Ce week end est un week end un peu spécial, puisque je le passe avec Shana, ma fille. Ce n'est pas la première fois que le couple qui s'en occupe depuis sa naissance me laisse un petit moment avec elle. Dernièrement, ils me le proposent même de plus en plus. Et forcément, ça me fait toujours plaisir de pouvoir passer une petite heure rien qu'avec elle. D'autant que maintenant elle parle plutôt bien, alors c'est assez cool ces instants ensembles. Mais c'est bien la première fois que je la garde autant de temps. Toute une après midi et la soirée (jusqu'à ce qu'elle se couche en fait). Alors il faut bien l'occuper.

Par chance, il fait beau cet après midi, alors une fois la sieste passée et le gouter terminé, c'est direction le parc. Montée sur sa petite draisienne, son casque rose bien attaché sur sa petite tête chevelue, la voilà, en robe et sandales, qui s'élance à toute vitesse, connaissant parfaitement le chemin pour rejoindre l'aire de jeux réservées aux plus jeunes. Mon pouvoir de marionnettiste en alerte, près à être utilisé n'importe quand si un danger devait surgir au dernier moment (c'est quand même hyper cool ce pouvoir pour s'occuper d'un gamin !) je la suis au pas de course. Je n'ai pas intérêt à trainer, parce qu'elle ne m'attend absolument pas.

- "E veux ayer sur ie coboggan !!"

Sa petite voix aiguë réfractaire aux L s'élève bien vite alors qu'elle abandonne son bolide sur le bas côté, prête à partir à l'assaut de son jeu préféré. Les glissades. Ce qui me fait me dire que j'aurais peut-être dû lui enfiler un short. Ok, c'est encore qu'une gamine et qu'on puisse voir sa culotte est sûrement le dernier de ses soucis, mais moi, je me rends bien compte que je ne suis pas du tout au niveau. Bon, de toute façon, je ne vais pas pouvoir lui faire faire demi tour (pas sans crise de larmes et je ne suis pas du tout prêt à encaisser ça !) alors tant pis.

- "Tu fais attention en montant les marches."

J'ai cette pointe d'appréhension en la voyant monter à toute vitesse, ne prenant manifestement pas en compte de ma dernière remarque. Parce que si je n'ai pas pris de fringue de rechange, je n'ai pas non plus prévu quoi que ce soit en cas de bobo. J'ai pas l'habitude ouais ! Alors encore une fois, il va falloir gérer en l'état. Je me rapproche rapidement de la structure au sommet de laquelle elle se trouve déjà, se positionnant, prête pour la glissade. Mais elle ne descend pas tout de suite. Si j'ai l'espoir une seconde qu'elle fasse réellement attention, ses paroles me font bien vite comprendre qu'il n'en est rien.

- "Eh ! Y faut pas é e... é remonter, ie coboggan !"

Quelques difficultés à articuler correctement chaque mot de sa remontrance, elle n'en prend pas moins ce petit ton autoritaire digne d'une princesse trois pommes pour s'adresser à celui qui lui bloque l'accès plus bas. Assise sur ses genoux, les mains sur les hanches, je pourrais trouver ça hyper drôle si ce n'était pas ma fille. Non, là je crois que je suis juste un peu fier de constater de moi-même qu'elle a déjà un petit caractère bien affirmé. Et ce n'est visiblement pas ce garçon un peu trop audacieux qui pourra l'intimider.

Je regrette, ok ? J'aurais pas du faire cette sieste. Mais Fai était trop mignon en train de câliner son doudou dans son petit lit d'enfant. Je me suis dit que je pouvais en profiter et rattraper ma nuit trop courte. Me suis encore couchée bien trop tard à bosser sur un article. Bref. Sieste.

J'aurais du anticiper et mettre un réveil et pas faire ça sur le canapé du salon. J'ai baissé ma garde c'était une erreur. Il m'a eu dans les côtes et je sens mon souffle qui quitte brutalement mes poumons dans un sifflement étranglé.

— Papa ! Papa ! Tu dors plus ?

Non. Non je dors plus, petit démon. Tain, mon fils est une brute. Je me masse un peu les côtes en me redressant sur un coude. Fai me renvoie un sourire joyeux assis sur mon ventre. Crapule. Je soupire.

— Tu as pas encore pris ton goûter ?

