J'en peux plus. Je vois cette foutue table cassée du coin de l'oeil depuis je sais pas combien de temps et ça me rend maboul. Je dois faire quelque chose. Tout de suite. Rapidement, je descends à l'atelier et fouille les casiers, les armoires, bref je fouille. J'ai besoin d'une visseuse et de vis. Si je ne répare pas cette table aujourd'hui, je la dégage. C'est une promesse de moi à moi.  La visseuse bien en main, je monte chez les Air où m'attend ma piaule. Je pose les vis sur mon bureau qui arbore encore les griffures de la nuit catastrophe. Heureusement, les cauchemars suivants n'ont pas été aussi violents et mes pouvoirs ne se sont plus déclenchés. C'est assez d'avoir un bureau abîmé, une chaise pleine d'entailles et d'avoir perdu 50% de ma garde-robe.

Mais une fois devant la table, je dois me rendre à l'évidence. Je n'ai aucune idée de comment m'en occuper. Je sais réparer des motos mais pas un pied de table cassé net. Quel disgrâce. Avec un soupir, je pose la perceuse près des vis et dégaine mon téléphone. J'ai noté quelque part un numéro pour appeler des Terres. Avec un peu de chance, il n'y aura même pas besoin de la visseuse, vu que la table est en bois. J'attends le temps que ça sonne et quand ça décroche, je me lance.

Allô, bonjour. J'aurais besoin d'un coup de main pour une réparation sur une table. Je suis dans l'aile Air, c'est la dernière porte au bout du couloir, celle où c'est marqué Vittoria Désirée.

Erk, ce nom.

__–Vittoria Désirée ? Qui ça peut être, ça ? Attendez, je connais la moitié de l’Institut de nom et l’autre moitié de visu mais là, impossible de… Oh, mais si. La voix me revient.
__–« Oui allô c’est Luna, pour le coup de main c’est ok tant qu’on en a besoin que d’une… Hmm mm… Tori, c’est toi ? T’es chez quelqu’un, t’as niqué un truc et tu veux de l’aide pour pas provoquer d’incident diplomatique, hmm ? Ça marche, t’inquiètes je dirais rien. À tout de suite. »
__–Je raccroche. Il me semblait qu’elle était avec Alyona, tiens… Après, la rumeur prétend qu’on peut avoir des potes sans avoir envie de les sauter. Enfin bon, c’est pas mon genre de me fier aux ragots. Je raccroche. Pratique, quand-même, ce système. Les gens appellent un numéro et ça renvoie au hasard sur un titan inscrit, s’il décline ça passe au suivant et ainsi de suite… Ça a son petit succès. Puis ça me fait bouger quand je suis à la maison, on rencontre les voisins, c’est bien quoi.
__–Bref, pour une table… J’vais prendre ma boîte à outils et au pire j’irai en emprunter d’autres à Aylan, comme il est à côté. Hé, non Bob, tu sors pas avec moi, là… Hm. T’as pas l’air d’avoir trop trop envie de me demander mon avis. Non mais, j’ai compris. Entre le regard de chien qui implore, le fait que je me sois levée du canap’ alors que tu roupillais à moitié allongé sur mes genoux et que, malin comme t’es, t’as entendu Tori, t’as compris câlins, du coup t’es détèr… Okay. Hé ben okay.

__–J’arrive un peu plus tard, toque à la porte, « Salut meuf, ça va tranquille ? Ouais, il a voulu, venir, ça t’embêtes pas ? »
__–Bob, ça l’embête pas, il grimpe sur les jambes de Tori et se frotte à elle. Je jette un coup d’œil dans l’appart et, hm… Hm.
__–« … T’es sûre que tu veux que je t’aide que pour la table ? ’me semblait pas que c’était du genre des Airs de faire des soirées à la Very Bad Trip où tu finis avec un bébé dans le placard, une dent en moins et un tigre dans la salle de main… Mais bon… Si tu sautes un morphe, ça peut arriver, j’imagine. »
__–Après, Alyona est voyante. Le mystère s’épaissit…

Quand la voix de Luna me répond, j'ai un moment de panique. Mais je me force au calme. Elle a toujours été sympa avec moi, quoi qu'un peu étrangement centrée sur le sexe parfois.

Oui, c'est moi. Non, j'ai rien, euh, "niqué". Enfin, à part ma table.

Et mes vêtements, et mes autres meubles.

Mais c'est surtout que je sais pas trop comment la réparer alors bon... voilà.

