Est-ce qu'elles pensent vraiment que de jouer les héroïnes comme ça à s'interposer pourra vraiment résoudre quelque chose ? Non parce que, si Vittoria a l'air un peu chamboulée par cette intervention, moi, ça me gonfle juste plus qu'autre chose. Alors forcément, quand elle croit bon de me provoquer à nouveau, il ne faut pas s'attendre à grand chose.

- "Tss, c'est un peu présomptueux."

Ma voix sonne toujours monocorde, sans aucune intonation, s'accordant seulement à cette expression glaciale que renvoie tout le reste de mon corps. Parce que non, je ne suis toujours pas suffisamment énervé pour m'emporter. A croire que malgré tous mes entrainements avec Pandora, ça ne change strictement rien. Mon comportement face à des mecs ne sera jamais le même que face à des meufs.

Mais si face à des filles comme Vittoria ça va encore, c'est tout de suite encore différent quand Alyona m'adresse cette fois directement la parole. Ma machoire se crispe légèrement alors que mon regard se pose sur le sien. C'est la première fois depuis cette soirée. Il me faut quelques secondes pendant lesquelles j'ai l'impression que le temps s'écoule plus longuement. Je ne sais même pas ce que je pouvais espérer. Pourtant, j'ai cette impression pesante de déception.

- "C'est moi qui met de l'huile sur le feu ? Pff... Ouais ok, c'est bon, t'façon ça sert à rien de parler avec des gens qui ont déjà décidé de qui a tort et qui a raison. Laisse tomber."

C'est étrangement douloureux. Et je ne sais même pas pourquoi. Mais évidemment, je garde cette même attitude parfaitement stoïque, dénué de toute émotion. Ce n'est sûrement pas le moment de montrer quoi que ce soit. Si je me fous bien de savoir ce qu'elles comptent faire, pour ma part, j'ai décidé que j'en avais ma claque de toutes leurs conneries. De toute façon j'ai rien à faire ici. Mais évidemment, mon programme n'a strictement rien à voir avec celui que la blonde me conseil.

Je tourne déjà les talons, direction la porte d'entrée (pas du tout l'infirmerie donc) quand Ariana renchérit. Sauf que son plan est beaucoup plus emmerdant. Comme si j'avais l'intention de me coltiner l'une d'entre elles.

- "J'ai pas besoin de chaperon, j'suis un grand garçon, reste avec tes copines je suis sûr qu'elles seront bien plus contentes que moi de t'avoir à leurs côtés."

Bon, si j'essaie de retrouver un peu de ma provocation habituelle avec cette phrase (j'ai pas l'intention de garder ce mood de merde qu'elles ont imposé), on ne peut pas dire que mon état général me donne vraiment crédit. Entre mon visage sacrément amoché, mes fringues partiellement déchirées et l'intégralité de mon corps totalement trempé, c'est pas la joie. Je pourrais me sécher en faisant évaporer toute cette eau, mais je concentre déjà, depuis tout à l'heure, tout mon pouvoir sur les zones douloureuses de mon visage pour en refroidir la température, à la recherche d'un effet semblable à de la glace. J'ai l'habitude des bastons. Je m'en suis toujours très bien sorti seul. Ce ne sera pas différent cette fois.

Je suis prise dans un tourbillon d'émotions, quelque chose de violent qui me donne envie de sortir de ma propre peau et de... Je ne sais pas, de disparaître peut-être ? De m'éteindre, comme une ampoule. Mais comme c'est impossible, je suis forcée d'écouter Alyona. J'ai envie de lui rétorquer que jusqu'ici la violence, c'est ce qui mettait de la nourriture dans mon ventre. C'est ce qui me payait. Et j'ai presque toujours gagné. Et là, c'est comme un coup de marteau. La réalisation me frappe au creux de l'estomac, me laisse muette et sans souffle.

Je ne connais que la violence.

Je regarde le visage dévasté de Tiago. Il n'a pas une seule fois répliqué. Il s'est contenté de se défendre. Même ses flammes ne m'ont pas brûlée. Quant le Feu répond à Ariana, je réagis comme un chien de garde. Non, un chien de combat. Mais la main d'Alyona posée sur mon bras m'immobilise aussi bien qu'un poids en fonte. Je ne veux plus la décevoir. Ariana s'est tournée vers moi. Elle est trempée, ses jolis cheveux lui collent au visage, ses vêtements sont assombris par l'eau. Mais ce qui me frappe, c'est ce que je lis sur ses yeux, sur son visage. Et ses mots me tordent le ventre. J'ai envie de lui demander à quoi je sers, si ce n'est pas à les défendre ? Je ne sais rien faire d'autre que taper, taper et taper encore. Toute ma vie est basée là-dessus. Ça fait monter en moi une telle angoisse que j'en reste muette une nouvelle fois. Je baisse les yeux, pour ne plus avoir à affronter la déception que je lis dans les yeux d'Ariana, ne plus affronter le regard triste d'Alyona. Et je fais un pas pour suivre cette dernière. Je n'ai pas encore tout à fait tourné les talons quand je me décide à parler, même si tout ce qui sort est un murmure.

