__–Question difficile. Je me gratte le menton avec la seule main qui me reste.
__–« Hm, je sais pas, y’a combien de personnes à Terrae, de mémoire… »
__–Enfin bref. ‘faut l’économiser un peu, la pauvre, elle va se décomposer sur place si ça continue. Ou me défoncer. Hm. Les Airs c’est plus ce que c’était, hein. Je rattache donc mon bras, me relève toute seule en forçant sur la canne un peu – punie par mon côté petite rigolote, encore – et regarde ce qu’elle trafique.
__–Et, ouais ? Bah, si c’est un truc qu’elle connaît parce qu’elle n’a déjà fait ou je sais pas quoi, c’est normal, j’ai quelques plats aussi, que je fais sans recette.
__–« Oh, t’inquiètes, t’sais quoi, je reviens, je vais chercher à boire. »
__–Et je vais prendre un truc uuuuun peuuuuu moins corsé que du rhum, hein. Genre, ah bah, des bières rouges, c’est un peu festif, pas trop fort, voilà. Quoi, oui je suis une meuf qui boit de la rouge. Et je vous emmerde. Non mais.

__–Sur le trajet aller-retour, j’ai juste le temps de me poser la question.
__–Du coup, je la baise ou pas, Tori ?
__–Hmmm.
__–Compliqué, surtout que j’ai l’impression qu’elle m’en veut un peu pour ma blague de merde et qu’elle est pas du genre à laisser passer ça facilement. Et puis, la table est pas encore toute à fait sèche, niveau colle et tout, moyennement pratique pour y faire des galipettes. Et puis, je suis pas en état pour en faire avec quelqu’un qui pourrait m’éclater le crâne dans le creux de son bras. Et puis, le principal argument, tout de même, j’ai pas l’impression que ça la botte. Ouais, à forc,c je les reconnais de loin, les asexuels. Roooh bah hé. Bref, j’entre.
__–« Bonjour, police fédérale, on nous a signalé que vous abritiez une dangereuse terroriste… »
__–En imitant l’accent du Sudeste et tout. Ahh, un jour je vais arrêter de chercher la merde.
__–« Ça s’passe ? »

Bon c'était peut-être un peu enfantin de réagir comme je l'ai fait, mais de un elle m'a fait peur, et de deux j'aime pas qu'on se foute de ma gueule. Mais je m'en veux un peu, surtout quand Luna décide de partir chercher à boire. Une partie de moi ne peut s'empêcher de penser que si elle part chercher à boire comme un père part chercher des cigarettes, je suis pas sûre de la voir revenir...

Mh-mh okay, à toute. Dis-je.

Mais. MAIS ?! Mais genre c'est ma coloc' ou je sais pas quoi ! Pourquoi je lui réponds comme ça moi ! Heureusement, je tourne le dos à la porte et l'entends claquer sans avoir besoin de me retourner. Parce que sinon, c'était le festival des couleurs sur mon visage... Heureusement, avec Luna à l'extérieur, j'arrive à me recomposer et la préparation du repas se passe sans trop de problème.


J'entends la porte d'entrée s'ouvrir alors que je referme le couvercle de la casserole. J'ai pas de cocotte ok, jugez pas. J'avoue que malgré le fait que j'ai entendu Luna entrer, sa voir me fait sursauter, d'autant plus quand elle me parle de police. J'ai beau savoir que ce n'est qu'elle et que je suis tirée de toutes ces affaires, je me retrouve dans la cellule, à regarder le mur allongée sur ma couchette. Je me retrouve dans le bureau du championnat, et les policiers entrent. Je me retrouve sur le ring, mon adversaire au sol, maîtrisée de force par deux hommes. J'en lâche ma cuiller qui tombe sur le sol avec le bruit mat caractéristique d'une cuiller en bois. Je crois que c'est ce bruit qui me sort de mes souvenirs. Je cligne quelques fois des yeux et me baisse pour ramasser la cuiller.

Euh, oui, oui. C'est presque prêt, il faut laisser mijoter...

Je déteste que ma voix soit aussi mal assurée. Je me racle la gorge.

Qu'est-ce que tu nous as ramené de beau ?

On se rattrape comme on peut.

