Les retours de ces missions suicidaires avaient été bien plus agités que ce à quoi j'avais été habitué de la part de Terrae. Comme quoi, chaque jour est une nouvelle expérience dans ce monde particulier... Il ne faut jamais se reposer sur ses conclusions hâtives. Enfin, "hâtives"... On en re-discutera une autre fois. J'aurais aussi dû prévoir que ce serait différent, maintenant les gens du monde sont équipés pour lutter contre nous, alors les retombées ne peuvent être que plus violentes et désolantes.

J'avais bien essayé de me rendre à l'hôpital le lendemain, mais on m'avait bien gentiment renvoyé chez moi. Bon, en même temps, qu'est-ce que j'espérais d'autre... Ouais, visiblement moins de dégâts. Clairement, je m'attendais à bien moins que ça. Mais la réalité était tout autre ; tout le monde était rentré dans un état déplorable et avait besoin de soins intensifs. Les visites étaient encore interdites jusqu'à nouvel ordre, et l'interdiction s'étendait plus encore selon les différents cas.

Je n'avais donc pas pu rendre visite à Pandora, ni à Mitsuki, Aoi ou encore Nana.

Une semaine plus tard, j'eus enfin droit de pénétrer dans les chambres, et c'est comme ça que je me retrouvais là, dans la chambre de Nana.

Un mince sourire sur les lèvres, je pénétrais dans la pièce après avoir frappé un coup à la porte. Je m'annonçais pour éviter qu'elle s'attende à l'arrivée d'une infirmière, et posai doucement mon regard sur elle, couverte de bandages, alors que j'arrivais près du lit. C'est fou comme cette scène me rappelle littéralement l'une des dernières fois où j'ai vu Nana avant qu'elle parte de Terrae, des années auaparavant.

-Salut... Comment tu vas ? m'enquis-je d'un léger sourire maladroit. Tu n'y es pas allé de main morte, à ce que je vois.

Timeline de la rencontre : Entre ses retrouvailles avec Aylan et sa rencontre avec Tiago.

Après beaucoup de sédatif, de scanner et tout le tintouin, j’étais éveillée un peu plus longtemps pendant mes journées dans cette foutue chambre d’hôpital. Mais il arrivait que certains moments soient encore lourds physiquement et donc je continuais à comater, mon esprit se dissociait de mon corps pour me laisser me plonger dans un univers flou et cotonneux.

Je devrais avoir une carte de fidélité pour cette hôpital, le nombre de fois que je m’y suis retrouvée dans ces chambres… Je ne peux plus vraiment les compter. On finit par s’habituer par les aller-retour du staff médical. Au moins, ils avaient pu me tenir au courant un peu sur l’état de tout le monde. Enfin… juste me dire ‘’ils vont s’en remettre’’ c’était déjà suffisant je trouve. Pour le moment. Après tout ce qu’on avait vu… Toute la douleur… C’était difficile de ne pas y penser…

Ça toque à la porte et une lumière de surprise éclaire mon regard bouffi par les cernes. Purée Allen. Combien de fois on se croise ici sérieusement. C’est trop.

Je lui rends son sourire légèrement.

«Salut Allen… Je suis contente de te voir. »

J’avais retrouvé une bonne partie de ma voix, malgré la fatigue. Ma gorge était irritée à force d’avoir autant crier pendant la mission…

«En vrai, ça va y a… pire que moi. Puis… tu m’as vu pire que ça je pense, dis-je avec un petit rire nerveux.»

Chose qui était vrai quand je revoyais l’état de mes coéquipiers ou des autres équipes… L’arrivée à l’hôpital avait été très chamboulée pour tous. Juste de penser à l’état des Masters c’était bien plus intense.

«Comment ça va toi ? »

Je lui fais un petit signe de se rapprocher, genre, t’inquiète Allen tu peux venir t’asseoir proche de moi, ça me fera plaisir.

La voix un peu rauque de Nana attira mon attention mais je me passais de tout commentaire, me contentant de hocher la tête avec un sourire pour dire "C'est bien normal que je passe te voir".

