Depuis que j'ai recueilli Alyona ce jour-là, la colère que je pensais apaisée a refait surface. Je bous de l'intérieur. Je suis devenue cinglante, agressive et sur les nerfs. Tiago occupe toutes mes pensées, mais clairement pas pour les bonnes raisons. Je ne dors à nouveau presque plus et passe mes nuits à arpenter ma chambre de long en large. "Ah, si je le croise je lui fais sa fête !" Voilà ce que je m'étais dit. Et plus le temps passe, plus j'espère le croiser. Cet enfoiré est facilement reconnaissable avec sa tignasse blanche.

Et finalement après quelques jours, je m'avoue vaincue. Cette vieille ennemie qu'est la colère a eu raison de mon esprit, et l'idée que je m'efforçais de taire a fleuri dans mes pensées comme un horrible dahlia noir. Si le hasard ne me donne pas l'occasion que j'espère... Je n'ai qu'à la créer.

C'est comme ça que je me retrouve ce matin à arpenter le bâtiment de l'Institut. Les couloirs, les escaliers, le gymnase, la salle d'entraînement... Tout y passe. Et y repasse alors que le temps passe. Je terminé ma troisième ronde dans le hall, les nerfs en pelote, prête à taper sur le premier qui vient me prendre la tête. Où est cet abruti... Il se cache peut-être. J'espère bien qu'il a honte de ce qu'il s'est passé. Mais qu'à cela ne tienne... Je sais parfaitement débusquer les rats.

Et juste alors que je me dis que je vais peut-être aller abattre sa porte avec mes pouvoirs (en voilà une bonne utilisation), un éclair blanc attire mon regard. Il est là, l'air aussi tranquille que d'habitude. Le temps d'un instant je suis figée, complètement paralysée par la rage. Le souvenir de mon amie en larmes me traverse l'esprit et ça me met en mouvement. Je traverse le hall d'un pas vif, presque sans bruit étonnamment.

TOI !!!

Mon rugissement se répercute dans le grand espace. L'instant d'après le premier coup part, directement dans le visage. Pas question de retenir mes coups, j'y mets toute ma force et une bourrasque vient même le renforcer. Je me jette sur lui, l'attrape par le col et le frappe de nouveau.

COMMENT AS-TU OSÉ LUI FAIRE ÇA ?!

Le bord de mon champ de vision a viré au rouge, j'ai la rage au ventre.

Il y a peine plus de 24h que je suis de retour de mission sur laquelle Hideko m'avait envoyé en "test" avec Yuuna, alors je me remets tranquillement du décalage horaire (j'ai toujours autant de mal avec ça). Parce que après cet épisode catastrophique avec Alyona en parallèle du retour d'Elisha que j'ai toujours autant de mal à savoir comment aborder, il y a beaucoup de choses que j'ai dû remettre en question. Et notamment ce mode de vie dans lequel je ne me retrouvais plus du tout. J'aime mon métier, mais j'ai besoin de me sentir utile autrement. De sentir l'adrénaline plus souvent. Et aussi, on ne va pas se mentir, de prendre quelques jours de distance avec Terrae. Quand j'ai parlé de cette envie avec Hideko, elle n'a pas perdu de temps pour m'envoyer sous les ordres de Yuuna. Et je n'ai pas rechigné.

Alors aujourd'hui, c'est repos. Enfin ça, c'est ce qui était prévu. J'allais remonter dans ma piaule après avoir été prendre de quoi manger à la cantine, mais il faut croire que mes plans ne s'alignent pas avec d'autres en cours. Une voix bien trop forte et clairement vénère me fait tourne la tête (ok, j'ai peut-être un peu trop l'habitude que ce soit à moi que ce genre de "toi" soit adressé) et je n'ai même pas le temps de voir la personne qu'un espèce de coup de poing de l'espace me percute sans que je ne comprenne rien à rien, changeant l'axe de mon visage avec une violence que j'ai rarement rencontré. Et pourtant, je ne manque pas d'expérience dans le domaine.

Le souffle coupé sous l'impact, mes oreilles sifflent bien trop fort, déclenchant immédiatement un mal de crâne qui s'accompagne d'une perte de repères direct. Des flashs lumineux qui me brouillent la vue et mes sens complètement chamboulés, j'attrape ma tête entre mes mains pour tenter de stabiliser la terre qui tourne autour de moi, mais le sol sous mes pieds ne se stabilise pas pour autant. Je crois que je peux remercier ce regain de constitution que m'offre mon affinité, je ne suis pas sûr que je serai encore debout autrement. Mais ce n'est de toute façon pas bien important puisque telle une poupée de chiffon, je sens mon corps se faire balloter sans que je ne puisse rien contrôler avant que de nouveaux coups ne me percutent.

Mais ce semblant de stabilité que m'offre mon opposant en me maintenant face à lui (à elle en fait, mais c'est encore bien trop flou pour que j'accorde cette silhouette au féminin) me permet de regagner un minimum de contenance. Ce n'est sûrement pas la première fois que la douleur pulse aussi fort en moi ou que mes sens se retrouvent perturbés de la sorte. Et puis, je ne vais sûrement pas me laisser malmener de la sorte sans tenter quoi que ce soit hein. Alors après ces quelques secondes où la surprise m'a empêché de comprendre quoi que ce soit, je regagne suffisamment d'aplomb pour avoir une vision un peu plus claire de mon environnement très proche. Vitoria, visiblement furieuse, qui se tient à quelques millimètres de moi. Ou plutôt, qui me tient à quelques millimètres d'elle.