Fai fait une moue concentrée pour décrypter mon mandarin approximatif. J'suis au réveil, ok ? C'est dur d'articuler et Fai a encore un peu de mal avec cette langue. Il secoue finalement la tête.

— Maman a dit de te réveiller d'abord.

Ha. D'où l’enthousiasme. Parce que pour avoir le goûter faut que je me lève. Princesse, t'es sadique. Je roule des yeux et me lève en prenant le petit monstre dans mes bras. Il rigole et s'accroche à mon torse comme un petit singe. Je souris en coin et l'emmène à la cuisine pour le goûter.

Il mange sa compote et un carré de chocolat avant de retourner dans sa chambre en courant et je me résigne à la sortie au parc. Aoi se moque gentiment de ma tête de saut du lit mais j'ai droit à un bisou quand même donc ça me va.

Je m'assure que Fai a sa casquette avant de sortir et que j'ai bien pris de l'eau dans son petit sac. Il me tient la main sur le trajet en me racontant sa matinée de classe de la veille. J'suis content de voir qu'il aime bien et qu'il s'adapte à la routine de la classe en vrai. J'avais peur que ça soit compliqué au début mais finalement ça se passe bien.

Quand on arrive enfin vers le coin des enfants du parc il lâche ma main pour courir vers la structure et escalader l'échelle du toboggan. Il fait quelques glissades et je vais m'asseoir sur un banc à côté pour pouvoir le surveiller en même temps. Tain j'ai encore envie de dormir. Mon esprit s'envole un instant jusqu'à ce que j'entende un éclat de voix enfantin. Je relève la tête et une gamine en robe est assise en haut du toboggan en train d'engueuler mon fils qui essaye de remonter la pente au lieu de faire le tour. Je soupire et me lève.

— J'étais là d'abord !
— Fai !

Il relève la tête vers moi, regarde la petite, regarde vers moi, puis continue délibérément ce qu'il avait commencé. Évidemment. Je roule des yeux et m'approche du toboggan. Je lance un regard surpris à celui que j'identifie comme Tiago. Ha. Ça doit être sa fille la petite terreur.

— Fai, j'appelle encore mon fils fermement, laisse ta place à la demoiselle. On en a déjà parlé, c'est chacun son tour.

Fai me renvoie une moue boudeuse et je hausse un sourcil expectatif. Il grommelle et redescend.

— Merci, trésor. Tu veux que je t'aide à remonter ?

Il hoche la tête et je lui souris. J'adresse une grimace d'excuse à Tiago avant de contourner la glissade pour soulever Fai et le poser directement sur l'avant dernière marche. Il rigole. Adrénaline junkie.

Alors là, je n'ai aucune idée de ce qu'il convient de faire. Non mais parce que quand c'était mes neveux ou mes petits cousins éloignés qui s'embrouillaient, j'en avais rien à battre, je les laissais se démerder entre eux. Là... Là c'est ma fille ! Bah ouais, ce n'est pas du tout pareil ! Mais est-ce que je dois vraiment la laisser régler ses petits différends toute seule ? Ou est-ce que je dois intervenir ? Et est-ce qu'il faut que je la soutienne en demandant à l'autre gosse de ne pas faire la quille, ou essayer de dire à la mini cheffe que ce n'est pas de cette façon qu'on demande quelque chose.... Lol non, cette dernière option n'est évidemment pas dans mes façons de faire.

Heureusement, le père du p'tit cascadeur intervient et m'évite de trop réfléchir. De toute façon, je n'aurais jamais trouvé la réponse. Sauf que quand je capte qui est le père en question, c'est un peu plus difficile de seulement accepter qu'il soit le seul à gérer pendant que je me contente de rester en retrait. Ouais bon, égo ou autre, appelle ça comme tu veux, le résultat est là. Je me rapproche de la structure pour être plus au niveau de Shana.

- "Tu aurais pu attendre un peu avant de le gronder."

Lol. Si j'ai l'impression de n'avoir aucune crédibilité en prononçant ces mots auxquels je ne crois pas du tout, à voir sa petite tête brune se pencher sur le côté, signe évident de son incompréhension, je comprends vite que ce n'est pas qu'une impression.

- "Mais... C'é toi y a m'a dit ze faut dire non et, et, avoir pas peur. Et ze pas peur moi !"