Je fronçais légèrement les sourcils quand elle souligna que je l'avais déjà vue dans un pire état. Bon, elle n'avait pas vraiment tort. Pour le coup, tout ça semblait être plutôt des blessures superficielles. Accompagnée d'une énorme fatigue et... Et une puissance davantage équivalente à la mienne, crus-je sentir.

-Tu as révélé ton potentiel d'étoile ? m'enquis-je.

Oui, bon, ça ne devrait pas vraiment me surprendre. Vu les conditions de la mission, ça me paraît même inévitable que ça arrive pour certaines personnes : et c'est presque même heureusement. On n'envoie pas des initiés en mission, quand bien même ils ont suivi un entraînement spécial avant. Enfin, après, je dis ça, mais... Je sais aussi que ça n'aurait pas non plus été un argument de plus pour que j'accepte de partir en mission. Ils ont bien dû avancer avec les volontaires qu'ils avaient, et n'ayant pas participé à l'entraînement spécial qui a précédé les missions, je ne peux pas non plus trop m'avancer quant à la stratégie qui a été choisie ici. M'enfin bref.

-J'ai cru comprendre qu'il y avait pire, oui ; certains patients ne sont pas encore visitables car leur état n'est pas encore stable.

Je pensais notamment à Mitsuki, que je n'avais toujours pas eu l'opportunité de voir.

Répondant à l'invitation de Nana, je m'approchai pour m'installer sur le tabouret à côté de son lit.

-Moi ça va, la vie suit son cours. Tu ne t'ennuies pas trop ici ? Tu sais combien de temps ils vont te garder encore ?

Je l’observe s’installer à côté, c’est une scène que je trouve un peu trop familière à mon goût… Que j’ai trop vécu ici. Cette sensation de déjà-vu est fatigante à revivre.

Avoir la présence d’Allen donne une légèreté à l’ambiance stérile de la pièce. La vision de mon ami, en pleine forme, était agréable. Je savais qu’il ne partait pas en mission, après tout ce n’était pas un choix obligatoire et encore heureux. Difficile de comprendre le ressenti des Terraens restants sur place pendant que nous allions nous battre contre l’ennemi… sûrement une ombre qui survolait l’Institut le temps d’apprendre que tout le monde revienne… en vie ou non. Puis, comme l’avait mentionné un peu plus tôt Allen, on ne peut pas visiter certains patients… je pense surtout aux Masters qui ont vraiment pris cher…

«Si tu vas bien, c’est le plus important. Oh, tu sais, je dors beaucoup donc le temps passe plus vite, on s’ennuie moins quand on comate au lieu de fixer le mur ou la télé. Tu seras ma distraction positive du jour !»

Quand on ne prévoit pas son séjour à l’hôpital pour faire une intervention, on peut vite s’ennuyer parce qu’on a rien… pas de livre… pas de magazine… puis faire la conversation avec son voisin de chambre, parfois ça ne nous tente pas. Avec tout l’épuisement subi, je dors les trois quarts du temps. Puis les émissions qui passent en boucle sur l’écran… pas incroyable quoi. Je sais déjà comment Marina va récupérer René qui doit se marier avec Carolina mais qui est secrètement la sœur de Rina. Enfin bref, vous voyez le dessin.

«J’ai entendu que j’en avais encore pour une semaine je crois, mais je ne sais même pas depuis combien de temps je suis ici en vrai… T’en as une idée ?»

Bien que la magie du personnel aidait beaucoup au bon rétablissement, je devais avoir un repos imposé sur le court terme avant de pouvoir quitter cette chambre et de ne revenir que pour des checkings. J’avais principalement dormi, ouvrant très peu les yeux dernièrement donc la notion du temps était encore un peu tordu pour moi. Il me semblait qu’hier, j’étais encore dans la Greffe d’Aaron, en direction d’ici. Mais je reste consciente beaucou plus longtemps pendant mes journées désormais.