Evidemment, je n'ai strictement rien entendu de ce qu'elle a pu hurler, mes oreilles n'étant toujours pas très coopérantes. Ce qui ne m'empêche pas d'afficher cet air mauvais que je connais un peu trop bien, juste avant d'activer mon pouvoir de marionnettiste, de quoi la forcer à me lâcher sans pouvoir bouger davantage, le temps de me reculer de deux pas pour essayer de faire le point sur la situation. Oh, ce n'est pas la première fois que quelqu'un me tombe dessus suite à une connerie que j'aurais pu faire. Mais j'aime bien avoir un minimum de compréhension.

- "Je ne savais pas que je t'avais à ce point manqué. Mais tu pourrais au moins prévenir.

Ce ton provocant que je prends n'a cette fois rien de sympathique mais reflète au contraire bien toute l'hostilité qu'elle m'inspire sur le moment. Je recrache une gerbe de sang au goût bien trop familier qui me reste en bouche avant d'essuyer d'un revers de manche celui que je sens couler depuis l'une de mes narines. Encore une fois, rien de très nouveau, mais toujours aussi désagréable. D'autant plus que les murs autour de moi dansent toujours aussi bien, m'obligeant à redoubler d'efforts pour garder ma stabilité.

Je relâche le contrôle que j'exerçais sur le corps de Vitoria pour économiser mon énergie dont j'ai bien besoin, mais le garde toujours activé, non loin, près à l'utilisation en cas de nécessité. Si je ne risque pas de montrer le moindre signe de peur, je ne suis pas maso non plus, et me faire frapper, ça n'a jamais été ce que je préfère.

J'ai la satisfaction de voir ce salopard tituber. Il a l'air bien sonné. Tant mieux, j'en ai pas fini avec lui. Ce sont les seules pensées cruelles que j'ai en tête alors que je l'attrape et continue à le rouer de coups. Jusqu'à ce que soudainement mon corps se fige contre mon gré. En un instant, la panique prend le dessus sur ma rage alors que je me débats sans bouger.

Tiago recule et en voyant son visage à l'air mauvais, ma rage revient en balayant tout le reste. Et quand il ouvre la bouche, c'est encore pire.

La seule chose qui me manque c'est la sensation de mon poing contre ta sale gueule. Repliqué-je dans un grondement.

Et ça va pas me manquer longtemps. En le voyant cracher du sang par terre, je sens un sourire glacé étirer mes lèvres. Le même que je réservais à mes adversaires juste avant de commencer le match, celui qui les paralysaient de peur comme une proie dans les phares d'une voiture. Quand je sens le contrôle se relâcher et que je peux à nouveau bouger, je n'hésite pas. Entre ma taille et mon entraînement, j'ai une bonne allongé et je frappe en moins d'une seconde. Tant qu'il reprend encore ses esprits j'ai une longueur d'avance sur lui.

Tout ce que je fais, je le fais dans un silence de mort. La rage m'a complètement muselée. Mon poing part à nouveau, cette fois en direction de son ventre. J'utilise sciemment mes pouvoirs pour la première fois, utilisant une nouvelle bourrasque pour acceler encore mon mouvement déjà rapide. Je n'attends pas de savoir si je l'ai touché, mon genou remonte déjà alors que j'ai réduit la distance qui nous séparait. Droit vers son nez. Je vais réduire ce joli minois qui a trompé Alyona en un amas si répugnant que les autres filles ne voudront plus jamais ne serait-ce que poser leurs yeux sur lui.

Putain je pige que dalle à ce qu'elle me raconte là. C'est quoi cette merde ? Ok, j'ai beau tenter de me rappeler, je ne vois vraiment pas ce que j'ai bien pu lui faire qui lui donne à ce point envie de me cogner ? J'avais déjà bien compris qu'elle a tendance à frapper avant de réfléchir, mais là wesh, ça fait une éternité qu'on s'est pas vus ! Et elle revient à la charge en plus !

Sa première attaque trop rapide me surprend, encore, je n'ai pas le temps de parer quoi que ce soit. L'espace d'un instant je me revois face à mon frère, lors de l'une de nos nombreuses engueulades. Il était le seul qui cognait aussi fort. Je n'aurais pas cru retrouver ces mêmes sensations un jour. Encore moins venant d'une meuf. Sauf que je n'ai jamais pu le battre. Je le sais. Alors il n'y a qu'une réaction qui me vient instantanément.

Mes bras en protection, essayant de limiter au maximum les dégâts subits, je fais appel à mes pouvoirs de feu. Pas longtemps. A peine cinq secondes pendant lesquelles je m'enveloppe d'épaisses flammes. Elle peut continuer à me frapper, mais je ne serai pas le seul à avoir mal. Ce moment où je peux profiter du réconfort prodigué par mon élément me redonne juste assez de concentration pour pouvoir utiliser à nouveau mon marionnettisme. Je ne cherche pas à faire quoi que ce soit. Seulement l'immobiliser, ou au moins ralentir suffisamment ses mouvements pour me désengager à nouveau de ce combat qui est clairement perdu d'avance. Je ne suis pas con à ce point, je sais le reconnaitre.

- "Si t'as tant besoin de te défouler, y a une salle d'entrainement pas loin !"