Je crois que je n'ai jamais aussi bien compris que maintenant l'origine de ces espèces de sourires plats représentés dans certains oeuvres. Qu'est-ce que je peux bien répondre à ça hein ? Parce que oui, je me souviens parfaitement de cette petite discussion qu'on avait eu il y a quelques semaines, quand ses parents m'avaient rapporté un petit incident à l'école où Shana s'était disputée avec une élève plus grande et était finalement rentrée en pleurs. Maintenant je me rends compte que ma fille a peut-être bien assez de caractère pour que je puisse me passer de ce type de discours mais... Bon de toute façon, c'est trop tard hein.

Mon regard glisse vers l'arrière de la structure en entendant le fils de Huo, ayant accepté de coopérer, qui a refait le tour sur la demande de son père. C'est ouf comment les gamins peuvent vous faire perdre la face avec une facilité déconcertante. Non mais c'est bon j'abandonne, j'suis pas de taille face à ça moi. D'ailleurs Shana ne manque pas de suivre la direction de mon regard et repose les yeux sur son camarade de jeu. Ce qui lui fait immédiatement reprendre conscience de ce pour quoi elle se trouve actuellement perchée au sommet de ce toboggan.

- "Cé parc'y faut gyisser en bas. Com' ça."

Des mots adressés au gamin derrière elle. Et s'il doit probablement déjà connaitre le principe du toboggan, Shana prend très à coeur de lui enseigner la bonne façon de se comporter sur une telle structure. La voilà qui lisse déjà correctement le bas de sa robe pour s'assoir dessus avec une assurance qui prouve que je ne dois pas être le premier à l'amener à l'aire de jeu dans cette tenue (sans tissu sous les jambes ça doit beaucoup moins bien glisser), avant de s'élancer, s'aidant de la petite barre un peu plus haut pour gagner en vitesse, riant le temps de la descente jusqu'à atterrir les fesses dans les graviers un peu plus bas, ne contrôlant visiblement pas encore très bien l'inertie de son propre corps.

- "Je n'ai aucune idée d'où elle tient ce petit ton professoral..."

Un constat sur un ton un peu dépité que je ne peux me retenir de faire à voix haute. C'est vrai, même si j'essaie de passer le plus de temps possible avec elle, eh bien une ou deux heures par semaine, ce n'est pas suffisant pour apprendre à connaitre réellement un enfant. Pas aussi bien qu'un père est censé connaitre sa fille en tout cas.

Derrière moi, j'entends Tiago qui reprend sa fille sur son impatience et je rigole intérieurement. Fai m'adresse un grand sourire parce qu'il aime bien me voir le faire. Et là, la petite dit, d'un air absolument confus d'enfant, un truc à propos du consentement et je peux pas m'empêcher de lâcher un ricanement.

En attendant Fai profite que je le tiens pour sauter sur place sur la dernière marche du toboggan. Enfin sauter, il trépigne plus qu'autre chose. Je roule des yeux un peu en attendant que mam'zelle descende.

Fai fait la moue quand elle lui explique d'un air confiant comment on fait du toboggan. Je souris en coin. Eh oui, p'tit monstre, quand on fait le couillon, les gens vont te le dire. Fai la regarde glisser et finir dans les graviers en bas et je le lâche pour le laisser grimper en haut. Il attend quand même que la petite se redresse et se pousse de la trajectoire avant de se laisser glisser aussi.

— Surement pas de toi, en tout cas, je me moque un peu quand Tiago s'étonne de l'attitude de sa fille.

En même temps vu que c'est pas lui qui l'éduque c'est pas très étonnant qu'il capte pas toutes les subtilités du caractère de sa gamine. Pas que je juge pour le coup, savoir reconnaître qu'on est pas apte à s'occuper d'un enfant c'est aussi une preuve de maturité. Au moins il essaye de garder le contact avec elle. Fai descend en criant tout le long et je le vois qui titube un peu dans les graviers. J'ai un mouvement involontaire dans sa direction quand il manque de tomber mais il se redresse. Je soupire un peu.

— J'crois pas t'avoir déjà vu avec la petite. Première fois au parc ?

C'est cool de voir Fai s'entendre avec d'autre enfants, en vrai. Il a l'air de s'être vite remis de son altercation et il parle à la petite avec de grands gestes. Je le surveille quand même du coin de l’œil, des fois qu'il se mette en tête de l'impressionner avec des flammèches...