«Oh et -j’ai un sceau temporaire pour le moment d’ailleurs parce que, oui mon potentiel s’est révélé de nouveau, mais je dois rendre visite à Hideko à ma sortie. Je suis sûre que personne n’avait vu ça dans l’histoire de Terrae, quelqu’un s’étoilise deux fois, dis-je sur un ton un peu humouristique.»

Dis comme ça, j’ai l’impression de parler de l’objet étoile dans Mario Kart.

Un petit sourire étira le coin de mes lèvres. La distraction positive du jour... C'était bien quelque chose que je n'avais pas l'habitude d'entendre, étant plutôt l'image-même du pessimisme en général.

-Je pourrais te ramener des livres la prochaine fois que je viendrais si tu veux. Tu as ton téléphone, quand même ? Un ordinateur, peut-être ? Enfin, tu peux me dire, et je pourrais te ramener tout ce dont tu as besoin sans problème.

Je reportai un instant mon attention sur ses bandages, alors qu'elle m'expliquait en avoir encore pour une semaine approximativement. Faut dire que ces missions avaient ramené nombre de personnes blessées, et malgré tous les guérisseurs présents ici, ils ne pouvaient pas utiliser non plus toute leur énergie sur un seul cas... Ce qui rallongeait le rétablissement habituel de nombre de personnes. Quand on s'en remet à la médecine habituelle, Terrae paraît tout de suite bien moins surhumaine, hein.

-Ca fait une semaine là. Tout pile aujourd'hui, d'ailleurs ! Tu as le droit de sortir un peu de ta chambre quand même ou tu es encore trop faible ?

Evidemment, sous les draps, je ne pouvais pas vraiment voir ses jambes alors j'en ignorais l'état... Mais bon, ça ne pouvait pas être allé jusque là ? Enfin, en soit, j'en savais rien, tout était possible. Sauf une amputation, puisque même sans voir vraiment ses jambes, je les devinais quand même sous le tissu.

Un sourire un peu maladroit passa sur mes lèvres et je me passai une main dans les cheveux, gêné.

-Bienvenue dans la club des double étoilisations, haha.

Partir en cure de désintox sous la contrainte, privé de ses pouvoirs, et ramené ensuite au niveau inférieur a indubitablement des conséquences... Bien que ça ne m'aurait pas déplu de rester initié, finalement. Mais faut croire que même sans faire d'effort, on finit par s'habituer à nos pouvoirs et à les maîtriser suffisamment pour passer au niveau d'au-dessus...

... Bon, ok, ma deuxième étoilisation a été grandement forcée, elle ne serait peut-être jamais arrivée si Aria ne s'était pas jetée de cette montgolfière pour me forcer à sauter pour la sauver...

La gentille d’Allen me fait du bien, elle me soulage. J’aurais un peu plus d’énergie, je me lèverai tout de suite pour l’enlacer. Ça le rendrait mal à l’aise sur le coup mais je serais juste heureuse de pouvoir le faire en guise de remerciement. Il sait que je peux être tactile, et chiante.

«Ouais mon téléphone est là mais je n’ai pas de chargeur… Si jamais tu peux m’en ramener un j’adorerai. Avec un livre ce serait super, n’importe quel sujet ou histoire, surprends moi !»

À l’énonciation de mon temps ici. Mes yeux s’écarquillent un peu, surprise de me rendre compte que… le Centre c’est déjà une semaine en arrière… Ma chambre me manque. Vont-ils me garder cloitrée ici encore un moment ? L’odeur du trop propre et des médicaments, ça dégoute un peu au bout d’un moment.

« Une semaine, murmurais-je, c’est fou. Je n’ai pas encore osé sortir de ma chambre mais je peux marcher ! Lentement, mais, je marche. Je peux aller aux toilettes toute seule ! »

L’épuisement était moins lourd dans mes muscles puis j’avais la perfusion dans ma main donc je devais me trimballer ça dans mes aller-retour aux toilettes mais de jour en jour, je sais que ça finira par aller encore mieux. J’ai quelques séances de guérisseurs qui m’attendent dans les prochains jours.