Je suis désolée...

Mes mots ne s'adressent pas à Tiago, mais à Ariana. Parce qu'elle est mon amie et que je l'ai déçue. La situation me rappelle beaucoup trop mon dernier combat professionnel et la façon dont ça s'est terminé : un anniversaire en prison et une carrière écourtée, plus de toit, plus de proches, plus rien. En suivant Alyona, je me dis qu'elle a raison finalement. Je suis perdante dans l'histoire, et elle et Ariana aussi. Tout ce que j'espère c'est que je n'ai pas perdu mes amies.

Tori garde la tête baissée alors que j'essaye de lui expliquer gentiment que se battre n'arrangera pas les choses, au contraire - mais j'ai l'impression que mes mots lui coulent dessus comme l'eau qui s'échappe des arroseurs automatiques au plafond. Elle ne dit rien, ne réagit pas vraiment non plus ; elle a l'air de s'être emmurée dans le silence.

Mais je n'ai pas vraiment le temps de me pencher trop sur l'état de mon amie, nous sommes toujours au milieu couloir, et c'est le bazar. Je m'adresse ensuite directement à Tiago, lui demande d'arrêter ses bêtises - et il réplique, bien entendu, mais de manière beaucoup moins agressive que précédemment. Il a l'air de se calmer un peu, ce qui est une bonne chose. Je propose qu'il se dirige vers l'infirmerie pendant qu'on nettoie les dégâts, mais Ariana nous demande plutôt de remonter vers ma chambre, pendant qu'elle accompagne le Feu jusqu'à l'infirmerie. J'imagine qu'elle a encore des choses à lui dire, ou du moins qu'elle veut garder un oeil sur lui pour ne pas qu'il fasse quelque chose de stupide... Je hoche doucement la tête.

"... D'accord, on va remonter. Tu m'envoies un message quand tu as terminé ? Je veux vraiment aider à remettre tout ça en ordre, je suis quand même un peu responsable de tout ce bazar..."

Enfin, ce n'est pas moi qui l'ai causé, mais disons que Tori et Tiago n'en seraient jamais venus aux mains si je n'avais pas fait partie de l'équation... En Parlant de Tori, elle finit par sortir de sa léthargie pour s'excuser d'une voix plate et éteinte. Je fronce les sourcils et lui prends doucement la main pour l'emmener vers l'escalier. Je tourne une dernière fois la tête vers Ariana et Tiago ; le Feu a déjà tourné les talons, mais pas dans la direction de l'infirmerie. Je n'ai aucun doute que la rouquine va lui coller au train et le forcer à se faire soigner... J'ai envie de dire que ça ne me concerne plus de toute façon, mais vu l'état de son visage, je ne peux m'empêcher d'être un peu inquiète tout de même. J'espère que la petite Eau arrivera à le convaincre (mais je suis sûre qu'elle sait se montrer persistante).

Evidemment, Ariana ne s’attendait pas à être bien accueillie. Ce n’était pas son intention. La violence, l’agressivité de Tori ne diminue qu’à peine. Tiago y répond, sans intonation. Il en a assez, ça se remarque assez facilement ; une partie d’elle se dit qu’il mérite tout ça, tout le bordel que ça cause et les potentielles conséquences, toute la douleur aussi. Mais elle se contient, se tait, le regarde. Alors Aria ne dit rien. Ce n’est pas comme si ça servait à quelque chose qu’elle ajoute quoi que ce soit, à part demander aux filles de partir. Vers Tori, elle hoche la tête ; que dire de plus ? Pas besoin de l’enfoncer devant tout le monde, ce n’est pas son rôle. C’est surtout Ariana qui sera désolée de faire son rapport aux Masters, plus tard. La situation est nulle, et en même temps, comme elle peut comprendre Tori…

—T’inquiète pas Alyona ! Tu es responsable de rien.

Chacun est responsable de ses actions, Tiago pour être un gros charo et un con, et Tori pour l’avoir agressé. C’est pas juste le frapper, à ce point-là, se rend-elle compte. La Morphe souffle du nez.

Par contre, quand Tiago se dirige vers la porte d’entrée, il y a un nerf de la préfète qui lâche. Elle inspire, et d’un mouvement de la main, fait fondre sa glace, et rassemble l’eau au sol en une grosse masse d’eau qui la suit alors qu’elle se lance à la suite du Feu. Elle fusille les voyeurs dans le couloir du regard et leur fait signe de vaquer à leurs occupations en agitant la main.

