L’année s’était écoulée bien trop vite pour les deux jeunes femmes. Afya avait l’impression qu’elle avait à peine eu le temps de cligner des yeux et que noël arrivait. Contrairement aux années passées l’ivoirienne ne pouvait dire que le bilan était positif. Elle avait pris plusieurs décisions on ne peut plus… portées à controverse. Certaines ne valaient pas la peine d’être mentionnées… Et pourtant la rouquine qui ne l’était plus vraiment était au courant de chacune… Elle avait d’ailleurs plusieurs fois exprimé plus que bruyamment son désaccord. Elle était malgré tout restée, elle n’avaient pas besoin d’être d’accord pour être amies. Elle restait sa personne préférée dans le monde.

Et c’était avec elle qu’elle avait rendez-vous pour faire de la pâtisserie. La journée se profilait donc plutôt bien, si ce n’est que l’ivoirienne était en stress depuis une bonne semaine. Elle se préparait mentalement à faire de la peine à quelqu’un qu’elle aimait et ça la rendait… Désagréable ? Littéralement, elle était sur les nerfs, et ça s’en ressentait. Le peu de sens de l’humour qu’elle avait semblait s’être dissipé. Allègrement. La douceur s’était tarie et quand elle avait jeté un regard noir à un initié qui la connaissait et n’avait fait que la bousculer, ce dernier avait été persuadé d’avoir fait quelque-chose d’impardonnable et s’était posé moultes questions.

L’intérêt de travailler dans les cuisines de la cafétéria c’était qu’on n’avait pas à s’y introduire quand on voulait y cuisiner. Elle avait simplement demandé si elle pouvait utiliser les différentes machines et ustensiles du lieu pendant l’après-midi quand ses collègues se reposaient entre le serrvice de midi et celui du soir. Elle attendait Ariana dans la cours, un gros sac rempli de matières premières à bout de bras. Quand elle la vit et malgré sa mauvaise humeur du jour, elle ne put elpêcher son visage de s’éclairer.

« ARIIIIIIIIIIIIIIIIAAAAAAA ! » la salua-t-elle en secouant la main pour attirer son attention.

Le temps passe à la fois bien trop vite et trop lentement ; parfois, Ariana aimerait le ralentir pour pouvoir en profiter davantage. Pour autant, la petite Morphe est bien heureuse de pouvoir enfin laisser derrière elle tous les tracas liés à l'Eclipse, à la perte, puis le retour en fanfare de ses pouvoirs. Elle arrive à nouveau à les utiliser correctement fort heureusement ; il lui en aura fallu, des semaines !…

Enfin, ces derniers temps, elle est à nouveau dans la lune. Rien de dramatique, mais sa rencontre récente avec Allen lui a à nouveau retourné le cerveau. Ce n'était pas faute d'avoir essayé de l'oublier, pourtant ; mais à chaque fois, son coeur s'emballe et la voilà repartie. Si agaçant !!

Heureusement, aujourd'hui, elle va pouvoir penser à autre chose que ses cinquante derniers crushs et son ex-copain, puisqu'elle a rendez-vous avec Afya pour faire des biscuits de Noël. ELLE A TELLEMENT HÂTE !!! Elle est même allée acheter de quoi décorer lesdits biscuits ; ça manque toujours de paillettes en sucre dans la vie. C'est avec son petit sac de course qu'elle revient joyeusement du village et répond au salut d'Afya en la voyant, agitant la main comme une enfant heureuse :

—Hiiiii coucou !!!!!

Elle lui saute à moitié dessus pour lui faire un gros câlin et attrape une des anses de son sac rempli à ras bord :

—Viens je t'aide ! C'est pas trop lourd, ça va ? Comment tu vas ?! On peut aller dans les cuisines du coup ?!

Enfin, elle a toujours réussi à s'y faufiler avec un joli sourire, mais voilà, parfois demander l'autorisation c'est bien, aussi.