Bien que son rire gêné me fait sourire, la remarque d’Allen me fait pencher la tête sur le côté.

«Double-»

Hein ? ALLEN ?

«Quoi mais attends, je me rappelle pas de ça ! Tu me l’avais raconté ? On est des jumeaux d’étoilisations haha !»

On est pas amis pour rien. Clairement. Bien qu’Allen soit âgé de quelques années de plus que moi, la barrière de l’âge pour moi n’existait pas.

Si ça se trouve, j’ai peut-être zappé cette info de son histoire à cause des sédatifs que j’ai reçu à mon arrivée à l’hôpital. Ou juste qu’il n’osait peut-être pas m’en parler. Je ne sais pas. Je ne sais plus !

«Je sais qu’on a eut des longues conversations sur Terrae et les pouvoirs toi et moi, je connais ton point de vue à ce sujet mais… je trouve la coincidence folle.  Un truc de fou à mettre en plus dans notre liste de conneries qui nous arrive ensemble ! »

-Un chargeur et un livre pour la dame, c'est noté !

Je lui adressai un clin d'oeil un peu taquin, avant de me reconcentrer sur elle et sur les informations qu'elle pouvait m'apporter. C'était déjà tant mieux si elle pouvait se lever et se déplacer, même si elle n'allait pas encore très loin. J'avais encore un peu de mal à comprendre l'ampleur des répercussions que ces missions avaient eu sur chacun des participants, mais j'imaginais que retrouver une mobilité c'était déjà un bon pas en avant.

Nana réagit un peu plus que ce à quoi je m'attendais quand je lui annonçais de manière un peu détournée que j'étais passé par là moi aussi et je détournai les yeux pour regarder en direction de la fenêtre. Ouais, bon, j'étais pas vraiment hyper fier de cette deuxième étoilisation, mais faut dire que la première n'était pas terrible non plus, alors j'ose croire que quand ça arrive en mission, c'est un peu plus stylé quand même... Même si en soi, j'ignorais quand même toutes les circonstances de sa deuxième étoilisation.

-Non, non, je t'avais pas raconté, mais c'est pas vraiment important en soi, tu sais !

Je reportai mon regard vers elle, toujours un peu mal à l'aise, et laissai un sourire un peu maladroit s'installer sur mes lèvres.

-C'est juste que nécessairement, quand j'ai dû partir en cure de désintoxication en dehors de Terrae, mes pouvoirs ont été bloqués, et à mon retour c'était pas vraiment envisageable de me redonner directement un niveau d'étoile alors ils m'ont scellé à nouveau au niveau d'initié. Mais ça ne m'aurait pas dérangé de rester initié, finalement !

Pour ce que je fais de mes pouvoirs, franchement.

-Mais du coup, comment ça s'est passé pour toi alors ? Raconte-moi un peu !

Qu- Comment ça ce n’est pas important ? Bien sûr que ça l’est ! J’haussais les sourcils en entendant sa réflexion. Je considérais Allen comme mon frère, on se connaissait depuis tellement longtemps… Je prenais le temps d’écouter sa petite explication. C’était vraiment le même processus au final. Après, faut prendre en compte que Terrae n’est pas une boulangerie où tu peux juste entrer et sortir à ta guise en pensant que tes pouvoirs seront les mêmes. Autant qu’un muscle qui est délaissé d’entraînement pendant longtemps, il n’a plus la même puissance qu’avant…

«Oh je vois on a eut le même processus ! Je ne suis pas étonnée que tu aurais préféré rester initié. D’ailleurs ton travail avec le psy au sujet de Terrae ça se passe bien dernièrement ? Dis-je en lui offrant un petit sourire.»

Lorsque ce fut mon tour de raconter, je restais silencieuse sur le moment. Il me fallut un petit moment pour revoir toute la scène. Tout s’était déroulé si vite… Ce fut un moment très intense, on avait beaucoup de pression sur les épaules avec les jeunes en face.