"Voilà". Mais oui. On raccroche et j'attends que Luna arrive. J'ai le temps de remettre un peu d'ordre dans la chambre, mais ça ne cache pas la misère de mes meubles abîmés. Un soupir m'échappe. Puis j'entends toquer et vais ouvrir. Je suis immédiatement accueillie par le chiot de la Titanide qui quémande immédiatement des câlins. Je lui fais une caresse et souris à sa maîtresse.

Ça va, ça va. Pas de souci, il est le bienvenu. Entre, je t'en prie.

Je la laisse pénétrer la petite pièce. Bob continue de demander des papouilles alors je me décide à prendre le chiot dans mes bras. Il a grandi, et pèse déjà son poids ! La réaction de Luna ne se fait pas attendre, et là on ne peut plus parler de sauter. Elle est championne de saut en longueur aux conclusions. Je me sens déjà rougir.

Je n'ai s-sauté personne.

Pourquoi je bégaye sur ce mot moi ?!

J'ai eu une assez mauvaise nuit récemment... Et je maîtrise pas trop mes pouvoirs. Donc voilà, cauchemars plus Air égal champ-bre de bataille.

Mon jeu de mots est un peu pourri et forcé, mais j'ai pas besoin qu'on s'apitoie sur mon sort. Je remonte petit à petit la pente, c'est déjà bien. Je m'approche de la table et pose le chiot pour attraper le pied en bois.

Ça s'est tranché net, et je sais pas trop comment le réparer. Pour les autres meubles c'est plutôt esthétique. Même si le bureau a un tiroir qui coince maintenant. Expliqué-je.

__–Bon ben, Bob est content de voir qu’on s’intéresse à lui. Il va tourner autour de Tori tout le temps qu’on sera là… Ça m’embêterait pas en soi, mais c’est déjà un gros chien, il va prendre de la place. Heureusement que je le brosse souvent, sinon en plus on aurait les poils partout.
__–Sauté personne, donc. Décevant, presque. Ça aurait été une explication un peu rigolote à l’état de sa piaule. Si ce sont des cauchemars et un problème de magie, forcément, c’est moins rigolo… Puis sa dissuade de coucher avec elle, trop peur de finir en carpaccio. C’est peut-être ça, la vraie tragédie.
__–« Ça me faisait ça aussi, au début, les pouvoirs qui s’activent pendant la nuit, ouais. Après, moi c’était plus… Je me réveille et j’peux pas me lever parce que je suis recouverte de plantes, du coup ’faut désherber dès le matin… C’était moyennement pratique, mais bon… T’en as parlé à Pandora ? C’est ton préfet, nan ? Puis t’as toujours les masters. J’suis sûr en plus, l’autre là, Misao Honda, tu vois qui c’est ? Gros nerd, air un peu sévère, te juge en permanence, beau comme un dieu ? Il étudie pas mal les pouvoirs, il aurait peut-être des réponses à te filer. Et des sondes à t’insérer dans divers endroits, mais ça c’est entre vous. »
__–Ça va pas lui donner envie de le voir ce que je raconte, hmm ?
__–Bref, regardons cette pauvre table.
__–« Comme c’est net, ça va pas être très compliqué. Je vais te faire un contre-perçage ici – je montre le pied – et ici – je montre là où il devrait se mettre –, prendre des tiges en métal, les foutre dans les trous, de la colle forte et voilà, ça tiendra presque mieux que l’original. Après pour l’esthétique, ouais alors le travail du bois c’est pas ma spécialité, mais je vois à peu près avec quoi je peux te colmater ça… Ou sinon, si ça t’embêtes pas d’avoir de la dissymétrie, je peux carrément te retirer ce qui reste du pied et t’en faire pousser un autre. Ou je peux te faire ça pour tous, c’est comme tu veux. On pourra aussi mettre un peu de revêtement, lisser et pourquoi pas peindre, puis tu pourras la revendre le double de ce que tu l’as achetée. »
__–Hé, c’est une idée ça, vendre des meubles… Pourquoi j’y ai jamais pensé plus tôt…

J'ai toujours Bob qui me lèche le mollet pendant que Luna me parle, mais j'essaie de me concentrer sur ce qu'elle me dit, c'est à dire beaucoup de choses. J'imagine la titanide couverte de pousse et je ne sais pas pourquoi, je trouve ça mignon comme tout. Même si ça doit en effet pas être très pratique au réveil.