—Tu as pas besoin de chaperon, mais va au moins à l’infirmerie, ça t’épargnera que je te suive jusqu’au village et que j’en parle à tes collègues à la place. Si tu fais ça, je te laisse tranquille.

Une fois dehors, elle se contente d’envoyer valser la flotte en bas de l’escalier, trottinant derrière Tiago pour rattraper le retard qu’il a pris sur elle avec ses grandes enjambées. La masse d’eau s’abat sur le sol avec fracas. Elle plisse le nez et, malgré sa première hésitation, attire à elle l’eau qui macule les vêtements de Tiago pour les déshumidifier et faire la même chose que précédemment, c’est à dire la bazarder ailleurs.

—Et je peux te suivre longtemps, hein.

Evidemment, ça aurait trop simple si ça s'était fini de la sorte. Non mais franchement, elle ne trouve pas que je m'en suis suffisamment pris ? A quel moment elle pense que là, tout de suite, j'ai envie de subir la compagnie de quelqu'un ? Ou alors ça la fait juste marrer. Peut-être.

En tout cas, Ariana me fait vite comprendre qu'elle n'a pas l'intention de me foutre la paix si vite. Sa voix qui résonne dans ma tête m'insuporte déjà. A moins que ce ne soit lié aux coups encaissés précédemment. J'ignore (comme je peux) ses petits tours de passe-passe avec son élément (non mais je ne suis plus en état de me préoccuper de mon petit confort là) et finis par m'arrêter quand je ne peux que me rendre à l'évidence. Quel que soit l'endroit où je vais, elle va continuer à être sur mes talons. Et c'est bien la dernière chose dont j'ai envie.

- "Pourquoi tu tiens tant à c'que j'aille à l'infirmerie ? Si c'est pour te donner bonne conscience et cocher toutes les cases de la parfaite petite préfète, alors j'en ai rien à battre." Ok, peut-être que je suis encore un peu remonté et les mots m'échappent plus que je ne le voudrais. Trop tard de toute façon. "Je sais très bien m'occuper de moi, crois pas qu'elle soit la première à... faire ça. Et ils doivent avoir bien assez de taff à l'infirmerie pour pas les emmerder pour ça. C'est juste que là... J'ai besoin de souffler un peu, ok ?"

Mdr, je crois que c'est ma carte ultime ouais, j'en suis déjà là. Mais ma patience a déjà été pas mal mise à l'épreuve, me retrouver seul est la seule chose que j'espère là tout de suite. Pas si simple.

Ariana essuie ses mains humides sur son haut, contente d’avoir pu éviter une catastrophe encore plus grosse. Pourtant, la grosseur qui obstrue sa gorge ne semble pas prête à partir, alors qu’elle suit Tiago jusqu’à l’extérieur. Il marche d’un air rageur et se retourne vers elle en l’agressant. Elle ne recule pas, et au contraire lui lance un regard réprobateur, presque boudeur, mais pas vexé ou effrayé. Il lui fait un peu trop pitié pour ça, avec son visage déjà un peu tuméfié. Et parce que, d’un coup, il semble empli d’une grande lassitude. Ahhhhhhh………. Ils font chier à avoir cet air de chiot battus, les Feux blessés dans leur égo. Elle n’arrive même plus à leur en vouloir, après.

—J’y tiens parce que tu es blessé, j’ai peur que tu aies une commotion. Il faut vraiment que tu te fasses examiner, et après je te laisse tranquille.

Est-ce qu’elle a ignoré tout le reste ? Ben, euh… Oui, visiblement, aha.

—Si tu arrêtes de jouer au gros dur tout le temps, ce sera peut-être la dernière. Ca tient qu’à toi, ça, souffle-t-elle, blasée. L’infirmerie est faite pour ça, au passage.

La rouquine fait apparaître un glaçon plat et le lui tend, comme si la glace ne lui brûlait pas le bout des doigts. C’est très froid, mais sa magie ne lui fait pas mal.

—Allez, viens et je te laisse tranquille. Si tu me relances pas, je te parlerai même pas pendant le trajet. Deal ?

Non parce que sinon elle va vraiment le suivre.

Pourquoi faut-il qu'elle soit tellement pot de colle ? Et puis qu'est-ce qu'elle peut bien en avoir à foutre des commotions cérébrales et autres conneries ? Rah qu'est-ce que ça m'énerve tout ça. Je préfère encore me faire cogner que d'écouter toutes ces conneries. C'est bon, je sais bien qu'on n'est pas les meilleurs potes, j'ai pas besoin qu'elle fasse semblant.

- "J'm'en fous qu'ce soit la dernière ou non."

