C'est un moment un peu sérieux, une ambiance moins électrisante qui nous entoure. Mais l'amitié, c'est ça aussi. Il y a les bons moments, les rigolades, mais il y a aussi ces instants où c'est important d'être là pour l'autre. D'aborder des parties un peu plus sombres de soi mais tout en étant confortable avec l'autre. Et bien j'adore Camil, que j'aime l'embêter car ses réactions sont amusantes, malgré tout, je serais toujours présente pour lui. Il y a quelque chose dans notre amitié, notre lien, qui depuis le début me donne envie de vouloir être présente, d'agir pour lui donner un coup de main s'il en a besoin. Et pas d'être simplement l'amie qui va battre des cils et à peine écouter et ne pas réagir. Non. Dans la lumière ou l'ombre, on reste ensemble.

J'offre un large sourire tout en posant mon pouce contre le dessus de sa paume lorsqu'il laisse sa main dans la mienne.

« Je n'ai aucun doute que tu fais de ton mieux. Et ça me fait plaisir d'être là pour toi Camil, toujours. Puis ne t'inquiète pas, on a tous une partie d'ombre en soit à Terrae avec le Vide tu te doutes... Je serais ravie de pouvoir t'écouter, c'est vrai qu'on n'a pas pas pris le temps de vraiment se raconter nos ''véritables'' histoires. Commençons avec le fun comme tu dis!»

Un petit ricanement m'échappe.

« Nos muscles sont stimulés par l'électricité de base, en fonction de l'intensité qui les traverse et du type de muscle, on peut les manipuler avec nos énergies, OK? Donc déjà tu peux faire circuler l'électricité sous la peau de tes doigts à petite intensité pour que ça vienne chatouiller sa peau. Mais pas trop fort, on est pas là pour taser non plus. Je te ferais pas un dessin qu'à certains endroits sensibles ça peut être très utiles. ET. Parce que tu es un mec, je te ferais pas un dessin là-dessus non plus Camil, tu peux donc stimuler tes muscles pour booster ton... cardio? Et aussi stimuler ce que t'as entre les jambes, hein? Tu peux le stimuler ET faire passer l'électricité sous la peau pour que ça fasse d'autres effets... 'fin bon tu vois hein? Je peux pas t'expliquer mieux ce serait trop awkward. Mais c'est super facile, faut vraiment juste que tu gères l'intensité et le flow... 'fin bref tu... expérimenteras.. hein? »


J'éclate de rire parce que... c'est à la fois.. drôle.. mais gênant un peu? 'Fin je ne suis pas forcément du genre à avoir peur de parler de ce genre de choses mais juste que là je suis super spécifique alors... c'est... spéciale. Ça va qu'on est chez Camil, personne d'autre ne peut entendre cette conversation.

« Enfin voilà voilà hein, si t'as pas de... questions... je suis prête à t'écouter. Quand t'es prêt, et que tu ne seras plus pivoine haha. »

Comme prévu, je change minimum trois fois de couleurs dans le temps où Nana explique (putain mais d'où elle sort cet aplomb omg) les avantages d'être un Tonnerre... Mais au moins, j'ai tenu sans manger ou boire quoi que ce soit pendant tout son exposé. Quand elle conclut en me demandant si j'expérimenterais j'ouvre la bouche, puis la referme, façon poisson rouge hors de l'eau. Je réponds quoi à ce genre de chose moi ?!

- Hahahaha bah oui, mais avant de tenter avec Katsu euh. Je vais voir si je maîtrise assez mon électricité. Genre tout seul. Pour blesser personne d'autre. Hein. Voilà. Haha. Hem.

Oh bah. On dirait que finalement, la panique a trouvé quoi dire. Non parce que si en plus de me prendre des murs à quasi chaque téléportation, je me mets à m'électrocuter, j'ai pas envie de faire subir ça à d'autre, encore moins à ma petite amie. Je me racle la gorge et bois une gorgée pour reprendre un peu contenance. Un petit silence s'installe. C'est un peu délicat de changer d'ambiance comme ça, mais je suppose que la parenthèse conseils sexo est close... Un soupir m'échappe.