Je n'ai pas vue Pandora non... Ni Misao, mais euh. Je crois que ça ira, j'ai pas besoin de sondes. Vraiment pas. De toute façon ça l'a fait qu'une fois et maintenant que je travaille à la boulangerie, je dors plus beaucoup alors c'est un peu plus safe. Et puis, je fais plus des cauchemars aussi violents. Je crois.

Pourquoi je me justifie comme ça moi. Concentration. La table, on est là pour la table. J'explique à Luna ce qu'il faut réparer. Elle m'offre plein de solutions et j'ai du mal à me décider... Puis la fin de la tirade de Luna me fait hausser les sourcils de surprise.

Mais j'ai pas prévu de la vendre ? J'en ai besoin, c'est là où je mange, enfin mangeais jusqu'à récemment. Je veux pas non plus que ça te prenne trop de temps ou d'énergie...

J'ai très envie de voir ce qu'elle pourrait faire pousser comme pieds, mais je veux pas l'embêter avec ça. Peut-être que je peux juste lui demander pour le pied cassé ? Je pense que je peux.

Enfin, juste pour le pied cassé, je veux bien. Pour le reste, la table peut rester comme ça, ça ne me dérange pas.

Autre chose me vient à l'esprit.

Ah d'ailleurs... Comment tu veux que je paie ? Et combien surtout ?

J'ai toujours de la monnaie dans le tiroir de mon bureau, par réflexe j'en garde toujours pas mal. Avec un peu de chance j'ai assez pour la payer.

__–Je crois qu’elle comprend pas tout ce qu’on raconte quand on lui parle, la Tori.
__–« Non mais, c’est genre si un jour ça te prend… Je sais pas… Ça peut arriver… Et euh… »
__–Oui non mais, c’est compliqué d’expliquer. Autant, qu’elle bite rien à mon humour, ok, soit. Par contre, biter rien à ce que je dis qui est pas ultra ultra premier degré, ouais, là c’est chaud, j’veux dire, je dis jamais rien sans qu’il y ait au moins un double sens.
__–« Non puis bon, il faut bien que la table soit assez solide si tu veux faire des galipettes dessus. »
__–Par exemple.
__–« Et tu sais, j’ai rien d’autre à foutre de mon aprem, ça me dérange pas de te faire un truc un peu beau. T’en fais pas pour le paiement d’ailleurs, si j’ai proposé un numéro d’aide, c’est pas pour qu’il y ait une question de business. Encore, si tu me demandais un truc spécifique et long, je dis pas, tu vois ? »
__–Bref du coup on pars que sur une réparation ? Après ça change rien au fait que je vais devoir virer au moins le pied pété, donc je commence par ça. Si elle veut changer d’avis, il sera pas trop tard. Enfin, quand-même, je vais utiliser quoi comme bout de métal à enfoncer dedans, moi… Une bonne tige, là… Oh, j’en ai vu à l’atelier. Trop grandes, mais y’a une scie à métaux là-bas.
__–« Bon alors, deux options. Soit je te change tous les pieds pour la version luxe et si ça t’emmerdes pas tu me fais un p’tit truc à bouffer parce que, en vrai, ça creuse ces conneries, soit j’vais te chercher un matos qui me manque à l’atelier. Et tu peux venir. Ou pas. C’est comme tu veux. Promis c’est pas un plan pour te proposer d’aller boire un verre. Enfin, on pourra faire un crochet par le bar, prendre une bouteille et l’ouvrir pour se féliciter du travail accompli, tu me diras. Et même garder nos vêtements. »
__–Plus je lui parle moins je comprends pourquoi elle me parle. Hm.

Si un jour ça me prend quoi ? Les sondes, le/la Morphe ou vendre la table ? Il faut préciser, hein moi je suis perdue là. Enfin, je fais comme si de rien n'était et acquiesce... Avant de hausser un sourcil. Des galipettes ? Sur une table ? Je cligne une ou deux fois des yeux.

Non mais... Je suis pas cascadeuse hein. C'est par parce que j'ai fait des combats que ça va me prendre de faire une roulade sur la table- AH.

Oui, c'était long, mais je viens de piger. CE genre de galipettes. AH. Je sens le rouge me monter de nouveau aux joues.

Oui alors euh. Je vois pas avec qui je pourrais- Mais c'est pas le sujet ! Et puis on fait pas ce genre de chose là où on mange. Enfin. Je crois.