J'ai le souffle court. Chaque endroit de mon corps qu'elle a atteint pulse toujours affreusement. Je me serais pris un coup de couteau que ça n'aurait pas été plus douloureux. Ouais, j'ai mal. Vraiment. Mais on m'a toujours appris à ne pas en montrer le moindre signe. Pas question de me laisser abattre par cette simple manifestation physique. Pas tant que je suis encore conscient.

- "Sinon, tu pourrais au moins m'expliquer c'que j't'ai fait cette fois."

J'ai un peu la rage là, ouais. Rien à voir avec cette fois où elle avait déjà pu me montrer sa force à l'hôpital. C'est que j'ai jamais trop aimé me faire fracasser de la sorte. Ca ne me met pas de très bonne humeur généralement. Alors cette fois, je ne relâche pas le contrôle que j'exerce sur son corps, malgré toute la hargne que je ressens et qui ne me facilite pas la tâche.

Je le prends par surprise et quelque chose au fond de moi en prend une grande satisfaction. Eh ouais mon couillon, je vais te refaire le portrait façon Picasso... Pourtant, juste après, des flammes brûlantes jaillissent. J'ai juste le temps de faire un bond en arrière pour les éviter, une de mes tresses s'enflammant dans mon mouvement de recul. Je l'éteins d'une tape négligente et plisse les yeux, attendant le moment où les flammes disparaîtront. Mais quand elles s'atténuent enfin, je me retrouve à nouveau privée du contrôle de mon corps. Je le fusille des yeux, alors qu'il prend la parole, puis un sourire cruel glissa sur mes lèvres.

Pourquoi m'emmerder, j'ai le sac de frappe parfait droit devant moi... D'ailleurs, tu sais le rouge te va très bien. Dis-je, glaciale.

Je suis sûre qu'il a mal partout. Un mal de chien, ce qui convient très bien à ce sale chien. T'as beau pas le montrer, je le vois quand même, j'ai l'habitude de trouver les indices... Le souffle court, le tremblement du bout des doigts, les yeux qui brillent. Ouais je l'ai amoché.

Oh, à moi rien... Mais fouille un peu dans ton petit cerveau. Oh, non pardon, j'oubliais que tu pense avec tes couilles ! Ouais, celles que t'es pas foutu de garder dans ton pantalon. Craché-je, narquoise.

Mon but c'est de le faire sortir de ses gonds assez pour qu'il relâche le contrôle sur mon corps. Mes poings me démangent et me lancent. Ça faisait longtemps que j'avais pas tapé aussi fort et putain ça fait du bien. Surtout après tout ce temps à ruminer. J'appuie sur mes pieds, pousse de toutes mes force. Je sens que je bouge, à peine.

Faut vraiment être un putain de lâche pour utiliser un pouvoir aussi sournois... Enfin, je dis ça mais ça te correspond pas trop mal hein.

Non parce qu'Alyona osera sûrement jamais le massacrer, mais moi j'ai beaucoup moins de scrupule... Et je compte bien lui faire passer l'envie de papillonner de fille en fille.

Rah putain mais j'y comprends toujours rien !! Et le sang qui martèle mes tempes ne m'aide pas à réfléchir. Heureusement que ce léger break que j'arrive à m'accorder grâce à mes pouvoirs me permet d'apaiser le rythme de mon coeur qui s'est emballé version ferrari. Non, j'ai beau essayer, je ne vois vraiment pas ce que j'ai pu lui faire. Dommage, je crois que dans le fond, je l'appréciais plutôt bien. Mais entre son regard et le son de sa voix, ce n'est pas compliqué qu'elle veut seulement me voir éparpillé en petits morceaux dans chaque océan. Ce n'est pas la première fois que j'expérimente ces sensations.

- "C'est vrai que j'aurais préféré être télépathe, peut-être que j'aurais au moins compris ce qui me vaut autant d'attention de ta part. Mais au fond..."

Ma voix est désormais parfaitement sérieuse. Je ne comprends toujours pas, mais j'ai bien capté que l'heure n'est plus aux plaisanteries. Elles ne serviraient à rien.

- "Tous les pouvoirs sont sournois. Si tu penses le contraire c'est que tu ne les as pas encore tous affrontés. Et on est tous des lâches. Si on arrive à Terrae... Si même le monde en vient à avoir suffisamment pitié de notre existence merdique pour nous refiler des pouvoirs, alors que des milliards de personnes réussissent très bien à affronter leur vie sans ça, c'est qu'aucun de nous ici ne vaut quoi que ce soit. On a au moins tous ce point commun."

Il y a bien longtemps que j'ai arrêté de me voiler la face. Fanfaronner parce qu'on a des pouvoirs... C'est ridicule. Mais ce n'est pas parce qu'on est tous des minables qu'il faut pour autant pleurnicher sur notre sort. Non, ce n'est sûrement pas une conclusion à laquelle je pourrais arriver.

- "La seule chose qu'on puisse faire, c'est saisir cette nouvelle chance pour se relever, et avancer avec les armes qu'on nous donne. Quelles qu'elles soient."

Et tout en parlant, j'ai fais en sorte de concentrer mon énergie élémentaire autour de Vitoria. J'ai parfaitement conscience que je ne vais pas pouvoir la retenir encore bien longtemps. Malgré la différence évidente de nos forces énergétiques, elle a suffisamment la rage pour me forcer à en dépenser beaucoup. Et je ne suis pas non plus au top de ma forme.