- Je suppose qu'il n'y a plus de prétextes pour repousser le prochain sujet... Je suis désolé, j'espère que ça ne te mettra pas trop mal, et si à un moment tu veux que j'arrête, tu me dis, d'accord ? Je précise.

Dernière gorgée et dernière grosse inspiration et je me lance pour... la deuxième fois ? La troisième peut-être si on compte Erik.

- Bon, déjà faut savoir que mon père est américain, et qu'il était militaire avant ma naissance. Ma mère est anglaise (genre british quoi), et elle l'avait à la base suivi aux USA. Mais quand elle est tombée enceinte, mon père a abandonné sa carrière et ils sont retournés en Angleterre. Voilà le contexte. Je dis rapidement.

Je sens que ça remue au fond de moi, que les souvenirs cherchent à remonter. Mais je suis devenu un pro pour cacher ce genre de chose.

- Au début tout allait bien, ils m'ont choyé. Peut-être trop, parce qu'arrivé le moment de me mettre à la maternelle, l'enfer : apparemment j'ai été gentiment dirigé vers la sortie, si tu vois ce que je veux dire. À raison hein, j'étais invivable que ce soit pour les instit' ou pour les gamins avec moi. Je me suis fait virer une fois, puis une deuxième. Donc ma mère a pris le relai et m'a fait l'école à la maison. En primaire, le début s'est mieux passé mais j'ai recommencé. Un vrai démon, résultat je me suis aussi fait virer.

Je n'étais pas fier de cette période. Et malgré des heures de réflexion sur le sujet, je n'ai jamais compris pourquoi j'avais réagi comme ça à mon entrée dans le système scolaire. Enfin bon. Je reprends :

- C'est là où les choses ont dérapé. Mon père a décidé de prendre le relai sur mon éducation. C'était juste très strict au début, militaire. Le lit au carré, le nettoyage de mes affaires. Il exigeait la perfection, et quand je n'atteignais pas ses exigences, les punitions sont devenues physiques. D'abord c'était des pompes, ou aller au coin debout pendant plusieurs heures. Tu vois le style. Puis je sais pas ce qui s'est passé dans sa tête, c'est devenu des corrections, soit à la ceinture soit au poing. Ma mère regardait, disait trop rien. Il a jamais levé la main sur elle. Et puis...

Je respire un instant. Voilà, on en arrive à la plaque tournante, la raison de toute la suite.

- Et puis un jour il y est allé trop fort, il m'a rossé au point de m'envoyer à l'hosto. Un bras cassé, des côtes en bouillie et un trauma crânien, c'est ce qu'on dit les médecins. Moi j'en ai aucun souvenir, j'ai un trou de trois jours dans l'histoire à ce moment-là. S'en est suivi une énorme dispute, ma mère a finalement pris ma défense et mon père a dû se calmer. Mais ça n'a plus jamais été pareil. Finalement, ils se sont résignés à me remettre à l'école, au collège. Et ça a été, surtout parce que j'étais en avance sur le programme, donc les profs me foutaient la paix. Et comme je ne voulais plus recommencer l'école à la maison, je me suis tenu à carreaux. Puis j'ai eu mes diplômes, mon premier job et je me suis cassé de la maison pour aller enseigner à la fac en Irlande. Un an plus tard, mon père est décédé et je suis rentré en Angleterre pour aider avec les funérailles.

Et voilà un résumé succinct de ma vie... Je termine ma tasse et soupire de nouveau.

- Bref, tout ça pour dire : il est mort, et j'ai pas trop pu lui parler de tout ça. Et en y repensant je me suis rendu compte qu'il nous avait jamais dit si il avait encore de la famille aux États-Unis. Et je me dis que si je peux pas lui parler à lui, j'ai une chance de retrouver mes grand-parents pour leur parler, à eux. Tu vois ce que je veux dire. D'où les recherches. Je conclus avec un petit sourire.