Bah oui, j'y connais rien moi. Et puis pourquoi elle me sort une chose pareille comme ça au calme ? Heureusement on change de sujet et je peux me reconcentrer sur la raison première pour laquelle Luna est actuellement dans ma chambre, un pied de table à la main. Elle sous-entend qu'il n'y a pas de paiement, et qu'elle est là de son plein gré, sans aucune question de business. J'ouvre la bouche pour lui dire que, quand même, ça m'embête qu'elle fasse ça sans rémunération, mais elle me devance et me propose plusieurs choses. Je réfléchis un instant. Je n'ai pas grand chose à manger dans mes placards...

J'aime bien l'option une. Mais je n'ai pas encore fait les courses, alors si ça ne t'embête pas de m'accompagner acheter deux-trois trucs, je peux te faire à manger. Avec un peu de chance, je trouverais de quoi faire une moqueca ou une feijoada. Dis-je avec un sourire.

Grâce à Mama je sais faire ces deux plats les yeux fermés, et tous les deux ont des ingrédients pas trop difficiles à trouver. Ça nous rappellera le pays à toutes les deux, je suppose.

Et si tu veux on peut aussi passer prendre quelque chose à boire au bar. Conclus-je.

En espérant que ça ne finisse pas comme notre première rencontre. Je tenterais de boire un peu moins.

__–Oh, je vois très bien avec qui elle pourrait. Mais j’vais être sympa et pas le dire à voix haute. Par contre, je peux pas laisser passer cet argument, je suis désolée.
__–« Oh, tu sais, on peut faire tout un tas de trucs avec sa bouche, en plus de manger, par exemple. Le tout c’est de laver après. »
__–Et en parlant de lécher, on passe à l’option une, avec une belle proposition.
__–« Ahh, une moqueca, c’est une idée qu’elle est bonne, ça. »
__–Puis aussi, elle est à base de poiscaille, contrairement à l’autre. Et vu comme c’est chiant de trouver de la viande au Japon, y’en a une des deux qui sera clairement plus facile. Et en plus, comme c’est fait avec des produits de la mer et que… ben au final je l’ai jamais vue de ma vie, sauf une fois à Fortaleza, j’en ai mangé qu’une seule fois, au mariage d’une amie de ma mère, qui avait acheté des produits importés exprès. Ma mère m’avait dit, savoure, y’a une semaine de mon salaire dans ton assiette. C’est sûr, dit comme ça…
__–« Hé ben c’est parti. »
__–Je regarde la table. Bon ben, c’est parti pour désosser tout ça. À la main hein, déjà je peux pas le faire aux deux et puis c’est encore le plus simple. Je commence par retirer les trois autres pieds, la retourne et sors des pépins de raisin de ma poche, que je fiche dans les trous laissés par les vis. Et puis, un peu de magie là dedans, je les fais grandir jusqu’à produire une belle tige, qui arrive jusqu’à la longueur voulue. Puis je lui fais prendre un peu d’épaisseur, former quelques branches, que j’enroule autour du coin de la table – et au passage, je mets de la colle à bois, parce que la magie c’est bien mais ça fait pas tout. Puis quand j’ai quelque chose qui me plaît un peu, je sors la scie, le rabot et lui fais un pied bien plat. Plus qu’à récupérer l’espèce de petit duvet pour pas niquer le parquet de l’ancien pied, de la colle et voilà.
__–Ça creuse, mine de rien.
__–« Plus qu’à répéter ça encore trois fois. Le résultat final te plaît, au fait ? C’est maintenant ou jamais, si tu veux garder ça comme ça. »

Et voilà que Luna continue les insinuations. Bon, cette fois j'ai pris le coup de main, sans mauvais jeu de mots. Par contre je suis bien incapable de lui répondre correctement alors je me contente de hausser les épaules d'un air désabusé.

Non, je sais pas vraiment...

Sous-entendu j'ai toujours zéro expérience dans le domaine.

Bref on est pas là pour tailler une bavette. Et en parlant de viande, et de nourriture plus précisément, je decide de partir sur la première option qu'elle a proposé, à savoir, elle me fait la table, je lui fait à manger. Bon bail, je trouve. Du coup je propose un peu des plats brésiliens pour qu'on se rappelle un peu notre pays, et ça a l'air de lui plaire. Ce sera donc une moqueca. Poisson plutôt que viande. C'est vrai que je lui ai pas demandé si elle était végétarienne... Avant que j'ai le temps de lui demander, elle commence le travail.

Le premier pied lui prend moins longtemps que je n'aurai pensé ! Je suis impressionnée par sa maîtrise et sa précision, si bien que je ne vois pas le temps passer. Je regarde la vigne pousser, hypnotisée. J'ai presque du mal à détourner le regard pour faire face à l'artiste quand elle me parle.