__–Aahh bordel, c’est dur la vie. Déjà, vu sa taille là, comment elle a fait pour pas perforer le plafond, quand elle a sursauté ? Posons-nous les bonnes questions.
__–« Attends, bouge pas. »
__–Je sors un peu de terre de ma poche. Oui j’ai ça. Évidemment, que j’ai ça. Vous m’avez prise pour qui ? Je la lance, elle se réunit en une petite boule, de genre trois centimètres de diamètre et vole jusqu’à la cuiller, puis elle se colle à son manche. Je fais se compacter la terre, puis soulève la petite boule, jusqu’à la pogne de Tori.
__–« Ben ouais, quand si on s’baisse il nous faut un treuil pour se relever, on trouve des combines. »
__–Non puis, c’est aussi pour lui montrer que, quand-même, ça a la classe les pouvoirs, quoi.
__–Je fais rentrer la terre dans ma poche et m’approche de la casserole. Ça se fait pas à la cocotte ? Je sais plus. En tout cas, ça sent bon ! Je fais sauter le bouchon d’une bouteille avec mon pouce et lui tend.
__–« C’est une européenne. Plus sucrée que l’autre, tu vas voir. »
__–Ô rage, au désespoir, dire que je ne savais pas pour Tori – Alyona à cette époque, toutes les vannes gênantes que j’aurais pu faire…
__–On passe notre temps à boire ici, en fait. Bon puis, je me rassieds, hein, c’est que ça fait beaucoup d’efforts à la con pour une journée. Et Bob qui vient me faire des câlins, oh oui mon gros, oh oui oh oui t’aimes ça hein, oh là là, viens ici, hm ? On me parle ? Non ? Ok. Tori nous sert et waw, ça a de la gueule. Puis, les seules fois où je mange brésilien, c’est quand c’est moi qui cuisine, mais c’est pas pareil. Ça m’avait manqué, un bon plat de la maison, là.
__–« Niquer des mères, cuisiner, tu sais tout faire en fait. »
__–Sauf réparer des tables, mais oh hé hein.

Alors que j'allais me baisser pour aller chercher la cuiller, Luna m'arrête et sort... de la terre ?? de sa poche. Dans sa main, elle se transforme en boule compacte qui va ensuite s'agglutiner au manche. Et là, LÀ, la cuiller FLOTTE dans les airs et vient sagement se poser dans ma main. Et la terre repart vers Luna qui la... je sais pas comment je peux dire ce genre de chose, sérieux... qui la range dans sa poche. Et moi, je reste là, j'ai le cerveau qui a complètement planté, et je regarde Luna qui a l'air de trouver ça complètement normal. Mais ça me fait aussi réaliser qu'en fait, je trouve ça plus bizarre qu'elle se balade avec de la terre dans la poche, que le fait qu'elle ait utilisé ladite terre pour faire de la magie. C'est en soi un progrès, donc je me concentre là-dessus en refermant ma bouche.

En effet. Bah merci... Après tu sais, je suis assez souple pour toucher le sol à plat avec les mains, alors me baisser pour ramasser quelque chose, c'est pas trop pire...

Elle par contre... Mais je ne dirais rien parce que j'ai trop peur de me retrouver à nouveau avec sa main en métal dans la mienne. Ça, c'était vraiment trop bizarre. Puis une part de moi se demande si je pourrais potentiellement faire un truc dans ce genre avec l'Air. Je rince la cuiller sous l'eau, remets le couvercle sur ma casserole et baisse le feu avant d'attraper la bière que me tend la Terre.

Ah cool, j'aime bien quand c'est sucré.

J'en prends une gorgée et en effet, c'est agréable. Je pense que je préfère ça à une bière classique au final. Je laisse Luna s'installer et sors deux assiettes creuses puis sirote tranquillement ma bière en attendant que ça finisse de mijoter. Une fois que c'est fait, c'est à dire une demi-bière plus tard, je sers les assiettes et viens rejoindre Luna sur le canapé. Comme je ne sais pas si la table est tout à fait sèche, je préfère ne pas me mettre dessus tout de suite. Je tends son plat à Luna et avec, une cuiller et une fourchette. Une fois posée, je prends le temps de savourer l'odeur qui a envahi ma chambre et qui me ramène un peu en arrière, auprès de ma mère adoptive. Luna me sors de ma contemplation et je souris.

Donc je suis bonne à marier selon toi ? Plaisanté-je.

Non parce que là, ça sonnait un peu comme ça.

Puis qui te dit que c'est pas les deux seules choses que je fais à peu près bien ?

Non, mais aussi là je cherche la merde. Je le sais. Mais j'y vais quand même... Et avant de dire plus de conneries...

Bref. Bon appétit.