Recevoir une Aria avec et sans élan dans c’est bras est toujours quelque-chose de surprenant pour Afya, et ce malgré l’habitude. Comprenez, Ariana de l’extérieur donne souvent l’impression d’être extrêmement forte. L’ivoirienne ne s’étonnerait pas de la voir accomplir un miracle ou deux en utilisant son énergie et sa force de persuasion (qui tenait sans doute au fait qu’elle ne lâchait jamais l’affaire). Pourtant quand elle la serrait dans ses bras elle la trouvait presque frêle, elle redevenait humaine.

Comme souvent, l’espagnole ne lésinait pas sur les questions et répondre à chacune d’entre elle demandait une certaine attention à son amie… Mais plus les années passaient, plus elle y arrivait et quand elle avait un doute elle pouvait désormais se servir de son pouvoir (presque) incognito.

« Ça va j’ai déjà porté bien plus lourd ! » c’était vrai, même si cela n’allégeait pas le sac. « Ça va et toi ? » et c’était vrai rien que de voir sa meilleure amie elle se sentait soulagée d’un poids, oh, bien entendu il ne disparaissait pas, ce n’était pas si facile, mais la perspective d’une après-midi à faire cramer des gâteaux et à se gaver de toute sorte de fruit sec en riant avec son amie la réconfortait grandement. « Et oui ! Le chef m’a donné l’autorisation à condition qu’on nettoie tout avant le service de ce soir ! » ce dont elle ne doutait nullement.

Chacune des jeunes femmes était bien chargée quand elles se faufilèrent dans la cuisine. Elles avaient devant elles un immense plan de travail vide sur lequel elles disposèrent leurs emplettes.

« Tu sais de quoi on va avoir besoin ? »

Ce dont il faut se rappeler avant tout, c'est qu'Afya et Ariana sont voisines. Fut un temps, elles avaient presque envisagé de demander à Hideko s'il était possible de faire un trou dans le mur pour inclure une porte entre leurs deux chambres. Presque étant le mot clé, il est à se demander pourquoi aucun couloir secret n'a été creusé dans les murs durant l'Eclipse, lorsqu'elles avaient des pouvoirs de titan… Tout ça pour dire : quand même, elles se voient régulièrement, elles ne peuvent pas se manquer tant que ça. Mais passer une vraie après-midi entre copine, c'est différent de larver l'une chez l'autre devant un épisode de série le soir avant d'aller se coucher.

—C'est pas grave, je t'aide quand même !! Je vais bieeeen. J'essaie de réfléchir à de nouveaux design pour des tenues d'hiver, mais je bloque un peu en ce moment, t'imagines ??? Je déteste quand j'ai un art block comme ça !

Enfin, faire des gâteaux sera certainement une bonne idée pour se sortir de son pseudo-travail à plein temps. Maintenant qu'Ariana ne travaille plus au restaurant, elle se sent parfois un peu désoeuvrée dans sa chambre ou l'atelier, toujours à réfléchir à de nouvelles idées, en mettre en oeuvre, certes ; mais lorsque les idées ne viennent plus, les journées semblent assez fades.

—Tu verras, la cuisine sera propre comme un sous neuf quand on en ressortira ! la rassure Ariana en riant, la suivant en portant les sacs avec elle jusqu'à la cuisine. Hmmm… Ca dépend lesquels tu veux faire ! On peut en faire des simple au beurre et au sucre, mais on peut aussi faire une fournée avec des biscuits au chocolat si tu as envie ?

Tout en parlant, la plus vraiment rouquine fouille dans les sacs pour sortir les matières premières et les petits emporte-pièces, les yeux pétillants. Elle en sort en forme d'animaux, forcément.

—Oh, regarde, on pourra aussi en faire de ces formes-là ?? Je les ai trouvés tout à l'heure !

Le choix est complexe : des gâteaux simples avec une chance de les réussir ou des gâteaux compliqués avec une chance de les rater ? Afya est de ce genre de personnes qui maitrisent plutôt bien les plats salés mais qui font un net blocage avec tout ce qui est sucré. Il faut la comprendre aussi, quand on fait un ragout, il suffit de tout couper en petits morceaux et de le jeter dans une marmite, ensuite on attend et on met un minuteur et si ça dépasse un peu, et bien le goût de brulé rajoute du cachet au plat. Un plat salé ne se rate pas, alors qu'un gâteau, quand il est trop cuit et bien... Il est trop cuit. Ca gâche tout.