C'est super, vraiment. J'aime beaucoup, merci !

Je tourne les talons et vais récupérer un paquet de chips que j'avais encore sur le comptoir. Les chips, j'en ai vraiment rarement mangé alors c'est une découverte. Je goûte un peu tous les parfums en ce moment. Du coup là le paquet est goût cheddar. C'est un fromage si j'en crois le packaging. Je l'ouvre et le tends à Luna.

Tiens, pioche dedans pendant que tu bosses. Ça fera patienter jusqu'au repas. Ah, ouais au fait, t'es végétarienne ? Juste pour être sûre tu sais, au cas où j'ai de nouveau besoin de te payer en bouffe.

Je laisse passer un moment, croquant dans une chips. Puis je reprends :

Aussi, est-ce que tu veux que j'aille faire les courses maintenant comme ça quand tu as fini le repas est prêt, enfin presque, sûrement. Mais du coup, y'aura rien à boire, ou alors j'achète des bières ?

Est-ce que je parle beaucoup parce que la dame me rend nerveuse ? Hm. No comment.

__–J’ai un petit sourire content. Ça fait du bien d’entendre des compliments sur son art, mine de rien. Si on me demande pourquoi le pouvoir Terre est le meilleur… oui, alors, oui, effectivement, c’est pour avoir de la beuh gratuite, mais la seconde raison, c’est parce que c’est clairement celui que les gens trouvent le plus beau. Je sais pas hein, mais perso’ j’ai jamais été autant impressionnée que quand je vois genre Alice ou je sais pas qui prendre une toute petite graine à la con et en faire un arbre. Et dès que j’utilise ma magie, autour de moi, c’est la méga éclate. Ariana, Justine, Minoru, Tori… Ils savent de quoi je parle. Y’a cette espèce de poésie, dans les plantes. Ce calme, cette beauté qui fait aucun son et que tu peux pas t’empêcher de regarder, parce c’est magique, quelque chose qui prend des jours est réduit à quelques secondes. C’est juste splendide.
__–Oh, des chips.
__–J’en prends une petite poignée, direct. Avec mon bras robot. La peau sensorielle de Nico me permet de les sentir et pas les défoncer… Enfin, j’en brise quand-même une et j’en attrape deux fois moins que ce que je voulais, mais ! Y’a un gros mieux. Pour juste tenir fort un bouclier balistique, ça va, par contre, attraper des chips, casser des œufs ou, euh… doigter des meufs, c’est pas encore ça hein.
__–Et en parlant de… de rien, y’a pas de rapport avec ce que je viens de dire :
__–« Végétarienne ? Hm nan, j’avale trop de viande pour ça. »
__–Distingué. Classe.
__–C’est con que je sois pas télépathe des fois, quand-même. Parce que, elle parle beaucoup, s’agite, pose des questions, essaie de prévoir un peu, signes typiques de quelqu’un qui panique un poil, mais bon, pour moi ça veut juste dire un Air normal. (’faut dire que mes deux référentiels sur la question sont Pandora et Aylan, p’têt ça biaise mon point de vue, allez savoir. D’autant plus que Pando je la baise tout court.)
__–Du coup je me gratte la tête… Comment lui dire que j’en ai absolument rien à carrer et qu’elle fait comme elle veut… Non mais aussi, je peux pas calculer que Tori, facile cinq, six centimètres de plus que moi, baraquée comme une titanide, puisse être nerveuse. Quand tu peux broyer une tête entre tes cuisses… et que tu l’as probablement déjà fait, comment tu peux être nerveux das ta vie ?
__–Du coup… je hausse les épaules.
__–« Des bières, c’est bien. J’vais finir ça en attendant. À tout de suite. »
__–Hm oui alors par contre Bob, j’vois bien que tu veux des caresses et tout, mais maman bosse, là. Et… il la suit… Bah forcément, il veut bouger, là je fais rien d’intéressant.
__–« Tu veux le prendre avec toi ? Il est très gentil. »

Luna change quand elle utilise ses pouvoirs. Elle a l'air apaisé je trouve. Et le pied de la table est splendide : le design est original et j'ai l'impression qu'il est encore plus solide que l'ancien pied avant que je le massacre dans mon sommeil. C'est aussi hypnotisant à regarder. Cette nature qui pousse comme dans les documentaires avec le time-laps. C'est réellement magique. Et ça m'aide encore un peu plus à accepter le fait que les pouvoirs ne sont pas un truc démoniaque qui se développent comme une sorte de peste noire. Je la complimente naturellement sur sa prouesse, et pour la récompenser, je lui offre des chips dans lesquelles elle se sert. Son bras mécanique casse quelques chips mais rien de dramatique. Je suis impressionnée par sa maîtrise.