Je tourne la tête lorsque Huo répond à cette question qui n'en attendait pas forcément non plus. Mais en même temps, avec la super démo que je viens d'offrir, sa réponse est tout à fait legit. Ma fille a manifestement bien plus d'autorité que je ne peux en avoir. Et faut croire que c'est un peu trop évident que je ne m'y connais clairement pas en éducation ou en gestion de l'enfant si je me réfère à cette question qui suit.

- "Ouais. Enfin, pour moi, parce que elle, elle a l'air de maîtriser vachement mieux..."

Je lance un petit coup d'oeil en direction de Shana qui a effectivement l'air parfaitement dans son élément ici. Après cette première descente, la voilà déjà qui commence à faire des petits tas avec les graviers tout en discutant avec Fai. Enfin, une discussion d'enfant hein, ça a l'air de partir un peu dans tous les sens. Tout ce que j'arrive à capter de ce méli mélo de mots chaotiques, c'est qu'elle est une princesse. Mais une princesse des temps modernes qui fait des travaux... Et qui n'a visiblement pas peur de se salir ne d'abimer ses belles robes.

Y a pas à dire, les relations sociales c'est quand même vachement plus facile à cet âge là. Et si en temps normal les parents occupent leur temps au parc en discutant de leurs rejetons respectifs, eh bien dans mon cas, je ne connais clairement pas assez la mienne pour me lancer dans ce genre de sujet.

- "T'as l'air plus habitué à gérer ce genre de sorties." Ouais bah je ne vais pas prétendre le contraire hein. "Même si tu dénotes un peu dans ce genre d'environnement !"

Ok c'est vrai, je ne dois pas avoir beaucoup plus la gueule de l'emploi, mais je n'ai pas une allure de voyou doublée de cette aura de master moi ! Et apparemment, c'est évident que je ne suis pas franchement à ma place ici alors que Huo, sérieux. il a l'air parfaitement à l'aise !

Je souris en coin. Ouais, la petite Shana a l'air de très bien connaître l'environnement vu comment elle est direct à l'aise pour taper la discut' avec Fai. Je les garde dans un coin de mon champ de vision mais à moins que Fai redemande du toboggan, je vais les laisser tranquilles.

Ils ont l'air de bien s'entendre, au moins. Ça me rassure un peu. Comme Fai a pas eu des masses de contact avec d'autres enfants à part ceux de nos amis avant qu'on le mette progressivement à l'école, j'ai parfois un peu peur qu'il ait du mal socialement. Visiblement, je m'inquiète pour rien. Il écoute Shana avec attention et ils ont l'air de se construire un monde de jeu comme seuls les gamins de cet âge en sont capables.

— C'est parce que je suis roux que tu dis ça ? j'ironise avec un sourire amusé.

En vrai, j'me suis calmé sur la dégaine de voyou et les regards de tueur. Mais ça veut pas dire que je suis pas capable de le faire. Juste. Pas avec mon gosse à côté. Ça change quand même pas mal de trucs d'être parent, je réalise. J'ai pas forcément envie de devoir expliquer à mon fils de trois ans pourquoi les autres parents me regardent d'un air suspicieux.

— Ça change pas mal de chose dans la vie, d'être papa. D'être Master et en couple aussi, hein, mais...

Avoir ce petit être qu'on a fait à deux et qui dépend de nous, ça me fera toujours un truc, je pense. Bon, j'vais essayer de pas virer grosse guimauve sur Tiago, quand même, faut pas abuser non plus. Mais c'est mon bébé, ok. Je vire toujours un peu guimauve quand je repense que c'est mon p'tit garçon.

Difficile de me retenir de sourire quand Huo évoque sa couleur de cheveux. C'est vrai que cette couleur a toujours attiré certaines croyances sur le caractère de leurs propriétaires.

- "J'crois que tu peux essayer toutes les couleurs que tu veux, ça n'y changerait pas grand chose."

Faut croire que quand on a un certain passif, on peut faire ce qu'on veut, il restera toujours des traces qui ne partent jamais. Eh, ça va, bien sûr que je suis capable de deviner qui sont les gars (ou meufs d'ailleurs) qui ont un passé plus moins comparable au mien. Il y a des signes qui ne trompent pas.