- "Tu comptes vraiment me forcer à me battre sans savoir pourquoi ?"

J'augmente subitement la température autour d'elle de plusieurs dizaines de degrés. Une manipulation de mon pouvoir complexe, que je n'ai réussi à maîtriser que récemment, après des mois à travailler dessus suite à notre retour de mission. Isoler une des composantes qui amène à la création de flammes. La chaleur étant la plus intéressante pour les dégâts qu'elle peut faire sur une personne sans avoir à ravager mon environnement direct. Exactement comme si je voulais la faire flamber, mais sans atteindre cette température critique qui permet au feu de se matérialiser.

Bien sûr que je ne compte pas me laisser faire. Et si elle ne me laisse pas d'autre choix que de riposter, elle peut compter sur moi.

Ce type est vraiment pas le couteau le plus aiguisé du tiroir. Ou alors il s'en fout tellement des autres qu'il a déjà oublié. Ça m'eneage encore plus et je tire sur mon corps pour essayer de bouger. De l'attention, il va en avoir, mais pas comme il l'imagine...

Puis le voilà parti dans une histoire philosophique de pouvoir, tous sournois et bla bla bla. Franchement j'écoute pas. J'en ai rien à foutre en vrai. Je sais pas ce qu'il cherche à faire en me racontant sa vie, mais ça sert à rien. Du coup je baille ostensiblement, parce que qu'est-ce qu'il m'emmerde quand même avec son sermon à la mords moi le noeud. Quand enfin il se tait, je hausse un sourcil.

Ça y est t'as fini ?

Je fais tout pour le provoquer. Je veux qu'il craque. Parce que si il me tape, j'aurais encore une autre raison de lui casser la gueule, et cette fois ce sera totalement égal. J'aime pas les couillons qui se laissent taper sans répliquer. Soudain, alors qu'il me parle, je sens la chaleur monter. J'ai l'impression de cuire à l'étouffée. Mais au lieu de me débattre, je crois les bras en me campant sur mes jambes.

Ah donc vraiment, t'es limité. Pu alors t'as Alzheimer je sais pas. Mais ok je vais te rafraîchir la mémoire : une petite blonde, douce comme un agneau, avec un sourire à rendre jaloux le soleil.

Je fais mine de réfléchir, mais mon ton est agressif et railleur, et mes yeux flamboient.

Je crois que je la connais... oh mais oui ! C'est ma meilleure amie. Et tu lui as brisé le coeur.

Ma voix est descendue dans les graves, le ton glacial.

Oeil pour œil, dent pour dent, Tiago. Elle est peut-être douce mais c'est pas mon cas. Tu lui brise le coeur, je te brise les os.

Alors que je parlais, le vent s'est levé autour de moi. Je ne suis pas entraînée mais je décide de tenter ma chance : il veut me faire cramer, je vais aussi utiliser mes pouvoirs. Des lames d'air fusent, le ratent de peu, l'une d'elle le touche, je vois son t-shirt se déchirer. C'est pas assez ! Je décidé d'être plus bourrine. C'est un mini-ouragan qui percute donc Tiago. J'espère l'envoyer valser contre un mur.

Un léger froncement de sourcils à sa réaction trahi mon incompréhension totale. Qu'est-ce qu'elle me veut sérieux ? Pas discuter visiblement. Mais au moins, elle fini par cracher le morceau. Alyona hein. Pff je suis presqu'un peu déçu que ce soit la seule raison.

- "Ok j'vois, en fait t'es juste complètement bloquée dans la vision que tu t'es faite de cette histoire. Sans rien savoir. C'est clairement pas moi le plus limité de nous deux. Nan mais sérieux, briser le coeur... Tu t'entends ?"

Si cet épisode avec Alyona m'a bien plus amoché que je ne l'aurais pensé, je refuse d'admettre que ça ait pu aller jusqu'à lui briser le coeur. Non, on n'en était sûrement pas à ce point là tous les deux. Une déception oui, mais c'est tout.

En tout cas c'est relou, parce que du coup, je n'arrive pas du tout à ressentir la moindre rage. Zéro. Rien du tout. Pour une fois que je me dis que le pouvoir de sensitif pourrait avoir une utilité, je ne le suis plus. Super. Le seul truc qui pourrait me gonfler, c'est que tout le monde ne fait que me parler de cette histoire. Genre, quand je me comporte de la sorte avec n'importe qui, tout le monde s'en fout, et là, juste parce qu'elle s'appelle Alyona, tout le monde trouve ça honteux ? Pff, ça me dégoute.

Suffisamment pour ne pas que je vois arriver ces lames d'air on dirait bien. Ok, je ne m'attendais peut-être pas à ce que Vittoria sache déjà utiliser ses pouvoirs (ni à ce qu'elle soit Air en fait... Mais c'est une autre question). Alors si je suis assez impressionné de voir une tornade se matérialiser, je reprends quand même mes moyens. Je veux bien admettre qu'elle est hyper douée avec ses pouvoirs, mais eh, en plus de quatre ans, j'ai eu le temps de me confronter suffisamment de fois à tous les pouvoirs qu'on peut trouver ici pour savoir quoi faire.