"On peut essayer ceux aux chocolats..."

Parce que si Ariana est là elle ne peut que les réussir, c'est une évidence. Elle est un peu tristoune d'apprendre que son ami a un blocage, mais elle se garde bien de dire qu'il passera. comprenez par là, que l'ivoirienne ne veut pas conjurer le... OH MAIS SI ELLE SAIT ! Elle peut voir le futur !

"Tu veux que je te dise quelle sera ta prochaine idée ?" si ça pouvait la déloquer, c'était une bonne chose non ?

En vrai on veut tous gagner du temps sur nos idées... Elle regarde les petits emportes-pièces en forme d'animaux et elle bloque très certainement sur un chat qui ressemble un peu à une panthère si on plisse les yeux comme ça oui. Si clairement avec une pâte au chocolat noir ce sera une panthère d'enfer ! Être avec Ariana lui fait temporairement oublié son rendez-vous avec Senri de ce soir.

—Ceux au chocolat alors, c'est parti !!!!

Ariana rassemble joyeusement les ingrédients dont elles ont besoin pour cette folle (non, en vrai ça va) entreprise. Levant les yeux vers Afya qui lui propose une chose somme toute étrange mais relativement compréhensible, elle plisse le nez et s'appuie contre le comptoir pour réfléchir.

—Hmmmm, ça pourrait être une bonne idée, mais j'admets que j'aime bien trouver mes idées toute seule ! Enfin, pas que je l'aurai pas trouvée seule, du coup, puisque ce sera mon idée, mais est-ce que c'est le moment de voir cette idée ? Et est-ce qu'en cherchant à voir quelle est cette idée, elle ne va justement pas être comme je voudrais qu'elle soit ? Est-ce que ce sera encore mon idée, d'ailleurs ?! Parce que concrètement si on voit quelle est ma prochaine idée et que c'est ça qui définit quelle sera ma prochaine idée, où est le processus créatif ?!

Et au niveau du copyright, qui peut lui assurer que c'est bien d'elle ?! Non, c'est trop dangereux !!! (Elle n'est pas dramatique)

—Enfin, merci de proposer en tout cas !… Tiens, tu aimes bien celui-là ? On peut faire des gros chats si tu veux !!!

Ariana prend l'emporte-pièce et le met de côté, puis sort la balance et les bols.

—Y a beaucoup trop de gens à qui j'ai envie d'en offrir, c'est terrible. Je crois qu'il va falloir en faire vraiment beaucoup beaucoup, rit l'ancienne rouquine. Tu sais à qui tu vas faire un paquet ?

D'un commun accord de l’univers, Ariana se prend trop la tête. De l'avis d’Afya, sa réflexion est logique, une idée met du temps à germer, et si on la fait éclore trop tôt elle pourrait se faner. Il est sage de la part de son amie de ne pas se précipiter. Elle la comprend pleinement. Elle sait d’ailleurs que regardé le futur et le presser peut s’avérer dangereux. C’est sans doute pour cela qu’elle préfère regarder le passé, et si possible des faits dans lesquels elle n’est pas impliquée, c’est plus distrayant. Certains ont netflix, d’autres sont voyants. Que voulez-vous, la vie est injuste.

« Toi, Asbjorn, Selvi, Baxter même s’il est pas là je les lui donnerais quand il rentrera si je les conserve bien ils seront encore frais, Vivianne et Angelo, et Tiago. »

Elle prit une inspiration, elle savait  qu’elle oubliait quelqu’un d’important. Elle voulait l’oublier un petit moment. Genre tant qu’elle était avec Ariana. Genre profiter. Okay, elle ne pouvait pas faire semblant, c’était pas possible avec Ariana.