Puis me vient en tête une question de la plus haute importance, que je m'empresse de poser. Sa réponse ne laisse pas de doute : pas végétarienne, et encore moins végane. Parfait, je n'ai pas besoin de m'occuper de ça. Je hoche la tête.

D'acc. Pas d'allergies non plus ? Histoire que je sois pas obligée de te porter à l'infirmerie après trois bouchées- Et non, je ne pourrais pas te soigner...

Sous-entendu : j'utilise pas mes pouvoirs, donc je les entraîne pas, donc je suis une bouse pour ce genre de chose.

Je suis toujours aussi nerveuse en sa présence, alors je bouge beaucoup et parle tout autant. C'est une catastrophe, on peut pas faire plus évident. J'attrape une petite veste, un bomber blanc et marine, et chausse mes baskets tout en continuant à piailler. Si bien qu'une question absolument stupide me traverse la tête.

Euh, j'ai vu que tu avait mis des pépins de raisin... Il faut que j'arrose la table du coup ? Est-ce que je vais avoir du raisin qui va pousser ?

Même moi je me soûle. C'est quoi ces questions ?! Et je repars aussi sec, avec mes propositions. J'imagine que Luna doit en avoir plein les oreilles. Mais elle reste cool comme toujours et hausse les épaules.

Ok, ok. Je prends des Asahi alors. Ça va bien pour boire avec un repas, il paraît.

Une truffe humide se colle à mon mollet alors que je m'apprête à sortir. Bob me lance les plus doux puppy eyes que j'aie jamais vu. Et quand Luna va dans son sens en me proposant de le prendre avec moi, mes yeux s'illuminent.

C'est vrai ?! Je peux ?? Je ferais bien attention à lui, c'est promis !!

J'ai jamais eu la chance de promener un chien, alors j'ai tellement hâte de l'emmener avec moi !!

__–Une, deux… Techniquement quatre questions, ça va, j’vais y survivre. Alors, dans l’ordre. Enfin, non :
__–« Oui, tu peux. C’est plutôt l’inverse, ça m’ferait plaisir que tu le sortes, sinon comme je bosse il va s’emmerder, donc il va m’emmerder, donc je vais pas bosser, t’as le tableau. »
__–Et allez Bob qui lui tourne autour, qui secoue la queue, puis qui la tire presque dehors en mode bon allez c’est bon on s’bouge j’veux sortir moi oh, attends coco, maman et Tori parlent, là. Enfin du coup je jui lance plus alors qu’elle sort :
__–« Des Asahi c’est bien. ’faudra que je te fasse goûter des bières européennes un de ces quatre, ça a une autre gueule. Plus dur à faire venir, tu m’diras, c’est pas la porte d’à côté. Et quitte à parler de s’arroser, non, pas besoin, c’est du bois mort, là. J’vais te le vernir et tout pour éviter les échardes. Et non, pas d’allergies. Pas que je sache. Au pire, t’es quoi, toi… je sais plus, bah au pire, tu te démerdes ou t’appelles les voisins. T’as une chance sur deux de sonner chez quelqu’un qui pourra beugler assez fort pour qu’on l’entende depuis l’hosto, alors ça va. »
__–Ah oui, et, histoire de la faire paniquer gratuitement, alors que là, de vrai je vous jure, j’ai l’appétit sexuel d’un eunuque sous prozac, puis en plus je pouvais pas me douter que ça pourrait la faire paniquer, j’disais juste ça comme ça :
__–« Sympa, ta veste, ça te va bien. »

__–Bref, j’suis meilleure en menuiserie qu’en psychologie. Quand elle revient, Tori peut me voir affalée sur son canap’, les panards sur sa table, avec quatre nouveaux pieds tout à fait magnifique, du papier journal en-dessous, un tube de colle, un pot de laque et un pinceau dans l’évier. Non mais, c’est pas long à faire, hein. Puis on a un ascenseur, la folie. Je suis juste passée ramasser du matos chez moi.
__–« C’est pas beau, alors ? ’faut juste pas encore toucher ou rien. Ah oui puis je me suis permise, mais p’têt qu’on fait pas ça chez toi, les pieds n’importe où ? Sauf dans les gueules, t’as pas dit que tu faisais je sais pas quoi là, du MMA ou un truc ? ’fin bref. Tu veux que j’t’aide à cuisiner ? Uniquement si t’arrives à m’aider à me lever hein, attention ! »
__–Si elle tente, je lui fais le coup du hop prends mon bras-robot, mdrlol il se détache, quelle gamine sérieux. Euah. Ouais bah, on s’marre comme on peut.

