’aligner deux mots devenait compliqué, elle ne le dit pas à voix haute.
__–Et là, truc de ouf, elle a même réfléchi avant de parler ! Sans dec : elle s’est rappelée que chez elle bah y’a un trou causé par Senri qui donne direct chez Nana, donc, euh.
__–« Ouais non ok, mauvais plan. Que tu pionces chez moi. »
__–Et comme elle est partie sur sa lancée, j’vous jure, elle va continuer à réfléchir ! Ça arrive pas souvent, ‘faut en profiter. Vous avez du bol, là.
__–« Oh, euh. »
__–À Fayetteville, il aurait été très indécent de pour Karen dormir dans la même pièce que Misao, mais, fort heureusement, nous n’étions pas à Fayetteville.
__–« Hm. »
__–Elle assit Boyce sur le canapé, qui avait fini de boire… et s’effondra sur le côté, non sans un certain sens du dramatique, pour aussitôt fermer les yeux, les poings, se recroqueviller et passer à un mode de respiration typique des personnes endormies.
__–« Ok deal. »
__–Genre, mais GENRE il lui a laissé le choix, t’sais.
__–« … »
__–Ah elle rougit mdr.
__–« Merci. »
__–Son max, j’vous jure.
__–« T’inquiètes, juste une soirée. Demain je leur explose la tête et ça ira mieux. Merci à toi aussi Minoru. Déso j’ai un peu niqué ta soirée. Enfin. Il t’aime bien, quand-même. C’est cool. »
__–Effectivement ; John n’avait pas pour projet de finir son biberon, mais envisageait de dormir et avait déjà commencer à se prêter à l’exercice dans les bras de son parrain. Karen le reprit avec la plus infinie délicatesse pour le coucher dans sa poussette. Ce n’était pas idéal que de s’en servir comme d’un landau, mais mieux valait qu’ils y fussent blottis et protégés, plutôt que d’être partout ailleurs.