Pourtant, je suis sûr que ça n'empêche en rien d'être de bons parents. Quand on y est préparé, certes. Mais à voir comment Huo se comporte avec son fils, je n'ai aucun mal à imaginer que le gamin n'a pas de quoi se plaindre de ce côté là. Alors quand il mentionne certains changements liés à son nouveau statut...

- "Vraiment ? Tu ne passais pas déjà tes samedis aprem au parc de jeux avant d'avoir un enfant ?"

Ai-je besoin de préciser que c'est ironique ? Bien sûr qu'aucun adulte normalement constitué n'aurait d'intérêt à rester dans cet endroit s'il n'avait pas un mini être humain à surveiller. Et en parlant des mini humains, ils ont l'air d'avoir totalement oublié cette petite entrée en matière bancale. Il faut croire que les cailloux sont les meilleurs jeux du parc...

Je roule des yeux et me retient de tirer la langue à Tiago. C'est pas parce que Mossieur a un passif aussi qu'il peut se permettre de me traiter de gangster. Déjà parce que je fais pas mal d'efforts pour que ça se voit... Heu, moins. Mais j'y peux rien si je suis roux en vrai. Déjà que les gens pensent que ça a un rapport avec mon caractère mais non pas du tout. Encore que… Ça demanderait une étude approfondie.

— Eh, tu serais étonné. Je me suis déjà teint en brun, bah crois moi que ça aide pas mal de gens à t'aborder en pensant que t'es une personne normale, surtout au Japon.

Puis bon, faut avouer que dans mon boulot, quand je me retrouve à parler avec un politicien réac qui lève le nez parce que mes yeux bridés lui reviennent pas… Mais bon il parait que pour les occidentaux, on a tous la même tête.

Je souris en coin à sa blague un peu nulle et garde un œil sur les petits qui ont l'air de s'appliquer à faire une tour en petits cailloux. Je soupire un peu en constatant que le pantalon propre de Fai vire déjà au gris. Enfin, au moins ils se les lancent pas dessus.

— A quel point est-ce que ça choque les gens de savoir que t'as une fille quand ils l'apprennent, en vrai ?

Parce que Tiago dit de moi mais lui il a toujours une tronche de délinquant. Avec sa coupe décolorée et son style vestimentaire, on sait direct que c'est lui qu'il faut aller voir en soirée si on veut autre chose que de l'alcool.

- "Ahah ok, ça va j'te crois. C'est pas la première fois qu'on me parle des couleurs de cheveux chez les japonais alors, on va dire que c'est la faute de tes cheveux !"

Je plaisante, ouais c'est bon, je suis un peu plus détendu là. Peut-être parce que Shana s'est trouvé une activité "calme". Pour l'instant. Dans cette position accroupie que maîtrisent si facilement les enfants, les fesses repliées au niveau des talons tout en gardant les pieds bien à plat. Le genre de position qui a l'air de leur donner une stabilité formidable alors qui si nous, adulte, on s'y essaie, on fini les fesses par terre. Au moins, elle ne salit pas trop sa robe dans cette position.

Je relève la tête vers Huo à sa question. Une question que j'aurais sûrement mal pris il y a quelques temps, mais je me rends compte que désormais, je suis très à l'aise avec tout ça. Peut-être parce que la plupart des gens savent. Ou que je ne cherche plus à m'en cacher.

- "Eh bien... Ca dépend. Y a ceux qui s'marrent en demandant combien elle a de frères et soeurs qu'elle ne connaitra jamais... et puis y ceux qui demandent plutôt comment est-ce que, ici, je peux être sûr que ce soit moi le père." Les grands classiques. "J'crois que c'est pas tant que j'ai une fille qui les choque le plus. C'est un peu comme, j'sais pas, un genre de "ça devait finir par arriver" tu vois." Je ris légèrement à cette remarque parce que, bah, oui, même moi je ne peux qu'adhérer. "C'est plus quand ils comprennent que je m'en soucie et, même si je ne m'en occupe pas à plein temps et que ce n'est pas moi qu'elle appelle papa eh bien, pour moi, ça reste ma fille et ça ne change rien. Là, ouais, souvent ils comprennent pas bien."

Et en même temps, je ne peux pas leur en vouloir. Si je n'étais pas dans cette situation, je serai sûrement l'un des premiers à juger. On ne fait pas des gamins pour les refiler aux autres. Mais, parfois la réalité oblige à faire certains choix qu'on ne voudrait pas avoir à faire.