«On était en train de se battre contre des dotés du Centre, genre des gamins c’était un combat difficile. Aaron allait envoyer une onde de choc et j’avais pas le temps de me protéger donc j’essayais d’attraper un cristal dans ma poche pour m’aider mais en le touchant, Senri m’avait envoyé aussi de l’énergie… Mon sceau s’est pété et puis-»

Et puis t’as tué un gamin quoi.

Il est mort sous ton surplus d’électricié qui lui a donné des convulsions jusqu’à en crever. Aaron avait récupéré son corps pour autopsie j’imagine… La cause de son décès, bah c’est moi. Cette partie était restée flou mais, je la vois très clairement maintenant. D’une main, je serre le drap, de l’autre je me couvre la bouche. Mon visage se contorsionne par la vague de peine qui me traverse. Mes poumons s’alourdissent soudainement, ma cage thoracique me fait mal. Il me faut de l’air.

«Y-Y av-v-ait un F-F-Feu et il a- ajoutais-je en parlant à travers ma main.»

crevé. Par mes mains.
Mes yeux s’humidifient. L’image de son corps en pleine crise avant son dernier souffle était ancré dans ma mémoire, à chaque fois que mes paupières se ferment, je le vois dans le noir. Mon étoilisation avait permit au moins de neutraliser les deux autres dotés bien qu’ils se soient échappés, mais à quel prix…

-Oui, ça se passe bien. En soi, il n'arrête pas de me dire que je n'ai plus vraiment besoin de venir mais... Je sais pas, j'ai pris l'habitude d'y aller, et j'ai l'impression que ça m'aide à rester bien alors je continue à y aller. Il a quand même beaucoup espacé nos rendez-vous, on ne se voit plus qu'une fois tous les... Je sais même pas. Plusieurs mois. J'imagine qu'il doit bien essayer de se débarrasser de moi pour pouvoir prendre d'autres patients, dis-je en riant un peu.

Faut pas s'mentir, maintenant c'est presque comme si c'était deux amis qui se voyaient quand je vais à mes rendez-vous. Bon, j'exagère, j'ai beaucoup trop de respect pour lui pour oser agir autrement que formellement, mais dans l'idée, il y a un peu de ça. Mais bon, dans l'idée, j'comprends qu'il tente aussi de se libérer de l'espace pour d'autres personnes, après tout il y a des nouveaux quasiment tous les jours ici alors... Ils restent ou ils partent, mais tous font un passage chez le psy alors il doit quand même libérer du temps dans son planning pour tous ces différents imprévus qu'il doit gérer chaque jour. Mais dans un coin de ma tête j'aime à croire que contrairement à mes débuts chez lui, maintenant il me voit plutôt comme sa petite pause dans sa journée, entre deux rendez-vous difficiles.

Je m'enquis ensuite de la façon dont Nana avait à nouveau révélé son potentiel d'étoile et... Et encore une fois, question nulle Allen. C'est fou, ça c'est vraiment un truc qui reste, malgré les annéééées chez le psy, tu continues TOUJOURS à poser les mauvaises questions. Mais en même temps, quoi, personne ne demande jamais aux gens comment ils vont, ou comment ça se passe ? Pourquoi j'ai toujours l'impression que ça n'arrive qu'à moi ? Tout le monde joue à l'invisible dans ce genre de situation ou quoi ? Parce que franchement, ça a beau être toujours la mauvaise question, je ne peux décemment pas m'empêcher de la poser, parce que je tiens à mes amis -pour le peu que j'ai. Et que si je ne posais pas ces questions... Ben ça me donnerait l'impression de me ficher d'eux et de ne pas faire attention à ce qui se passe dans leur vie.

Sauf que la réaction que j'ai en face de moi me fait tomber de haut. Bon. Alors c'est comme ce qu'a fait Alyona lorsqu'on s'est croisés sur le toit, non ? Si. C'est exactement ça. Nana fait une crise d'angoisse...

Je me pinçai la lèvre inférieure avant de m'avancer vers elle pour saisir sa main qui tenait fermement son drap. J'allais retirer délicatement son autre main qui couvrait son visage.