__–Ah, je crois que la Tori a planté, est-ce que quelqu’un peut aller rebooter la Tori ? Parce que je vais pas me lever. Non mais, j’vais attendre qu’elle enregistre l’info, tranquille, oooohlà, je suis pas là pour me presser.
__–« Dûment noté. »
__–Sa souplesse.
__–Franchement, je vais pas faire de vannes. Vous savez tous que je peux en faire une. Je le sais. Les lecteurs savent. Tori sait pas, c’est sûr, mais avec un peu d’espoir ça va travailler dans sa tête.
__–« Au fait, c’est totalement à ça que ça sert, d’être Air. À bouger des trucs avec le vent et tout. Fais gaffe à garder une activité physique quand tu te rendras compte que tu peux déplacer les choses à toi plutôt que l’inverse, pouah… »
__–Et vas-y que ça sort des dingueries… Non mais, quand c’est sucré, c’est une métaphore de…
__–… Oh…
__–… Hé…
__–Mais bordel elle me vole mon travail en fait.
__–« En tout cas, je valide. J’ai pas de champs, par contre. On disait pas ça, chez toi ? L’important c’est pas qu’il ou elle soit beau, c’est qu’il ait des terres ? Pour déconner un peu, les vieux disaient ça, non ? Que chez nous ? T’ain. Après, tu peux en avoir une autre, de Terre. »
__–C’est terrible ce qui se passe ici, chers téléspectateurs, la voiture de l’écurie manaenne est complètement partie dans le décor, il ne peut pas y avoir le moindre survivant après ça…
__–« T’— c’est délicieus— délicieux, ouais. Vraiment. On remettra ça. En tout bien tout honneur, hein. »
__–Vous savez, ce moment incroyable où on s’est foutu dans la merde tout seul et où notre seul moyen de s’en sortir qu’on a trouvé est de battre des bras comme un débile et que le seul résultat est qu’on s’enfonce encore plus ? La belle vie, quoi.
__–« Je déconne, si jamais. »
__–Après, j’ai couché avec facile les deux tiers des personnes avec qui j’ai déconné. Genre, oups, la vanne de trop et on est à poil dans ton pageot. Hé, c’est terrible, de glisser.
__–Après un bon repas un peu gênant, mais pas trop, juste les apports journaliers recommandés en malaise, je raccompagne Bob vers la sortie et le suis.
__–« Bon, c’était sympa de te revoir, le coup de main à part. Si par je sais pas quel miracle t’arrives à me supporter, on peut se remettre ça, hésite pas à m’appeler si besoin, ou juste passer du temps ensemble, entre potes, tu vois le genre. Je te serre pas la main, tu m’excuseras. »
__–Sauf si elle veut empoigner celle en métal.

La remarque sur mon pouvoir m'arrache un ricanement.

Le jour où j'arrive à doser mes pouvoirs, je te dirais, promis ! Mais pour l'instant, je ne suis capable que de casser des choses.

Déjà j'ai dépassé mes peurs, je trouve ça plutôt encourageant. Parce que je suis quand même passée de "au secours ça va me tuer pourquoi ça fait ça j'aime pas ce que je comprends pas c'est pas normal" à "boarf. Ok, ça va".

Le plat mijote puis il est temps de savourer. J'en profite pour taquiner un peu Luna. Je m'attends à me prendre un retour de gêne comme jamais, mais je suis plutôt témoin de la Terre qui perd contenance. Je hausse un sourcil, partagée entre étonnement et amusement. Bah alors ? À sa remarque sur les terres, je hausse les épaules. Même quelqu'un qui possède un studio est plus fortuné que moi Pas difficile de trouver quelqu'un avec plus de terres que moi. Et voilà qu'elle bégaie. J'en reste un instant interdite avant d'éclater de rire.

Si, si ! Ça me ferait plaisir, en vrai. La rassuré-je. Et merci pour le compliment.

La suite du repas se passe pas trop mal, avec son lot de gêne quand même (on parle de Luna et Tori hein). Je termine ma bière et mon assiette. Je sens le léger vertige de l'alcool, auquel je me suis heureusement habituée depuis ma première fois au bar de la Brésilienne. Elle finit par se lever et je vais poser les assiettes dans l'évier avant de la raccompagner à la porte. Quelques papouilles à Bob plus tard, ils sont sur le départ. Luna propose à sa façon qu'on se revoit. Maintenant j'ai son numéro de téléphone... Je me demande un instant si j'oserais. Mais j'acquiesce quand même.

Carrément. Je te bipe si jamais l'envie me prend. Ou toi d'ailleurs, hésite pas non plus. Dis-je avant d'observer son bras métallique. Ouais, non pas la peine hein... Une fois m'a suffi !

Je la salue avec un sourire avant de fermer la porte.