« Quand tu seras prêt, ne t'en fais pas, répliquais-je avec un clin d'oeil. »

On est pas là pour taser le monde non plus hein, mais au moins, il a l'info. C'est dans ses mains désormais de voir ce qu'il souhaite faire. Je pouffe de rire un peu devant sa gêne avant de retrouver un peu mon sérieux quand il faut passer au plat principal. Je croise mes bras contre ma poitrine tout en hochant la tête.

« Promis, Camil. Prends le temps que tu as besoin. »

Silencieusement, mon visage s'est fermé, dans ma concentration, j'ai écouté tout en regardant son regard se transformer au fur et à mesure qu'il s'explique. Mes sourcils se sont froncés progressivement en entendant les détails sombres de son père. À défaut de comprendre un peu la situation, ayant une mère militaire, je ne pouvais pas imaginer la difficulté que ça a dû être pour cette famille, pour Camil. On était un peu similaire sur le point de nos parents : un parent militaire, un parent décédé. Pour ma part ce n'était pas la même personne mais, je comprenais.

Un petit poids s'installe dans ma cage thoracique pendant que mon cœur se remplit de compassion.

Je prends une très grande inspiration.

« Je suis désolée que tu ai dû vivre ça, Camil. J'ai un parent militaire aussi et je comprends un peu. Merci d'avoir pris le temps de m'en parler, c'est très apprécié. »

Je passe une main dans mes cheveux en soupirant.

« C'est un bagage lourd que tu portes, mais ça ne t'empêche pas de vouloir avancer et je suis fière de toi pour ça. Tu es désormais entouré de gens qui t'aiment et tu n'es pas seul.»

Petit sourire en coin, j'adoucis un peu mon visage qui était resté... dur.

« On fera de notre mieux pour trouver tes grands-parents. Tu peux compter sur moi. Bien qu'il ait suivi ta mère en Angleterre, s'il est américain, c'est sûr qu'il doit y avoir de la famille. Est-ce que tu veux prendre un moment pour...? »

Il devait se douter que ma question était une demande pour savoir s'il voulait que je lui laisse un moment, un espace, pour qu'il puisse process la lourdeur des mots qu'il avait pris le temps de me conter.

La plaisanterie cède bientôt la place au sérieux alors que je replonge encore une fois dans les souvenirs difficiles de mon enfance. Même si ça me provoque toujours une certaine souffrance, en parlant, je me rends compte que plus je raconte cette histoire et plus je m'en détache. On n'est pas encore au niveau de ces gens qui sourient en en parlant, mais je sens que j'ai déjà fait un pas vers cette sérénité.

Ce qui me fait du bien surtout, c'est de voit le visage de Nana concentré. Elle est attentive à ce que je raconte, m'écoute vraiment. Et ça me fait du bien. Je crois que son attention et son avis comptaient finalement autant que ceux de Katsuyo. Pas de la même façon (Katsuyo est ma petite amie, et Nana est ma meilleure amie), mais ça compte autant dans mon cœur. Quand j'arrive au bout de mon histoire, je conclus un peu abruptement, puis adoucis tout ça avec un sourire.

Un court silence s'installe entre nous, jusqu'à ce que Nana prenne une grande inspiration. Je sens mes épaule se tendre involontairement. Ses mots, cependant, sont pleins de compréhension et de douceur. Je vois bien que mon histoire l'a ébranlée... Ça a dû faire ressurgir des souvenirs chez elle aussi. Ça me désole et je me penche vers elle pour lui prendre doucement la main.

- Merci de m'avoir écouté. C'était important pour moi... Plus que je ne l'avais estimé. Ce que tu me dis me touche beaucoup, et je suis heureux que tu fasse partie de ces gens qui m'entourent et m'aiment. Je dis sincèrement.

Enfin, un sourire éclaire son visage. Comme un miroir, un petit sourire étire mes lèvres aussi. Quand elle reprend la parole, je sens mon cœur se gonfler de courage. C'est sûr, avec elle à mes côtés, on va y arriver.

- C'est gentil, mais ça va aller. Je vais bien.