- "J'espère juste que... ça ne lui causera pas trop de soucis plus tard. Mais, j'imagine que tu comprends."

Je ne peux pas croire que Huo ait fait ces quelques efforts côté look sans penser à son fils. Oui oui, le changement d'être père, tout ça, j'ai capté hein !

Je hausse une épaule avec un sourire amusé. C'est marrant comme les gens assument tout de suite des choses basé sur l'apparence, en vrai. On voit une personne avec les cheveux bleu, ou un style un peu gothique ou des piercing ou des tatouages visibles, et tout de suite, on pense "marginal". Et ça a aussi une part de réalité parfois parce qu'on essaye tous de montrer nos appartenance sociales et nos expériences et nos valeurs avec notre apparence extérieure. Mais parfois aussi les gens s'habillent avec des blousons en cuir à pique le week-end et ils sont comptables.

Ce qui m'intéresse aussi c'est que Tiago est beaucoup plus conscient de son image et de sa situation que ce qu'il laisse croire au premier abord. Fin, ça m'étonne pas que les gens lui fassent des réflexions et c'est un peu mérité mais il s'en fout en fait. Et c'est peut-être un truc de Feu, de dire que "nique les conventions sociales", mais au final tant que Shana grandit heureuse et que la situation lui convient comme ça, qu'est-ce qu'on en a à foutre ?

— En vrai, admettre qu'on est pas en capacité d'élever un gosse, ça demande bien plus de courage parfois.

Par exemple, totalement au hasard, mes parents étaient pas forcément les meilleurs personnes pour élever un gamin. Et je dis pas que je suis parfait, loin de là. Mais c'est pas les seuls et si vous demandez à pas mal de Terraens, vous en aurez plein d'autres, des exemples de gens qui auraient pas du faire de gosses ou pas dans ces conditions ou à ce moment là.

— J'pense que tant qu'elle grandit en étant heureuse, ça aura toujours plus de prix que d'avoir voulu l'élever toi tout seul sans pouvoir l'assumer.

Je fourre mes mains dans mes poches, laisse mon regard se perdre un instant vers les petits. On fait tous de notre mieux. Parfois faut pas essayer d'en demander plus.

— Et vu son caractère, je pense qu'elle sera très bien capable de remettre à leur place ceux qui essaieront de lui causer des problèmes quand elle grandira, que ça ait un rapport avec toi ou non.

Ce qui est sûr, c'est qu'elle se débrouille déjà très bien pour placer Fai où elle veut quand ils jouent. Elle a l'air d'être en train de lui raconter quelque chose et mon petit hoche la tête en l'écoutant. Je souris en coin en voyant qu'il a l'air captivé par l'histoire qu'elle invente en illustrant avec ses petits cailloux. Déjà mené par le bout du nez par les filles, tiens.

J'ai quelques doutes sur l'aspect courageux de la décision de laisser Shana. A vrai dire, ce n'est même pas vraiment moi qui ait choisi. Enfin, faut dire que c'était un peu le bordel à cette époque. Je suis bien content d'en être sorti.

- "C'est Elisha, sa mère, qui a décidé de la mettre en famille d'accueil. Quand elle a appris être enceinte, elle n'était plus qu'à quelques jours de l'accouchement. Elle a fait un déni. Et quand elle m'a appris la nouvelle... je l'ai pas super bien pris. Pas comme elle l'espérait en tout cas. Des fois je me dis que ça aurait pu être différent si j'avais un peu plus assuré mais... c'est comme ça, alors j'essaie de faire au mieux."

Je ne sais pas trop pourquoi je lui raconte ça. Peut-être parce que c'est un daron aussi et, genre, ça crée un truc. J'en sais rien en vrai. Ou alors c'est parce que mine de rien, de voir Shana jouer ainsi, ça me fait un peu regretter. Encore plus. De me dire qu'il y avait peut-être une vie alternative où je serai avec Elisha et je pourrais voir ma fille grandir tous les jours. Peut-être même qu'on aurait eu d'autres gamins.
Et puis je repense à notre état à sa naissance. C'est déjà un miracle qu'elle soit en vie et en bonne santé. Pour sûr que la petite est bien mieux dans cette famille.

Je ris doucement quand Huo fait mention de son caractère. C'est vrai que je ne la connais pas encore très bien. En la voyant une ou deux heures par semaine (et encore), c'est difficile de se faire une idée précise. Mais de ce que je vois, je dois bien admettre qu'elle est plutôt douée pour obtenir ce qu'elle veut.