Je suis épatée que Luna ait réussi à suivre mes déblatérations... Mais elle répond à chacune de mes questions ! Pendant ce temps, Bob me tourne autour, tantôt me pousse, tantôt me tire. Résultat, je suis déjà à moitié hors de la chambre quand la Terre m'explique ce qu'elle va faire aux pieds de ma table. Je hoche la tête et finis par répondre :

Je suis Guérisseuse, mais j'utilise pas mes pouvoirs alors... Je pourrais toujours sortir et hurler dans le couloir, mais touchons du bois, tu seras pas malade !

Je n'ai pas le temps d'en dire beaucoup plus avant d'être emportée par le chiot au bout de sa laisse. Avant que je ne referme la porte, j'entends Luna qui me complimente sur ma veste. Le rouge me monte à nouveau aux joues et j'ouvre la bouche pour lui répondre, mais un courant d'air (le mien ??) fait claquer la porte. Du coup je me retrouve comme une cruche devant ma porte fermée, à marmonner un "ouah, euh, haha, merci, c'est sympa". Pitié.


Heureusement, Bob s'est calmé une fois dehors et j'ai pu faire mes courses tranquille. Il a même pu faire ses besoins en revenant, c'est donc un petit toutou très heureux qui me précède dans l'appartement. Je dois lâcher la laisse et je laisse sa propriétaire récupérer le bolide pendant que je pose les courses dans un coin de la kitchenette. Luna est posée sur mon canapé et a l'air assez satisfaite de son travail. Avant de me lancer dans la cuisine, je m'approche pour observer le travail. C'est magnifique, je suis saisie par la précision et la douceur des courbes.

C'est vraiment parfait. Merci Luna, c'est super beau !

Je me tourne vers elle avec un sourire.

Et t'inquiète pour tes pieds. Tu peux les mettre où tu veux, sauf dans la nourriture et dans ma tronche, en effet. Ouais j'ai été championne pro de MMA, mais c'est fini depuis un petit moment maintenant.

Elle me propose de m'aider à la cuisine alors je m'approche et je lui tends la main. Elle l'attrape et je tire sans vraiment faire attention... Soudain je pars en arrière, fais quelques pas et manque de tomber sur le cul. Dans ma main... Il y a sa main. Pendant un moment un peu long, mes yeux font des aller-retours frénétiques entre ce que j'ai dans la main et Luna. Mon cœur quant à lui a l'air bien décidé à me sortir par la gorge façon Alien.