Un instant je secoue la tête et m'ébroue comme un chien qui sort de l'eau. Puis j'adresse un grand sourire à Nana.

- Bon ! On a la panse bien remplie, qu'est-ce que tu en dis ? On s'y met ?

Je me lève et débarrasse rapidement la table, mettant la vaisselle dans mon évier. En temps normal, j'aurais tout nettoyé et rangé dans la foulée. Cette manie que m'a inculqué mon père m'est resté et le désordre a tendance à m'angoisser. Mais depuis que je suis avec Katsuyo, j'essaie de faire des efforts pour lutter contre ces tocs, histoire de pouvoir passer des bons moments avec elle autre part que dans ma chambre. Je me retourne vers Nana.

- Attention, réflexe ! Je dis en lui lançant l'éponge. Tu veux bien passer un coup sur la table ? Comme ça, je vais chercher mon ordi en attendant.

Me doutant qu'elle dirait oui, je me dirige vers la petite penderie, que j'ai réaménagé en espace de stockage. J'en sors mon petit MacBook que je ramène vers la table en l'allumant d'une main. Le fond d'écran avec une photo d'un petit lapin avec un pissenlit dans la bouche apparaît, puis les icônes. Je m'installe à table et clique sur le dossier "Famille". L'explorateur de fichiers s'ouvre et m'affiche la petite dizaine de scanners.

- On y est... Il y a son acte de naissance, ses contrats militaires, et un début d'arbre généalogique que ma mère a fait après que je l'aie appelée. On commence par quoi ? Je demande avec un regard vers Nana.

Je ne sais pas si je me répète, mais avoir une amitié comme celle que j'ai avec Camil, c'est unique. Il y a cette ouverture, ce safe-space qui fait qu'entre lui et moi, on peut se dire les choses, se rassurer, pleurer ensemble s'il le faut. Et le monde extérieur ne peut pas forcément comprendre ce passage presque moralement obligatoire à Terrae de raconter son Vide. Du pourquoi on est ici un peu contre notre gré, mais qui devient au final notre maison, notre famille, que l'on accueille à bras ouverts au final. On se sourit, on se tient la main dans un geste de compassion, de compréhension. Il n'a pas besoin d'espace pour relâcher la pression d'avoir déballé son histoire, alors je souris un peu plus fort.

« Faisons ça! »

Je le mime en me levant à mon tour, mais c'est qu'il est rapide, j'ai à peine le temps de prendre une assiette qu'il a déjà tout emmener! Bon, c'est chez lui je n'insiste pas alors je reste debout à côté de la table, scrollant rapidement les notifications sur mon téléphone. Puis la voix de mon ami m'interpelle et j'ai à peine le temps de lever les yeux que j'attrape l'éponge qui vient m'éclabousser un minuscule au passage (tout en criant un bref AHHHH) parce que je l'ai pressé trop fort!

« Chef, oui chef! Riais-je. »

C'est la moindre des choses au final. Soigneusement, je nettoie la table tout en rassemblant dans une main les miettes et autres saletés à jeter. Luisante, la table doit être luisante. Ou propre. En tout cas, c'est du beau boulot et le temps que je jette le tout avant de rincer l'éponge, Camil revient à table, alors je reviens m'installer, amenant la chaise à côté de lui.

« Sympa le fond d'écran! »

Il a beaucoup de choses dans son dossier quand même...

« C'est déjà un bon début ça! On pourrait... euh... »

Je plisse les yeux pour regarder les fichiers.

« En vrai ça dépend! Je pense qu'il y a deux chemins qu'on peut prendre... On peut commencer par ton père directement en regardant l'acte de naissance et les contrats... Histoire de voir la zone d'où il vient et s'il y a des incohérences dans ses déplacements... Ou... On regarde en premier l'arbre généalogique et on fouille internet! Maintenant c'est tellement plus facile de retracer les gens... il suffit d'un compte facebook ou d'un acte de décès pour retrouver des noms! Qu'est-ce que t'en dis? Qu'est-ce que tu aimerais trouver en premier comme info?»