« Et il faut que j’en fasse beaucoup pour Senri, pour le consoler, je vais rompre avec lui. »

Enfin. Pour rompre il aurait fallu déjà avoir été en couple. C’est peut-être pinailler vu qu’ils sont mariés, certes… Mais ils n’ont jamais eu la proximité affective d’un couple. Tout juste d’un couple d’amis. Et encore même pour ça, ça s’était vite passé, cette virée au Las Vegas avait bousillé cette relation naissante. Pour se donner une contenance elle se mit à casser des œufs.

« Et toi tu as fait une liste ? Peut-être qu'on devrait en faire des gros et les personnaliser ?»

Bon, Ariana est d'accord avec elle-même : c'est gentil Afya, mais on n'inceptionne pas ses idées, sinon on créé une faille dans l'espace-temps ! Ou un truc comme ça. C'est toujours comme ça que ça commence, après tout !!

La liste d'Afya est presque aussi grande que la sienne, elle se surprend cependant à plisser le nez fort peu discrètement à la mention de Tiago. Franchement, les fréquentations d'Afya sont pas terribles...

—Je suis sûre que ça leur fera trop plaisir !! Par contre euh, pourquoi Tiago ?!!

Nan mais désolée, Ariana n'a pas vraiment de personnes qu'elle n'aime pas, mais Tiago c'est un peu son ennemi sans qu'il soit au courant. Bah oui, fallait pas taper Houston et Alice, non mais !!! Elle comprend toujours pas comment Afya fait pour être amie avec un type pareil...

Elle s'interrompt cependant dans son exclamation quand Afya dit qu'elle doit en faire plein beaucoup pour son MARI LOLOL parce qu'elle va- Rompre--- QUOI QUOI QUOI ??

—OH SERIEUX ??? C'EST GENIAL !! ... Euh, euh, pardon, je voulais dire (Ariana panique, ça se voit sur son visage, et elle s'agite d'autant plus dans ses gestes) que euh mince, c'est, euh, c'est triste, tu... euh, ça va, tu le vis pas trop mal ? Désolée...

Elle se retient d'ajouter un rapide "vous formiez un si joli couple !!" qu'elle aurait sûrement prononcé avec un peu de sarcasme. Faut dire qu'Aria n'a jamais approuvé la relation qu'Afya essayait de se construire (au détriment de son bonheur et du bon sens) avec Senri ; tout ça pour des principes moraux qu'Ariana comprend, mais qu'elle ne parvient pas à assimiler dans une situation pareille. Pour autant, la peine et l'anxiété de son amie semblent bien réelles, et la pauvre Morphe s'en veut immédiatement pour cette bourde monumentale. Se pinçant les lèvres, elle détourne les yeux, gênée et décide de répondre quand même à son amie.

—Oh, c'est une bonne idée les gros... mais je risque d'oublier des gens si je fais la liste maintenant, j'ai pas une très bonne mémoire aha... (Elle compte sur ses doigts et commence à énumérer à voix basse.) Toi, Houston, Zola, Akihiko, Katsuyo ; Nicolas, Jérémy, Alice, Elwynn, Adé, Asb ; Mitsuki ça pourrait être bien ; Ys........ (ses sourcils se froncent) hm, non, c'est vrai. Aoi et Huo, aussi. Elfie... Et Ashton, évidemment !

La moitié de Terrae, basiquement. Son coeur se serre lorsqu'elle constate qu'elle aimerait bien en offrir à Allen aussi...

—Pourquoi tu as décidé de, euh... Rompre avec Senri ?

"Parce que c'est... Un ami ?"

Si elle avait dit "mon patron" bien entendu, Ariana savait ce qu'elle voulait savoir sur cette histoire, mais elle savait qu'elle n'aurait pas bien pris ce terme. Elle était déjà bien assez stressée pour ne pas jeter de l'huile sur le feu et risquer de s'engueuler avec sa meilleure amie.

Elle ne put retenir un sourire face à l'explosion de joie d'Ariana. Elle vit bien ses efforts pour essayer de se rattraper et cela lui tira un petit rire. Tout était toujours plus simple quand elle le partageait avec l'ancienne rousse.

"On pourra le fêter si tu veux, tu avais raison depuis le début !"