- "Ca doit être un truc de filles ça. Elles savent toujours comment s'y prendre et nous, on se retrouve toujours à répondre à leurs désirs !" Si je plaisante en prononçant ces quelques mots, dans le fond, ce n'est pas si faux. "T'as déjà remarqué si Fai est plus proche d'une des affinités ? Ou ses pouvoirs sont encore aléatoires ?"

D'après le peu que j'ai compris sur les gamins issus de parents ayant déjà des pouvoirs, la probabilité que l'enfant soit de l'une des affinités des parents est très élevée. Mais pas forcément visible de bonne heure. Mais je n'ai aucune idée de si c'est une généralité ou non.

Je grimace un peu quand il me parle d'Elisha. Faire un déni de grossesse c'est… Enfin, clairement leur histoire était pas simple mais j'imagine qu'apprendre que ton coup d'un soir était enceinte de toi après que le bébé soit là, ça doit mettre un peu le seum. Je l'aurais pas bien pris non plus.

— Faire de son mieux, c'est déjà pas mal, en vrai.

Et peut-être que je vieillis un peu, aussi mais… Personne est parfait, et être parent c'est un truc compliqué. J'espère qu'avec Aoi on se débrouille pas trop mal. Je crois que c'est le cas, en tout cas, on essaye.

Et Shana a l'air heureuse, ou tout cas plutôt contente d'être là où elle est. Je rigole un peu quand Tiago mentionne ce truc de fille qui nous font toujours faire ce qu'elles veulent. Eh, en vrai j'suis très faible devant les demandes d'Aoi mais c'parce que je suis amoureux, ça. Déjà, je suis devenu très fort pour résister aux yeux de chiot de Fai. Ce qui est très dur, soyez fiers de moi. J'imagine même pas si un jour on en a un deuxième et qu'il a ses yeux à elle...

— Il a pas encore manifesté de troisième affinité donc probablement qu'il sera Air ou Feu. Il a plus tendance à se mettre le feu qu'à s'envoler dernièrement quand il fait un caprice donc probablement qu'il sera Feu mais c'est pas totalement fixé donc ça peut encore changer.

En vrai, le pire scénario à ce stade, ce serait qu'il se fixe sur Invisible. Et si vous voyez pas pourquoi, vous avez jamais paniqué parce que vous avez perdu votre gamin de vue pendant deux secondes et qu'il en a profité pour se barrer.

— Au moins il commence à maitriser assez pour qu'on ait pu ranger quelques extincteurs planqués chez nous.

C'est un budget, ok ?! Je rigole, en vrai, l'avantage comme je bosse à la maison c'est qu'on a pas eu besoin de ça vu que l'extincteur c'est moi. Mais le budget fringues, mes amis...

— Je sais pas comment Hideko a fait avec ses deux en même temps quand ils étaient petits. Ça a du être bien fun, tiens.

J'ironise, évidemment.

C'est vrai, je n'y connais pas grand chose sur le sujet des gamins qui ont des pouvoirs. Et encore une fois, je ne passe clairement pas assez de temps avec Shana pour que j'en sache autant qu'un daron classique. Mais à la façon dont en parle Huo, il n'y pas besoin d'être sensitif pour comprendre que ça a l'air d'être une vraie galère. Genre, c'est pas déjà assez difficile d'élever un gosse normal.

- "C'est clair, quelle galère ces pouvoirs ! Enfin, heureusement qu'on en a aussi ! Et puis, marionnettiste, ce n'est pas si mal pour gérer un enfant."

Je laisse échapper un petit sourire en tournant les yeux vers Shana. Oui. Bien sûr que je m'en suis déjà servi pour rattraper un manque d'attention momentané qui aurait pu mener à une situation où elle se serait fait mal ! Je ne parle pas de l'obliger à ranger sa chambre ou à débarrasser son assiette... De toute façon ce n'est pas moi qui range.

- "Si tu veux mon avis, c'est sûrement comme ça que Hideko s'en est sortie ! Sûr qu'avec tout ce qu'elle peut faire c'était super easy de garder ses gamins bien sages dans la baraque !"