__–Pas utiliser ses pouvoirs, boah… Ça arrive, chez les nouveaux. Elle y remédiera toute seule comme une grande, tôt ou tard. Je vais pas lui filer de conseils, pas plus que les banalités qu’elle entendra partout ailleurs.
__–Et oui, j’ai résisté à l’envie de faire une blague salace sur toucher du bois. Quoi, vous la voyez pas ? Toucher du bois. Toucher du… non ? Oh et puis merde. Non mais, vu comment Tori réagit (elle vient le claquer la porte, là ?) quand j’envoie la remarque la plus innocente du monde, bon…
__–Bref, elle revient, admire le taf… C’est pour ça que j’ai laissé ce numéro vert des Terres aussi, ça fait toujours tellement plaisir quand quelqu’un nous file des compliments, rohlàlà. Bah ouais, il faut le dire, quand-même.
__–« Ah ouais, le MMA, j’en ai fait un peu, mais ça a toujours pas trop été mon truc, la bagarre. Puis quand je me bats, j’aime gagner, alors le concept de « à la loyale » et tout, je maîtrise pas trop bien, j’avoue. »
__–Ouais, j’étais la meuf qui ramenait son calibre quand on se battait au couteau. Calibre qui est à Terrae, d’ailleurs. Confisqué à l’arrivée, bien entendu et depuis il… je sais pas, il repose quelque part, dans un tiroir de l’institut. Comme un espèce de souvenir de qui j’étais avant, planqué quelque part. C’est fou parce que, mon Taurus, ce petit pistolet à canon court, vous comprenez, je le transportais tout le temps sur moi. Il était sous mes sapes. Et j’étais pas du genre à me trimbaler avec ça juste pour avoir un talisman pour me donner confiance. Il était là pour être utilisé et il était caché parce que quand je montrais son acier, c’était pour tirer et pas pour autre chose. Pas pour faire la meuf. Pas pour dire à quelqu’un de dégager, de me lâcher, pour faire peur. Ça, j’avais juste besoin de le dire. S’il poussait plus loin, en, quoi, un clignement d’œil j’avais déjà mon canon sur son front. Dès que je foutais le pied dehors, je savais où mon flingue était, en combien de microsecondes je pouvais le prendre, poser mon doigt sur sa détente et viser. C’était ma vie. Mon petit engin de mort, là, un peu lourd, une bosse à peine remarquable dans mon falzar. Je connaissais chacune de ses courbes, je pouvais deviner au poids combien il avait de balles dans le barillet.
__–Je peux toujours. Cinq. J’en ai tiré une, trois jours avant de venir. Je peux revoir exactement ses formes, là où sa peinture s’est écaillée, là où il a pris quelques minuscules éraflures.
__–Hm.
__–Oh putain de merde, j’ai zoné et elle a manqué de se vautrer comme un sac. Et j’ai loupé ça.
__–Putaiiiiiiiin.
__–C’était bien le moment d’avoir un flash-back, sérieux.
__–« Oups. »
__–…
__–« Ah ah, t’inquiètes, je pars en morceau, c’est tout, mais ce qui est pratique c’est qu’on peut les recoller. Attends. »
__–Je prends ma canne, pousse un coup dessus, me lève et la rejoins, puis fixe mon bras à mon moignon.
__–« Voilà, c’est rien, j’avais juste mal remis l’attache. Ah ah, tu verrais ta tête… Y’a la partie de toi qu’est noire qu’est devenue blanche. »

Je mentionne mon passé de combattante à Luna. Elle me répond qu'elle n'est pas trop combat "à la loyale" et je me retiens de lui apprendre que certains combats de MMA sont carrément scénarisés pour éviter les trop grosses blessures entre les combattants. Ça me décrédibiliserait auprès de la Terre et, en fait, j'ai pas du tout envie d'être décrédibilisée. Donc je ne le mentionne pas et passe à autre chose. D'ailleurs, Luna aussi passe à autre chose, en me proposant son aide à la cuisine. Et comme elle est actuellement échouée dans mon canapé, je m'approche pour l'aider à se lever...

... pour me retrouver avec sa main dans la mienne, sauf que la dame n'est plus au bout de ladite main. Et que la main, elle, est toujours dans la mienne. Du coup je me retrouve à faire des aller-retours visuels entre Luna, son bras, encore Luna, encore son bras. Et là, la seule chose qui me passe par la tête, c'est "Merde j'ai cassé la madame". Si tant est qu'il est possible de "casser" quelqu'un. Clairement, ma tête en dit long parce que la Terre, après un peu d'auto-dérision (comment ça, recoller les morceaux ?!), se fout ouvertement de moi. Ça a au moins l'avantage de me tirer de l'état de panique qui commençait à s'installer, et je referme ma bouche avec un air renfrogné.

Ha-ha. Sérieux, tu l'as fait à combien d'autres personnes cette blague ?

Ouais, c'est complètement injuste comme répartie, mais j'ai eu la frousse de ma vie OK ?! Et en plus ça s'est vu ! J'ai changé de couleur, c'est vrai, et d'ailleurs ça va pas en s'arrangeant. Après le tout vanille, voilà l'arrivée du vanille-fraise quand la honte s'installe en dégageant les restes de panique. J'allais dire quelque chose comme "oh là là, ça va ?!" ou encore "omg désolée" mais là clairement j'ai juste envie de lui en foutre plein la gueule. Alors je la laisse sse relever, lui fourre son bras dans les bras et lui tourne le dos direction ma kitchenette. C'est à dire à peu près à dix pas d'elle mais voilà.

Ouais bah prends ton temps pour rattacher ton truc, moi je commence.

Et voilà, ayant la recette en tête je me mets à la cuisine. Vous vous doutez bien qu'en ayant du mal à déchiffrer n'importe quel texte, y'a pas de recette papier, ni sur mon téléphone. Donc si elle veut m'aider, elle peut aller se gratter. D'ailleurs...

En fait, ça va être chaud de faire la cuisine à deux parce que j'ai pas de recette papier donc voilà.