Ce n'était pas la réponse a sa question, mais à vrai dire, elle n'était pas certaine de ce qu'elle pouvait dire. L'instant d'avant ça n'allait pas vraiment mais pas trop mal, là c'était plus que supportable, même joyeux. Elle n'était pas certaine de comprendre ses propres sentiments, elle se demandait si les tonnerres se sentaient toujours comme ça. C'était agréable quelque-part.

"Ashton faut qu'on lui fasse quelque-chose de bien kitch, je suis certaine qu'il appréciera !" elle essaie de saisir la perche pour changer de sujet.

Mais son sourire se fane rapidement avec la nouvelle question de son amie. Bien entendu, c'est une question légitime. Une question à mile réponse, la plus simple était aussi la plus évidente. Ils n'étaient pas heureux. Ce constat n'avait cependant jusque-là pas arrêté l'ivoirienne. Elle se disait que le bonheur se construisait et que plus ils mettraient du leur, plus ils réussiraient à être heureux.

"J'ai regardé notre futur, nous ne serons jamais heureux ensembles, et nous nous reprocherons l'un l'autre notre malheur sans jamais nous l'avouer. Je veux juste nous donner une chance."

"Un ami". Afya a vraiment des amis bizarres, hein. Bon, Ariana ne peut pas vraiment argumenter à ce propos-là non plus, étant donné que la majorité de ses amis actuels ont à un moment donné appartenu à une mafia, un gang, ont tué des gens, fait tuer des gens, arnaqué des gens, ou simplement sont en train de génocider des gens quelque part dans le monde. Qu'est-ce qu'elle y peut ? Terrae est ainsi faite... Cela étant, elle n'aime pas Tiago, et puis c'est tout.

Enfin, heureusement, sa meilleure amie n'est pas du type à se vexer pour une bourde pareille : ouf ! Aria lui lance un sourire un peu gêné et acquiesce vivement pour la forme, les joues un peu chaudes. Heureusement que la communication est si facile, avec elle ; elle sait que même si elle répond trop vite, ou qu'elle ne comprend pas, il y aura toujours une occasion de se rattraper, de s'expliquer. Et puis, pour qu'elles s'en veuillent l'une à l'autre, il faut y aller... Elles se respectent, d'une manière simple et limpide. Ca coule comme de l'eau de source.

Après son énumération, qui la laisse quelque peu pensive, Ariana éclate de rire tellement brusquement qu'elle manque de s'étouffer avec sa salive.

—Oh non arrête, il me juge déjà tellement !!!! Je suis sûre qu'il doit se demander ce qu'il a fait à l'univers pour que je lui colle la honte comme ça ! ... Enfin, autant y aller à fond du coup, tu as raison !!! Un chat arc-en-ciel ?!

Nyan cat ...?

Un rire la secoue toujours un peu, mais elle parvient à se calmer. Elle a beaucoup de questions pour son amie, certaine qu'elle n'a jamais trop osé lui poser pour ne pas risquer de la blesser. Même si Ariana a confiance en la confiance qu'Afya lui porte (c'est compliqué, à ce niveau-là), une partie d'elle hésite toujours un peu lorsque les discussions sont trop importantes.

La réponse de sa meilleure amie la fait sourire. Ce n'est pas moqueur, simplement pensif. C'est doux et pragmatique, comme Afya.

—Tu as sans doute raison de le faire, alors. Pas parce que tu as vu votre futur ensemble, je veux dire. Rester ensemble par commodité ou parce qu'on s'y sent forcé, parce que "c'est comme ça", c'est la porte ouverte au malheur. Et puis, tu mérites quelqu'un qui ne défonce pas tous les murs avec son crâne ! rit Ariana. Comment est-ce que tu le vis, toi ?

« C’est sûr que c’est plus intéressant qu’un arc-en-ciel chat… Mais il faut lui ajouter une corne de licorne pour que ce soit parfait ! »

C’est officiel, Afya a changé. Ou alors elle a simplement trop côtoyé Ariana, l’un ou l’autre sont possibles et non exclusifs. D’ailleurs il est possible que les meilleurs changements dans la vie de l’ivoirienne soient dus à l’espagnole.