J'érige un mur de feu juste devant moi tout en profitant pour me décaler de la trajectoire. Je relâche au passage le contrôle que j'exerçais auparavant sur Vitoria, déchargeant une quantité d'énergie bien plus forte sur mon pouvoir élémentaire, intensifiant les flammes pour pouvoir consumer l'air tournoyant et affaiblir la tornade. Ce qui provoque une épaisse fumée noire au passage. Une fumée qui se propage rapidement dans tout le hall. Celle qui pique les yeux et nique les poumons. Non, je refuse qu'on dise que c'est de ma faute cette fois.

- "C'est con, parce que j'ai même pas envie de me battre avec toi. Pas pour ça."

C'est vrai. Et ça me fait chier. Evidemment, ce n'est pas parce que je n'ai aucune montée de haine en moi que je vais me laisser tabasser pour autant. Et je me tiens d'ailleurs toujours à bonne distance du bulldozer. Je suis sûr qu'il y a encore quelques années, j'aurais juste eu envie de la défoncer sans réfléchir plus loin. Vraiment, je déteste le mec que je deviens. Mais c'est comme ça hein.

Le Feu m'insulte, ça me passe au dessus de la tête. J'ai entendu pire que "limitée". Par contre, qu'il dénigre l'état dans lequel j'ai récupéré Alyona après leur rupture... Ma rage qui avait déjà battu tous les records, monte encore d'un cran. J'ai comme de la ouate dans la tête, le coeur qui bat dans la gorge. Alors, immobilisée comme je le suis, je fais la seule chose à laquelle je pense : j'utilise mon Affinité. Si elle doit me servir à quelque chose, autant que ce soit à éclater la bulle dans laquelle vit ce connard.

Bien que j'ai attaqué pour faire mal, je suis surprise de voir qu'une de mes lames d'air le touche, même si elle ne fait pas beaucoup de dégâts. Ma tornade en revanche, se heurte au mur de flammes que Tiago érige. Une fumée acre et piquante envahit le hall, prenant tout l'espace. Mais lui, il continue.

"Pas pour ça" ?! Je crois que t'as pas tout pigé...

Pour une fois ma peau étrange me sert. Je me fonds dans les nuages de fumée pour m'approcher. Mon poing part à nouveau comme une balle, je touche quelque chose, ça a l'air d'être des côtes ou un ventre. J'ai les yeux qui pleurent à cause de la fumée. Je réussis à l'attraper par le col et le hisse sur la pointe des pieds.

Il va falloir que tu sortes de ta bulle, là. C'est moi qui l'ai ramassée à la petite cuillère derrière ! Tu la connais même pas un petit peu, t'as vu que ce qu'elle veut bien te montrer !

Hors de question de lui révéler quoi que ce soit, je suis pas comme ça même sous le coup de la colère.

Pour elle c'était du sérieux et toi comme le putain de connard égoïste et égocentrique que t'es, t'en as juste profité !

J'arme mon poing.

T'as pas envie de te battre ? Ok. J'ai juste à faire éclater ta petite bulle confortable à coup de poing alors. Grondé-je.

Et je m'apprête à le frapper à nouveau, sans aucune culpabilité.

Quelques jours ont passé depuis ma "rupture" avec Tiago, et mon Etoilisation dans la foulée. Je ne suis clairement pas très en forme, et même si j'essaye de maintenir le cap en restant occupée autant que possible, je me traîne quand même un peu comme une âme en peine la plupart du temps. Le seul point positif dans tout ça, c'est que j'ai reçu ma nouvelle (grande) chambre, et le déménagement m'a permis de me changer un peu les idées tout en me fixant un objectif simple. J'étais justement en train de faire quelques allers-retours avec mes vêtements quand j'ai croisé Aria dans le couloir - et une chose en entraînant une autre, je lui ai raconté ce qui s'était passé, dans les grandes lignes.

" ... Enfin, voilà quoi, je suis encore un peu triste mais ça va passer hein. J'essaye de me concentrer sur d'autres cho- ..."

Je m'arrête au milieu de ma phrase et mes yeux se voilent légèrement alors qu'une Vision s'impose à moi. Mes pouvoirs sont beaucoup plus développés maintenant, mais ma maîtrise est toujours aussi approximative (surtout en ce qui concerne la Voyance), donc ce genre de petite absence m'arrive souvent - il faudra vraiment que je travaille là-dessus...

Mon visage se décompose et je porte une main à ma bouche en écarquillant les yeux alors que des images de Tori et Tiago en train de se battre défilent sur ma rétine. Je sais que mon amie était particulièrement remontée contre le Feu après les derniers événements, mais la scène qui se déroule sous mes yeux est d'une telle violence que j'en ai le souffle coupé. Je m'accroche au bras d'Aria pour ne pas vaciller.

"Oh mon Dieu... Je- ils... Sont en train de se battre. Tori et Tiago. Près de l'entrée. C'est-c'est..."

C'est terrifiant. Et surtout, c'est à cause de moi. Je dois absolument arrêter ça avant que quelqu'un ne soit blessé - bien que, vu la tête du Colombien, je pense que c'est déjà un peu tard pour éviter les blessures... A moins que ma Vision ne se soit pas encore produite ? Je ne sais pas, j'ai toujours autant de mal à différencier le présent du futur proche. Mais je me raccroche à ce maigre espoir en attrapant la main de la rouquine pour l'entraîner avec moi vers l'entrée.

... Ce n'était donc pas du futur proche, mais bien du présent. Un attroupement a commencé à se former près de la scène, il y a de la fumée noire partout, j'ai du mal à distinguer ce qui se passe. Juste deux silhouettes en train de s'empoigner.