Je plaisante, bien sûr. Et puis il ne faut pas sous estimer le pouvoir des daronnes. Même sans super pouvoirs, elles arrivent parfois à nous faire faire ce qu'elles veulent d'un simple mot prononcé avec la bonne intonation...

Je me demande quelle affinité est Shana d'ailleurs. Déjà que vu ses parents ça a du être chaud pour la gérer au début. Je sais pas quelle affinité était sa mère mais dans tous les cas un gamin avec du Feu en bas âge, quand on a pas ce qu'il faut pour gérer… Ouais, j'étais content de pouvoir éteindre Fai quand il s'enflammait au sens propre au début.

— Hm, j'essaye de pas m'en servir au maximum avec Fai mais je réussis pas toujours.

Aoi est pareil, en vrai. Ça a été un apprentissage de le laisser faire ses expériences, tomber, se faire des bobos. Parce que c'est clair qu'on préférerait que ça arrive pas mais si il se blesse jamais vraiment, s'il tombe pas… C'est des choses qui nous donnent un instinct de préservation en grandissant. Se sentir invincible c'est cool mais si c'est pas conscient, ça peut facilement donner des catastrophes.

— Je le réserve pour les urgences.

Du genre, risque de tomber dans un escalier ou l'empêcher d'attraper un couteau par la lame. Non, c'est jamais arrivé mais on sait jamais, hein.

— Tu dirais pas ça si t'avais côtoyé Riku et Daisuke, je rigole.

C'est pas des terreurs non plus mais ça se voit qu'ils ont de l'énergie. Puis heureusement que j'ai le marionnettiste, moi ! J'suis pas Aoi, je peux pas le faire s'asseoir juste en le regardant d'un air déçu.

— Et Shana, alors ? Tu l'as déjà vue utiliser de la magie ?

Je me demande de quelle affinité elle sera. Probablement pas Terre, déjà...

Ouais, peut-être que ce n'est pas si mal non plus que je ne m'occupe pas de ma fille à temps plein. Pour sûr que je serai incapable de prendre sur moi pour la laisser se gameller si je la voyais prête à se prendre un poteau. Mais je comprends ce que veux dire Huo. Ne pas se mêler de leurs petits échecs, les laisser expérimenter... Non mais ok, je crois que ça me brise trop le coeur quand je l'entends pleurer, j'peux pas. Sûrement parce que c'est une fille.

- "J'imagine qu'avoir sa mère qui est Guérisseuse ça aide pas mal à relativiser."

Ouais, en vrai, ça doit être le pouvoir le plus cool pour gérer des gamins. Ils peuvent se faire mal en toute tranquillité. Même si ça ne résout pas le problème principal des larmes en cas de bobo. En fait j'crois que dans tous les cas, être parents c'est le bordel. Ok, je ne suis pas super bien placé pour dire mais...

- "C'est vrai, j'l'ai connais pas ses gamins. Mais pour être directrice de cet endroit, faut forcément avec un putain de caractère, alors, bon, ses gosses, j'imagine qu'ils ont de quoi tenir !"

Je n'arriverai probablement jamais à m'entendre avec Hideko, pour la simple raison que c'est elle qui représente l'autorité et moi, l'autorité, je crois que j'ai toujours eu un problème avec ce concept. Mais je dois reconnaitre qu'il faut être armé pour tenir Terrae en place.

Mes yeux se portent instinctivement vers Shana à son évocation. C'est vrai, plus d'une fois je me suis demandé quelle sera son affinité. Je ne sais pas trop si l'éducation peut jouer un rôle là dedans, où si elle n'aura vraiment de possibilité que l'un des deux pouvoirs de ses parents biologiques...

- "Utiliser est un bien grand mot, mais je me suis déjà pris quelques coups de jus quand elle est venue me faire des câlins. D'après ses parents il y a déjà eu des flammes aussi et elle sait parfaitement comment leur faire chercher les paquets de bonbons trop hauts pour elle."

Si je ne peux pas résoudre tous les problèmes qu'elle peut créer avec cette combinaison de pouvoirs, je leur fourni tout de même quelques cristaux de Feu pour pouvoir gérer les plus gros problèmes. J'imagine même pas le bordel que ça doit être pour les instits à l'école...

- "Ils vont être terrifiants une fois adultes tous ces gamins nés avec des pouvoirs."

J'suis sûr que même les plus anciens masters sont loin du niveau que ces gosses pourront avoir dans quinze ans.