La conversation reprend un ton moins naïf, plus sérieux surtout. Encore une fois, Afya réfléchit avant de répondre. Ce n’est pas évident de rendre compte de sa frustration, de sa désillusion, de sa crainte aussi, de la peine qu’elle ressent, de l’appréhension à en parle avec Senri, de la peur de le blesser, de la peur de se blesser.

« Je le vis comme une échec, j’avais la conviction que n’importe quelle relation pouvait, et prospèrerait si on y accordait du temps et de l’importance. Avec Senri ça ne fonctionne pas, peu importe combien j’essaie, peu importe combien on essaie. Plus on essaie, plus on s’éloigne. »

Ce n’était pas faute d’avoir essayé, ils vivaient même ensemble. Ce qui était d’autant plus inutile qu’invivable. Leur chambre étant peu à peu devenu un no man’s land. Ils évitaient l’un comme l’autre de s’y attarder, trouvant en cette cohabitation une étrangeté, une répugnance même parfois. C’était peut-être l’application du dilemme du hérisson. L’hiver, le hérisson a froid alors il essaie de se rapprocher d’un autre hérisson, mais ses piquants lui font mal, il s’éloigne et fini par mourir de froid. C’est gai tout ça.

Une !!! Corne de licorne !!! Les yeux d'Ariana sont remplis d'étoiles quand Afya lui fait sa merveilleuse suggestion, à laquelle elle acquiesce à grand renfort de hochement de tête et de couinements.

—Afya, tu es un génie, je te l'ai déjà dit ?!!

Probablement dix fois rien que ce mois-ci, oui. C'est fréquent, après tout, mais elle ne s'en lassera jamais. Elle imagine la tête de son prof en pouvoirs…. Et d'un coup, son visage devient cramoisi. Oh mais non, elle va encore se taper la honte…. Nan mais au moins ce sera un truc bizarre, il pourra pas prendre ça comme une déclaration d'amour de sa part !!! Ce que ça n'est évidemment pas du tout !!

De son côté, Ariana laisse le temps à Afya de trouver les mots, même si quelque chose brûle en elle de répondre. Elle déglutit lorsque son amie ivoirienne reprend la parole et acquiesce alors lentement.

—Je comprends… Ca doit être faire mal, malgré tout. (Elle s'humecte les lèvres pour bien prendre le temps avant de reprendre. C'est pas le moment de merder.) Et en même temps… Tu ne l'aimais pas, non ?

Ariana peut évidemment comprendre pourquoi cette histoire de mariage était importante pour Afya. Et en même temps, tout en elle hurlait qu'ils ne s'aimaient pas, qu'ils n'avaient même pas pris cette décision. Un mariage à Vegas bourrés, c'est pas une décision. C'est pas un engagement, peu importe comment c'est présenté… Elle aurait vraiment aimé que ça ne les détruise pas au fur et à mesure ; mais maintenant, faut bien casser le pot pour pouvoir en ramasser les morceaux. Enfin, c'est pas ça l'expression, mais on s'comprend !

—Est-ce que ça vaut le coup de développer une relation dans laquelle tu ne t'épanouis pas, si tu as le choix ? rajoute-t-elle d'une petite voix.

« Souvent ! » rit l’ivoirienne.

Elle ne s’est jamais trouvée particulièrement géniale, mais quand c’est son amie qui le dit elle a un peu envie de le croire un peu. C’est facile de croire en quelqu’un en qui on a confiance, même si au fond, parfois, il lui arrive de penser à Ariana comme un parent, quelqu’un de tellement proche de soi qu’il s’extasie de ses premières diarrhées : « Oh regarde chéri sa couche est pleine ! » Elle n’en était cependant pas arrivée à cet extrême avec Ariana et profitait encore du plaisir de ses compliments.

Le ton plus sérieux n’en était pas moins intéressant, les questions étaient pertinentes, et finalement elle n’avait que peu de réponses à lui donner.