"TORI !!!"

Je lâche la main d'Aria et cours vers mon amie et mon... Ex, j'imagine, alors que la jeune femme s'apprête à lui asséner un coup de poing.

"MAIS ARRÊTE, QU'EST-CE QUE TU FAIS ?! Tu vas t'attirer des ennuis, arrête, il n'en vaut pas la peine !!!"

Alyona semble triste, ces derniers jours, quand Ariana la croise dans les couloirs. Elle a fini par entendre parler de son Etoilisation, d’abord dans une réunion de préfets annonçant les changements de chambre, puis parce que la Voyante a commencé à déménager ses affaires. En la croisant ce jour-là, Aria s’est dit qu’elle pouvait lui donner un coup de main et lui a proposé de lui prendre un sac tout en l’accompagnant jusqu’à sa nouvelle chambre. C’est là qu’Alyona finit par lui expliquer les derniers événements, sur le chemin ; Aria l’écoute, le ventre tordu, avec le sentiment d’entendre un discours qu’elle connait bien. Et il n’y a pas que ça ; il y a aussi la déception, insidieuse, qui commence à se disperser dans son être. L’opinion qu’Aria avait de Tiago avant ça n’était pas fameux, car elle n’a jamais réussi à oublier ce qu’il avait fait à ses amis — à cette pensée, le coeur d’Aria se serre fort, douloureusement, encore sous le choc du départ récent de Houston. Elle avait essayé de faire un effort, puisqu’il s’était montré sympa à leur anniversaire, avec Afya, mais finalement, elle n’arriverait sûrement jamais à lui faire confiance. C’était presque certain qu’il finirait par blesser Alyona, mais de cette manière, c’est complètement dégueulasse. Un goût amer dans la bouche, Aria pose sa main sur le bras de la si gentille Voyante.

—Je suis vraiment désolée, je sais que c’est pas facile. Si tu as besoin d’en parler, ou juste te changer les idées…

Elle lui lance un sourire (évidemment que ça va passer, ça veut pas dire que la trahison n’est pas amère), qui se transforme en expression confuse lorsqu’Alyona semble s’absenter. Les doigts de la Voyante se plantent dans le bras d’Aria alors qu’elle vacille, et Aria l’oblige à poser ses affaires au sol, interpellée par son choc.

—Alyona…?

Aria aussi se glace. Pas d’horreur, mais de colère.

A ce moment-là, c’est difficile de savoir qui agrippe qui ; dans tous les cas, voilà les deux petites Eaux en train de dévaler les marches quatre à quatre, main dans la main. C’est hors d’haleine qu’elles arrivent au niveau du rez-de-chaussée ; elles peuvent voir le massacre déjà par-dessus la rambarde des escaliers. Il y a du feu, encore, de la fumée ; Alyona fonce vers Tori, complètement enragée, qui beugle sur Tiago, Aria sur ses talons.

—Stop, tous les deux !

La rouquine essaie d’observer rapidement l’environnement alors que du monde continue à glisser un regard ou une tête depuis un coin de mur, curieux. Les flammes s’intensifient et la fumée se fait plus lourde et suffocante, alors Aria fait ce qu’elle sait faire de mieux d’un mouvement du bras : balancer une vague sur les flammes entre eux pour les repousser et la congeler, érigeant un mur séparateur entre eux. La fumée, elle, continue à monter, jusqu’à faire sonner les détecteurs de fumée et allumer les fontaines anti-incendie au plafond.

Le visage éclaté de Tiago procure un étrange et malsain sentiment de satisfaction à la Morphe, alors qu’elle lève des yeux brillants de colère vers lui. Tori, elle… Difficile de lui en vouloir. Aria lui envoie un regard lourd de reproches.

—C’est pas un bon moyen de régler ses comptes, t’en sortiras toujours perdante.

Aria sait qu'Alyona arrivera à éloigner Tori de la scène, au besoin ; mais quand elle se tourne vers Tiago, ses mots lui échappent, alors qu’elle le fixe avec hargne et pitié.

—Toi par contre, ça t’a pas suffit d’aller frapper Alice et Houston à l’époque, faut que tu continues à te battre et blesser les gens ? C’est quoi ton problème ?

Ca la dépasse. Ca l’enrage. Il a blessé Allen, parce qu’il voulait se dédouaner de ses fautes ; il a blessé Alyona, parce qu’après tout, c’est plus facile de baiser la meuf naïve que de clarifier avec elle ; il a blessé délibérément Alice et Houston pour… elle ne sait même pas. Elle sait juste que Houston est parti, et qu'elle n'a pas oublié.

- "Bien sûr qu'elle ne me montre que c'qu'elle veut, tout le monde fait ça !"

J'ai arrêté d'essayer de trouver une logique à ce qui se passe. Je suis juste un peu à cran. Réponse automatique, faut pas chercher plus loin. Mais au moins, je ne peux pas dire ne pas être dans mon élément. Les bagarres ne m'ont jamais fait peur. Au contraire. J'y trouve comme quelque chose de bien connu, de "rassurant", qui me rappelle que finalement, Terrae a beau être complètement différente de la vie qu'on m'a enseigné, il y a des choses qui ne changent pas. La loi du plus fort sera toujours valable.