Oui bon, il y a peut-être un brin de mauvaise foi. Mais j'crois que je suis en pleine redescente là. Et puis, je sais très bien pourquoi est-ce que Vittoria a fait ça, et c'est ok. J'accepte.

Evidemment, je n'ai pas non plus très envie de laisser le dernier mot à Ariana. Mais est-ce que j'ai vraiment envie de prendre le risque de la relancer dans ses discours de gentille fille qui fait attention à tout le monde même aux gros vilains parce que tout le monde mérite d'être soigné blablabla ?

Non.

- "Laisse moi au moins le temps d'une clope."

Ce sera toujours ça. Et j'en ai vraiment besoin. La nicotine apaisera au moins une partie de toutes les tensions qui me donnent envie de cogner dans le mur le plus proche. Sans ça, c'est sûr que jamais je ne prendrai la direction de l'infirmerie. Et comme je n'ai pas envie d'avoir la miss sur le dos pour le reste de la journée (j'ose espérer qu'elle me lâcherait une fois la nuit tombée), j'envisage effectivement de retourner à l'intérieur.

Une fois ma cigarette terminée. Le mégot écrasé dans le cendrier à l'entrée, je cale mes mains dans mes poches (oui, j'en ai marre de tout ça) et accepte d'aller dire bonjour à l'infirmerie. Ce dont je n'ai toujours pas envie. Avec la gueule que je dois avoir, c'est sûr que je ne vais pas pouvoir faire comme s'il n'y avait rien. Pff ça me saoule d'avance. Mais je lance un nouveau regard à Ariana, et ça suffit à me convaincre.

- Voilà, j'y vais. J'espère que ta conscience est tranquille et que tu vas pouvoir repartir à tes activités loin de moi."

Dire qu'il va encore falloir que je me tape les gens à l'infirmerie... Quelle journée de merde.

La rouquine hausse les épaules, pas très intéressée par sa réponse. Evidemment qu’il dit qu’il s’en fout, elle le lui dira quand même. Ce n’est pas elle qui lui fera rentrer dans le crâne qu’il n’y a que lui qui peut décider de changer ou non ; et elle n’en a pas non plus envie. La perte de temps risque d’être phénoménale, bien que laisser quelqu’un sans solution lui tord un peu l’estomac. Elle sait juste que s’il continue à faire du mal à ses amis, la prochaine à venir lui mettre son poing dans le nez, ça risque d’être elle.

Elle connait les hommes comme lui, elle en a côtoyé pas mal quand elle était plus jeune. C’est aussi ça qui lui a valu des soucis avec sa famille et, plus tard, Lola. L’histoire sonne un peu trop personnelle pour qu’Ariana parvienne à n’y prêter aucune attention.

Mais elle pense aussi ce qu’elle dit, et la compassion qu’elle ressent n’a rien à voir avec de la pitié. Par contre, du mépris, il y en a un petit peu, et de la colère, vraiment beaucoup. Quoiqu’elle s’atténue en voyant son air défait, un peu plus à chaque fois. La haine ne va pas très bien à Ariana, même si parfois ce serait plus facile pour elle.

Alors sans rien dire, elle acquiesce, et sort elle-même un paquet de clopes de sa poche. Elle en a toujours deux-trois sur elle, dans une petite boîte métallique étanche, ainsi qu’un petit briquet à l’intérieur. Elle ne fume plus autant qu’avant, juste de temps en temps, mais ça l’aidera à passer le temps aussi. Elle a promis qu’elle ne dirait rien, s’il ne la relance pas. Elle ne l’a même pas finie quand il termine la sienne, aussi éteint-elle sa cigarette sous sa semelle et range le mégot dans sa boîte.

Quand il reprend la parole, la petite Morphe lui sourit. Elle est rassurée, oui.

—Je vais pouvoir nettoyer le bazar dans le hall, oui.

Une façon élégante de lui rappeler que ses activités pour la prochaine demi heure consistera à s’occuper des dégâts causés par ses propres décisions.

—Merci Tiago. J’espère aussi qu’on ne se recroisera pas, ne t’en fais pas.

Alors qu’ils entrent dans le hall, elle peut sentir ses épaules s’affaisser alors qu’il contourne les escaliers pour aller à l’infirmerie. CA VA QU’IL FASSE PAS COMME SI C’ETAIT UN DRAME, C’EST AU MEME ETAGE. Elle contient un soupir, alors qu’elle constate que le monde s’est déjà un peu dissipé, le temps de cette fameuse clope. Et il y a toujours du bordel au milieu du couloir. C’est dépitée qu’elle commence à dégager l’eau par la fenêtre, le coeur battant. Tori et Alyona… il va sûrement falloir qu’elle leur parle.