-Respire.

Je tentai de lui offrir un sourire réconfortant, qui devait plutôt ressembler à un mélange de sourire-grimace maladroit, et je caressai les dos de ses mains avec mes pouces, essayant d'accrocher son regard.

-T'es pas obligé de me raconter si tu veux pas. Mais je suis sûr que peu importe ce qu'il s'est passé, tu n'as pas cherché à faire du mal autour de toi, ni à blesser qui que ce soit...

Si Allen est encore bien à faire des séances de psy, je ne vois pas de mal à ça. Vouloir se faire un petit checking, c’est une bonne chose je pense. Un peu comme quand on vérifie si une fracture s’est bien remise. Je lui ai répondu par un large sourire, c’est encourageant de savoir qu’il aille mieux, vraiment.

Quand je chute subitement dans mes émotions et que je tente de lui parler du Feu… Ma respiration est entrecoupée par des mini-spasmes que provoque le début de mes sanglots. Le visage de ce gamin, je le vois me regarder droit dans les yeux pendant qu’il convulse. Je sais que ce n’est pas la vraie version des faits, mais dans mon imagination, c’est ce qui se produit. Je m’en veux qu’Allen me voit à nouveau dans un état si pitoyable. Après toutes ces années et bons moments, ça revient toujours. Est-ce qu’il ne va juste pas en avoir marre de me voir ainsi ?

La sensation de ses mains sur les miennes tente de me ramener à la réalité actuelle, que je suis dans un endroit safe. Je continue de chercher de l’air dans la pièce. Il tente de me rassurer. J’ai envie de lui affirmer que c’est pas qu’il n’était pas là pour voir ça… voir la monstruosité que j’ai commis alors que le but de la mission était simplement de se défendre. Je sers un peu mes doigts autour de ses mains. Mon regard se lève et s’ancre dans celui d’Allen. La sincérité de son visage me fait sourire de l’intérieur.

Ma respiration est encore saccadée mais je prends quelques instants pour prendre des grandes inspirations.

T’es safe ici, t’es safe, t’es safe, t’es safe. T’as fait du mal, mais Allen n’a pas à subir ton tourment. Ce fardeau ne lui ait pas destiné. Mais mes émotions me poussent à bout.

«Ce que j’ai fait Allen… Commençais-je entre deux sanglots… Je ne sais pas si je me le pardonnerais… C’était un accident… que j’ai créé sans faire après…»

Ça sort tout seul.

«Quelqu’un a clamsé… pendant mon étoilisation… C’est ma faute…»

Peut-être suis-je maudite finalement ? Je sers un peu plus ses mains, ça me permet de me conforter qu’Allen est bien présent, sa bienveillance est si douce. Je suis convaincue d’être une meurtrière, mais quand je regarde mon ami… ça me paraît si irréel qu’il soit si bon avec moi.

Voir Nana dans cet état me serra encore un peu plus le coeur. Je n'avais toujours pas pu rendre visite à Pandora, cette dernière semblant refuser les visites à l'hôpital, mais je ne pouvais que redouter la prochaine fois où j'allais la voir. Dans quel état serait-elle ? Serait-elle aussi mal que Nana ? Pourquoi fallait-il toujours qu'il se passe des choses horribles ici ?

... Non. Je devais me raisonner. Je devais repenser à mon entrevue avec Alyona. Je devais essayer de voir ce qu'il y avait de bien, ici aussi, à Terrae.

Mes yeux cherchèrent les siens. Quelqu'un était mort. Pendant son étoilisation. Mais est-ce que c'était véritablement sa faute ? Est-ce qu'elle en était vraiment responsable ? Je n'étais pas là. Je n'avais pas vu. Je ne savais juste rien. Qu'est-ce que je pouvais dire d'autres que des paroles banales, ce genre de phrases rassurantes bateau qu'on sert sur un plateau d'argent quand on ne sait pas quoi dire ?

-Pourquoi est-ce que tu dis que c'est ta faute...?