« Je ne suis pas certaine de ce que je ressens pour lui, ou de ce que j’aurais du ressentir pour lui. Je n’ai pas une grande expérience personnelle des sentiments, et encore moins amoureux. Si je compare à ce que j’ai pu lire, il ne fait pas battre mon cœur plus vite, et mon univers ne s’est pas subitement mis à tourner autour de lui. »

Par contre, il y a cet autre garçon auquel elle s’interdit de penser depuis qu’elle est mariée… Même un an plus tard, il est toujours dans sa tête. Cela l’a agacé bien souvent, puis peiné. Elle ne devait pas penser à lui de la sorte, elle n’en avait pas le droit. Elle s’était promis qu’il n’influencerait pas ses décisions avec Senri, et ça avait été le cas. Elle ne pensait pas un instant reprendre quoi que ce soit avec cet homme, s’il y avait quelque-chose à reprendre d’ailleurs.

« Je ne pouvais pas jeter quelque-chose que je n’avais pas tenté de faire marcher. »

La conception des petits gâteaux avance tranquillement. Elles pèsent les ingrédients, les mettent dans les récipients adaptés… Cependant, Ariana fronce légèrement les sourcils. Elle est bien forcée d'acquiescer ; les sentiments d'Afya sont légitimes dans ce cas précis. Au fond, ça lui serre un peu le coeur ; elle aurait préféré que son amie ne subisse pas une telle déception, et qu'elle connaisse au moins la joie même éphémère que provoque une relation amoureuse lorsqu'on aime la personne. Ou qu'on croit l'aimer, en tout cas, durant un temps. Elle se serait fait ses expériences, et elle aurait pu mieux voir… Mieux comprendre ce dont elle avait besoin.

Enfin, si elle admet aujourd'hui qu'elle ne souhaite pas une relation dans laquelle elle se sent malheureuse, c'est déjà suffisant pour Ariana.

—Oui, je vois ce que tu veux dire. Si on n'essaie pas, on ne peut pas savoir, c'est ça ? demande calmement Aria, l'esprit perdu vers Allen.

Si on n'essaie pas, on ne peut pas savoir… Elle se pince les lèvres. Il ne s'agit pas d'elle, aujourd'hui.

—Parfois, on ne se rend pas compte qu'on est amoureux ! Ca peut prendre un peu de temps pour s'en rendre compte, alors se dire qu'il vaut mieux essayer, je trouve ça plutôt logique au final. C'est pas pour autant que c'est un échec. Si ça ne fonctionne pas, c'est que ce n'est pas la bonne personne.

Ou pas le bon moment ? Son ventre se tord.

—Tu trouveras quelqu'un, j'en suis sûre !! Et Senri aussi !!

Elle ne répond pas qu’elle n’est pas certaine de vouloir trouver quelqu’un. Elle est pourtant certaine de vouloir que Senri soit heureux avec quelqu’un d’autre. Elle sait que ce bonheur est à portée de sa main, elle l’a vu, et elle se refuse de le lui retirer. Car c’est aussi cela qu’elle ferait en restant avec lui. Son futur à elle ? Elle est bien trop couarde pour en écarter les rideaux. Elle a peur de ce qu’elle y trouverait, ne sachant pas trop ce qu’elle voulait y voir.

L’ivoirienne ne se conjuguait ni au passé ni au futur. Le passé était encré, on ne pouvait y voir que des choses finies. Le futur était terrifiant. Elle ne savait pas si elle voulait y voir de l’amour. Elle ne savait pas si elle était capable d’aimer comme on aime dans les romans, dans les films. Cela ne lui faisait pas réellement envie non plus. C’était sympathique à lire, mais clairement qui voulait avoir des palpitations et envie de vomir en croisant une personne ? Et puis imaginer ce que l’amour impliquait, cela la glaçait. Tout était bien dans le passé, et l’avenir ne serait pas impacté par quelques battements de cœur.

Elle se contenta de sourire.

« Du coup, moi aussi j’vais faire un gros gâteau pour Ashton ! Comme ça il pourra pas croire que tu essaies de le draguer si on est deux à lui faire des gâteaux bizarres. T’en penses quoi ? »

Elle avait encore assez de pâte pour se permettre cette extravagance, et elle ne devinait que trop bien les pensées de son amie qui lui avait maintes fois parlé de ses gaffes avec le professeur !