Au coeur de l'action, je ne prête évidemment aucune attention à ce qui se passe autour. Mon rythme cardiaque est bien trop élevé et mon champ de vision est réduit au strict minimum, à savoir Vitoria. Quand elle revient beaucoup trop proche avec cette même attitude agressive, je m'apprête à faire de nouveau appel à mon pouvoir de marionnettiste. On pourrait continuer longtemps comme ça. Si personne n'était intervenu.

La voix d'Alyona me parvient et si je n'ai aucune difficulté à la rattacher à sa propriétaire sans avoir besoin de tourner le regard, je n'arrive pas à y prêter particulièrement attention. Comme si quelque part, je n'avais pas envie de croire qu'elle pouvait s'immiscer de la sorte. Non. J'ai beau ne toujours pas avoir envie de ma battre contre Vittoria, j'aime cette adrénaline que je ressens. J'aime ce petit chaos qui a été créé l'espace de ces quelques secondes. J'aime retrouver ce côté sauvage. En dehors de toutes règles qui ne doivent que protéger les faibles. J'ai enfin l'impression de me retrouver. De retrouver tout ce qui me défini et que je perds petit à petit.

Que je perds et qui m'affaibli moi aussi. Parce que si je me refuse à donner le moindre intérêt à Alyona, ne lui accordant aucun regard, ses mots me font mal. Beaucoup plus que je ne voudrais l'admettre. Pourtant mon estomac qui se noue et ma poitrine qui se comprime douloureusement n'ont aucun rapport avec les coups encaissés jusqu'ici. Mais il n'est pas question que j'en montre quoi que ce soit. Si ma respiration se calme doucement, j'ai désormais l'impression que chaque inspiration se fait difficilement.

Ce ne seront que les paroles d'Ariana, qui me sont très clairement adressées, qui feront dévier finalement mon regard pour le reposer sur la rouquine. Un regard dénué de toute expression, mon visage totalement fermé (et probablement déjà tuméfié si j'en juge aux pulsations plus fortes qui commencent à parvenir jusqu'à mon cerveau) n'améliore en rien l'attitude parfaitement froide que je dégage actuellement.

- "Des problèmes j'en ai un certain nombre, et les gens qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas, ça en fait partie."

Je pourrais bien lui rétorquer que je ne sais même pas de qui elle parle. Ce ne serait pas tout à fait vrai. Si j'aurais sûrement du mal à remettre un visage sur le prénom de Houston, c'est moins vrai pour Alice. Et, évidemment, je me souviens parfaitement de ce à quoi elle fait référence. Totalement dépassé pour moi. Alors ce n'est sûrement pas ce sur quoi je vais m'attarder.

Je ne vois plus rien de ce qui se passe autour, j'ai la rage, et ce connard continue !

Et donc, tu t'es dit "noooon ça va aller, pas besoin d'en parler" !! Dis-je en l'imitant. Mais t'as rien dans le crâne !

Je m'apprête à le frapper à nouveau, le poing levé, quand une voix m'arrête pile. Je me fige, et cette fois ce n'est pas à cause de Tiago. On esprit se vide, mon corps bloque et mon cœur chute comme une pierre. La panique me saisit et, je sais pas, c'est l'instinct qui me dicte de ne pas bouger. Puis la voix d'une autre personne que je connais franchit le rugissement du sang à mes oreilles. L'instant d'après une vague monstrueuse me force à bouger. Je tire Alyona en arrière et recule alors qu'elle se change en glace. Ariana arrive. Alyona m'engueule, puis c'est au tour de la Morphe de me lancer une regard où je vois les reproches.

Je suis figée, je ne comprends pas. Pourquoi c'est moi qui me fait engueuler ? Pourquoi elles prennent sa défense. Mes épaules s'affaissent, je sens les larmes monter. Si j'ai déjà pleuré devant Alyona, ce n'était pas pour les même raisons. Je refuse de me laisser faire. Je chasse les larmes d'un clignement d'yeux et regarde Alyona.

Tu n'as peut-être pas envie de te défendre, mais ce qu'il t'a fait... Ça peut pas juste se finir sans qu'il soit puni ! Ce serait complètement injuste pour toi !

J'entends Ariana qui parle à Tiago, et sa réponse déclenche une nouvelle vague de haine en moi. Je fais un pas vers le Feu, une bourrasque d'air faisant voler mes tresses.

Parle-lui mieux connard !! Tu devrais la remercier, sans elle tu serais déjà sur un lit d'hosto !

Son comportement me rend dingue. Comment on peut aussi peu faire attention aux autres ! En plus de ce que j'ai pigé, il en est pas à son coup d'essai. Ça me rend malade. J'ai envie de le voir par terre à pleurer comme un bébé, à demander pardon. Les gens ne sont pas des jouets !! Ils peuvent disparaître en un éclair, il faut profiter de leur présence et prendre soin d'eux tant qu'on le peut ! Mais lui dire ça ne servirait à rien, il est bouché pire qu'une bouteille de vin au bouchon pourri. J'ai la haine, j'en ai à nouveau oublié mon entourage.

J'accours vers Tori un peu à l'aveugle au travers de la fumée et attrape son poignet pour la tirer vers moi alors qu'elle s'apprête à frapper Tiago - bon, qu'on se le dise, elle ne bouge pas d'un pouce hein, mais au moins son poing ne s'écrase pas sur le visage du Colombien, donc c'est déjà ça... Dans le même temps, Aria envoie une vague qui éteint les dernières flammes, alors que la fumée déclenche les arroseurs automatiques, inondant le couloir. C'est un peu le bazar là, et alors que la rouquine commence à son tour à engueuler le Feu, j'attire Tori un peu en retrait, nous protégeant toutes les deux de l'eau qui continue à couler du plafond.