Mais si c'est arrivé pendant des missions au Centre, ils sont équipés, non ? Ils auraient pu repousser ses pouvoirs. S'ils ne l'ont pas fait, est-ce qu'elle en est vraiment responsable ?

-Tu dis qu'il était Feu...? Il avait des pouvoirs aussi, non ?

Ces fameux "dotés" dont tout le monde parle en ce moment. Mais s'il avait des pouvoirs, il aurait pu répondre, se défendre, riposter. Est-ce qu'une étoilisation peut être suffisamment violente pour infliger la mort ?

Pourquoi… Pourquoi? N’est-ce pas une évidence ? Enfin. Allen n’était pas là pour voir la tragédie, tant mieux je dirais. Ce corps qui tremble à terre et qui succombe à une si grosse décharge électrique… Ça devait seulement le rendre inoffensif, pas mort. Il fallait qu’on survivre… Manger ou être mangé comme on le dit si bien, mais là… Qu’est-ce que vaut ma vie au final ?

Je reste silencieuse, abaissant le regard, face à sa première question… Puis à la seconde…
Allen ne pense pas à mal, je le sais. Il tente de comprendre ce qui est normal. Rester à Terrae et aller se battre pour Terrae sont deux choses différentes. Une personne normale ne peut pas voir à quoi ressemble le point de vue d’un soldat sur le champ de bataille. Surtout que là, on parle d’enfant… d’ado. Encore un adulte bon… Voilà quoi.
Mes sanglots s’intensifient un peu.

« Il en avait oui… mais la puissance de ma décharge a fait que… »

…

« ‘fin chais pas il s’est mis à gesticuler… à convulser… j’le sais pas Allen pourquoi… Pourtant il était si dangereux… Il aurait pu tous nous avoir… Puis je l’ai éteins comme un moustique qui passe dans une raquette électrique… »

J’avais tenté de trouver une raison autre que moi, mais si je ne m’étais pas étoilisée, j’aurais cramé sur place. Si je ne m’étais pas étoilisée… Le Feu serait encore envie, peut-être que la mission aurait été un échec, qu’ils auraient réussi à nous empêcher de récupérer les infos, on parle quand même de dotés SANS sceau.
Les yeux larmoyants, je regarde Allen.

« Je suis désolée… Aaron a essayé de me convaincre que ce n’était pas ma faute mais c’est si dur à croire, ajoutais-je d’une voix étouffée. Est-ce que…tu me pardonnes ? »

À mon arrivée à Terrae quand je fus ado, je n’avais pas peur de me battre, et désormais non plus. Mais se battre, ce n’est que blesser, pas tuer.

Je fronçai légèrement les sourcils face aux explications de Nana, tentant de lui montrer le moins possible mon inquiétude. Est-ce que c'était possible qu'une étoilisation de Tonnerre entraîne une décharge suffisamment puissante pour ôter la vie de quelqu'un ? Oui. Oui, ça l'était, c'était évident. Et je ne pouvais pas me baser sur ce qu'Aaron lui avait apparemment dit, parce qu'évidemment que dans une situation comme celle-là, les Masters vont agir en personne responsable et vont faire leur possible pour rassurer quelqu'un comme Nana, surtout qu'on parle d'une mort qui serait survenue du côté du Centre.

Alors, la seule question qui s'échappa de mes lèvres fut celle-ci :

-A cet instant-là, vous n'affrontiez que ce... Feu ?

J'avais beau savoir que le Centre jouait avec nos pouvoirs depuis des années maintenant, après avoir en plus récupéré les résultats des expériences des scientifiques, c'était tout de même étrange de parler d'eux en utilisant ces termes qui me semblaient si propres à Terrae. Un Feu, c'est forcément quelqu'un de Terrae... Pas quelqu'un du Centre.

Mais la réponse à cette question était vraiment importante. Parce que s'il était vraiment seul face à eux, alors il n'y avait pas de "sujet-témoin" pour prouver que Nana n'était pas directement responsable de sa mort. On le sait tous, une étoilisation ça peut être violent... Au moment où le sceau pète, la puissance équivaut celle d'un Master, et les rumeurs disent même qu'elle peut dépasser celle d'un Master.