Une grimace se peint sur mon visage alors que mon amie se renfrogne et se justifie - mais elle n'a pas besoin de mettre des mots sur son geste, je sais déjà pourquoi elle a fait ça. Et même si c'est mal et que j'ai honte de l'admettre, une part de moi est heureuse. Pas de voir Tiago dans cet état, non, ça au contraire ça me serre un peu le coeur malgré tout - mais de voir que Tori tient suffisamment à moi pour monter au créneau pour me défendre, ça me fait quelque chose. Je sens les larmes me monter aux yeux et les frotte un peu d'un air penaud.

"Tori... Je- ça me touche que tu prennes ce qui s'est passé autant à coeur, mais... Aria a raison, tu finiras toujours perdante si tu règles tes conflits par la violence ! Et puis surtout, tu vas t'attirer des ennuis, et c'est la dernière chose dont j'ai envie !! Tiago... Il n'est pas important, ok, mais toi oui !"

Et comme en réponse à son prénom, le voilà qui rétorque à la rouquine de façon bien trop agressive, ce qui fait réagir la brune une nouvelle fois. Cette fois, je pose ma main fermement sur son bras pour l'empêcher de bouger, de s'avancer à nouveau vers lui. Je tourne mon regard vers le Colombien, m'accroche à ses prunelles ambrées pour ne pas m'attarder sur l'état déplorable de son visage. Je ne sais pas trop ce que je cherche dans son regard, peut-être une étincelle de ce que j'ai cru y voir, ces dernières semaines.

"Arrête, Tiago... Pourquoi tu mets de l'huile sur le feu comme ça ? Si tu continues à mal parler à mes amies, cette fois je ne te pardonnerai pas... Alors s'il te plaît, arrête."

Arrête de croire qu'être un homme et être fort, c'est de répondre avec ses poings. Parfois - souvent même - ça passe par accepter ses torts et faire profil bas.

"Tu devrais aller à l'infirmerie... Nous on va rester là et nettoyer un peu tout ce bazar... Hein, les filles ?"

Si on reste là tous les 4 dans le couloir, ça va juste finir par dégénérer de nouveau...

La situation a dégénéré trop vite. Rien que la vue du visage de Tiago aurait dû apaiser Ariana ; elle aurait dû se dire qu’il fallait qu’elle se ressaisisse, qu’elle garde la tête froide plutôt que de jeter ce mur de glace entre eux, menaçante et en colère. Elle aurait dû se dire qu’il fallait qu’elle retienne ses mots, et apaise, et rassure, car c’était là son rôle de préfète. Mais Ariana en avait aussi plus qu’assez de ces gens qui troublaient la paix fragile, vacillante qu’ils essayaient de créer à Terrae. N’est-ce pas facile à comprendre, qu’ils sont supposément tous du même côté ? Pourquoi faut-il toujours que certains créent du conflit, blessent les autres, et ensuite jouent aux arrogants ?

Elle ne dit rien lorsque Tori rétorque à Alyona, pas plus que lorsque Tiago lui répond, droit dans les yeux, son air hautain sur le visage. Finalement, plus elle le regarde avec son nez en sang et les bleus qui maculeront bientôt ses joues, plus sa colère diminue pour laisser place à la pitié. Il lui rappelle Ys, comme ça, et ce n’est pas un compliment. Elle repense à cet instant où elle a dû s’interposer entre Ys et Zola, de peur qu’ils ne se blessent ; à l’époque, elle voulait surtout que cesse le conflit, elle voulait comprendre Ys, lui faire comprendre tout ce qu’il se refusait d’entendre… Mais ceux qui refusent d’entendre sont toujours comme ça, au final. Ils finissent toujours dans la même situation, ils font du mal aux autres, et ultimement, ils finissent seuls.

Ce serait peut-être bien fait pour lui. Elle continue à le toiser en reprenant la parole :

—Ca me regarde si tu mets le feu au couloir et que tu déclenches les alarmes incendie, et ça me regarde si tu blesses mes amies. Mais si tu y tiens, je peux effectivement devenir un problème.

Mais tu n’as pas vraiment envie de ça. Ariana non plus, par ailleurs, elle a autre chose à faire de sa journée ; mais elle doit tenir son rôle, hein. Elle acquiesce à la phrase d’Alyona.

—Alyona, tu peux emmener Tori dans ta chambre à l’étage plutôt ? Le nettoyage, on gèrera après, t’inquiète pas. Je vais accompagner Tiago jusqu’à l’infirmerie.

C’est pas une question. Aria regarde ensuite Tori, un peu embêtée, et la fixe longuement. Ses propres cheveux finissent trempés le long de ses tempes, mais c’est pas bien grave, elle a l’habitude et il fait encore chaud à cette période de l’année.

—Tori, on a pas besoin d’aide pour nous défendre, pas comme ça. Remonte avec Alyona, s’il te plaît.

Elle se mord l’intérieur de la joue, sans trop savoir quelle expression prendre. Pas vraiment impassible, mais pas enragée. Déçue, agacée, frustrée envers toute cette situation, envers Tiago. Et aussi parce qu’elle voit la douleur dans les yeux de la petite Voyante, qu’elle ne peut que trop comprendre. Aria essaie de lui envoyer un peu de force.