Sauf que si ils n'étaient pas seulement face à lui, alors ça changeait la donne. Parce que d'autres auraient dû mourir aussi, non ? En tout cas, c'était la seule chose qui me permettait de poser l'hypothèse du doute sur le fait que Nana puisse véritablement être responsable de cette mort -et encore, responsable reste un bien grand mot, car lors de l'étoilisation, la puissance n'est pas contrôlable, et tout le monde sait aussi qu'il y a un monde entre le résultat attendu et le résultat réel. Sans intention réelle de tuer, ce serait déplacé de l'acculer pour ça.

Face à sa question, et son manque de réponse dans ma recherche du pardon, je me crispe, à la recherche des visages des ennemis que nous avons affrontés.

« Non. »

Je cherche dans ma mémoire, mes iris dorés se balancent de gauche à droite. Comment ça a commencé ? Combien étions-nous dans cette pièce ? On était 4 dans l’équipe. Aaron, Senri, Agent Cooper et moi. OK. En face. Il y a ce petit Tonnerre, insupportable, il me faisait grincer des dents. Et cette Air qui débarque subitement. Qui nous entrechoque comme des moustiques dans un courant d’air trop fort. Puis, ce Feu. On était à 4 contre 3. On a essayé de toutes nos forces avec Senri de contenir le Tonnerre et l’Air. Mais sans sceau, ils étaient très difficiles à tenir. Je me rends compte que j’ai laissé une longue pause sans continuer. Je cherche encore de l’air pour mes poumons.

« On était à… 4 contre 3. Mais étant sans sceau de leur bord… on essayait de ne pas se faire exterminer. »

Le compte est bon.
J’ai peur. Peur de la réponse d’Allen. Peur qu’il ne me voit simplement comme une simple étrangère finalement alors qu’on se connait depuis si longtemps. On a pas le même caractère, il est une brise d’air calme (et pleine d’anxiété quand même), je suis un électron qui veut se fracasser dans tous les sens.

J’ai peur Allen.
Je veux te le dire. J’aimerais.
Est-ce que tu comptes juste me tourner le dos et quitter cette pièce ? Ne pars pas s’il te plait.

« Après, ils ont ramené son corps ici… Donc… J’imagine qu’il y aura une... euh… autopsie. »

Je pense, je crois ?

«Mais, les deux autres n'ont pas convulsé et se sont enfuis alors...»

Je sentis le corps de Nana se crisper et je compris enfin que je n'avais pas répondu à sa dernière question, trop concentré sur mes propres interrogations. Mon coeur se serra alors que je la voyais froncer les sourcils pour se remémorer ces souvenirs douloureux. Encore la question de trop Allen.

Et pourtant, elle répondit et le poids qui s'abattait sur ma poitrine s'estompa aussi rapidement qu'il était arrivé. Un sourire finit par étirer mes lèvres et je repris ces caresses machinales que j'appliquais sur les mains de Nana avec mon pouce. Mon autre main vint ébouriffer ses cheveux. Qu'est-ce qu'on en avait à faire de l'autopsie ? La réponse était évidente. Comment Nana pouvait-elle être responsable de la mort d'un... "doté", sans sceau, si même les autres n'avaient pas subi le même sort ?

-Nana, t'es absolument pas responsable de la mort de ce Feu.

Ma main quitta ses cheveux pour glisser sur son visage, cherchant les restes des larmes qu'elle avait versées pour les essuyer du pouce.

-Comment tu peux être responsable de la mort d'une personne qui ne possède pas de sceau ? Si les autres s'en sont sortis, il n'y a même pas besoin de plus de preuves.

Et, vraiment, on oubliera le transport du cadavre, parce que je ne veux pas savoir dans quelles circonstances c'est arrivé. Je sais que c'est nécessaire. Mais ça me dégoûte juste.

-A 4 contre 3 aux pouvoirs non scellés... Vous avez vraiment été courageux. Bravo, Nana.